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« Ces deux actes témoignent du désir sincère qui anime les autorités de donner satisfaction à l'Espagne. Mais reste à savoir quelle est l'étendue de cette satisfaction telle qu'on la veut d'une part, telle qu'on pourra ou voudra la donner de l'autre. Il y a là une source de conflits dont on ne saurait prévoir la gravité, et l'administration vient d'entrer dans une ère de difficultés qu'elle ne traversera certes pas sans y laisser les derniers vestiges de sa -popularité et de sa considération expirantes. »>

L'expédition de Lopez a reçu un blâme sévère dans le parlement anglais Lord Brougham s'est exprimé ainsi, dans la séance du 7 juin 1850 de la chambre des Lords:

« J'ai appris qu'une expédition est partie des États-Unis pour s'emparer de Cuba. Je ne doute nullement que ce départ n'ait eu lieu sans le consentement du gouvernement des États-Unis. Je regrette d'apprendre que ces exécrables pirates aient échappé à l'escadre espagnole en mer, et j'espère qu'ils seront arrêtés à Cuba, et qu'ils y subiront le châtiment qu'ils méritent. J'espère que le respectable gouvernement des États-Unis a la force nécessaire pour réprimer cette expédition de pirates. >>

« Je crois », a repris Lord Aberdeen, « que le gouvernement américain a fait tout ce qu'il a pu pour arrêter l'expédition et je regrette que, il y a vingt ans, lorsque les États-Unis nous soupçonnaient de desseins peu légitimes sur l'ile, ils ne se soient pas réunis à nous et à la France pour garantir l'ile à l'Espagne. >>

« La loi est claire », dit encore Lord Brougham dans la suite de la discussion: « ces gens-là sont des pirates; j'espère donc que l'on n'apportera pas de fausse délicatesse dans la discussion de la question. Quiconque a été sur mer considérera ces hommes comme des pirates, et les traitera comme le Rajah Brooke a traité les pirates de Bornéo. Il y a des personnes qui trouvent qu'ils ont même été un peu trop traités comme tels; je ne partage cet avis je trouve que le Rajah Brooke les a traités comme ils le méritaient. >>

Dans la chambre des communes, M. Disraeli demanda au ministre s'il avait reçu la nouvelle officielle que l'ile de Cuba eût été envahie par une expédition de boucaniers partis des ÉtatsUnis, employant, à dessein, cette expression en manière de mépris pour indiquer que les flibustiers réunis par Lopez ont été pris dans les régions les plus infimes de la population et parmi les hommes les plus grossiers, toujours prêts pour les aventures.

Le 14 juin, le Journal des débats, journal sérieux, a fait une juste appréciation de l'entreprise de Lopez et de l'opinion publique

aux États-Unis sur ce fait; cette appréciation a droit de prendre place dans ce chapitre; c'est par elle que nous le terminerons : L'expédition partie de la Nouvelle-Orléans pour révolutionner, ou plutôt pour annexer à l'Union américaine l'ile de Cuba, a échoué. Le général Lopez qui la commandait est rentré à Savannah (Géorgie), en fugitif. Les aventuriers qui avaient débarqué à Cardenas ont été repoussés et ont dû se rembarquer. C'est certain. Mais il est permis de présumer que le port de la Nouvelle-Orléans n'est pas le seul d'où des navires chargés de conquérants en expectative soient partis. On a parlé vaguement de bâtiments portant des bandes nombreuses qui auraient mis à la voile de NewYork et d'autres ports, sous le prétexte d'aller en Californie. C'était le mot d'ordre convenu par les conjurés, et en effet c'était propre à donner le change. Mais on n'a aucune idée sur les points de l'ile de Cuba où ces détachements, s'ils existent, auraient eu à opérer leur débarquement. On manque d'informations, à plus forte raison, sur les intelligences que le général Lopez, qui a habité Cuba, aurait pu s'y ménager. Une certaine obscurité régnera. quelque temps encore probablement, sur l'ensemble des combinaisons de cette entreprise audacieuse. Serait-il vrai qu'une partie des Créoles de Cuba supporte avec impatience le joug de la métropole? La grande prospérité de l'ile donnerait lieu d'en douter, en supposant que les habitants aient le sens de leurs intérêts; mais l'ont-ils bien? La triste issue qu'a eue l'indépendance pour les colonies espagnoles de l'Amérique continentale aurait dû pourtant les désabuser. Quant aux nègres esclaves et aux gens de couleur libres, ils doivent être très peu portés pour l'annexion aux États-Unis ; car ce serait l'aggravation de leur sort. Il est bien connu que l'île de Cuba est, de toutes les Antilles, de toute l'Amérique, le pays où les noirs et les mulâtres ont toujours été le mieux traités.

« Il y a cinquante ans, une expédition semblable n'eut été qu'un coup de tête de quelques aventuriers isolés. Elle eut manqué de racines même dans le pays où elle aurait été conçue; elle y eut été l'objet de la réprobation universelle. Tous les partis politiques, toutes les sections de l'Union eussent regardé les auteurs et les fauteurs du projet comme des pirates et des boucaniers, ainsi qu'on les a justement qualifiés dans le parlement anglais. On sait qu'il y a près d'un demi-siècle un essai analogue avait été formé par Aaron Burr, ancien vice-président de l'Union, ancien candidat du parti fédéraliste à la présidence. Il s'agissait de conquérir le Mexique. Le complot avait été ourdi en secret, comme

celui qui fixe aujourd'hui l'attention de l'Amérique et de l'Europe. On allait passer à l'action, lorsque le président Jefferson, informé très sommairement des trames de Burr, le fit arrêter et le livra aux tribunaux. Faute de preuves matérielles, Burr fut, acquitté. Jugé une seconde fois, il fut renvoyé encore de l'accusation. Il vécut ensuite plus de trente ans, entendant citer son projet comme une chimère et comme un crime.

<< Cette fois, ce n'est plus la même unanimité de blâme sévère que l'expédition rencontre dans l'opinion aux États-Unis. Le gouvernement américain est au-dessus de tout soupçon de connivence avec Lopez et ses bandes. La loyauté du général Taylor est notoire. Il respecte les traités, il veut le règne des lois. Il a été trompé comme le public sur l'objet des préparatifs, et, depuis que la tentative a été connue, il a pris toutes les mesures en son pouvoir pour empêcher qu'elle n'eût des suites et pour en faire punir les auteurs. Les hommes d'État éclairés du pays, comme lui, déplorent cet attentat contre une nation amie. Partout les bons citoyens qui ne recherchent pas la prospérité de la patrie dans l'agrandissement du territoire, et les populations du Nord, qui sont blessées de toute entreprise tendante à abriter l'esclavage en de nouvelles contrées sous le drapeau de l'Union, regrettent amèrement que les États-Unis aient fourni à Lopez son armée. Le général Taylor trouvera de l'appui pour avoir donné l'ordre à la marine nationale de courir sus à ces forbans, puisqu'on n'a pu les appréhender avant qu'ils missent à la voile, et pour avoir fait traduire les fugitifs de Cardenas devant les cours fédérales. Il y a cependant un parti qui applaudit à l'expédition, qui la loue ouvertement dans les conseils de la nation, qui reproche au président d'employer les forces navales de l'Union à arrêter, s'il est possible, le mal qu'il n'a pu prévoir. Ce n'est pas le Sud tout entier, mais c'est la portion du Sud qui a préparé la conquête du Texas, qui se plaint de ce que la Californie n'admet pas d'esclaves, qui dernièrement soutenait, au moins de ses vœux, le projet avorté, grâce à la fermeté du général Taylor, de soulever une partie du Mexique pour faire une seconde édition du Texas, sous le nom de la république de la Sierra-Madre. C'est un parti puissant. Il est à croire qu'il domine en Georgie, car à Savannah le juge du district n'a pu trouver personne qui voulut déposer contre Lopez, et il a été contraint de remettre celui-ci en liberté, et attendant qu'on eût recueilli des témoignages, ce qui ne tardera pas, nous l'espérons pour l'honneur de l'Amérique. »

CUSSY. II.

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Puis examinant, d'une part, le chemin qu'a fait la question de l'abolition de l'esclavage aux États-Unis, depuis quelques années, et faisant, d'autre part, ressortir que la pression de l'opinion du Nord rend impossible (au moins dans la zône frontière du Maryland, de la Delaware, de la Virginie, du Kentucky, du Missouri, etc.), le maintien de l'esclavage pendant un délai fort peu long désormais, d'autant plus que divers États du Sud reconnaissent qu'avec le travail esclave il leur est impossible de soutenir la concurrence du travail libre dans les États du Nord, le publiciste, auteur de l'article que nous signalons, termine ses observations en disant :

<< Si l'on examine, de ce point de vue, la tentative contre Cuba, on reconnait tout ce qu'elle a de sérieux et les conséquences qu'elle peut avoir, quand bien même Lopez n'aurait laissé personne derrière lui. Ce n'est pas une simple échauffourée; c'est un incident longuement prémédité de la lutte qui s'est engagée aux États-Unis au sujet de l'esclavage; et comme cette lutte n'est pas près de finir, comme elle semble devoir être, pendant longtemps 1), le fait dominant de la politique intérieure des États-Unis, l'entreprise contre Cuba, même après avoir avorté misérablement aujourd'hui, n'en sera pas pour cela abandonnée. Nous assistons simplement au premier acte d'un drame dont il est impossible de prévoir les péripéties futures, et dont la scène, quoi qu'il semble, est bien plutôt à Washington, à la Nouvelle-Orléans et à Charleston, qu'à la Havane, ou à Matanzas, ou à Cardenas. »

§ 2.

Entreprise de Lopez en 1851.

Le résultat de l'expédition de Lopez contre Cuba, en 4850, l'annonce faite par les autorités de cette ile qu'elles se montreraient sévères dans le cas d'une nouvelle agression, la déclaration faite par le gouvernement des États-Unis de refuser toute espèce de protection aux Américains qui pourraient être tentés de s'at

1) A l'occasion de l'organisation du territoire de Nebraska, la question de l'esclavage a été de nouveau agitée: le bill rendu en cette circonstance enlève au congrès de prononcer sur l'esclavage, laissant aux territoires à décider souverainement en ce qui les concerne quand ils seront admis dans l'Union. Cette détermination doit rendre plus vive, dans les États du Sud, la pensée d'annexion de l'ile de Cuba, dans l'espérance que l'esclavage y serait maintenu. (Voir sur l'annexion le § 3, Peut-être le désir de l'annexion de Cuba serait-il moins vif dans les États du Sud, si l'Espagne se trouvait amenée à prononcer l'émancipation des esclaves !

taquer aux possessions d'une Puissance amie, ces circonstances diverses semblaient être de nature à faire obstacle à toute tentative nouvelle contre Cuba.

Il n'en a point être ainsi..

C'est que les États à esclaves de l'Union américaine du Nord craignent de se trouver bientôt en minorité sérieuse dans le congrès; ils désirent dès-lors accroître le nombre des États à esclaves, et voudraient, à cet effet, pouvoir annexer Cuba. Ce sont donc eux, selon l'opinion généralement reçue, qui ont fomenté la nouvelle guerre de pirates qui a éclaté en 1851. 1)

Nous ne saurions mieux faire connaître les circonstances qui ont précédé, accompagné et suivi l'agression du général Lopez en 1851, qu'en reproduisant l'exposé de ce fait déplorable que M. Isturiz, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de S. M. catholique à Londres, a remis le 8 septembre de la même année, au journal le Times.

« La tentative de Round-Island et l'expédition de Cardenas ont clairement et nettement établi les positions respectives des gouvernements espagnol et américain. Tandis que le premier annonçait de la manière la plus publique et la plus solennelle sa détermination d'appliquer avec la plus extrême rigueur la loi du droit des gens aux envahisseurs de Cuba, le second, par la proclamation du général Taylor, déclarait les envahisseurs hors la loi, les excluant de toute protection. Les deux gouvernements les ont prévenus à diverses reprises que la mort, comme à des pirates, serait la conséquence de leur crime. Cet avis, parfaitement inutile en tout autre pays, n'a pas été malheureusement écouté en Amérique. L'expédition de Cardenas eut lieu. Le sang espagnol coula dans cette agression tout à fait injustifiable; enfin les criminels prirent la fuite. Le gouverneur espagnol, qui avait en son pouvoir les prisonniers fails, poussa la générosité jusqu'à l'imprudence. Quelquesuns furent acquittés, les autres amnistiés, pas une victime ne tomba. Dans le fait, il était impossible de pousser plus loin les effets de la clémence.

« Bientôt cependant se firent sentir les conséquences de cette généreuse conduite. La sédition de Port-au-Prince (Puerto-Principe), le soulèvement d'Aguera et de ses quelques partisans stimulés par l'attente d'une nouvelle expédition des États-Unis, et enfin le débarquement de Lopez et de ses partisans sur la côte du nord convainquirent le capilaine général de Cuba des funestes effets de sa précédente douceur et de la nécessité de l'application la plus rigoureuse des prescriptions de la loi. Décidé dès-lors à user d'énergie, il reçut le 12, à trois heures du matin, une dépêche du capitaine de la frégate Esperanza, adressée

*) Voir la note qui termine le § précédent.

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