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vant admettre, disait-il, l'arbitrage des deux Puissances dans une question qui ne les regardait pas. A notre tour, Monsieur le baron, nous ne saurions admettre une fin de non-recevoir pareille. La Grèce n'est pas un État isolé ne devant son existence qu'à lui seul et ne relevant que de lui-même. La Grèce est un État créé par la Russie et par la France aux mêmes titres et aux mêmes conditions qu'il l'a été par l'Angleterre. Ces trois Puissances l'ont fondé en commun, elles ont déterminé en commun ses limites et sa forme de gouvernement, elles ont contracté en commun chacune envers les deux autres l'engagement de respecter son indépendance, de maintenir son intégrité, d'affermir la dynastie qu'elles y ont placée sur le trône, et dès lors il ne saurait appartenir à l'une d'elles de défaire cette œuvre collective, de blesser cette indépendance, d'attenter à cette intégrité, d'ébranler cette dynastie en l'humillant aux yeux du monde; de troubler la tranquillité de ce pays en l'exposant aux tentatives des factieux et peut-être à la guerre civile. << Indépendamment du sentiment de bienveillance qu'elles portent à la Grèce, la Russie et la France ont un intérêt matériel au maintien de son repos. Elles lui ont prêté des fonds dans lesquels elles ont à rentrer tout aussi bien que l'Angleterre, et il ne saurait leur être indifférent de voir leur débiteur entraîné par l'interdit dont on frapperait sa navigation et son commerce, par les mesures de précaution qu'on l'obligerait de prendre pour sa défense, à des pertes et à des fràis qui auraient nécessairement pour effet de le rendre moins capable que jamais de faire honneur à ses obligations pécuniaires. Elles ont donc le droit de s'enquérir pour le moins d'un litige qui peut leur causer de si grands inconvénients, et de regarder cette affaire, quoi qu'en ait pu dire l'envoyé britannique, comme n'étant pas anglaise seulement, mais aussi bien russe et française. Ceci s'applique aux réclamations en faveur des sujets ou protégés anglais que le cabinet de Londres articule à la charge de la Grèce, réclamations dont il ne nous a jamais fait connaître que le pur et simple énoncé, qui, à en juger par les renseignements plus détaillés que nous avons reçus de la partie adverse, ne paraîtraient pas dépourvus d'une certaine exagération, mais dont, en tous cas, le montant ou l'objet ne sont guère en proportion avec la sévérité des moyens employés à les faire valoir. A plus forte raison, il en est de même des deux flots attenant au continent hellénique que l'Angleterre réclame aujourd'hui comme appartenant aux îles Joniennes. C'est là une question territoriale sur laquelle la Russie et la France avaient certainement le droit d'être préalablement renseignées. Du moment qu'elles ont réglé, d'accord avec l'Angleterre, la circonscription du territoire de la Grèce, qu'elles lui en ont conféré la possession, il leur est permis de demander à quel titre l'Angleterre, après cette délimitation qui date déjà de dix-huit ans, croit pouvoir aujourd'hui la refaire de sa seule autorité et s'en attribuer une partie, si faible et si minime qu'elle puisse être. Le but des trois Puissances signataires de la convention de 1832 a été de faire de la Grèce un royaume indépendant, en lui attribuant des frontières et un littoral suffisants au besoin de sa défense extérieure, et conséquemment c'est un point à examiner à trois, de savoir si ce but serait

atteint en autorisant l'Angleterre à prendre pied sur les ilots dont l'un est situé, à ce qu'il paraît, à un huitième de mille seulement du continent hellénique.

« Nous nous verrions donc dans le cas de protester solennellement contre la prétention qu'aurait le gouvernement anglais de trancher arbitrairement ce nœud sans l'aveu et la participation des deux cabinets signataires comme lui du traité qui a réglé la circonscription territoriale de la Grèce.

«

« Il y a peu de jours encore, Monsieur le baron, que dans une dépêche officielle qui nous était communiquée, Lord Palmerston se montrait prodigue envers nous des dispositions les plus satisfaisantes. Le ministre d'Angleterre à cette cour avait ordre de nous assurer « que le ́a gouvernement britannique attachait le plus grand prix au maintien des « plus cordiales relations avec le gouvernement impérial, et que, non<< obstant la différence qui existe dans l'organisation intérieure des deux << pays, il ne voyait aucune raison qui pût empêcher leurs cabinets de « s'entendre pour coopérer amicalement et sincèrement à ce qui est leur « but commun, c'est-à-dire le maintien de la paix en quelque lieu que « puisse s'étendre leur influence politique. » Au moment même où le représentant anglais nous donnait des assurances si pacifiques et nous faisait ces offres de concours, les autorités britanniques prenaient isolément à Athènes une attitude hostile envers un royaume que nous protégeons en commun, et refusaient de s'entendre amicalement avec notre représentant pour employer au maintien de la paix le concours de notre influence politique. 1)

« L'Empereur vous charge, Monsieur le baron, d'adresser à ce sujet des représentations sérieuses au gouvernement anglais, en l'engageant de la manière la plus pressante à accélérer à Athènes la cessation d'un état de choses que rien ne nécessite et ne justifie, et qui expose la Grèce à des dommages comme à des dangers hors de toute proportion.

« L'accueil qui sera fait à nos représentations est destiné à jeter un grand jour sur la nature des relations que nous aurons désormais à attendre de l'Angleterre, je dirai plus, sur la position vis-à-vis toutes les Puissances grandes ou petites que leur littoral expose à une attaque inopinée. Il s'agit en effet de savoir si le gouvernement britannique abusant de la situation que lui fait son immense supériorité maritime prétend s'enfermer désormais dans une politique d'isolément, san souci des transactions qui le lient aux autres cabinets; se dégager d toute obligation commune, de toute solidarité d'action, et d'autorise chaque grande Puissance, toutes les fois qu'elle en trouvera l'occasion à ne reconnaître envers les faibles d'autre règle que sa volonté, d'autre droit que la force matérielle.

« Vous donnerez à Lord Palmerston communication de cette dépêche et vous lui en remettrez copie. »

1) C'est toujours le même mode d'agir France en 1755! Voir chap. IV et XXV.

avec la Danemarck en 1801, avec la

Jamais dépêche, dit le Times, touchant plus profondément à la paix de l'Europe, à la dignité de ce pays et aux relations extérieures de la Grande-Bretagne, n'a été remise à un ministre anglais, et jamais, nous sommes malheureusement forcés d'ajouter, jamais il n'en fut de plus irréfutable, de plus juste dans ses principes, et de plus piquante dans ses reproches.

<< Nous n'entreprendrons pas de commenter un document qui est à la fois si puissant et si vrai. Dans l'opinion du gouvernement russe, les réclamations faites à la Grèce sont évidemment de simples prétextes pour arriver à des actes de violence qui doivent donner le signal d'une révolution en Grèce, et probablement du détrônement du roi Othon.

« Le résultat a déjà montré avec quel succès cet indigne projet, si tant est qu'il ait existé, a été déjoué; et chaque nouvelle communication que nous recevons de la Grèce ne nous parle que de l'ardeur même de la population maritime, qui est la première victime, pour la défense de sa nationalité et de son gouvernement. Mais les conséquences politiques de cet acte de violence, ainsi que le fait ressortir cette note, vont bien plus loin que les seuls périls de la Grèce.

« L'empereur de Russie signale les dangers auxquels est exposé chaque État européen, si la flotte anglaise doit aller de rivage en rivage pour souffler les révolutions et arracher de l'argent; et il insiste surtout sur le danger qu'encourrait l'Europe en abandonnant ce système de communications amicales entre grandes Puissances, système qui a si longtemps conservé les bonnes relations du monde entier.

<«< Indifférent à l'opinion publique, sauf quand elle peut être changée en instrument de révolution, indifférent à la voix du pays et de l'Europe, aussi longtemps que la Chambre des communes applaudit ses impertinentes railleries, Lord Palmerston a continué à traiter cette affaire avec sa légèreté habituelle.

<«< Mais il est digne de remarque qu'au moment même où il répondait aux questions de M. Hume par une dure plaisanterie sur les vaisseaux grecs capturés et par une allusion insultante à l'anniversaire de l'investiture du roi Othon, Lord Palmerston avait en sa main cette note de la Russie, et savait parfaitement que sa conduite avait appelé sur le gouvernement, de la part du plus puissant État de l'Europe continentale, une remontrance d'une force et d'une sévérité sans exemple.

« Si c'est par ces moyens qu'il croit pouvoir fonder les droits

des sujets anglais, conserver les traditions de la politique anglaise, maintenir notre position en Orient et préserver la paix de l'Europe, où finiront, nous le demandons, ces insupportables folies, et à quel excès d'abaissement et de malheur ne sommes-nous pas destinés à tomber, si cet exemple n'arrête pas une politique si téméraire dans ses conceptions et si désastreuses dans ses résultats ?

« La note russe pose parfaitement toute la question devant l'Europe. Il n'y a pas un mot de cette œuvre remarquable qui puisse étre appliqué fâcheusement à la reine Victoria et au peuple anglais, et, d'un autre côté, elle respire la ferme résolution de ne pas se soumettre à des actes de violences incompatibles avec les droits des États inférieurs et au bien-être général des autres nations. >>

Le plan aussi bien que le but de notre ouvrage n'admettent pas que nous fassions entrer dans ce chapitre toutes les notes qui ont été échangées entre les cabinets et les plénipotentiaires, en suivant les phases diverses que la négociation a parcourues: pour nos renfermer dans le cadre que nous avons adopté, nous avons uniquement à exposer les circonstances qui concourent au but de notre travail, c'est-à-dire

4° L'exercice du droit de représailles, par voies maritimes, dont l'Angleterre a cru devoir faire usage envers un État faible, qu'en sa qualité de l'une des trois Puissances sous la protection desquelles cet État est placé, elle n'aurait pas dû chercher à ébranler; 2o Les motifs que la Grande-Bretagne a eus en agissant comme elle l'a fait ;

3o Les procédés qu'elle a suivis ;

4o Le jugement que le public et les gouvernements en ont porté.

Nous dirons donc, en peu de mots, qu'à la suite de l'offre que fit la France de sa médiation, un plénipotentiaire français fut envoyé à Athènes, pour examiner, avec Sir Thomas Wyse, les réclamations anglaises et terminer le différend anglo-grec.

Que, malgré les instructions convenues à Londres entre l'envoyé français et le cabinet britannique, M. Wyse n'ayant cédé sur aucun point, les négociations furent rompues, et que le gouvernement hellénique fut contraint en quelque sorte de souscrire aux exigences de l'envoyé anglais, en adoptant des bases entièrement différentes de celles qui avaient été arrêtées à Londres.

Le gouvernement français s'étant trouvé, à juste titre, offensé de ce résultat, ordonna à son ministre à Londres de revenir sans retard à Paris.

L'annonce que fit le ministre des affaires étrangères, à cette

occasion, de la mesure prise par le gouvernement, fut accueillie avec un sentiment unanime d'approbation dans l'assemblée législative.

En Angleterre, aucun des principaux journaux (à l'exception de trois seulement, le Globe, le Sun, et le Morning Post), ne prit la défense du cabinet.

Le gouvernement anglais ne rappela pas son ambassadeur de Paris; en définitive, il ne voulait point engager une guerre contre la France, et il se ménageait, en laissant en France Lord Normanby (malgré le rappel de l'envoyé français), un moyen d'accès immédiat et direct auprès du cabinet français.

Lord Stanley fit, dans la Chambre des Lords, une motion contre la conduite du ministère, que nous devons rappeler, ainsi qu'une partie du discours qu'il a prononcé en cette occasion.

« La Chambre, tout en reconnaissant complètement que le gouver<«<nement doit assurer aux sujets de S. M. résidant dans les États étran« gers l'entière protection des lois de ces États, regrette de trouver dans « les documents qui lui ont été soumis, que différentes réclamations «< contre le gouvernement grec, douteuses sous le rapport de la justice « et exagérées quant à leur montant, ont été appuyées par des mesures «< coërcitives contre le commerce et le peuple de la Grèce, susceptibles << de compromettre les relations amicales de la Grande-Bretagne avec « les autres Puissances. >>

« J'épargnerai à Vos Seigneuries la fatigue que m'a causée la lecture de toutes ces pièces », a dit Lord Stanley; «je vous dirai seulement qu'elles m'ont fait rougir de honte pour mon pays en me dévoilant les innombrables extravagances qui fourmillent dans ces négociations. La conduite du gouvernement a été inconvenante, injuste, brutale, et a tendu sans nécessité à troubler l'harmonie qui doit régner entre les Puissances de l'Europe. Plusieurs de ces réclamations, faites contre un État aussi faible que la Grèce, ne sont-elles pas, je vous le demande, exagérées, quelques-unes même sans fondement ou présentées de manière que l'on dût les repousser? Certes, je ne veux pas me faire l'apologiste des torts que la Grèce; mais je soutiens que ces torts trouvent en quelque sorte une excuse dans le ton impérieux avec lequel les réclamations ont été faites.

« Le ton de réclamations à faire doit être plus réservé et plus courtois, s'il est possible, vis-à-vis d'un État faible que vis-à-vis d'une grande Puissance. Sans doute le gouvernement de la Reine doit assurer aux sujets anglais résidant à l'étranger toute protection légale dans ces États; mais il est du devoir de tout étranger résidant dans un autre État d'obéir aux lois de ce pays. Si ces lois sont mal administrées, il est en droit de s'adresser au représentant de son pays pour obtenir que justice lui soit rendue d'une manière impartiale. Mais aucun étranger n'est fondé à répudier la juridiction des tribunaux ordinaires ni à re

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