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Au reste, si l'Angleterre, après avoir fait la traite pendant deux cents ans, et avoir peuplé ses colonies de noirs, s'est faite, depuis l'année 1806, la protectrice du principe de l'abolition, elle n'a pas cependant le mérite d'avoir été le premier État qui l'ait décrété; en 1792, le roi de Danemarck, et les États-Unis, par une loi du 22 mars 1794, défendirent le commerce des noirs et leur importation; dès l'année 1780, le Pensylvanie avait donné la liberté aux nègres.

Depuis l'année 1810, l'abolition de la traite semble être devenue pour l'Angleterre une idée fixe; par ses traités publics et par ses tribunaux, ainsi que par les déclarations qu'elle a su obtenir des Puissances européennes, à Vienne en 1815, et à Vérone en 1822, elle a fait une guerre acharnée au principe de la traite ; depuis l'année 1810, cette Puissance a conclu plus de quarante traités qui renferment des clauses concernant l'abolition de la traite, ou qui sont consacrées exclusivement à étendre ce principe et à formuler les mesures les plus efficaces pour parvenir à l'extinction de ce trafic. (Voir le Recueil de MM. de Martens et de Cussy, tome V, p. 436 à 531.)

Nous signalerons les conventions les plus essentielles conclues dans ce but, par la Grande-Bretagne :

1822, 10 décembre, avec l'Espagne ;

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Plusieurs États ont donné leur adhésion à ces traités; d'autres ont publié des lois portant interdiction de la traite; tous sans exception ont admis et protègent le principe de l'abolition; ce principe est écrit désormais dans le code des nations chrétiennes ; le trafic réprouvé par l'humanité, par la morale et par la philantropie n'est plus toléré partout il trouve la loi contre lui ......; mais la traite n'est pas absolument anéantie.

L'extinction de l'esclavage des noirs, si elle eut été immédiate, eut été une cause prolongée de souffrance pour les colonies; elle

eut ébranlé, ou du moins fort amoindri les fortunes coloniales. L'Angleterre le comprit: elle créa un système d'extinction progressive, fondé sur l'indemnité pour les propriétaires, et, sur le temps, pour les esclaves. En ne prononçant pas l'extinction immédiate, la Grande-Bretagne a agi avec prudence et sagesse; en 1838, l'émancipation de 670,000 esclaves noirs avait été effectuée dans les colonies anglaises.

La France monarchique était entrée dans la même voie par les lois de 1848 et de 1826 qui prononçaient la confiscation du navire négrier et la peine du bannissement contre tout individu qui coopérait à la traite; avec le temps, ce grand acte d'humanité et de philantropie se serait accompli sans secousse.

La France républicaine n'a pas su attendre: l'un des premiers actes du gouvernement provisoire du 24 février 1848 (gouvernement incapable et léger, « violent et étourdi », selon l'expression d'un savant magistrat français), a été de déclarer l'émancipation immédiate des esclaves et d'en faire, sans transition (au moyen du suffrage universel, ce mensonge politique quand il s'agit d'élire des députés, ainsi que des conseillers de département), des citoyens appelés à concourir par leur vote à l'élection des représentants du pays à l'assemblée nationale constituante et souveraine !

bien plus encore, des citoyens aptes à devenir eux-mêmes des représentants de la nation, des législateurs, des hommes enfin ayant, pour faire des lois et gouverner un pays de 36 millions d'habitants, les mêmes droits à la confiance de leurs concitoyens que ceux que présentent des hommes politiques, des hommes de savoir et de talent tels que MM. le comte Molé, le duc de Broglie, de Falloux, Guizot, Léon Faucher, le comte de Montalembert, le duc de Noailles, le comte de Morny, de Vatimesnil, Berryer, le maréchal duc d'Isly, le général Baraguay d'Hilliers, le général de Lahitte, l'amiral Baudin et d'autres hommes encore dont la haute capacité, le savoir, le mérite, l'expérience des affaires acquise par l'étude, la réflexion et la pratique, ont retenu la France sur la pente de l'abime sans fond ouvert par la catastrophe de février, et dont le cratère béant était prêt à engloutir la société, la civilisation et la Religion.

L'abolition de la traite des noirs dont l'Angleterre s'est efforcée de faire prévaloir le principe en cherchant tout d'abord à obtenir la police des mers, en faisant quelquefois peser le poids de sa puissance maritime sur les faibles, en exerçant des visites et faisant des prises dont la légitimité n'était justifiée que par le désir qu'elle éprouvait de réussir dans la croissade entreprise par elle,

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au nom de l'humanité, en faveur de la race noire; l'abolition, disons-nous, a éprouvé de longues résistances de la part de plusieurs États.

A l'époque du congrès de Vérone, tenu en 1822, la cause de l'abolition n'avait encore fait que bien peu de progrès: on y renouvela les déclarations faites, d'une manière générale, à Vienne en 1815, et à Aix-la-Chapelle en 1818; mais les trois grandes Puissances du Nord, l'Autriche, la Prusse et la Russie, ne voulurent pas accéder aux propositions de l'Angleterre, et la France se refusa positivement à adopter de nouvelles mesures pour l'abolition de la traite.

De son côté, le Brésil sollicité par l'Angleterre, ne céda pas immédiatement, et les États-Unis déclinèrent nettement l'exercice d'un droit de visite sur leurs bâtiments; enfin la France ne voulut plus consentir, en 1845, à la visite qu'elle avait accordée en 1834.

Ce seront ces faits divers, et d'autres encore qui s'y rattachent, qui figureront dans ce chapitre, savoir :

-

Quelques faits de prises exercées par l'Angleterre, et les doctrines énoncées, à leur occasion, par ses magistrats; les traités conclus par cette Puissance antérieurement aux traités de 1831 et 1833, avec la France; le traité de 1844, entre les grandes Puissances, et que la France ne voulut pas ratifier; les différends de l'Angleterre avec le Portugal et le Brésil; enfin, les discussions diplomatiques qui ont lieu entre la Grande-Bretagne et les États-Unis au sujet de la visite, à laquelle cette dernière Puissance refusa de soumettre ses bâtiments de commerce.

Les États-Unis ont eu, en cette circonstance, au plus haut degré le sentiment de respect que toute nation doit éprouver pour l'indépendance de son pavillon et pour sa propre dignité comme État souverain gloire au gouvernement des États-Unis ! dironsnous, sans prétendre toutefois par ces mots, déverser un blåme sur les autres Puissances qui se sont montrées plus faciles aux désirs de la Grande-Bretagne : entraînées par le sentiment philantropique qui leur a fait signer le traité de 1844, elles ont admis dès lors, avec l'Angleterre, que le plus sûr moyen pour ne pas laisser l'œuvre stérile, était peut-être effectivement, comme le demandait le cabinet britannique, d'accorder réciproquement dans une certaine zône de la mer, à leurs bâtiments de guerre respectifs, le droit de visiter les bâtiments de commerce des nations contractantes, soupçonnés de se livrer à la traite.

Mais ne semblent-elles pas avoir oublié que, par cette facilité,

elles favorisaient la passion la plus vive de l'Angleterre, - sa domination sur la mer? Or, n'était-ce pas aller au devant de tous ses désirs que d'accorder à ses nombreux bâtiments de guerre un droit de visite, en temps de paix, en échange du même droit que recevait chacune des marines militaires, bien moins considérable, de la Russie, de l'Autriche et de la Prusse, et de chacun des États maritimes qui ont accédé au traité de 1841 ? (Voir Livre I, titre II, § 64.)

PRISES.

§ 1.

Prise de l'Amadie.

En 1810, l'Amadie, navire américain, employé au transport des esclaves (des côtes d'Afrique à une colonie espagnole), fut arrêté par un croiseur anglais qui s'empara du navire et des esclaves; le tribunal de vice-amirauté établi à Tortola en prononça la confiscation au profit du capteur et cette sentence fut confirmé par la cour d'appel chargée de prononcer sur les affaires de prises maritimes.

L'armateur, propriétaire de l'Amadie, réclama la restitution de son bâtiment.

Par quelle singulière logique cette réclamation fut-elle repoussée ? (Acton's Admiralty reports, vol. I, p. 240.)

Voici en quels termes s'expliqua Sir William Grant, magistrat et savant jurisconsulte anglais.

<< Aussi longtemps que la traite a été tolérée par le gouverne« ment anglais, un tribunal anglais ne pouvait la condamner chez « les autres nations; mais depuis l'abolition de la truite, par l'Angle« terre, la traite ne peut plus, à ses yeux, avoir d'existence léa gale. Ce n'est pas à dire », ajouta Sir William Grant, « qu'on << ait le droit d'influer sur les décisions des nations qui n'ont pas la « même manière de voir que le gouvernement anglais; mais, dans ce

cas, il faut exiger des hommes qui s'y livrent la preuve que leur gouvernement l'autorise. »> Et ce magistrat concluait que puisque le gouvernement de l'Union américaine n'autorisait pas la possession d'esclaves, le propriétaire de l'Amadie ne pouvait nullement demander qu'on lui restituât ce qu'on lui avait enlevé, et que, par conséquent, il fallait confirmer la sentence du tribunal de vice-amirauté......! Ceci se passait, qu'on ne l'oublie pas, en 1840, et le magistrat anglais assurait que le gouvernement de l'Union n'autorisait pas l'esclavage.

Il peut paraître étonnant, dit M. Henry Wheaton, jurisconsulte et publiciste américain distingué, auquel le droit des gens doit plusieurs ouvrages remarquables (et notamment l'Histoire des progrès du droit des gens en Europe et en Amérique, depuis la paix de Westphalie, jusqu'à nos jours, 1846), « il peut paraître étonnant qu'un « magistrat d'un esprit aussi juste que Sir William Grant ait pu << arriver à de telles conclusions après avoir posé de pareilles << prémisses. >>

Mais M. Henry Wheaton oubliait que Sir William Grant était magistrat d'une nation qui n'a jamais renoncé à la prétention d'exercer la souveraine autorité, la souveraine puissance sur les mers, et que cette pensée, toujours présente à l'esprit de tout anglais, domine tous les faits et détermine trop fréquemment les résolutions et les décisions qui sont prises. L'Europe n'en a-t-elle pas eu la preuve toutes les fois que les questions de l'immunité du pavillon, et du droit d'escorter les bâtiments marchands ont été agitées? L'Angleterre s'est toujours montrée opposée aux droits du pavillon neutre, et aux convois. (Voir chap. XXII, XXV, XXVI.)

§ 2.

Prise de la Fortuna et de la Diana.

En 1811, la Fortuna, bâtiment américain, fut également arrêté pour fait de traite; Lord Stowell condamna le bâtiment américain.

Ecoutons M. Henry Wheaton

nous verrons encore une fois, quelle singulière logique l'amirauté anglaise invoquait et employait pour justifier le droit que la Grande-Bretagne s'arrogeait d'abolir, par la force et parceque tel était son bon plaisir, la traite des noirs exercée par les nations étrangères.

«En rendant ce jugement, Lord Stowell déclara qu'un bâti«<ment américain devait être relâché dès qu'il prouvait qu'il était « de cette nation, mais que nonobstant il pouvait perdre, comme « tout autre bâtiment neutre 1), ce droit, par divers actes cou<< pables, tels que la violation des droits des belligérants; or, que <<< la décision concernant l'Amadie, avait proclamé le principe que << tout bâtiment faisant un commerce quelconque contre le droit << des gens pouvait être confisqué. » Ce n'est pas à moi, ajoutait Lord Stowell, d'examiner jusqu'à quel point ce jugement a mé

1) La paix existait alors entre la Grande-Bretagne et les États-Unis ; ceux-ci déclarèrent la guerre le 18 juin 1812. Voir chap. XXVI.

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