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au nombre de près d'un millier pour empêcher son départ, demandant à grands cris qu'on amenât le pavillon français. M. Dillon alors les conjura de rester calmes en leur défendant de le suivre ; il leur déclara que, tout en appréciant comme elles le méritaient leurs sympathies, il était seul juge de l'honneur et de la dignité de la France, et qu'il saurait remplir son devoir jusqu'au bout. Cette effervescence s'apaisa, puis le cortége se remit lentement en marche, a pied, suivi à quelque distance par un grand nombre de nos nationaux. A une heure un quart, il entrait dans la salle d'audience de la cour du district, où sa présence occasionna la plus profonde sensation.

M. Dillon a donné alors lecture à la cour de la protestation suivante :

« Protestation.

« Le soussigné, consul de France à San-Francisco, a l'honneur de représenter qu'ayant été invité, au nom de la cour de district des ÉtatsUnis de la Haute-Californie, par lettres en date du 18 avril 1854, de paraître devant ladite cour pour témoigner dans la matière des poursuites intentées par les États-Unis contre Luis de Valle, consul du Mexique, en apportant avec lui certaine lettre dudit consul du Mexique, par laquelle il lui aurait fait connaître les instructions de son gouvernement touchant l'enrôlement d'hommes pour le service du Mexique, lui, le soussigné, consul de France, a refusé d'accéder auxdites invitations par les motifs suivants :

« 1° Parce que, dans lesdites invitations, on s'est borné à exprimer l'espoir que le soussigné, consul de France, comparaîtrait, à moins d'être absolument empêché par d'autres devoirs, et qu'en réalité, des empêchements absolus existaient, puisqu'il vaquait, dans le moment même, à d'autres devoirs se rattachant à ses fonctions de consul;

« 2o Le soussigné, consul de France, a été invité à apporter avec lui certains documents, lesquels, s'ils existaient, devaient faire partie des archives de son consulat, et, comme tels, rentraient dans la catégorie des documents que l'article 3 de la convention du 23 février 1853 défend aux autorités locales de jamais examiner ou saisir sous aucun prétexte ;

« 3° Parce que le deuxième article de ladite convention du 23 février déclare et spécifie que les consuls de France dûment accrédités près les autorités des États-Unis ne pourront jamais être contraints à comparaître comme témoins devant lesdites cours.

« Le soussigné, ayant fait part à la cour de district des États-Unis de la Haute-Californie, en termes respectueux et convenables, des motifs ci-dessus énoncés, lesquels l'empêchaient de répondre en personne à leur invitation, a reçu à la date de ce jour une sommation imprimée commençant par les mots : « Nous vous ordonnons de comparaitre >> finissant par ceux-ci : « Et d'apporter avec vous certain document por

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et

tant la date du 28 mars 1854 »; lequel document, s'il existe, doit faire partie des archives du consulat de France à San-Francisco, proteste contre ladite sommation de paraître et contre ladite sommation d'apporter avec lui certain document, comme étant en violation directe avec les 2e et 3 articles de la convention du 23 février 4853. Il déclare de plus qu'il tient les auteurs et les instigateurs des faits ci-dessus, aussi bien que le gouvernement et le peuple des États-Unis, au nom desquels ils agissent, comme responsables envers la France et le monde civilisé de cette grave violation d'un traité solennel, signé par le président des États-Unis, ratifié par le sénat, et transmis au soussigné par le gouvernement de la France pour servir de base à sa conduite officielle. << San-Francisco, 25 avril 1854.

Le consul de France, DILLON. »

En rentrant au consulat, M. Dillon fit amener le pavillon national qui, conformément au traité du 23 février 1853, flottait sur la maison consulaire, et s'est hâté d'informer l'envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de France à Washington des atteintes portées aux droits, immunités et prérogatives que lui avaient assurés, dans l'exercice de ses fonctions, les articles 2 et 3 du traité de 1853.

La population française de San-Francisco a signé immédiatement une adresse à M. Dillon, que nous reproduirons ici:

<< Monsieur le consul,

« La population française de Californie est instruite de tous les faits qui ont motivé votre conduite dans la journée du 25 avril 1854.

« L'honneur de la France vous commandait d'agir comme vous l'avez fait. Vous avez apporté dans l'accomplissement de vos devoirs toute la dignité qui convenait au représentant d'une grande nation.

<< Les Français de la Californie approuvent sans réserve, et d'une manière absolue, la résolution que vous avez prise d'amener votre pavillon.

« S'il manquait une sanction à votre droit, la cour elle-même vient de la donner en reconnaissant noblement l'illégalité des actes auxquels vous avez dû résister.

« Dans son numéro du 28 avril, l'Echo annonce en ces termes que la cour s'est condamnée elle-même en donnant raison à la conduite du consul de France:

<« Enfin nous avons une solution! L'affaire Dillon, pour parler le <«< langage de nos confrères américains, a reçu son coup de grâce de << la main même de ses provocateurs. Hier, à l'ouverture de l'audience <«< de la cour de district des États-Unis, M. le juge Hoffmann a lu un long <«< exposé des motifs, dont la conclusion est que la cour du district n'a « pas le droit de forcer le consul de France à comparaitre devant elle << comme témoin, ni d'exiger la production d'aucun papier appartenant << aux archives du consulat. »

En vue sans doute de justifier sa conduite à l'égard du consul de France, les juges prétendaient que le président de l'Union et le sénat avaient dépassé leur droit en ratifiant un traité qui était en opposition avec la constitution laquelle veut qu'il y ait confrontation de l'accusé et des témoins, et que placés dès-lors dans la nécessité d'opter entre le traité et la constitution ils avaient préféré violer l'un afin de mieux respecter l'autre.

Quoiqu'il en soit, à la suite d'une conférence du ministre de France à Washington avec M. Marcy, secrétaire d'État des affaires étrangères, M. le ministre de France a reçu d'une part l'assurance formelle que la conduite des juges de San-Francisco serait hautement condamnée, et d'autre part, la promesse formelle qu'une réparation éclatante sera donnée au consul de France à SanFrancisco.

§ 18.

Autres faits concernant des consuls.

Ce chapitre renferme un assez grand nombre de faits concernant les consuls et leurs fonctions; nous n'en élargirons pas le cadre.

Nous ne dirons que peu de mots encore avant de le terminer. Nous rappelerons d'abord qu'à la suite de l'entreprise avortée sur Cuba, en 1850 (voir chap. XXXVI), les consuls espagnols à la Nouvelle-Orléans et à New-York ont été insultés.

Nous dirons aussi qu'il est arrivé plusieurs fois que des gouvernements ont refusé l'exequatur parceque le consul pour lequel il était réclamé ne convenait pas au souverain sur le territoire duquel il était appelé à exercer ses fonctions, soit par suite des antécédents connus de la vie publique ou privée de ce consul, soit par suite des écrits publiés par lui.

Que d'autres gouvernements ont retiré l'exequatur accordé plusieurs années auparavant, parceque le consul avait outrepassé ses droits, ou manqué à ses devoirs envers le gouvernement local.

On a vu même il y a trente ans, un consul étranger arrêté arbitrairement et condamné à traîner un boulet, dans un de ces États à existence éphémère qui, à cette époque, s'établissaient dans l'Amérique méridionale et disparaissaient peu de temps après en se scindant en deux ou trois États nouveaux. Mais les faits de cette dernière nature, accomplis au milieu des hurlements de populations qui ne sont pas soumises au frein tutélaire des lois

conservatrices de l'ordre et des doctrines salutaires d'une société bien organisée, et parfois sur l'ordre même d'autorités mobiles, et brutales dans l'exercice de leur administration d'un jour, ne sauraient être recueillis, parcequ'ils ne sauraient sérieusement intéresser le droit des gens international. Le droit des gens international est la loi des peuples civilisés et des États réguliers, moralement administrés; les pays où tout est confusion ne se font aucun scrupule d'enfreindre cette loi commune des nations; les atteintes que lui portent ces pays avant d'être sérieusement établis et consolidés, ne sauraient être recueillies et enrégistrées qu'en vue de prévenir, plus tard au moyen de traités, tout ce qui pourrait se produire de semblable lorsque ces mêmes pays, en sortant des luttes civiles, et des agitations produites par des ambitions rivales, auront compris la nécessité, pour eux, d'ouvrir et d'entretenir des rapports diplomatiques et commerciaux, réguliers et sérieux, avec les vieux États de l'Europe, ainsi qu'avec les États nouveaux, mais solidement établis de l'Amérique.

En 1852 encore les journaux ont révélé un fait qui prouve combien peu, dans certaines contrées de l'Amérique méridionale, les autorités locales connaissent la mesure légale, ou la limite de leurs pouvoirs, et combien peu elles savent se conformer aux doctrines généralement admises en ce qui concerne les égards dûs aux consuls; les consuls ne peuvent être soumis à la justice criminelle du pays, ni molestés, ni mis en prison; placés, dans l'exercice de leurs fonctions, sous la protection particulière du souverain qui les emploie et les initie à ses affaires, doivent être renvoyés à ce souverain pour être punis par lui, s'ils ont commis un crime. 1)

Voici ce que rapporte le Morning Post:

<«< Le pavillon américain a été abattu à Acapulco et la nation « insultée par l'arrestation du consul, M. Rice. Il s'agissait d'une << vente à l'encan, faite au nom du consul, dans laquelle un ingé«nieur du pays s'était rendu acquéreur. La condition de la vente << exigeait le paiement d'un àcompte immédiatement et du reste << le lendemain. L'acquéreur obtint deux fois un délai pour le pre<«<mier paiement. A la fin, le consul, suivant les usages commer<«< ciaux, fit de nouveau mettre les objets en vente pour compte « du premier acquéreur, qui déchira lui-même les affiches, y com« pris celles apposées à la porte du consulat. M. Rice, le pistolet

1) Voir la re partie du Recueil des réglements consulaires des principaux États maritimes de l'Europe et de l'Amérique, publié en 1851.

« au poing, le força de se retirer. Il se plaignit, en conséquence, et le consul fut conduit en prison, en uniforme et son pavillon < en main. >>

Le traité du 6 mai 1845, entre l'Espagne et le Maroc, donne satisfaction à l'occasion de la mort de l'agent consulaire espagnol à Mazagan. (Voir notes XI et XII du 2 voluine.)

CHAPITRE XXXI.

ABOLITION DE LA TRAITE DES NOIRS.

De la visite des bâtiments.

Emancipation des esclaves noirs. 1)

En 1713, le gouvernement anglais avait obtenu de la cour de Madrid, pour une société commerciale anglaise, le privilège d'importer des esclaves noirs dans les colonies espagnoles; au congrès d'Aix-la-Chapelle, en 1748, ce privilège fut prolongé de quatre années. 2)

Soixante ans après, l'opinion publique jusque-là favorable à la traite, changea: à la voix de Wilberforce, le défenseur infatigable de la cause des noirs, elle devint favorable à son abolition.

L'abolition trouva cependant des opposants formidables dans le parlement britannique, au commencement du siècle actuel : Lord Eldon, en 1807, rappelait aux pairs de la Grande-Bretagne, que la « traite avait été sanctionnée par des parlements dans les@ quels siégeaient les légistes les plus expérimentés, les théolologiens les plus savants, et les hommes d'État les plus ha« biles ».

Et Lord comte de Westmoreland déclarait que lors même qu'il verrait se liguer en faveur de l'abolition, le presbytérien et le prêtre, le méthodiste et le prédicateur des campagnes, le jacobin et l'assassin, il n'en éléverait pas moins la voix contre ce projet. Fox et Pitt s'unirent sur le terrain de l'abolition et firent adopter des mesures sérieuses pour parvenir à faire disparaître le trafic des noirs.

1) Voir Livre I, titre II, § 64, et Livre II, chap. XXXVI, §§ 1 à 3.

2) Voir au chap. II, § l'origine de la traite des noirs et de leur introduction dans les colonies espagnoles de l'Amérique.

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