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difications. Jusqu'à leur vingtième année, ces enfants appartiendront au maître dont l'atelier leur aura servi de berceau, afin qu'il puisse être payé des frais qu'il aura été obligé de faire pour leur conservation. Les cinq années suivantes, ils seront obligés de le servir encore, mais pour un salaire fixé par la loi. Après ce terme, ils seront indépendants, pourvu que leur conduite n'ait pas mérité de reproche grave. S'ils s'étaient rendus coupables d'un délit de quelque importance, le magistrat les condamnerait aux travaux publics pour un temps plus ou moins considérable. On donnera aux nouveaux citoyens une cabanne avec un terrain suffisant pour créer un petit jardin ; et ce sera le fisc qui fera la dépense de cet établissement. Aucun réglement ne privera ces hommes devenus libres de la faculté d'étendre la propriété qui leur aura été gratuitement accordée ......

« Cet arrangement produirait, selon les apparences, les meilleurs effets. La population des noirs, actuellement arrêtée par le regret de ne donner le jour qu'à des êtres voués à l'infortune et à l'infamie, fera des progrès rapides......; ces hommes accoutumés à l'occupation dans l'attente d'une liberté assurée, et qui n'auront pas une possession assez vaste pour leur subsistance, vendront leurs sueurs à qui voudra ou pourra les payer. Leurs journées seront plus chères que celles des esclaves, mais elles seront aussi plus fructueuses. Une plus grande masse de travail donnera une plus grande abondance de productions aux colonies, que leurs richesses mettront en état de demander plus de marchandises à la métropole. >>

Nous terminerons les réflexions et considérations que nous avons mises sous les yeux du lecteur, en disant tout en nous associant à la pensée d'humanité et de philantropie qui domine la question; tout en rendant hommage au principe de l'abolition de la traite des noirs et de l'affranchissement des esclaves; nous regrettons le mode de répression adopté par les gouvernements pour atteindre le but généreux qu'ils se sont proposés, ainsi que la précipitation apportée dans la poursuite d'une réforme fort désirable, mais pour laquelle le temps était indispensable, parceque c'était avec le temps uniquement qu'on pouvait l'accomplir sans secousse, d'une part, en abandonnant aux gouvernements des pays à esclaves le soin et les moyens de préparer et d'amener la transition dans les habitudes et dans les besoins; d'autre part, en portant les principaux chefs africains à renoncer à la chasse à l'esclave, par la persuasion, par des présents, par la civilisation.

Ce chapitre était écrit depuis une année, lorsque nous avons trouvé dans le Morning Post du 15 août 1850, un article que nous croyons à propos de reproduire :

<< La commission de la chambre des Lords, pour arriver à la suppression complète de la traite des noirs, a présenté, à la date du 45 juillet 1850, son rapport sur cette question. En voici les conclusions:

« 1o On a considérablement déprécié l'efficacité des services rendus par la croisière.

«< 2o Les dépenses qu'elle entraîne ont été fortement exagérées. « 3° En prenant des précautions convenables, ce service n'est nullement insalubre.

<«< 4° Retirer une partie de l'escadre et tolérer, ainsi qu'on l'a proposé, la traite sous de certaines conditions, serait impossible, ne procurerait aucune économie, et serait en définitive en contradiction absolue avec les déclarations réitérées par la GrandeBretagne depuis qu'elle a aboli la traite dans ses colonies.

«< 5° On peut opposer aux dépenses actuelles de l'escadre l'avantage d'entretenir un commerce équitable et dont les bénéfices s'accroissent de jour en jour, commerce qui serait perdu si l'on retirait l'escadre et qui prendra des développements considérables lorsque la traite sera supprimée.

« 6° Abandonner maintenant la tâche de supprimer la traite que l'Angleterre a entreprise avec solennité à la face du monde. civilisé, porterait un coup fatal à son honneur national.

«<7° Il y a tout lieu de croire que le système actuel est susceptible de recevoir immédiatement un accroissement d'efficacité par l'adoption des améliorations que nous avons signalées, et que si ces améliorations sont adoptées et corroborées par les autres mesures dont nous avons parlé, le but important que l'on se propose sera promptement et sûrement atteint. »

Ces conclusions de la commission de la chambre des Lords ne semblent-elles pas indiquer qu'une opinion considérable s'est déjà produite en Angleterre sur l'opportunité de renoncer aux mesures de coërcition adoptées et suivies jusqu'à présent en vue de l'extinction de la traite ? Les intérêts en souffrance l'emportent-ils sur la philantropie, qui semblait seule dominer la question?

« ...... Tolérer, ainsi qu'on l'a proposé, la traite sous certaines conditions ...... serait en contradiction absolue avec les déclarations réitérées de la Grande-Bretagne depuis qu'elle a aboli la traite dans ses colonies

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« Abandonner maintenant la tâche de supprimer la traite que l'Angleterre a entreprise avec solennité à la face du monde civilisé, porterait un coup fatal à son honneur national,»

Que signifient ces phrases sinon ceci ?

C'est par amour-propre national qu'il faut continuer aujourd'hui, l'œuvre commencée avec tant d'ardeur et poursuivie avec tant de zèle depuis 1810; dans le désir qui peut encore exister de parvenir à l'extinction de la traite, la philantropie n'a plus la première, la même et puissante part qu'elle avait autrefois aux efforts persévérants du cabinet britannique, quand il accumulait les traités publics en faveur du principe de l'abolition du trafic des noirs et de l'extinction de l'esclavage.

P. S. Nous terminerons ce chapitre en reproduisant quelques observations et considérations dûes à la plume d'un écrivain moraliste et philosophe d'un mérite éminent, M. Pitre-Chevalier; en rendant compte, en mai 1853, d'un ouvrage destiné à éveiller l'intérêt des nations chrétiennes sur le sort des esclaves nègres de l'Amérique, ouvrage qui n'a peint que l'exception et non la règle, M. Pitre-Chevalier s'exprimait ainsi :

<< Sans doute l'esclavage en soi est une chose odieuse, absurde, barbare, insoutenable. Il n'est pas même besoin d'être Chrétien, il suffit d'être homme, pour détester et combattre une institution antireligieuse et antihumaine.

<< Mais l'esclavage existant comme fait, et servant de base sociale à la moitié des États-Unis, comment abolir cet usage de plusieurs siècles, comment réparer ce crime de plusieurs générations ?

«Est-ce en excitant les noirs contre les blancs, les esclaves contre les maîtres, par des tableaux, nécessairement exagérés, des vertus et des souffrances des uns, des vices et des cruautés des autres ?

« Toutes les races blanches se sont élevées de la barbarie à la civilisation; la race noire seule a résisté aux missionnaires, aux conquérants, aux législations divines et humaines, aux comptoirs du commerce, aux efforts de l'industrie, aux merveilles de la science, aux miracles de la foi; elle n'a ni un saint, ni un poète, ni un guerrier, ni un artiste, ni un prophète .; Toussaint Louverture et Dessalines, outre qu'ils n'étaient plus des noirs purs 1),

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1) Toussaint Louverture était né en 1743, à St.-Domingue, de père et mère esclaves.

n'ont été que des héros monstrueux, moitié hommes et moitié bêtes féroces 1), et n'ont profité de la civilisation que pour se retourner contre elle. Voilà les nègres sur leur sol natal, à l'état de liberté et de nation. Qui oserait nier un fait aussi universellement attesté par les voyageurs, les annalistes et les témoins de tout genre?

<< Comment un certain nombre de noirs sont-ils sortis de cette barbarie incurable? Par l'esclavage, et par l'esclavage seulement. Cela est aussi vrai que triste à dire.

« Les nègres sont évidemment enfantés à la civilisation par l'esclavage...

«Est-ce à dire qu'il faille consacrer et étendre l'esclavage et les vices de la législation américaine? A Dieu ne plaise!

« L'esclavage, ses fruits en sont la preuve, doit se détruire par lui-même et disparaître dans la série des progrès que la Providence, cette véritable amie des blancs et des noirs, dirige et gouverne de la haut par la main des hommes et la force des événements.

« Ce travail est lent, comme tous les travaux de la société.

<< Souhaitez que la fusion des maîtres et des esclaves, des blancs et des noirs, dure moins longtemps » (que n'a duré à se faire la fusion des races saxonne et normande, en Angleterre, laquelle a réclamé près de huit siècles). 2) « Faites pour cela tout ce que commandent la sagesse, l'humanité, la Religion. Mais surtout évitez les exagérations, les violences, les erreurs et les fausses routes de la passion, de la colère, de l'impatience, et même de la bonne volonté irréfléchie.

<< Pour arriver à l'abolition de l'esclavage, les maîtres et les esclaves ont, chacun de leur côté, un apprentissage pénible à faire. Aidez-les dans cet apprentissage de conciliation au lieu de les aigrir et de les armer les uns contre les autres.

« Qu'en reconnaissant réciproquement la nécessité, l'utilité relative et momentanée de l'esclavage, le blanc et le noir s'avancent peu à peu vers sa suppression, d'autant plus certaine qu'elle sera

1) Pour être juste, il faut reconnaître que Toussaint Louverture avait plus de génie et de bien meilleurs instincts que Dessalines.

2) L'expédition de Guillaume le Conquérant est de l'année 1087.

graduée. Que le premier, c'est l'urgent et l'essentiel, par la Religion, par la loi, par l'intérêt, devienne de jour en jour un maître plus humain; que le second soit élevé par l'éducation, autant que possible, à la dignité de Chrétien, de père, de mère, de frère, de fils et d'homme; qu'une fois amenée à cette hauteur morale, la famille nègre ne puisse plus être séparée légalement par une vente; enfin, que la transformation successive conduise les deux partis à un état meilleur, et non à un état pire, ce qui arriverait infailliblement dans une abolition hâtive..

« Quant à nous, convaincus de l'impuissance des nègres par eux-mêmes, frappés de leur résistance à se civiliser, même au milieu de la civilisation, nous voyons leur émancipation écrite pour l'avenir ...... dans la loi de charité qui s'applique au noir comme au blanc, et au maître comme à l'esclave, c'est-à-dire qui les rapproche pour l'accomplissement du bien commun, au lieu de les diviser par le tableau du mal respectif.

« Nous voyons surtout cette émancipation dans la destruction du préjugé cruel qui pèse encore si injustement sur les sangmêlés. Car, il faut le dire, sauf les rares exceptions qui ne font que confirmer la règle, le nègre ne deviendra un homme complet qu'en se mariant au blanc. Voyez l'intelligence et les qualités du mulâtre, à côté de l'ignorance et des vices du noir pur ! Quelle différence dès la première génération! Et combien le progrès serait rapide, sans la haine fatale qui poursuit la race mélisse jusque dans la liberté, la fortune et la vertu ! C'est donc là qu'est le vrai mal, l'obstace terrible, et voilà ce qu'il faut attaquer, par l'exemple et l'action plutôt que par la théorie!

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« En résumé, et c'est là que nous voulions en venir, c'est là notre conviction profonde: l'esclavage des nègres ne s'effacera entièrement qu'avec les nègres eux-mêmes La race inférieure ou dégénérée disparaîtra, en Afrique, par l'isolement et l'extermination, résultant de sa propre barbarie (comme les Indiens sauvages disparaissent dans les solitudes du Nouveau-monde, fait constaté par tous les voyageurs depuis soixante ans); en Amérique, comme en Europe, par l'absorption du sang des noirs dans le sang des blancs, comme les ténèbres de la nuit s'absorbent dans la lumière du jour. Et le monde civilisé n'aura plus qu'une race blanche, véritable race humaine, au milieu de laquelle les derniers nègres se perdront dans les restes de la servitude...... »

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