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sultats de leur enthousiasme du moment, ou leurs jugements d'ostracisme n'ont pas plus de fixité et de solidité que les vagues de la mer flux et reflux incessant de popularité, ivresse qui s'accroit par les cris, exagérée dans ses démonstrations quand la foule est dans de bonnes dispositions, plus exagérée encore par ses excès cruels et sanguinaires, quand elle a été excitée au mal, au désordre, au crime par des meneurs qui savent enflammer ses mauvaises passions par des mots qui agissent comme des talismans sur les imaginations - liberté, égalité, fraternité, indépendance, haine de l'étranger, tyrannie, abus d'autorité, etc. etc. - et c'est quand on voit la mobilité des masses, enthousiastes avec excès, cruelles avec excès, selon les passions surexcitées du moment, qu'on oserait dire encore que la voix du peuple est la voix de Dieu ! ......

Tous les Français étaient réunis à la maison consulaire lorsque M. Barrot y arriva; tous les étrangers y vinrent également : le pavillon tricolore y fut arboré immédiatement et salué de vingt un coups de canon par les forts de Carthagène.

L'amiral, M. Barrot et la plus grande partie des officiers de la division furent ensuite faire une visite au gouverneur.

Lorsque M. de Mackau quitta Carthagène, le 1er novembre, il laissa dans le port le brig l'Endymion, avec mission d'y rester jusqu'au 31 décembre; cette précaution était sage, mais elle devint inutile; depuis lors, et jusqu'au moment où M. Barrot a quitté la Nouvelle-Grenade pour retourner en France, le 25 juin 1835, il n'a eu qu'à se louer de la conduite et des égards des autorités et de la population.

§ 17.

Arrestation du consul de France à San-Francisco.

Dans l'article qui va suivre nous verrons les autorités américaines de San-Francisco commettre, en 1854, un double attentat contre le droit des gens et le droit conventionnel international.

Nous nous bornerons à signaler le premier de ces attentats; le second fera plus particulièrement l'objet de ce paragraphe.

Le consul mexicain à San-Francisco, M. Luis de Valle, fut soupçonné par l'autorité locale d'avoir fait des enrôlements militaires pour le compte du général Santa-Anna 1); s'il n'avait pas le droit d'agir ainsi, il fallait instruire son gouvernement de sa conduite, suspendre même au besoin les effets de son exéquatur;

1) Voir note XII du second volume.

ou s'il agissait par ordre de son gouvernement, il fallait se plaindre à celui-ci des ordres qui avaient été donnés à l'agent mexicain Ce n'est point ainsi qu'a procédé l'autorité territoriale. La cour du district des États-Unis a mis le consul mexicain en accusation, méconnaissant de cette sorte le caractère du fonctionnaire diplomatique étranger et les prérogatives qui appartiennent aux consuls. Le traité d'amitié, de commerce et de navigation, signé le 5 avril 1854, à Mexico, entre les États-Unis de l'Amérique septentrionale et les États-Unis du Mexique, bien que conclu pour huit années seulement, avait fixé la position des consuls respectifs des deux États contractants en leur accordant les prérogatives et immunités attribuées aux consuls de la nation la plus favorisée; cette position devait être considérée par les autorités de SanFrancisco comme n'ayant pas cessé et ne pouvant pas cesser d'exister. En effet, les traités renferment deux natures de stipulations d'une part, celles qui concernent les intérêts mobiles et variables des échanges maritimes, et dont les obligations sont suspendues avec la durée d'action assignées aux traités; d'autre part, celles qui établissent des principes généraux, des doctrines qui ne sauraient, sans inconvénient, cesser d'être respectées, malgré que le terme d'action du traité qui en a fait une clause spéciale, soit arrivé.

Le traité du 5 avril 1834 porte:

« Art. XXVII. Both the contracting parties, desirous of avoiding all inequality in relation to their public communications and offcial intercourse, have agreed, and do agree, to grant to the envoys, ministers and other public agents, the same favors, immunities, and exemptions, which those of the most favored nation do or may enjoy; in being understood that whatever favors, immunities, or privileges the United States of America or the United Mexican States may find proper to give to the ministers and public agents of any other power, shall, by the same act, be extended to those of each of the contracting parties.

« Art. XXVIII. In order that the consuls and vice-consuls of the two contracting parties may enjoy the rights, prerogatives, and immunities, which belong to them by their character, they shall, before entering upon the exercice of their functions, exhibit their commission or patent in due form to the government to which they are accredited; and having obtained their exequatur, they shall be held and considered as such by all the authorities, magistrats, and inhabitants of the consular district in which they reside. agreed likewise to receive and admit consuls and vice-consuls in all CUSSY. II.

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the ports and places open to foreign commerce, who shall enjoy therein all the rights, prerogatives, and immunities, of the consuls and vice-consuls of the most favored nation, each of the contracting parties remaining at liberty to except those ports and places in which the admission and residence of such consuls and viceconsuls may not seem expedient.

« Art. XXIX. It is likewise agreed to the consuls, vice-consuls, their secretaries, officers, and persons attached to the service of consuls, they not being citizens of the country in which the consul resides, shall be exempt from all compulsory public service, and also from all kind of taxes, imposts, and contributions, levied specially of them, except those which they shall be obliged to pay on account of commerce or their property, to which the citizens and inhabitants, native or foreign, of the country in which they reside, are subject; being in every thing besides subject to the laws of their respective states. The archives and papers of the consulates shall be respected inviolably, and under no pretexte whatever shall any magistrate seize, or in any way interfere with them. »

N'est-il pas évident que ces trois articles, XXVII, XXVIII et XXIX, en établissant la condition, le caractère, les immunités des consuls en thèse générale, n'ont pas été insérés au traité du 5 avril 1851 pour fixer et consacrer, pendant huit ans uniquement les droits, prérogatives et immunités des consuls respectifs des deux États contractants ?

Or, selon nous, c'est contrairement à l'esprit du traité du 5 avril 1831, aux usages reçus, aux principes généralement admis que la cour du district a mis en accusation le consul mexicain à San-Francisco: toutefois, nous n'entrerons sur cette affaire dans aucun détail et nous passerons à celle plus capitale encore qui nous présentera le consul de France dans la même résidence, arrêté, au mépris des traités, par des hommes de police et conduit, contre sa volonté et malgré sa protestation, devant la cour du district; certes, en admettant même, pour un instant, que la cour eût été fondée à mettre en accusation le consul mexicain cherchant à former, sur le territoire de l'Union, des enrôlements militaires au profit du général Santa-Anna, elle ne saurait jamais invoquer aucune raison sérieuse pour justifier sa conduite inqualifiable envers le consul français.

Voici les faits.

La cour du district pensant avoir besoin, dans l'affaire intentée par elle contre le consul mexicain, du témoignage de M. Dillon, au lieu d'ordonner à l'une de ses membres de se transporter au

consulat de France pour y recevoir la déposition de M. Dillon, a fait connaître, le 18 avril 1854, à cet agent politique, à ce fonctionnaire diplomatique français, qu'il eût à comparaître devant la cour.

Or, le traité du 23 février 1853, conclu entre la France et les États-Unis de l'Amérique septentrionale porte:

« Art. 2. Les consuls généraux, consuls et vice-consuls ou agents consulaires français et des États-Unis, jouiront dans les deux pays des privilèges généralement attribués à leurs fonctions, tels que l'immunité personnelle, hormis le cas de crime, l'exemption des logements militaires, du service de la milice ou de la garde nationale et autres charges de même nature, et celle de toutes les contributions directes et personnelles

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ils ne pourront jamais étre contraints à comparaître comme témoins devant les tribunaux. Quand la justice du pays aura quelque déclaration juridique ou déposition à recevoir d'eux, elle les invitera par écrit à se présenter devant elle, et, en cas d'empêchement, elle devra leur demander leur témoignage par écrit ou, se transporter à leur domicile, pour l'obtenir de vive voix. .

« Art. 3. Les chancelleries et habitations consulaires seront inviolables; les autorités locales ne peuvent les envahir, sous aucun prétexte, et ne pourront, dans aucun cas, visiter ni saisir les papiers qui y seront renfermés. Elles ne sauraient, dans aucun cas, servir de lieux d'asile. 1)

M. Dillon, en s'appuyant sur le texte du traité, fit savoir à la cour qu'il se trouvait empêché de se rendre devant la cour.

Dans la séance de la cour du 18 avril, le juge Hoffmann reconnut, contrairement aux conclusions de l'avocat général, la légalité du refus fait par M. Dillon de se rendre devant la cour, et déclara d'ailleurs qu'il préférait se passer du témoignage du consul français plutôt que de se rendre au consulat de France pour le recueillir de vive voix ou par écrit.

Quoiqu'il en soit, peu de jours après, la cour du district crut devoir donner suite à sa première demande; mais, cette fois-ci, ce fut en adressant à M. Dillon, le 25 avril 1854, une sommation de se rendre devant la cour, muni d'un document dont la cour

1) Voir le traité, placé en note, au § 24 du Livre I, titre I «Principes généraux et lois maritimes ». Les clauses que nous avons indiquées en lettres italiques dans les articles 2 et 3 ont toutes été violées, ainsi qu'on le verra plus loin. Livre II, chap. XXX, § 16, en la personne de M. Dillon, consul de France à San-Francisco.

voulait recevoir la communication et qui se trouvait déposé dans les archives du consulat de France, ladite sommation emportant l'amende de 250 piastres payable par le consul français s'il n'y obtemperait pas.

Peu d'heures après, le maréchal des États-Unis, à la tête d'une troupe d'officiers de police, se présenta devant la maison consulaire et demanda à parler à M. Dillon. Ce fonctionnaire diplomatique qui se trouvait en conférence d'affaires dans son cabinet, fit prier les individus qui réclamaient d'être admis en sa présence, et dont il ignorait encore d'ailleurs la qualité, d'attendre quelques instants; mais le maréchal des États-Unis, suivi de plusieurs de ses hommes, armés de pistolets, ouvrit la porte du cabinet et, sur la demande que lui fit M. Dillon du motif de sa visite, le chef de l'escouade de police judiciaire déploya un papier qui établissait la mission dont il avait été investi, et arréta le consul français au nom des États-Unis et lui intima l'ordre de le suivre devant la cour.

Contre cet acte brutal, qui violait le droit des gens universel et tout à la fois le droit conventionnel international, M. Dillon crut de sa dignité de ne faire aucune résistance personnelle. Il répondit au maréchal des États-Unis qu'il allait le suivre, et se tournant avec calme et sang froid vers M. Bataillard, chancelier du consulat, et M. Derbec, rédacteur en chef de l'Echo du pacifique, qui se trouvait fortuitement à la chancellerie, il leur dit :

« Messieurs, je vous prends à témoin que je proteste solen<<< nellement contre cette audacieuse violation du droit des gens et « des traités qui lient la France aux États-Unis d'Amérique. Je << proteste solennellement et en mon nom personnel, et au nom « de S. M. l'empereur des Français, que je représente ici; et je vous << rends responsables, vous, maréchal, ainsi que le gouvernement « des États-Unis, êt tous ceux qui ont pris part à cet acte inique, « je vous rends responsables de cette insulte faite au drapeau de << la France, votre plus ancienne alliée. »

Avant de partir, rapporte l'Echo du pacifique, le consul ordonna à son chancelier de rester au consulat. Il sortit, accompagné de M. Derbec et escorté par la police. Les agents étaient armés pour la plupart de pistolets à cinq coups, dits revolvers, prêts à faire feu, car l'un d'eux tira le sien de sa ceinture dans le cabinet même du consul. D'autres policemen, qui stationnaient dans la rue, renforcèrent la groupe, et l'on partit. Il est impossible de dire l'effet produit sur nos nationaux par l'apparition du consul de France ainsi escorté. Ils se précipitèrent autour de lui

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