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trouvent sur le territoire français; qu'il y aurait beaucoup d'inconvénients et de dangers à ce qu'il en fut autrement, et qu'on réduisit les consuls à chercher contre les offenses de leurs nationaux dont ils sont les juges en plusieurs cas, une protection devant les tribunaux du pays où ils résident; qu'on ne peut pas supposer une semblable intention au législateur français ;

Attendu, d'ailleurs, que la fiction d'extra-territorialité en vertu de laquelle les ambassadeurs et agents diplomatiques résidant à l'étranger, sont censés y habiter une portion du territoire du souverain ou de la nation qu'ils représentent, pourrait s'étendre aux consuls, au moins lorsqu'ils agissent comme magistrats administratifs ou judiciaires envers leurs nationaux, et qu'alors s'ils étaient outragés, dans leur domicile, là où ils administrent et font acte de juridiction, on devait les considérer comme étant censés se trouver sur une portion du territoire français, et qu'ainsi les outrages qu'ils auraient reçus d'un de leurs nationaux seraient susceptibles d'être poursuivis et jugés comme ces derniers en France, aux termes de l'article VII du Code d'instruction criminelle, comme n'ayant pas été commis hors du territoire français ;

Attendu, sur le troisième moyen préjudiciel présenté par Dettel, que le cautionnement auquel il a été assujetti par le juge anglais de police à Calcutta, sur la plainte du consul de France, n'est pas une peine, mais seulement une mesure préventive et de précaution pour l'obliger à garder la paix, c'est-à-dire à ne pas exécuter les menaces par lui adressées au consul, le 17 mars; qu'en effet au moyen de la réception de deux cautions et de la sienne propre, Dettel a été renvoyé sans souffrir aucun dommage dans sa liberté, sans subir aucune amende ; qu'au surplus et si l'obligation de donner caution pouvait être considérée comme une condamnation, il est évident, en fait, qu'elle ne s'appliquerait qu'à la menace par lui proférée de couper la figure au consul à coups de fouet, et qu'il resterait encore à réprimer les outrages par paroles qu'il a adressées à ce fonctionnaire, soit le jour même, 17 mars, soit la veille, outrages qui n'ont été en aucune manière soumis à l'appréciation du magistrat anglais et n'ont pu dès lors entrainer aucune condamnation contre Dettel;

Attendu que d'après toutes ces considérations, aucune des exceptions préjudicielles de Dettel n'est admissible; et attendu, en fait, que Ch. Dettel s'est livré, les 16 et 17 mars dernier, à Calcutta, envers le consul de France en ce pays, M. de Ratti-Menton, à des paroles grossières et à des menaces insultantes, savoir: le 16 mars, en le traitant de polisson, le 17, en le menaçant de lui

couper la figure avec un tchabouk (ou fouet), en le tutoyant, et en ajoutant: «< On connait l'affaire du Juif de Damas et celle de «Jancigny; tu avais voulu plonger Jancigny dans la boue, mais il s'est relevé glorieux et triomphant »; que tous ces faits se sont passés et ces paroles ont été prononcées dans le bureau même de la chancellerie du consulat de France à Calcutta ; que les outrages et les menaces qui en résultent ont eu lieu évidemment dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice des fonctions administratives du consul; qu'en effet la scène du 16 mars se rattachait à une discussion de la veille entre un Sr Tirou et le consul, au sujet du refus fait par ce dernier d'une légalisation de la part du consul; que les menaces et les outrages proférés le lendemain 17, par Dettel, l'ont été encore par suite d'un autre refus de légalisation de la part du consul; qu'enfin, ce qui a trait à l'affaire des Juifs de Damas et à celle de Jancigny, était une allusion à des actes de la vie publique du consul; que c'est donc soit dans l'exercice de ses fonctions administratives, soit à l'occasion de cet exercice que les outrages et les menaces susdits lui ont été adressés; du tout quoi il résulte que Ch. Dettel a commis envers le S de Ratti-Menton, consul de France à Calcutta, les 16 et 17 mars dernier, dans le bureau de la chancellerie du consulat où le consul était dans l'exercice de ses fonctions et à l'occasion de cet exercice, le double délit d'outrages par paroles tendant à inculper son honneur et sa délicatesse, et d'outrages, par menaces, dans les mêmes circonstances et envers le même magistrat :

Déclare Ch. Dettel, âgé de 32 ans, mécanicien, domicilié à Calcutta, actuellement en cette colonie, coupable des délits prévus par les articles 222 et 223 du Code pénal lesquels sont ainsi conçus :

Art. 222. Lorsqu'un ou plusieurs magistrats de l'ordre administratif ou judiciaire auront reçu, dans l'exercice de leurs fonctions, ou à l'occasion de cet exercice, quelque outrage par paroles tendant à inculper leur honneur ou leur délicatesse, celui qui les aura ainsi outragés sera puni d'un emprisonnement d'un mois à deux ans. Si l'outrage a eu lieu à l'audience d'une cour ou d'un tribunal, l'emprisonnement sera de deux à cinq ans.

Art. 223. L'outrage fait par gestes ou menaces à un magistrat dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, sera puni d'un mois à six mois d'emprisonnement; et si l'outrage a eu lieu à l'audience d'une cour ou d'un tribunal, il sera puni d'un emprisonnement d'un mois à deux ans.

Faisant au dit Dettel l'application des dispositions desdits articles 222 et 223, et sans s'arrêter ni avoir égard aux moyens et exceptions préjudiciels par lui présentés et dans lesquels il est déclaré mal fondé, le condamne à six mois d'emprisonnement, etc.

Des faits de la nature de ceux dont il vient d'être parlé, ne se seraient probablement pas produits dans les années antérieures à l'année 1848; malgré le relâchement des principes de discipline sociale, qui s'est fait remarquer depuis la chute de l'empire, en 1844; malgré le sentiment d'opposition et de résistance qui germait dans l'esprit d'un grand nombre d'hommes, toujours disposés à critiquer l'autorité par le seul motif qu'ils ne sont pas eux-mêmes revêtus d'une fonction publique, avant 1848, un consul représentait cependant pour tous ses nationaux le principe d'autorité de la patrie absente; il pouvait compter sur leurs égards et sur des témoignages de déférence de leur part, dans toutes les occasions où il avait à se trouver avec eux, soit pour écouter leurs réclamations, leur donner des conseils, les guider et les seconder; soit dans les circonstances où il avait à paraître à leur tête comme chef et protecteur, au nom du roi, de la colonie française de sa résidence.

L'événement du 24 février, la proclamation en France du gouvernement républicain, qui n'était dans la pensée que de quelques meneurs sans talent, et qui avaient la prétention de rendre tous les hommes frères, firent germer et éclore brusquement chez un grand nombre de Français (négociants sans crédit, ouvriers sans travail assuré, artisans paresseux, etc.), domiciliés à l'étranger, les plus folles idées d'égalité absolue, de liberté absolue, d'exigences et de prétentions de toute nature; et ces Français, habitués à voir et à respecter dans le consul, envoyé et institué par leur roi, pour protéger leurs personnes, leurs propriétés et leurs intérêts, l'agent politique qui représentait leur pays et l'autorité de leur pays sur le territoire étranger où il exerçait les fonctions, feignirent, en 1848, de ne plus reconnaitre en lui que le commis du peuple souverain. Chacun d'eux se considérant, pour son 36 millionième, comme un rayonnement lumineux de cette souveraineté, agissait avec un surprenant sans façon fraternel et égalitaire, les uns conservant sur la tête leur chapeau posé de travers comme la tour de Pise, en entrant dans les bureaux du consulat ; les autres exigeant à leur profit une démarche que, quelques jours auparavant, ils auraient sollicitée modestement, en termes convenables et polis; ceux-ci (égalitaires au premier chef), accom

pagnant leurs demandes d'un ton impérieux, grossissant la voix pour donner plus d'autorité à leur réclamation, fronçant les sourcils à la moindre objection, et prenant une figure de Jupiter tonnant quand ils éprouvaient un refus; ceux-là (frères à la manière de Caïn), procédant par des menaces de dénonciation, ou de pétitions collectives pour obtenir la révocation de l'agent nommé par le tyran renversé du trône, et qui osait faire son devoir sans s'émouvoir de leurs clameurs; et beaucoup, parmi ces derniers, devenus dénonciateurs et calomniateurs (dans l'intérêt du bien public sans aucun doute), écrivaient, en effet, secrétement et sans retard, aux membres de l'aréopage présidant, à Paris, aux destinées de la patrie, ou aux amis de ceux-ci, dans le but d'obtenir l'emploi du consul titulaire, du chancelier, du commis aux écritures de la chancellerie, etc. etc....... Tristes fruits des révolutions qui en agitant tous les esprits, en boulversant toutes les notions du juste et de l'injuste, soulèvent les plus mauvaises passions du cœur humain, excitent tous les appétits, font bouillonner tous les cerveaux surexcités par la jalousie ou par l'ambition, et portent les hommes les moins faits pour remplir des emplois publics à se croire aptes, sans avoir rien appris, à remplir toutes les fonctions !

§ 44.

Excuses et réparations offertes au consul général de France par le Bey de Tripoli.

Le consul général de France à Tripoli ayant cru devoir quitter la régence, à la suite de mauvais procédés de la part du gouvernement tripolitain, le contre-amiral baron de Rosamel fit signer, le 14 août 1830, au Bey, à bord du vaisseau le Trident, en rade de Tripoli de Barbarie, un traité dont l'article premier est conçu comme il suit :

«S. Exc. le Pacha - Bey de Tripoli remettra à M. le contreamiral commandant de l'escadre française, une lettre signée d'elle et adressée au roi de France, dans laquelle elle priera S. M. T. Chr. d'agréer ses humbles excuses sur les circonstances qui ont forcé le consul général à quitter son poste, désavouera toute participation aux bruits calomnieux répandus sur cet agent, et exprimera le désir de voir les relations amicales pleinement rétablies entre les deux États, par la réinstallation du consulat général de France. Une copie ouverte de cette lettre sera, en même temps, remise à M. le contre-amiral. Le Pacha fera renouveler

les mêmes excuses à M. le consul général, par un de ses fils ou gendre, quand cet officier viendra prendre possession de son poste. » 1)

Protection consulaire.

§ 45.

Refus fait à Tripoli de livrer deux Français réclamés par le consul général de leur nation.

Chargés de maintenir et d'étendre la protection de leur souverain sur ses sujets à l'étranger, les consuls et consuls généraux, agents politiques et diplomatiques du prince qui les a institués, doivent, au nom de celui-ci, réclamer en faveur de ses nationaux, la protection du droit des gens et des lois territoriales.

C'est dans les pays musulmans, où tant de préjugés, quelquefois même de haine contre les Chrétiens existent que la protection consulaire est surtout essentielle.

Voici un fait qui a failli causer la ruine de Tripoli, car si l'obstination du Bey de Tripoli eut persisté, l'escadre française se voyait dans l'obligation d'ouvrir le feu sur cette ville.

Deux déserteurs français travaillaient depuis quelque temps comme maréchaux-ferrants au quartier de la cavalerie des troupes turques à Tripoli de Barbarie. L'officier supérieur qui commande cette cavalerie, voulant les lier d'une manière indissoluble au service ottoman, les engagea plusieurs fois, mais sans succès, à embrasser l'Islamisme. Ses obsessions devinrent plus vives et plus importunes à l'époque du Ramadan, jeûne qu'on leur fit observer par force. Ces hommes, craignant des violences extrêmes, se décidèrent à aller faire leur soumission au consulat général de France, préférant subir dans leur pays toutes les conséquences d'une première faute que d'abandonner leur Religion.

Un seul put exécuter ce dessein et se placer à l'abri du drapeau national; il vint faire sa soumission au consul, acte qui le remettait sous l'empire des lois françaises et devait lui assurer leur protection. -L'autre déserteur français, arrêté par les Turcs avant d'avoir pu atteindre l'asile consulaire, fut horriblement bâtonné, puis jeté en prison. M. Pellissier, consul général de France à Tripoli, le réclama en vain; les Turcs se refusèrent à le rendre. Bien plus, son compagnon ayant eu l'imprudence de s'éloigner seul du consulat pour faire ses adieux à un Maltais de sa connaissance, au moment même où le représentant de la nation française allait

1) Voir chap. XXXIII, § 2.

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