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les patrons de ces barques avaient déclaré ou déposé que les hommes qui les avaient attaqués portaient des fessis auxquels était attachée une couronne, ce qui indiquait des agents de l'autorité.

<< Moi, j'ai la conviction qu'il résulte de toutes les dépositions, de toutes les informations, que ces barques avaient été pillées par des Céphaloniens qui étaient venus sur les côtes de la Grèce, et qui pouvaient bien s'être attaché une couronne à leur bonnet pour déguiser leur origine.

<«< Il se pourrait encore que quelques soldats de la frontière, ayant déserté leur corps avec les insignes, eussent pris part au crime. Cela est possible. Mais venir dire à un gouvernement, si faible qu'il soit, et surtout parce qu'il est faible, que ce sont ses agents qui sont venus piller, presque avec son autorisation, les barques d'une Puissance alliée, véritablement est-ce sérieux? Et venir demander ensuite 1,196 colonates, à la tête de treize vaisseaux, cela ne se conçoit pas. Il est impossible, permettez-moi de le dire, que l'Angleterre le sache: Oui, j'affirme que l'Angleterre l'ignore.

« J'arrive au fait qui a motivé la réclamation. Il a été raconté dans plusieurs journaux. Je serai très-bref.

« Une malheureuse habitude existe dans tout le Midi, et l'Angleterre n'a point réussi à l'extirper aux îles Joniennes; elle ne l'a pas même essayé.

« La veille de Pâques, d'après un ancien usage, les enfants brûlent un mannequin qui représente un Juif. La police d'Athènes, en 1847, crut devoir enlever ce mannequin. La population du quartier, qui comptait sur sa petite représentation fanatique, s'ameuta. Elle occupa une maison et en détruisit le mobilier.

« Cette maison appartenait non pas à un Juif de Gibraltar, mais à un Juif portugais, et ce Juif, que protégeait non pas la légation anglaise, mais bien celle de Portugal, s'adressa d'abord au représentant d'une Puissance voisine, à M. le comte de Las Novas, chargé d'affaires d'Espagne; ce n'est que sur des conseils indirects des Portugais, que Don Pacifico eut recours à la légation anglaise, qui immédiatement demanda pour lui une indemnité de 800,000 drachmes.

« C'est assurément une indemnité énorme pour cette maison dont on avait cassé les vitres, mais on alléguait l'enlèvement d'un coffre plein des titres les plus précieux et les plus incontestables.

<«< La question resta pendante; il y a quelques mois, au moment où ces 800,000 drachmes (la drachme vaut 18 sous) allaient être réclamées par treize bâtiments anglais, le Juif portugais s'arrangea avec le gouvernement grec pour une somme de 8,000 fr. Seulement on a ajouté, je ne sais trop pourquoi, 500 liv. st. de pot de vin, apparemment sous prétexte d'intérêts et de dommages personnels. 1) J'arrive au fait le plus plausible.

1) Voici comment s'est terminée cette misérable affaire Pacifico.

Une commission, composée de trois membres, fut réunie à Lisbonne, en février 1851; l'Angleterre était représentée par M. Johnston, la Grèce par M. O'Neill, consul général hellénique en Portugal, la France par M. Béclard, premier secrétaire de la CUSSY II.

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« La cinquième réclamation est celle d'un M. Finlay. Oui, je le dis ici, le gouvernement grec a eu tort, et voici en quoi.

<< Lorsque la capitale de la Grèce dut être fixée, Athènes, qui désirait l'être, fit des sacrifices pour obtenir cet honneur. Elle promit de donner au gouvernement tous les terrains dont il aurait besoin pour ses établissements publics; la capitale fut fondée, c'est sur l'engagement pris qu'il y eût débat entre le gouvernement et la municipalité.

<< Pendant ce temps, le prix des terrains s'élevait de jour en jour; on se livra à des spéculations, et M. Finlay acheta de ces terrains; c'était une bonne affaire. De là, l'origine de sa réclamation; de là, la conséquence de la liquidation, je le répète, que le gouvernement grec a eu tort de ne pas payer. Mais cependant il est bon de savoir et de dire que, quand les vaisseaux anglais sont venus pour aider cette réclamation, l'arbitrage avait été accepté par M. Finlay; il avait même reçu des à-compte; c'était une affaire réglée, il ne fallait plus que parfaire la somme fixée par les arbitres ; c'est bien nne porte ouverte qu'enfoncera la flotte anglaise.

<< Parlons maintenant de l'île Sapienza et de l'île Servi; ceci est sérieux, c'est une question européenne.

« Messieurs, je n'entrerai pas dans les détails, cela serait long; il faudrait vous mettre devant les yeux de nombreux traités, vous raconter l'histoire des îles Joniennes depuis l'autorité vénitienne jusqu'à la possession anglaise; mais je ne doute pas que M. le ministre des affaires étrangères, qui a lu un excellent Mémoire fait sur la matière par le gouvernement grec, ne témoigne avec moi que la question n'est pas discutable; et vraiment le fût-elle, peut-on s'imaginer la grande Angleterre venant arracher à la Grèce deux rochers, dont l'un est à la distance d'un quart de mille de la côte, dont l'autre n'est pas à une portée de canon; dont l'un donne un médiocre mouillage, dont l'autre peut être un point de défense, et deviendrait, si une Puissance militaire y élevait des fortifications, un moyen d'action sur le territoire de la Grèce ? C'est là ce que l'Angleterre vient, avec ses vaisseaux, demander, arracher à la Grèce; ce n'est pas croyable.

« On dit qu'au moment où M. Wyse déterminait d'une façon si impérieuse les réclamations auxquelles la Grèce devait satisfaire dans les

légation française. Cette commission, chargée d'examiner la réclamation de M. Pacifico, montant à près de 750,000 francs, découvrit dans les archives des Cortès une pétition adressée par cet individu, à la chambre des députés, en 1839, et acquit la conviction que les originaux ou les pièces légalisées des plus importants documents que le S' Pacifico prétendait avoir été détruits à Athènes, accompagnaient cette pétition, à laquelle le pétitionnaire n'a donné aucune suite; en conséquence, la commission prenant en considération qu'il est possible qu'nn petit nombre de documents de mediocre importance se soient perdus lors du pillage de la maison du réclamant, et tenant compte des dépenses qu'il peut avoir faites pendant la durée de l'enquête, a été d'avis d'accorder au Sr Pacifico, payable par le gouvernement grec, une somme de 150 livres sterling (3,750 fr.). Le rapport de la commission est du 5 mai 1851. Les 150 liv. sterl. ont été payées à M. Wyse, à Athènes, au mois de juin. Ainsi s'est terminée une affaire qui a menacé, un moment, de troubler l'amitié entre trois ou quatre Puissances de l'Europe, et qui faisait partie des griefs out aussi sérieux dont le redressement avait été confié à une flotte de treize ou quatorze vaisseaux !

vingt-quatre heures, il a retiré celle relative aux deux îles; mais, si je suis bien informé, et je suis sûr de l'être, Lord Palmerston a entendu que cette réclamation restait l'attribution particulière de l'amiral Parker, agissant avec sa flotte.

« Cette flotte sera donc appelée à l'insigne honneur de chasser quelques soldats qui gardent un drapeau, quelques douaniers qui perçoivent le revenu public, quelques gardes côtes qui veillent dans l'intérêt de tous.

« J'avoue que je suis fort tenté de craindre que deux bâtiments ne soient chargés de cette belle expédition. Ce serait grave pour tout le monde, triste pour l'Angleterre. J'aime donc à croire qu'il n'en est rien. »>

M. le général de Lahitte, ministre des affaires étrangères, fit aussitôt connaître que des instructions avaient été envoyées au représentant de la France à Londres, M. Drouyn de L'huys, dans. le but d'obtenir des explications de Lord Palmerston, d'offrir la médiation de la France pour mettre fin à cette affaire déplorable, et d'engager le gouvernement anglais à donner l'ordre, sans retard, à l'amiral Sir William Parker de surseoir à l'emploi de toute mesure coërcitive.

Voici dans quels termes une feuille publique anglaise, le Times, journal sérieux et fort répandu dans le Royaume-Uni de la GrandeBretagne et d'Irlande, a cru devoir apprécier la conduite du gouvernement britannique en cette circonstance :

« Nous recevons avec grande satisfaction la nouvelle que « le gouvernement anglais a accepté la médiation de la France et «a, nous le présumons, soumis à l'arbitrage de cette Puissance <«<les réclamations qui ont suscité le différend.

« Une telle solution d'une querelle vilaine et sans dignité est préférable au moyen auquel on avait eu recours d'abord, de a violenter la justice et de n'obtenir le redressement des griefs « que par la main d'un vice-amiral soutenu par une flotte plus « puissante que celle de Nelson à Aboukir

« ...... La question qui a trait aux îles de Servi et de Sapienza « est très-douteuse: l'Angleterre est peu fondée à insister à cet égard....

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« Plus on examine ces questions, et plus il est inconcevable « que ces pitoyables sujets de plaintes aient donné lieu à des

« actes aussi hostiles, aux opérations d'une escadre 1), enfin, à

a

« l'arbitrage d'une Puissance étrangère... »

1) La flotte qui traversa le Catégat, le 20 mars 1801, sous les ordres de l'amiral Sir Hyde Parker, comptait 52 voiles, dont 30 bombardes; l'escadre avec laquelle Sir William Parker s'est présenté devant le Pirée était de quatorze vaisseaux.

Le Standard du 9 février a été plus énergique encore:

<< Que font donc les habitués déclamateurs de la Taverne de « Londres, eux si éloquents lorsqu'il s'agit des brutalités du Czar? «Ils se taisent lorsqu'il s'agit du rôle tout-à-fait nouveau adopté « par l'Angleterre qui devient le tyran et l'oppresseur des faibles! « Au gouvernement grec que dit le gouvernement monté par Lord « Palmerston (Palmerston ridden government)? Il dit: "La bourse <<< ou la vie politique!" Nous avons cependant d'autres débi«teurs que la Grèce. L'Espagne nous doit bien plus que la Grèce; << mais l'Espagne est l'Espagne: elle peut résister à nos exigences, « tandis que la fuible Grèce est à notre merci ..... Ce qu'il y a << de plus facheux en tout ceci, c'est que les étrangers ne font « pas de distinction entre l'Angleterre et Lord Palmerston, et c'est « l'Angleterre qui aura la réputation de l'ebrius ac petutans. »

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Le ministère britannique rencontra également des paroles sévères dans le parlement: nous aurons à en parler plus loin.

L'effet que produisit sur le cabinet de St.-Pétersbourg la nouvelle des événements qui s'étaient passés en Grèce, donna l'essor à diverses dépêches fort remarquables de M. le comte de Nesselrode, chancelier de l'empire de Russie et ministre des affaires étrangères. Nous reproduirons sa lettre du 19 février à M. le baron de Brunow: le langage si noble de ce document et le blâme mérité que le cabinet de St.-Pétersbourg déverse sur toute la conduite du cabinet britannique en cette circonstance, lui assignent une place dans ce chapitre, et, ce qui est beaucoup plus important, une place remarquable dans les fastes et l'histoire de la diplomatie.

Le comte de Nesselrode au baron de Brunow.

« St.-Pétersbourg, 7/49 février 4850.

« Votre Excellence se fera difficilement une idée de l'impression profondément pénible qu'ont produite sur l'esprit de l'Empereur les actes de violence inattendus auxquels les autorités britanniques viennent de se porter contre la Grèce. A peine les dangers que pouvait entraîner pour la paix la précipitation de l'amiral Parker à entrer dans les Dardanelles sont-ils écartés, l'apparition de son escadre sur les côtes de la Grèce vient en faire surgir de nouveaux, comme si on prenait à tâche de faire succéder gratuitement en Orient les complications aux complications, comme si le repos de l'Occident n'offrait pas déjà assez de chances périlleuses. En pleine paix, sans qu'aucun indice précurseur des intentions du gouvernement anglais ait été seulement donné, la flotte anglaise vient de se porter à l'improviste en face de la capitale de la Grèce. L'amiral Parker, accueilli amicalement par le Roi Othon, déploie

déjà, le jour suivant, vis-à-vis de ce souverain, une attitude comminatoire de la veille au lendemain, on change en ultimatum impérieux des réclamations de peu d'importance relative, qui se poursuivaient depuis des années, et dont quelques-unes même se trouvaient déjà en voie d'accommodement. Le ministre d'Angleterre déclare qu'il ne s'agit plus de les discuter, d'en examiner le juste ou l'injuste, mais qu'il y faut satisfaire pleinement dans vingt-quatre heures, et, ces vingt-quatre heures écoulées, le gouvernement grec n'ayant pu se résoudre à plier sous ces conditions humiliantes, le blocus des côtes de la Grèce est établi, et l'on frappe immédiatement de saisies les bâtiments helléniques.

« Chacun est juge de sa dignité, et ce n'est pas à nous qu'il appartient de contester au cabinet anglais la manière dont il croit devoir envisager et comprendre la sienne. L'Europe impartiale décidera si les moyens qui viennent d'être pris convenaient à une grande Puissance comme l'Angleterre vis-à-vis d'un État faible et sans défense. Mais ce que nous sommes fondés à remarquer et ce dont nous avons le droit de nous plaindre, c'est le manque complet d'égards que ce procédé sommaire accuse envers les deux Puissances consignataires du traité constitutif de la Grèce, et qui depuis plus de vingt-trois ans, c'est-à-dire depuis le 6 juillet 1827, se sont constamment trouvées sur les affaires de ce pays en communauté d'intérêts et d'actions avec le cabinet britannique.

« Nous n'ignorions certainement pas que l'Angleterre avait des réclamations particulières à faire à la charge du gouvernement hellénique. Il en a été question plus d'une fois entre Lord Palmerston et vous, et nous nous rappelons notamment qu'en 1847, du vivant et sous l'administration de M. Coletti, le cabinet anglais fut un moment sur le point de prendre à ce sujet des mesures contre l'administration de la Grèce. Mais comme depuis cette époque un grand intervalle de temps s'est écoulé sans qu'il nous en fût parlé, et que nombre d'objets plus importants semblaient appeler ailleurs l'attention de l'Angleterre, nous étions en droit de douter que la solution de cette question pût tout à coup lui paraître si urgente. Si avant de recourir à l'ultima ratio qu'il vient d'adopter, le gouvernement anglais avait bien voulu nous prévenir que sa patience était à bout, si les efforts que nous n'aurions pas manqué de faire à Athènes pour engager les Grecs à s'arranger avec lui, étaient demeurés infructueux, ce n'est pas nous, Monsieur le baron, qui prétendrions que l'Angleterre dut subordonner éternellement ses prétentions au résultat de nos démarches. Mais le gouvernement anglais n'a pas pris la peine de nous prévenir; pas un mot d'avertissement n'a été donné aux représentants russe ou français à Londres; pas une seule communication n'a été adressée à Saint-Pétersbourg ni à Paris qui laissât même entrevoir d'avance que le gouvernement anglais fût à la veille de se porter contre la Grèce à de pareilles extrémités. La Russie et la France ne les ont apprises que quand le mal a été fait et consommé.

« Aux démarches qu'ont faites de suite leurs représentants à Athènes pour interposer leurs bons offices en faveur du gouvernement grec, l'envoyé d'Angleterre a répondu par un refus deux fois répété, ne pou

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