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Le comte d'Haussonville, dans l'ouvrage qu'il a publié, en 1848' sous ce titre « De la politique extérieure de la France depuis 1830 » a honorablement vengé le gouvernement français de cette accusation banale, injuste et sans patriotisme d'avoir manqué d'énergie et de dignité, et de s'être placé, en toutes circonstances, à la remorque de la politique étrangère, et particulièrement de la politique du cabinet britannique.

Le cabinet français songeait depuis longtemps aux moyens les plus réels et les mieux combinés, d'une part, pour s'opposer aux envahissements plus étendus, que le gouvernement autrichien pourrait être disposé à entreprendre; d'autre part, pour assurer à la France un rôle imposant dans les délibérations auxquelles les affaires d'Italie devaient donner lieu, et dans les mesures qu'il importerait d'adopter dans l'intérêt de ce pays.

Le gouvernement jugea utile et opportun, en conséquence, de prendre pied sur le territoire de l'Eglise.

Une telle résolution dénote-t-elle l'absence d'énergie ?

Une flotille française, sous les ordres du capitaine de vaisseau Le Gallois, partit le 7 février 1832 de Toulon; elle se composait du vaisseau le Suffren et des frégates l'Artemise et la Victoire. Elle avait embarqué uniquement deux bataillons du 66° régiment d'infanterie de ligne, présentant ensemble une force de débarquement de mille hommes, commandés par le colonel Combes.

C'est avec des forces aussi faibles que la France se proposait d'arrêter les projets d'envahissement que pouvait nourrir le cabinet autrichien; elle y réussit.

Est-ce le manque d'énergie et de décision qui a décidé le le succès ? N'est-ce pas, au contraire la hardiesse du plan, et la rapidité dans l'exécution? La détermination prise par le cabinet des Tuileries ne prouvait-elle pas qu'il était prêt à accepter toutes les éventualités? L'Autriche le comprit.

Le 22 février, 14 jours après avoir mis a la voile, — la flotille française parut devant Ancone.

Les mesures furent prises immédiatement pour effectuer le débarquement pendant la nuit.

Une partie des troupes descendit à terre, à trois heures du matin, et se dirigea vers la ville dont les portes restèrent fermées.

Une des portes fut enfoncée à coups de hâche: les Français, partagées en deux colonnes, se précipitèrent au pas de course dans la ville; on n'eut d'ailleurs à leur reprocher aucun dégat, aucune espèce de violence.

Les différents postes occupés par les soldats pontificaux furent désarmés sans opposer aucune espèce de résistance; il ne fallut que trois heures pour s'emparer de la ville et soumettre la gar

nison.

A midi, le colonel Combes se porte, avec un bataillon, à la citadelle et somme le commandant de se rendre.

Sur la réponse dilatoire de celui-ci, le colonel Combes s'écrie: « Nous ne sommes point ici en ennemis de Sa Sainteté ; mais nous << ne pouvons permettre que les troupes autrichiennes qui sont « en marche, viennent occuper la citadelle de gré ou de force, « il faut qu'elle soit à nous! Voyez donc, commandant, si vous « voulez prendre sur vous la responsabilité des hostilités qui vont s'engager entre le Saint-Siège et la France. Je vous donne deux heures pour délibérer sur ma demande. J'espère que votre dé« cision nous épargnera la douleur de voir tant de braves gens « s'entr'égorger. Dans deux heures donc, la place ou l'assaut! Soldat « de la vieille garde, je n'ai jamais manqué à ma parole!...... »

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Le langage et l'attitude du colonel Combes imposèrent à la garnison à trois heures de l'après-midi elle se rendit et le colonel, à la tête des compagnies d'élite du 66° régiment d'infanterie, prit possession de la citadelle.

La cour de Rome se plaignit vivement de la violation manifeste du droit des gens que la France avait commise à son égard ; elle se mit sous la protection de l'Autriche.

Quoiqu'il en soit, l'audace et la vigueur de ce coup de main, en rendant la France maitresse d'un point important sur le territoire italien, a probablement exercé une grande influence sur la suite des événements; l'Autriche vit que la France était déterminée à accepter toutes les conséquences de l'acte audacieux qu'elle avait ordonné; aucun État en Europe, à cette époque, ne voulait courir les chances et les hasards d'une guerre dont les proportions auraient pu devenir formidables: la paix fut conservée à l'Europe.

A son arrivée, le général de Cubières qui reçut le commandement supérieur de la garnison française d'Ancone, fit arborer le drapeau pontifical qui avait été enlevé, dans le premier moment, par les troupes; il rétablit l'administration papale, et réprima les essais révolutionnaires qui tentèrent de se faire jour.

De son côté, le comte de St.-Aulaire, ambassadeur de France à Rome, parvint à calmer l'irritation du Saint-Père.

Les habitants d'Ancone s'habituèrent très-promptement à la présence des soldats français qui leur témoignèrent une grande CUSSY. II.

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sympathie lorsque le choléra asiatique envahit cette cité, et relevèrent leur courage par les soins qu'ils donnèrent aux Anconitains atteints par l'épidémie.

Les troupes françaises ont occupé Ancone jusqu'à la fin de l'année 1838; elles partirent le 3 décembre pour retourner en France.

CHAPITRE XXXV.

AFFAIRE DE LA CRÉOLE. (1841.)

Esclaves noirs révoltés à bord de ce bâtiment qu'ils ont conduit dans un port anglais. Conduite de l'autorité locale. Refus d'extradition des coupables. Observations concernant l'extradition.

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Bien que dans l'affaire de la Créole, il s'agisse de l'esclavage des noirs, nous en ferons l'objet d'un chapitre spécial; ce n'est, en effet, ni une question, ni un fait de traite, qui puisse se rattacher, en aucune sorte, aux matières auxquelles le chapitre XXXI a été consacré.

L'affaire de la Créole a été le sujet d'une lumineuse dissertation de droit des gens qui remplit un grand nombre de pages de l'ouvrage que M. Henry Wheaton, diplomate, jurisconsulte et publiciste distingué des États-Unis de l'Amérique septentrionale a publié, il y a peu d'années, à Leipzig, sous le titre d'Histoire des progrès du droit des gens en Europe et en Amérique, depuis la paix de Westphalie jusqu'à nos jours.

M. Wheaton après avoir exposé les faits que nous allons reproduire, développe avec une grande logique d'argumentation ses opinions sur le droit de propriété des esclaves, sur le principe d'extradition et sur le droit de juridiction; nous nous bornerons à lui emprunter l'exposé des faits qui ont donné lieu aux discussions diplomatiques suivies, en cette occasion, entre le gouvernement anglais et celui des États-Unis, ainsi qu'une analyse sommaire de ces discussions.

Dans le courant de l'année 1844, un planteur américain qui voulait aller s'établir dans l'État de la Louisiane, quitta le port de Richemond, de l'État de Virginie, à bord de la Créole, accompagné de ses esclaves, au nombre de 135.

Dans le détroit qui sépare la péninsule de la Floride des lles Bahamas, les esclaves se révoltèrent et assassinèrent leur maitre. Ils s'emparèrent du capitaine qu'ils mirent aux fers, blessèrent plusieurs officiers, et, devenus maîtres du bâtiment, ils le conduisirent dans le port de Nassau.

Le gouverneur anglais fit conduire en prison 19 esclaves, qui lui furent signalés comme ayant été les chefs de la révolte et les auteurs de l'assassinat du planteur américain; les autres furent mis en liberté.

Le gouverneur demanda des ordres en Angleterre au sujet des prisonniers.

De son côté, le gouvernement des États-Unis réclama l'extradition des coupables.

Lord Brougham, dans la séance du 4 février 1842 de la chambre haute, appela l'attention des pairs, ses collègues, sur l'affaire de la Créole, qu'il signala comme étant de nature à troubler les relations de paix, d'amitié et de bon voisinage existant entre les deux pays. « C'était cependant », disait-il, « le cas d'un na« vire américain, naviguant d'un port américain vers un autre « port américain, dans un but parfaitement innocent et conforme « aux lois du pays auquel il appartenait. >>

Lord Brougham posa ensuite les deux questions suivantes :

4o D'après les lois de l'Angleterre, l'extradition d'esclaves fugitifs, en général, pouvait-elle être accordée sur la demande du gouvernement américain ?

2o Y avait-il lieu de faire droit à cette demande, relativement à ceux qui avaient pris part à la révolte et à l'homicide qui s'en est suivi ?

Il y répondit négativement.

Sur la première question, il dit que si un esclave arrive, du consentement de son maître, ou contre le gré de ce dernier, sur le sol britannique, il recouvre sa liberté et ne peut plus la perdre ; qu'en conséquence le gouvernement anglais n'avait pas le droit d'ordonner l'extradition d'un seul des individus mis en liberté par le gouverneur de Nassau.

Sur la seconde question, il déclara, d'une part, qu'un étranger abordant en Angleterre ne peut être arrêté, détenu ou livré à un gouvernement étranger pour un crime commis hors de la juridiction territoriale du royaume, à moins qu'il n'existe avec la Puissance qui réclame l'extradition d'un accusé, un traité qui l'ait décidée d'avance; d'autre part, que le traité de 1794 entre la

Grande-Bretagne et les États-Unis d'Amérique, pour les cas de meutre et de faux, était expiré. « Il est donc évident», dit l'orateur en terminant, «que, d'après la loi actuellement en vigueur. <«<les esclaves accusés ne peuvent être livrés pour le gouverne «ment anglais. »

Le 14 février, Lord Brougham rappela à la chambre ce qu'il lui avait dit, le 4 du même mois, au sujet de l'affaire de la Créole.

Lord Aberdeen, ministre secrétaire d'État des affaires étrangères, annonça que le gouvernement ayant pris l'avis des conseils judiciaires de Sa Majesté, il paraissait certain que le gouvernement n'avait pas le droit de faire juger les noirs prisonniers, et encore moins de les extradire, et qu'en conséquence l'ordre allait être donné de les mettre en liberté.

N'est-ce pas ici le cas de dire que la lettre tue le sens moral; le traité de 1794 avait cessé d'exister en tout ce qui concernait les clauses commerciales; mais les principes généraux du droit des nations devaient survivre à la durée du traité; le principe d'extradition des criminels avait été sanctionné par le traité: L'Angleterre devait à une nation amie de livrer des assassins.

Il serait superflu de reproduire ici les opinions de tous les orateurs qui prirent la parole en cette circonstance: Lord Denman, grand-justicier d'Angleterre, déclara que tous les magistrats et gens de robe de Westminster-Hall adhéraient à l'opinion exprimée par les deux nobles Lords; Lord Campbell, ci-devant chancelier d'Irlande, termina son discours en disant que le gouvernement américain ne pouvait même pas réclamer une indemnité pécuniaire au profit du propriétaire des esclaves, l'état de l'esclavage n'étant pas reconnu par la loi anglaise, et les individus étant devenus libres, ipso facto, aussitôt qu'ils ont touché le sol de l'empire britannique; Lord Lyndhurst (lord-chancelier) partagea l'avis de ses savants amis.

Nous ne pouvons nous empêcher de penser que, dans cette affaire, l'opinion publique qui, depuis vingt-cinq années, s'était, de plus en plus, prononcée contre l'esclavage, semble avoir dominé la question; s'il ne s'agissait pas de personnages aussi éminents que ceux qui, à l'occasion de l'affaire de la Créole, ont pris part aux discussions parlementaires, nous inclinerions, en effet, à croire qu'à leur insu une pensée fixe, favorable à l'affranchissement des esclaves, est restée cachée derrière les raisons mises en avant contre l'extradition d'hommes coupables d'assassinat, et que cette pensée fixe a fait tort à l'équité et à la raison; on n'a voulu ni

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