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Armes, munitions de guerre, bâtiments, capitaux provenant d'un pays neutre.

§ 1.

Vente de bâtiments suédois. (1825.)

Dans l'année 1820, le roi de Suède prit la résolution de faire vendre, quand l'occasion s'en présenterait, quelques bâtiments de guerre dont la construction remontait à plus de vingt-cinq ans, ordonnant d'ailleurs de les remplacer immédiatement par des bâtiments nouveaux, en appliquant aux frais de construction de ceux-ci le produit de la vente des premiers: le but et les intentions du roi, en cette circonstance, étaient de rendre, au sein de la paix, quelqu'activité aux chantiers de la marine royale, par la construction de cinq ou six vaisseaux de guerre.

La Suède fit proposer à l'Espagne d'acheter ces bâtiments, tant par l'intermédiaire de M. de Moreno, envoyé de la cour de Madrid à Stockholm, que par celui de M. de Lorichs, chargé d'affaires de S. M. suédoise auprès du gouvernement de S. M. catholique. Le ministère fit également proposer, en même temps, à la cour d'Espagne de lui céder, à des prix modérés, de la poudre et des projectiles, et de mettre les chantiers de la marine royale de Suède à la disposition de S. M. catholique.

La cour de Madrid déclina ces propositions diverses: l'Espagne possédait, répondit M. de Moreno, tous les éléments nécessaires pour la fabrication de la poudre, et un nombre suffisant de vaisseaux de guerre; l'argent seul manquait pour mettre en activité les moulins à poudre et pour ravitailler les bâtiments.

Le ministre de la marine de S. M. suédoise avisa donc aux moyens nécessaires pour trouver acquéreurs. Six vaisseaux, fort bons encore bien que leur construction remontât à 25 et 30 ans. furent déclarés réformés et leur vente fut annoncée : c'étaient le vaisseau Forsigtigheten (la Prévoyance), et les frégates l'Euridice, le Camille, le Manhigheten, le Chapman et le Tapperheten.

Avant de procéder à la vente, qui eut lieu au commencement de l'année 1825, le ministre suédois fit renouveler la proposition d'achat desdits bâtiments, au chargé d'affaires d'Espagne qui se trouvait encore, à cette époque, à Stockholm, ainsi qu'à son successeur, M. d'Alvarado.

Sur le refus de la légation espagnole d'entrer en négociation pour l'acquisition des bâtiments désignés, le gouvernement suédois accepta les offres que lui fit la maison de commerce, établie à Stockholm, Michaelson et Benedicks; celle-ci peu après céda les bâtiments dont elle avait fait l'acquisition à la maison anglaise Barclay, Harring, Richardson et Compagnie, de Londres.

Or, cette dernière maison ayant, ainsi que la maison Goldsmith, de Londres, fourni les fonds de l'emprunt contracté, peu de temps avant, par le Mexique, l'Espagne crut reconnaître, dans la circonstance de l'achat des bâtiments réformés fait par la maison Barclay, Harring, Richardson et Compagnie, des mains de la maison de Stockholm, une intention de simulation ayant pour but d'éloigner la pensée que le gouvernement suédois était informé (quand il accepta les offres de la maison Michaelson et Benedicks, de Stockholm), de la destination qui serait prochainement donnée aux vaisseaux de guerre vendus par le ministre de la marine.

Pour M. d'Alvarado, chargé d'affaires d'Espagne, il ne semblait pas douteux que les bâtiments achetés, dans le principe, par la maison Michaelson et Benedicks, pour passer, peu de temps après, entre les mains de la maison Barclay, Harring, Richardson et Compagnie qui se trouvait en relations d'affaires d'argent avec la colonie révoltée, étaient destinés à renforcer les armements maritimes des insurgés de l'Amérique espagnole.

C'est dans cette conviction, fondée, disait-il, sur la notoriété publique à Stockholm, à Carlscrona, à Gothenbourg et à Londres, que M. d'Alvarado, dans la note qu'il adressa, le 1er juillet 1825, à M. le comte de Wetterstedt, ministre des affaires étrangères de Suède, et par laquelle il faisait appel à la loyauté de S. M. suédoise, dont la Religion avait sans doute été surprise, conjura le gouvernement du roi de résilier les contrats de vente, et avant tout de retenir dans ses ports quatre des bâtiments vendus qui s'y trouvaient encore.

Dans sa réponse au chargé d'affaires d'Espagne, le ministre suédois déclara que si le gouvernement de S. M. suédoise avait vendu, à des négociations, quelques vaisseaux de guerre qu'on avait jugé à propos de réformer, en se réservant d'ailleurs la

moitié de l'armement, il n'avait fait qu'exercer un droit que personne ne pouvait lui contester. << Son action, continuait le ministre, s'arrête là; et si M. d'Alvarado peut ou croit pouvoir prouver que les acquéreurs ont l'intention de faire de ces bâtiments un usage pui pourrait devenir nuisible à l'Espagne, c'est auprès du gouvernement britannique que sa cour doit agir, lui seul pouvant exercer sur ses sujets la surveillance qui lui conviendra. Mais vouloir, sur de simples présomptions, arrêter une vente dans la crainte d'un danger à venir, qui pourrait en résulter, ce serait anéantir l'activité et le développement de toutes les transactions commerciales. >>

A la suite de diverses notes échangées entre le ministère suédois et M. d'Alvarado, qui obtint des envoyés des Puissances amies et alliées de l'Espagne, résidant à Stockholm, d'appuyer ses réclamations, le gouvernement de S. M. le roi de Suède, voulant donner un témoignage de la bonne foi qui l'avait guidé dans toute cette affaire, consentit à résilier les contrats de vente qui avaient été passés, en dernier lieu, à l'occasion de la Prévoyance, de l'Euridice et de la Camille.

Cette résiliation entraîna, pour le gouvernement suédois, une perte d'argent assez considérable, que l'on a évaluée à plus de 60,000 francs.

Les membres de l'opposition, dans la Diète tenue en 1828, cherchèrent à établir que le gouvernement du roi avait violé la constitution (éternel et bannal argument de toutes les oppositions dans tous les pays!) non-seulement pour avoir vendu des bâtiments de la marine de l'État sans avoir obtenu préalablement l'assentiment des États; mais aussi pour avoir depuis permis la résiliation des marchés et s'être soumis, de cette sorte, à une perte en argent d'un chiffre élevé. Une commission fut nommée pour examiner la conduite du gouvernement laquelle, après mur examen, fut trouvée irrépréhensible.

Les États sollicitèrent, il est vrai, du roi que S. M. voulut bien prendre les mesures nécessaires pour faire rentrer au trésor les sommes que le gouvernement avait cru devoir sacrifier, quand il se vit mieux éclairé sur les inconvénients résultant de la vente effectuée et lorsqu'il céda aux représentations diplomatiques dont cette vente était devenue l'objet; mais la mort du comte de Cederström, chef de l'administration de la marine, contre lequel la demande paraissait dirigée, mit fin à cette affaire; elle ne fut pas reprise, en effet, dans le cours des séances de la Diète suivante.

Le gouvernement suédois en résiliant les contrats de vente, et en s'imposant un sacrifice d'argent en cette circonstance, agit dignement et loyalement; aussi longtemps qu'il ne vit dans la vente des bâtiments de guerre réformés et d'une partie de leur armement, qu'une opération purement commerciale, dont les résultats devaient profiter uniquement, tant au commerce devenu acquéreur, qu'au trésor de l'État, au moment où de nouvelles constructions navales allaient être entreprises, le gouvernement suédois était parfaitement dans son droit; mais du jour où il put croire que les bâtiments achetés par la maison de Stockholm et revendus à la maison de Londres, étaient destinés effectivement à renforcer les armements maritimes d'une colonie que l'Espagne considérait encore comme insurgée contre son autorité, et dont l'indépendance politique n'avait encore été reconnue par aucun des grands États européens, la Suède, alliée ou amie de l'Espagne, ne pouvait se prêter, sans porter atteinte au principe de la neutralité, à ce que ses vaisseaux de guerre réformés concourussent à accroître les forces navales du Mexique.

Ce ne fut que le 26 décembre 1826, que la Grande-Bretagne signa, à Londres, un traité public avec les États mexicains; dans l'année 4827, la France, les Pays-Bas, le Hanovre, le Danemarck suivirent cet exemple, en signant, avec le gouvernement mexicain, des traités de commerce et de navigation; le 28 décembre 1836 enfin, l'Espagne, comprenant l'inutilité de continuer la lutte contre des colonies qui s'étaient séparées d'elle sans retour, conclut avec le Mexique un traité de paix et d'amitié.

En agissant autrement qu'elle le fit, c'est-à-dire en persistant à repousser les réclamations du chargé d'affaires d'Espagne, la Suède, nous le répétons, aurait manqué aux devoirs et aux obligations de la neutralité. C'eut été se prêter à favoriser l'un des deux belligérants (et, dans le cas actuel, en 1825, le belligérant favorisé était un peuple dont la condition politique était encore indéterminée), que de ne pas prendre les mesures nécessaires pour que les bâtiments de guerre réformés, vendus avec un demi- armement, n'allåssent pas accroître les forces navales d'une colonie de l'Espagne, insurgée contre l'autorité du roi catholique.

§ 2.

Faits divers concernant la neutralité.

La neutralité n'existe plus dès qu'elle n'est pas parfaite. 1) L'État neutre, s'il veut jouir des bénéfices de sa position, doit avoir une tenue complètement passive entre les divers belligérants. Un État neutre remplit d'ailleurs tous ses devoirs en ne s'écartant jamais ni de l'impartialité la plus stricte, ni du sens avoué de ses traités. 2). Ni partie, ni juge dans les différends qui ont armé les Puissances belligérantes, l'État neutre ne doit rien faire ni rien permettre qui témoigne de sa part un sentiment de partialité ou le désir de se montrer favorable à l'une d'elles; dès-lors, un État neutre ne saurait autoriser aucun contrat ou marché entre ses sujets et les gouvernements des pays en hostilités, pour des approvisionnements de leur marine ou de leur armée, ni donner son assentiment à la négociation d'aucun emprunt à leur profit. On comprend d'ailleurs que les spéculations particulières qui consistent à conduire dans les ports non-bloqués des belligérants les articles dont le transport est autorisé en temps de guerre et qui font l'objet du commerce habituel, en temps de paix, de tel ou tel pays neutre avec les pays belligérants, restent en dehors de l'action de tout gouvernement neutre; s'il est permis, par les lois de la guerre, aux belligérants, d'affamer des places bloquées, il n'est pas également juste, ni permis, d'ajouter le fléau de la famine à tant d'autres qui tombent, en temps de guerre, sur des populations innocentes, nombreuses, fléau qui peut atteindre des provinces entières.

Quoiqu'il en soit, on sait comment l'Angleterre s'est conduite envers les neutres, abusant de sa supériorité maritime, et foulant aux pieds toutes les règles de la neutralité, pendant la guerre de la révolution française. (Voir chap. XXI et XXII.)

Parmi les États qui ont montré le respect le plus constant pour le principe de la stricte neutralité, il faut certes placer au premier rang le Danemarck; mais combien cet état a payé cher sa noble conduite et sa fidélité au principe de la neutralité stricte, en 1801 et en 1807, de la part de la Grande-Bretagne, en 1843, de la part des Puissances alliées qui lui ont enlevé la Norvège!

1) Letire du comte de Bernstorff, ministre des affaires étrangères du royaume de Danemarck, en date du 28 juillet 1793, à M. Hailes, envoyé britannique à Copenhague.

2) Voir la même lettre.

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