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Il est injuste, car il met entre les mains de l'armateur heureux la propriété d'un ami malheureux, reprise sur l'ennemi, d'un négociant de la même localité que le recapteur, d'un voisin, d'un parent peut-être; or, cette propriété ne doit pas d'avantage appartenir au recapteur pour avoir eu le mérite de l'avoir sauvée en la reprenant à l'ennemi, que la maison dévorée par l'incendie n'appartient aux courageux pompiers qui, au péril de leur vie, ont arrêté les progrès du feu: n'est-ce pas assez pour le recapteur de posséder le bâtiment ennemi, s'il a pu s'en emparer en lui enlevant sa prise ? Et si le bâtiment qu'il a recous voyageait isolément, conduit au port ennemi, sous la direction d'un capitaine de prise, n'eut-il pas été suffisant que le recapteur reçut, comme gratification de recousse, une somme quelconque déterminée par la loi, des mains des propriétaires du bâtiment recous, sans que le bâtiment lui-même lui fut adjugé ?

Le principe est dangereux, car si le bâtiment recous, après vingt-quatre heures passées entre les mains de l'ennemi, est la propriété d'un négociant domicilié dans la même localité que le recapteur, le propriétaire (ruiné peut-être par la perte de son bâtiment et de la cargaison qu'il portait), peut sentir germer dans son cœur des sentiments de haîne contre l'armateur, son compatriote, qui, sous ses yeux, jouit de la fortune sur laquelle il comptait lui-même, et qui représentait toutes les ressources d'avenir de sa famille.

Il est immoral, enfin, car il n'a été établi qu'en vue d'encourager la course, d'encourager, par conséquent, un fait immoral en lui-même et qui tend à favoriser le développement des plus mauvaises passions, l'amour du gain et la cruauté, et nullement le patriotisme.

Le siècle qui a proclamé l'abolition de la traite des noirs et l'extinction de l'esclavage; qui a vu prononcer, par des traités solennels, l'abolition de la piraterie des corsaires barbaresques ; ce siècle là doit proclamer aussi l'abolition à jamais des lettres de représailles en temps de paix (dont l'usage, il est vrai, est fort tombé en désuétude), et l'abolition des lettres de marque et des armements en course, en temps de guerre; il doit déclarer, en même temps, que les navires de commerce recous par les forces navales de l'État, seront rendus à leurs propriétaires. Les forces de l'État doivent protéger le commerce de leur pays, en temps de guerre: ce rôle est par lui-même trop grand, trop noble, pour qu'il soit nécessaire d'intéresser les équipages des bâtiments

de l'Etat autrement que par le sentiment du devoir et de l'honneur, à reprendre à l'ennemi les bâtiments nationaux qui sont tombés en sa possession. (Voir Livre I, titre III, § 30.) C'est mal connaître le caractère de ces hommes vaillants, dévoués, intrépides, qui, incessamment en lutte contre les éléments, sont chargés de défendre le pavillon de la patrie, flottant sur les mers, que de supposer qu'il faille leur attribuer une part de la valeur du bâtiment recous, pour exciter leur ardeur.

Il serait également digne des gouvernements, en abolissant les armements en course (et dès-lors la recousse par les corsaires), de proclamer que les bâtiments nationaux recous par les vaisseaux de guerre seraient remis purement et simplement à leurs propriétaires, quel que fut le temps écoulé depuis leur capture, pourvu qu'ils n'eussent point encore été conduits dans les ports ennemis et vendus.

Tout ceci exprime des vœux: nous désirons qu'ils soient entendus. (Voir le Post-scriptum.)

Passant aux faits, nous dirons :

La sixième époque du droit maritime des nations est remarquable par les améliorations et par les perfectionnements qui ont été introduits dans les lois maritimes des nations; par la communauté de principes justes, généreux et libéraux, qui existe actuellement entre les peuples divers en ce qui concerne la liberté commerciale; par l'ouverture d'un grand nombre de colonies au commerce étranger, et l'institution de nombreux portsfrancs et ports d'entrepôt, mesure essentiellement favorable au commerce tant pour le transit que par les avantages de toute nature qu'elle présente aux négociants; par la facilité des communications entre les États divers de l'Europe et les continents éloignés, au moyen de la navigation à vapeur, des paquebots, etc.; par la disposition manifeste des États musulmans à se rapprocher des usages pratiqués par les nations européennes (liberté commerciale, secours à donner aux bâtiments naufragés ou échoués, renonciation à la course, abolition de l'esclavage des Chrétiens, etc. etc.); par les efforts du cabinet de Constantinople pour s'assimiler les principes du droit des gens consacré par les nations chrétiennes; par l'ouverture des détroits du Bosphore et des Dardanelles à la navigation commerciale de toutes les nations chrétiennes; par les rapports de navigation et de commerce maritime établis avec la Chine, en vertu des traités publics, etc. etc.

La sixième époque est remarquable surtout par les progrès

généraux qu'ont faits le droit international et les relations commerciales entre les nations; les communications en devenant plus fréquentes, les rapports plus intelligents, ont fait tomber ces sentiments de jalousie et de défiance qui, partout à peu près autrefois, existaient à un haut degré envers les étrangers. Aujourd'hui, partout au contraire, le monopole commercial a disparu; partout on a compris que la liberté dans les échanges, la protection et la sûreté accordées au commerce étranger, à la navigation étrangère, la réciprocité, la justice, l'impartialité, et les bons procédés sont les véritables éléments de la prospérité du commerce international.

« Ce n'est pas sans éprouver une sorte de crainte que nous << touchons à la fin de notre ouvrage. » 1) Si un grand écrivain a éprouvé un sentiment de crainte au moment de publier un livre qui honore la littérature à un si haut degré, qu'on juge ce que doit être celle que nous ressentons en présentant à nos lecteurs un ouvrage sorti d'une plume en quelque sorte inconnue et sans aucun mérite littéraire.

Nous l'avons dit 2): Dans cet ouvrage, réunion, d'une part, de doctrines fondées sur l'usage, les réglements et les traités publics, d'autre part, de faits accomplis selon le droit maritime des nations, ou en violation de ses principes, ce n'est point au style, au choix minutieux des mots, que nous devions avant tout nous attacher, dans l'espérance de trouver grâce aux yeux de quelques grammairiens rigoristes, mais bien plutôt à l'exposé clair des principes et des faits : « Vous ne pouvez plus être oc« cupé à bien dire quand vous êtes effrayé par la crainte de << dire mal et qu'au lieu de suivre votre pensée vous ne vous << occupez que des termes qui peuvent échapper à la subtilité des <«< critiques. >> 3)

Nous nous sommes donc appliqué beaucoup plus à former un ouvrage que nous espérons devoir être utile, qu'à livrer un travail qui se recommande par l'élégance et la pureté du langage.

1) Génie du Christianisme.

2) Livre second: Observations préliminaires.

*) Montesquieu.

Si d'ailleurs nos lecteurs veulent bien prendre en considération ce que nous avons dit soit dans la préface et dans les Considérations générales du Livre premier, en ce qui concerne les usages, doctrines et principes du droit maritime des nations, soit dans les Observations préliminaires du Livre second en parlant du mode et de la forme que nous avons adoptés pour présenter les causes célèbres, ainsi que les faits remarquables ou dignes d'intérêt parcequ'ils présentent d'utiles enseignements, et des précédents à consulter; si, disons-nous, nos lecteurs veulent bien se rappeler les observations que nous avons mises sous leurs yeux, à ce double point de vue, nous espérons qu'ils donneront leur approbation au plan de notre ouvrage.

POST-SCRIPTUM.

(Mai 1856.)

En vue de la régularité, dans la publication des deux parties

des Phases et Causes célèbres du droit maritime des nations, le tome premier a été (ainsi que devait l'être le tome deuxième, quelques mois plus tard), timbré du millésime 1856, bien qu'il ait paru au mois de novembre 1855: cette date explique pourquoi nous avons dû, au moyen de notes rejetées à la fin de l'ouvrage, attirer l'attention du lecteur sur diverses circonstances qui réclamaient explications ou développement; signaler plusieurs incidents qui se sont produits depuis la mise sous presse du premier volume et pendant la composition et le tirage du second volume (moins les tables); et rappeler quelques faits analogues anciens. C'est à ces incidents divers que se rapportent notamment les notes VIII, X, XIV, XV, XVI du premier volume, et les notes VIII, IX, X, XII, XIII, XIV, XV du tome second.

Quant à celui-ci, il était parvenu à la dernière feuille d'impression (moins les tables), au moment où les plénipotentiaires, réunis en Congrès de Paris, ont signé le traité de paix du 30 mars 1856, et la déclaration du 16 avril suivant, relative à la course, à l'immunité du pavillon et au blocus.

Au point de vue du droit maritime, ces deux actes sont du plus haut intérêt; il était d'autant plus indispensable d'en faire mention, avant de placer le tome deuxième sous les yeux du public, que de nombreux articles du traité et de ses annexes renferment les dispositions qui se rattachent entièrement aux faits, usages et

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