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quérir l'intervention diplomatique de son ministre. Dans des pays despotiques ou dans des États où les lois sont mal administrées, il peut surgir des circonstances où le sujet étranger ait le droit de faire appel à la protection de son ministre, non contre la loi, mais contre ceux qui l'exécutent mal. Il convient de considérer les circonstances particulières où se trouve placée la Grèce.

« ...... Les détails que je viens de vous exposer vous donneront une idée des procédés dont s'est constamment servi le cabinet à l'égard du gouvernement grec. Ces procédés ont revêtu la forme la plus agressive, comme dans le cas dont je vous ai parlé, et où, sans attendre d'explications ni chercher la preuve des faits avancés, on a tout d'abord exigé réparation et punition. Alors, seulement alors, et quand il était obligé d'avouer virtuellement que ses réclamations n'étaient ni justes ni raisonnables, le cabinet qui avait pris le ton et le langage que vous savez a bien voulu entendre parler d'enquête.

« En vérité, Milords, vous reconnaîtrez avec moi que de telles demandes, formulées et poursuivies d'une telle façon, étaient peu faites pour disposer le gouvernement grec ou tout autre gouvernement à accueillir les réclamations qu'on pouvait lui adresser. Vous parlerai-je maintenant de l'affaire des bateaux à vapeur pillés par une bande armée qui s'était emparée de la douane de vive force, et devant laquelle les préposés durent se retirer? Mais le chef de cette bande n'était même pas Grec; c'était un sujet jonien qui s'était mis à la tête d'une nombreuse troupe de brigands rassemblés sur les côtes voisines. J'admets comme vrais les actes de pillage dont on s'est plaint, et je suis même loin de blâmer Lord Palmerston d'avoir cherché à faire rendre justice aux victimes de ces violences; mais, d'après ce que je crois connaître du droit international, je ne pense pas qu'il y eût là pour notre gouvernement matière à adresser des demandes impératives à celui de la Grèce. Je le répète, je ne crois pas qu'un gouvernement soit tenu, dans toute la rigueur du mot, à indemniser des étrangers qui ont souffert par force majeure. Tout ce que doit faire un gouvernement en pareille occurence est de protéger, autant qu'il est en lui, ses nationaux et les étrangers qui résident sur son sol contre les pertes et les violences.

<< Avez-vous jamais entendu dire, Milords, que notre cabinet eût adressé au gouvernement pontifical, à celui de Naples, des demandes impératives au sujet d'Anglais détroussés par des bandits italiens? En définitive, voici à quoi se réduit la politique de nos ministres dans cette triste affaire de l'argent! de l'argent! encore de l'argent! Un sujet jonien a-t-il été maltraité, portez-le sur la carte à payer! Dans ce cas, le tarif est tout fait, c'est 20 livres sterling par tête ! Il est difficile, Milords, de parler sérieusement de pareilles niaiseries; mais il est encore plus difficile de contenir son indignation en pensant que l'on fait dépendre la paix de l'Europe de la solution de semblables questions.

<< Milords », a dit Lord Stanley, en terminant, « si vous adoptez ce soir la motion que j'ai proposée à Vos Seigneuries, vous aurez avec moi exprimé un profond regret de ces événements. Je n'en demande

pas davantage. Mais si réellement nous nous sommes rendus coupables d'injustice, si réellement nous avons élevé une réclamation extravagante, si réellement nous avons opprimé le faible, et si réellement nous avons compromis pos relations avec les forts, il est, certes, du devoir de cette auguste assemblée; il est, certes, du devoir de la législature anglaise de se montrer à son tour et de dire que le Foreign Office d'Angleterre n'est pas l'Angleterre, que les sentiments généreux de ce grand peuple sont en opposition avec les mesures adoptées par le gouvernement du pays; que nous séparons nos actes des siens, nos vues politiques, nos vues de justice et de bonne foi des siennes. >>

De nombreux et bruyants applaudissements ont accueilli la motion et le discours de Lord Stanley.

Lord Aberdeen a achevé l'œuvre de Lord Stanley; son langage élevé, sa longue expérience des affaires, son caractère calme et digne étaient bien faits, en effet, pour donner une grande autorité à son opinion.

La motion de Lord Stanley a été adoptée par la Chambre des pairs à une majorité de 37 voix.

Le différend anglo-grec ayant été réglé d'après les bases qui avaient été convenues à Londres, l'envoyé français reçut l'ordre de retourner à son poste.

Avec une politique moins despotique dans ses formes, le cabinet britannique aurait évité les inconvénients d'une négociation dans laquelle le rôle qu'il a joué n'a pas tourné à sa gloire :

loin delà.

Nous dirons avec le baron de Brunow « qu'une créance, sujette encore à investigation, n'autorise point, selon le droit des <«< gens, le recours à des mesures coërcitives, telles que celles dont «<les agents britanniques ont fait usage en Grèce. »

L'Angleterre ne s'est préoccupée ni du tort qu'elle allait faire à un État faible auquel elle devait protection, ni de l'opinion de l'Europe; blessé dans son orgueil par la résistance que cet État faible opposait à des prétentions exagérées, le cabinet a préféré l'emploi de la force aux voies de la conciliation.

« Quelle idée aurait-on d'un prince », dit Vattel, « ou d'une <<< nation qui refuserait d'abandonner le plus minime avantage pour << procurer au monde le bien inestimable de la paix ? Chaque << Puissance doit donc, à cet égard, au bonheur de la société <«< humaine de se montrer facile à toute voie de conciliation, quand <«< il s'agit d'intérêts non-essentiels, ou de petite conséquence. Si << elle s'expose à perdre quelque chose par un accommodement, par une transaction, par un arbitrage, elle doit savoir quels

<< sont les dangers, les maux, les calamités de la guerre, et con«sidérer que la paix vaut bien un léger sacrifice. »

C'est une doctrine que la France a pratiquée plusieurs fois; nous avons vu, dans les chapitres V et XXVIII, qu'elle sût faire à la paix des sacrifices sérieux, notamment à l'époque des négociations entamées pour régler le différend soulevé, en 1784, par l'empereur Joseph II, à l'occasion de la navigation de l'Escaut.

§ 2.

Réclamations anglaises contre les Deux-Siciles et la Toscane.

Au milieu des troubles politiques qui ont éclaté, en 1848, à Naples et à Livourne, plusieurs négociants anglais, domiciliés dans ces deux villes, éprouvèrent quelques pertes mobilières.

Des réclamations ont été présentées en leur faveur par le cabinet britannique; elles furent trouvées fort exagérées. On s'attendait généralement en Europe, à voir la flotte commandée par Sir William Parker se rendre successivement devant Naples et devant Livourne, pour y soutenir les réclamations anglaises, comme elle les avait soutenues au Pirée. Ce fut on le sait, par de semblables moyens que l'Angleterre appuya en 1801 et en 1807 les négociations de son plénipotentiaire à Copenhague! (Voir chap. XXV et XXXVI.)

Mais le blâme général qu'ont rencontré, partout en Europe, les procédés adoptés par Lord Palmerston à l'égard de la Grèce, l'ont probablement détourné de la voie déplorable dans laquelle on le considérait comme étant sur le point de s'engager.

La Toscane réclama la médiation de l'empereur Nicolas; cette circonstance a donné lieu, de la part du cabinet russe, à une note dont le langage est aussi ferme que le fond en est solide; cette note doit trouver place ici.

Il est évident, comme l'établit ce document remarquable, que les individus domiciliés par le fait de leur volonté dans un pays qui n'est pas le leur, doivent subir les chances bonnes et maúvaises de ce pays; au nombre de ces dernières chances sont les révolutions. Les Anglais, ainsi que le fait remarquer le Journal des Débats, établis à Naples et à Livourne ont dû supperter leur part de désastre dans les mouvements populaires, et dans les événements de guerre qui ont affligé ces deux villes. Les gouvernements toscan et napolitain, en réprimant par la force l'insurrection qui menaçait la tranquillité du reste du pays, n'ont

fait qu'user du plus incontestable des droits, et les malheurs privés, résultat inévitable de l'exercice de ce droit, sont des cas de force majeure dont personne n'est responsable.

L'Angleterre qui se montre si peu hospitalière pour les étrangers, en ne leur accordant que des droits fort peu étendus sur son territoire 1), semble croire, et vouloir persuader aux nations étrangères, que ceux de ses sujets qui vont s'établir à l'étranger, doivent sur le territoire étranger être privilégiés et protégés d'une façon plus spéciale, plus particulière que les sujets de tout autre État; c'est sans doute cette opinion qui l'entraîne aussi facilement à vouloir rançonner, du haut de sa puissance, les États faibles sur le territoire desquels des Anglais, établis dans un intérêt commercial, ou pour tout autre motif, se sont trouvés soumis à la loi commune, aux chances mauvaises que le pays a dû subir.

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<< Le ton des réclamations à faire >> a dit Lord Stanley, dans la séance de la Chambre des pairs du 11 juin 1850, « doit être « plus réservé et plus courtois, s'il est possible, vis-à-vis d'un « État faible que vis-à-vis d'une grande Puissance. >>

Cette doctrine n'a point été à l'usage du cabinet anglais à Copenhague, à Naples, en Grèce, en Toscane.

1) L'Angleterre donne asile à tous les exilés, à tous les fauteurs de crimes et délits politiques; noble, généreuse, imprudente à la fois, elle accueille, avec la même facilité, les hommes qu'un malheur immérité a conduits sur son sol pour y chercher une vie tranquille, et les hommes qui veulent se soustraire aux effets de la loi du pays qu'ils ont boulversé. Louons sa générosité; déplorons son imprudence qui, avec le temps, pourrait lui coûter le repos; ne craint-elle donc pas, en effet, que les doctrines qui ont agité si profondément d'autres pays, ne soient prêchées aux populations anglaises par ces mêmes hommes qui sont venus habiter au milieu d'elles, après avoir fait le malheur de leur patrie? Ne redoute-t-elle pas que ces doctrines ne parviennent à miner ce respect traditionnel pour le principe d'autorité qui a fait jusqu'à présent la force et la sûreté de l'Angleterre ? Mais ce n'est pas de cette hospitalité qu'il s'agit, quand nous disons que l'Angleterre est peu hospitalière; nous voulons uniquement parler de la position que les lois de ce pays font à l'étranger qui vient se fixer sur le territoire du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande.

L'alien ou étranger ne saurait acquérir aucun immeuble, avec la pensée du moins de voir sa fortune immobilière passer à ses héritiers; après la mort de l'alies (simple, ou non dénizé), la couronne revendique ses biens immeubles. L'alien dénizë, ou étranger domicilié en vertu de lettres patentes du souverain, ne peut hériter de biens fonds sur le territoire britannique; il peut toutefois acheter des immeubles, mais ces immeubles ne passeront, après sa mort, qu'à ceux de ses enfants qui seront nés depuis que le père a obtenu la dénization, à l'exclusion de ceux qui étaient nés avant cette époque. Les seuls biens meubles de l'alien simple et de l'alien denizé peuvent être remis à ses héritiers étrangers. L'abolition du droit d'aubaine stipulé dans les traités signés entre l'Angleterre et les autres nations, ne porte done que sur les biens meubles; la réciprocité exacte que semble établir tout traité anglais sur ce point resté à peu près à l'état de chimère. Les héritiers d'un Anglais devenu propriétaire foncier à l'étranger entreront, sans difficulté, en possession de la succession ouverte à leur profit; les héritiers directs de l'étranger devenu propriétaire foncier en Angleterre, s'ils ne sont pas nés après la dénization, verront l'héritage immobilier de leur père réuni au domaine de la couronne !

« Autre chose, d'ailleurs », dirons-nous avec le comte de Nesselrode, dans sa dépêche du 26 avril 1850 à l'ambassadeur russe à Londres, « est le droit rigoureux; autre chose sont les consé<< quences que peut entraîner son exercice; autre chose encore, « les moyens et les procédés employés pour le faire valoir; ...... « à côté du droit rigoureux se placent d'importantes considéra«tions politiques faites pour en contrôler et en tempérer l'appli

<< cation. >>

La dépêche de M. le comte de Nesselrode, que nous voulons reproduire en terminant ce paragraphe, pose très-nettement les principes qui doivent régler, en ce qui concerne les pertes éprouvées par les étrangers, négociants et autres, la responsabilité des gouvernements qui se sont trouvés dans la pénible nécessité de recourir à la force, et de soutenir des combats de places publiques, pour rétablir la tranquillité de la cité; ou d'avoir recours à l'assaut, au bombardement, ainsi qu'il est arrivé à Palerme, en 1848, et à Messine.

Le comte de Nesselrode au baron de Brunow.

« St.-Pétersbourg, le 21 avril (3 mai) 1850.

« Monsieur le baron,

« Le cabinet de Vienne nous a fait part des instructions qu'il vient de transmettre, en date du 14 avril, à son chargé d'affaires à Londres, à l'occasion des indemnités que réclame l'Angleterre de la Toscane pour les dommages que l'assaut de Livourne aurait causés à quelques sujets anglais, aussi bien qu'à propos des insinuations comminatoires dont le ministre d'Angleterre à Florence a accompagné ces réclamations. En portant ces instructions à notre connaissance, le gouvernement autrichien nous a exprimé le vœu de nous voir appuyer à Londres les considérations que M. le baron de Koller a été chargé d'y faire valoir.

« Nous partageons trop complètement les principes qui servent de base à cette démarche, pour avoir pu, Monsieur le baron, lui refuser notre concours. Comme Puissance européenne, intéressée au maintien de l'indépendance des États de second ordre aussi bien qu'à la conservation du repos intérieur de l'Italie, nous ne saurions que nous associer aux sentiments et aux vues politiques que vient d'exposer avec franchise le gouvernement autrichien. En effet, d'après les règles du droit public, telles que nous les entendons, il serait difficile d'admettre qu'un souverain, forcé comme l'a été le grand-duc de Toscane, par l'obstination de ses sujets rebelles, à se remettre en possession d'une ville occupée par les insurgés, soit tenu d'indemniser les sujets étrangers qui ont pu souffrir quelque dommage de l'assaut donné à cette ville. Quiconque s'établit dans un autre pays que le sien accepte volontairement d'avance la chance de tous les périls auxquels ce pays peut être

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