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Le roi Charles X fut grand dans la résolution qu'il prit de soumettre le Dey d'Alger; son armée et sa flotte ont noblement secondé la royale résolution du roi-chevalier, héritier du sceptre de Louis XIV, le roi sans pair qui, mieux encore qu'aucun des grands princes, ses prédécesseurs, sût faire respecter la dignité souveraine dont il était revêtu, et la grandeur de la France dont il était la personification.

En exprimant le désir de voir une ligue de rois chrétiens s'organiser contre les États barbaresques, l'abbé Raynal continuait ainsi :

« On ne fera pas aux politiques qui formeraient ce plan, l'in« jure de soupçonner qu'ils borneraient leur ambition à combler « des rades, à démolir des forts, à ravager des côtes. Des idées << si étroites seraient trop au dessous des progrès de la raison <«< humaine. Les pays subjugués resteraient aux conquérants, et <«< chacun des alliés aurait des possessions proportionnées aux « moyens qu'il aurait fournis à la cause commune. Ces conquêtes << deviendraient d'autant plus sûres, que le bonheur des vaincus << en devrait être la suite. Ce peuple de pirates, ces monstres de << la mer, seraient changés en hommes par de bonnes lois et des << exemples d'humanité. Élevés insensiblement jusqu'à nous par la <«< communication de nos lumières, ils abjureraient avec le temps << un fanatisme que l'ignorance et la misère ont nourri dans <«<leurs âmes; ils se souviendraient toujours avec attendrissement << de l'époque mémorable qui nous aurait amenés sur leurs « rivages.

« On ne les verrait plus laisser en friche une terre autrefois « si fertile. Des grains et des fruits variés couvriraient cette plage « immense. Ces productions seraient échangées contre les ouvrages << de notre industrie et de nos manufactures. Les négociants d'Eu<«< rope, établis en Afrique, deviendraient les agents de ce com« merce, réciproquement utile aux deux contrées. Une communi«cation si naturelle entre des côtes qui se regardent, entre des << peuples qui se rencontrent nécessairement, reculerait pour ainsi << dire les barrières du monde. Ce nouveau genre de conquêtes, qui s'offre à nos premiers regards, deviendraient un dédom<< magement précieux de celles qui, depuis tant de siècles, font « le malheur de l'humanité. »

L'abbé Raynal, raisonnant en écrivain philosophe, transforme en réalités prochaines ses désirs généreux, et laisse avec bonheur son imagination voyager sur le terrain de l'Utopie; ce qu'il regarde comme acquis par le seul fait de la conquête, ou du moins

ce qu'il envisage comme devant se réaliser en peu de temps, par suite de la possession de l'Afrique, partagée entre les États de la ligue chrétienne, ne saurait être, en tout état de cause, que l'œuvre du temps, de plusieurs siècles peut-être.

Malgré les communications faciles et fréquentes avec les Chrétiens, malgré les bienfaits d'une administration juste et intelligente, à laquelle sont soumis les Arabes de l'Algérie, il est permis de douter que les Musulmans soutenus, comme ils le sont, par la foi et par le fanatisme, abjurent jamais leur Religion pour se fondre et s'aglomérer, de plus en plus, avec les populations installées sur leur territoire par la conquête, et dès-lors qu'ils soient portés à se souvenir avec attendrissement de l'époque mémorable qui a conduit les armes françaises sur leurs rivages. Toutefois la présence d'une force imposante, les développements de la colonisation, une administration toujours juste et vigilante, et le temps, l'auxiliaire nécessaire de toute entreprise, et de toute fondation, opéreront, on doit le désirer, l'agglomération des populations.

Mais si toute l'Afrique musulmane n'est pas appelée à adopter les mœurs de l'Europe, c'est encore à la France, qui a détruit la piraterie, qu'est réservé du moins de développer sur une vaste étendue de l'Afrique septentrionale, les avantages de la civilisation, de l'industrie, du commerce et des arts; d'obtenir qu'une terre autrefois si fertile ne soit pas laissée en friche; et d'accroître, au profit des deux contrées, les communications entre les côtes qui se regardent; ce sera la récompense légitime et méritée de ses efforts dans la conquête et dans la colonisation : elle est en droit d'espérer d'ailleurs qu'aucune nation maritime, quelqu'importante qu'elle soit, n'oublie jamais que c'est la France qui a rendu la Méditerranée libre à la navigation commerciale de tous les pays.

L'épée de la France en faisant passer sous la domination de cette Puissance, l'Algérie entière, en 1830, a obtenu ce que n'avaient pu obtenir ni Charles V, le puissant empereur, ni Louis XIV, dont les forces navales étaient si formidables, ni les efforts incessants des vaillants chevaliers de l'Ordre de St.-Jean de Jérusalem, ni Lord Exmouth, en 1846. La Méditerranée est purgée des pirateries des corsaires barbaresques, la navigation dans ses parages divers est devenue libre et sûre pour tous les États chrétiens, la honte du tribut annuel que plusieurs nations avaient consenti à payer n'existe plus que comme un souvenir.

Les traités de 1830, conclus entre la France et les régences barbaresques, bien qu'incomplets, selon nous, sont des docu

ments d'une trop haute importance, pour que nous puissions nous dispenser de reproduire le texte des articles principaux.

Traité signé au Bardo, le 8 août 1850, -17 du mois de Safer de l'année 1246 de l'Hégire, entre la France et la régence de Tunis.

« Art. I. Le Bey de Tunis renonce entièrement et à jamais, pour lui et pour ses successeurs, au droit de faire ou d'autoriser la course en temps de guerre, contre les bâtiments des Puissances qui jugeront convenable de renoncer à l'exercice du même droit envers les bâtiments du commerce tunisien.

<< Quand la régence sera en guerre avec une Puissance qui lui aura fait connaître que telle est son intention, les bâtiments de commerce des deux nations pourront naviguer librement sans être inquiétés par les bâtiments de guerre ennemis, à moins qu'ils ne veulent pénétrer dans un port bloqué ou qu'ils ne portent des soldats ou des objets de contrebande de guerre. Dans ces deux cas ils seraient saisis, mais leur confiscation ne pourrait être prononcé que par un jugement légal. Tout bâtiment tunisien qui, hors ces cas exceptionnels, arrêterait un bâtiment de commerce, devant être censé, par ce seul fait, se soustraire aux ordres et à l'autorité du Bey, pourra être traité comme pirate par toute autre Puissance quelconque, sans que la bonne intelligence en soit troublée entre cette Puissance et la Régence de Tunis.

« Art. II. Le Bey abolit à jamais dans ses États l'esclavage des Chrétiens. Tous les esclaves chrétiens qui peuvent y exister seront mis en liberté...... Si, à l'avenir, le Bey avait la guerre avec un autre État, les soldats, négociants, passagers, ou tout sujet quelconque de cet État, qui tomberaient en son pouvoir, seront traités comme prisonniers de guerre et d'après les usages des nations européennes.

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« Art. III. Tout bâtiment étranger qui viendrait à échouer sur les côtes de la régence, recevra autant que possible l'assistance, les secours et les vivres dont il pourra avoir besoin (En cas de pillage des marchandises, de meutres commis sur les personnes de l'équipage, le Bey s'engage à payer une somme deux fois égale à la valeur de la cargaison, et à payer une indemnité aux familles des personnes assassinées, etc.)

<< Art. IV. Les Puissances étrangères pourront désormais établir des consuls et agents commerciaux sur tous les points de la régence où elles le désireront, sans avoir à faire, pour cet objet, aucun présent aux autorités locales; et généralement tous les

tributs, présents, dons ou autres redevances quelconques, que les gouvernements ou leurs agents payaient dans la régence de Tunis, à quelque titre, en quelque circonstance et sous quelque dénomination que ce soit, et nommément à l'occasion de la conclusion d'un traité, ou lors de l'installation d'un agent consulaire, seront considérés comme abolis et ne pourront être exigés ni rẻtablis à l'avenir.

« Art. V. Relatif au droit dont la France est en possession de pêcher exclusivement du corail, jusqu'au Cap Negro, etc.

« Art. VI. Les sujets étrangers pourront trafiquer librement avec les sujets tunisiens.... sans que le gouvernement tunisien puisse accaparer les marchandises pour son propre compte, ou en faire le monopole. La France ne réclame pour elle-même aucun nouvel avantage de commerce, etc.

« Art. VII. Confirmation des anciens traités de la France avec Tnnis, nommément de celui du 15 novembre 1824, et des capitulations de la France avec la Porte. »><

Le traité avec la régence de Tripoli, a été signé en rade de Tripoli, à bord du vaisseau de S. M. très-chrétienne, le Trident, le 11 août 1830.

Les articles II, III, IV, V, VI et VIII reproduisent les stipulations textuelles des articles I à IV, VI et VII du traité conclu le 8 du même mois avec la régence de Tunis. De plus, S. Exc. le Pacha-Bey de Tripoli s'engage, par l'art. Ier, à remettre une lettre signée d'elle et adressée à S. M. l'empereur de France, dans laquelle elle priera S. M. très-chrétienne d'agréer ses humbles excuses sur les circonstances qui ont forcé le consul général à quitter son poste, désavouera toute participation aux bruits calomnieux répandus sur cet agent, et exprimera le désir de voir les relations amicales pleinement rétablies entre les deux États, par la réinstallation du consul général de France. Le Pacha fera renouveler les mémes excuses à M. le consul général, par un de ses fils ou gendres, quand cet officier viendra prendre possession de son poste.

L'article II qui reproduit, en entier, l'article premier du traité avec Tunis, est terminé comme il suit :

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<< Le Bey renonce de plus à augmenter, à l'avenir, les forces navales qu'il possède, et dont la note dûment vérifiée et constatée sera annexée au présent traité. Cette stipulation ne l'empêchera pas de réparer ses bâtiments de guerre, ni même de remplacer par des bâtiments de force égale ceux qu'il viendrait à perdre, et d'achever ceux dont la construction est actuellement

commencée. Il est entendu entre les deux parties que le Bey ne pourra jamais armer des bâtiments de commerce, ni autoriser ses sujets à les garnir de canons et d'instruments de guerre. »

Le tribut ou présent annuel que divers États chrétiens avait consenti à payer aux régences barbaresques, dans le but de soustraire leur navigation commerciale aux déprédations des corsaires dans la Méditerranée, n'était pas fort élevé sans doute; mais le seul fait de son existence entretenait un lien de vasselage pour les États chrétiens qui semblaient reconnaître, ainsi, la suzeraineté de la piraterie barbaresque. Plusieurs États européens ont payé ce tribut jusqu'au moment où la France mit définitivement fin, en 1830, à la course des Barbaresques et à l'esclavage des Chrétiens; en 1816, les Deux-Siciles et la Sardaigne notamment avaient renouvelé l'engagement de le payer.

Le 17 avril 1816, le traité conclu entre le Bey de Tunis et le royaume des Deux-Siciles porte, art. XIV, qu'un présent annuel de 5,000 piastres d'Espagne (27,500 francs) sera fait au Bey, et que la rançon des prisonniers siciliens et napolitains sera de 300 piastres (1,650 fr.) par individu.

Le 29 avril de la même année, le royaume des Deux-Siciles consentit, par un traité de commerce conclu avec le Bey de Tripoli, à payer à ce prince un présent annuel de 4,000 piastres (22,000 fr.), et un présent de même valeur à chaque installation d'un nouveau consul; une somme de 50,000 piastres (302,500 fr.) fut d'ailleurs accordée pour la rançon des prisonniers siciliens et napolitains, qui se trouvaient à cette époque au pouvoir du Bey de Tripoli.

Le même jour, le roi de Sardaigne fit signer, avec le Bey de Tripoli, un traité qui stipulait également le tribut annuel de 4,000 piastres et le payement d'une somme de cette valeur à chaque installation d'un nouveau consul sarde; mais après avoir fait détruire, dans le mois de septembre 1825, la flotille du Bey de Tripoli, qui depuis cette époque a gardé sur mer une attitude pacifique, le roi de Sardaigne s'est affranchi de tout tribut; et, par son traité du 22 février 1832, - pour expliquer le traité du 17 avril 1846, S. M. sarde a obtenu du Bey de Tunis, d'une part, que ce prince renonçat, pour lui et ses successeurs, au droit de faire et d'autoriser la course contre les bâtiments du commerce sarde; d'autre part, qu'il ne serait à l'avenir remis, par la Sardaigne, aucun présent, don ou redevance sous quelque dénomination que ce fût.

Les régences de Tunis et de Tripoli ont conclu, avec les Puis

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