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avait reconnu par le traité du 19 novembre 1794, art. 25, avec les États-Unis:

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« Aucune des deux parties ne souffrira que les vaisseaux appartenant aux sujets ou citoyens de l'autre, soient pris à une portée de canon de la côte ni dans aucune des baies, rivières ou ports de leurs territoires, par des vaisseaux de guerre ou autres, ayant lettres de marque de prince, république ou État, quels qu'ils puissent être......»

La protection que doit accorder le souverain territoriale, jusqu'à la portée du canon, est également reconnue par la GrandeBretagne, par l'art. 41 de son traité du 26 septembre 1786 avec la France.

§ 10.

Violation de la mer territoriale du Portugal par les Anglais.

Dans le chapitre XI, nous avons vu comment, par ordre de la reine Elisabeth, l'amiral Sir Francis Drake s'empara dans le port de Lisbonne de 60 bâtiments anséates, et comment, de nos jours, l'amiral Nelson et d'autres officiers de la marine anglaise, à Livourne et à Gènes, foulèrent aux pieds le droit des gens.

En 1814, une nouvelle atteinte au principe de la mer territoriale fut encore portée par la marine anglaise dans le port portugais de Fayal.

Au mois de septembre 1814, un corsaire américain, le général Armstrong, entra dans le port de Fayal, une des Açores, pour y faire de l'eau. Il y fut suivi par trois bâtiments anglais. Un lieutenant de la marine britannique fut envoyé dans une barque pour reconnaître le bâtiment américain; le capitaine du corsaire, croyant qu'on venait pour l'attaquer, héla l'embarcation et lui cria de ne pas s'approcher. Le lieutenant anglais ordonna de virer de bord, et (selon la version anglaise sur ce fait) sans aucune provocation de sa part, le corsaire américain fit feu sur lui et lui tua plusieurs hommes.

Le bâtiment américain (selon la version américaine), supposant qu'une attaque serait dirigée contre lui (la guerre existait encore entre la Grande-Bretagne et les États-Unis) 1), fut se placer sous la protection de la forteresse de Fayal, à la portée du canon. C'est dans cette situation qu'il eût à subir les hostilités des vais

1) Le traité de paix entre la Grande-Bretagne et les États-Unis fut signé à Gand, le 21 décembre 1814.

seaux anglais. Le général Armstrong fut bientôt abandonné par son équipage, et ensuite brûlé par les Anglais, sans que les canons du fort de Fayal l'eussent défendu !

Il n'est guères possible d'admettre que le corsaire américain ait été assez insensé pour commettre les premières hostilités contre trois bâtiments de guerre de la marine anglaise, et qu'il ait de cette sorte violé le premier la neutralité du port.

Mais en admettant même que par suite de quelque malentendu, un coup de fusil ait été tiré de son bord, les trois bâtiments de la marine anglaise n'ont-ils pas dépassé toute limite, dans leur vengeance, en brûlant le corsaire américain, dans un port neutre, et sous les batteries, qui restèrent muettes, de la forteresse le Fayal ?

Dans ce fait, comme dans celui de la prise de la frégate la Modeste, dans le port de Gènes, il y a eu violation brutale du principe, de la part de la marine anglaise, et inertie déplorable, de la part de l'autorité territoriale.

§ 11.

Affaire du Carlo-Alberto. Passagers arrêtés à bord d'un bâtiment de commerce, entré en relâche forcée dans le port de la Ciotat.

Le bateau sarde à vapeur, le Carlo-Alberto, capitaine George Zara, partit le 24 avril 4832 de Livourne, avec la destination de Barcelone. Dans la nuit suivante, il reçut, sur la plage de Via Reggio, S. A. R. Me la duchesse de Berry, et diverses personnes de sa suite, qui avaient été inscrites, pour la plupart, sur les papiers de l'expédition à Livourne, sous des noms supposés ; au nombre des personnes qui accompagnaient Me la duchesse de Berry, se trouvaient le comte et le vicomte de Kergorlay, le comte de Mesnard, le comte de Saint-Priest, duc d'Almazan, le chevalier de Candole, M. de Bourmont, M. Adolphe de Sala, Mile Mathilde Lebeschu, demoiselle d'atours de Madame, etc. etc.

Dans la nuit du 28 au 29 avril, S. A. R. débarqua, avec six personnes de sa suite, sur la côte occidentale de Marseille, à l'aide d'un bateau-pêcheur qui guétait le passage du Carlo-Alberto.

Le gouvernement français avait été informé du projet de Me la duchesse de Berry de se rendre en France afin d'y réchauffer, par sa présence, le zèle de ses amis, dans le but de rétablir le duc de Bordeaux, son fils, sur le trône que ses ayeux avaient occupé et honoré pendant une longue suite de siècles, et dont ce prince avait été éloigné par la révolution de 1830.

Le ministère français donna l'ordre immédiatement au bâtiment de la marine de l'État, le Sphinx, de surveiller le Carlo-Alberto; il n'apprit pas d'ailleurs aussitôt qu'il eût été effectué, le débarquement de Me la duchesse de Berry.

Il n'entre point dans le cadre de notre travail de suivre Madame dans son voyage à travers la France, de raconter son séjour en Vendée, de retracer les scènes qui se rattachent à l'arrestation de cette princesse à Nantes, à la suite de l'ignoble trahison du S' Deutz, initié en partie aux projets de Me la duchesse de Berry, et au secret de sa présence dans la maison de la famille Duguigny; de dire non plus ni la vie de la royale captive au château de Blaye, ni son voyage en Sicile lorsqu'elle fut rendue à la liberté.

Nous n'avons à faire entrer dans notre tableau que les faits qui se rattachent, uniquement en quelque sorte, au Carlo-Alberto lui-même.

Le Carlo-Alberto, après avoir touché, le 30 avril, à Roses en Catalogne, se trouvait le 3 mai, à midi, à la hauteur de la Ciotat, petit port français à l'Est de Marseille; il se vit dans la nécessité, par suite de la rupture de sa chaudière, de chercher à entrer, dans ce port, en relâche forcée.

Or, au moment où il se disposait, vers sept heures du soir, à pénétrer dans le port de la Ciotat, il fut capturé par le Sphinx; venu à toute vitesse de Toulon.

Le Carlo-Alberto, bâtiment étranger, se trouvant dans la rade de la Ciotat, par suite des avaries qu'il avait éprouvées, pouvait-il être traité en ennemi, et capturé comme si la Sardaigne et la France se fûssent trouvées en hostilités ouvertes ?

Pouvait-il être contraint à se voir enlever, comme prisonniers, les passagers embarqués à son bord parcequ'ils étaient suspects de complot et parcequ'ils avaient fait partie de la compagnie ou de la suite de Me la duchesse de Berry, jusqu'au moment où, dans la nuit du 28 au 29 avril, un bateau-pêcheur, sorti de Marseille, avait reçu cette princesse pour la porter sur le rivage français ?

Ces passagers, enfin, et les hommes de l'équipage, pouvaientils être faits prisonniers dans les circonstances où se trouvait le Carlo-Alberto, obligé de chercher un refuge contre les dangers de la mer, alors que sa chaudière ne fonctionnait plus, dans le port de la Ciotat ?

Telles sont les questions qu'il s'agissait de résoudre et qui ont trouvé des solutions différentes dans les cours de justice, appelées à se prononcer sur l'affaire du Carlo-Alberto.

Par son arrêt, en date du 6 août 1832, la cour royale d'Aix, considérant que le Carlo-Alberto était d'origine sarde, et qu'il portait le pavillon du roi de Sardaigne, - que tout l'équipage était composé de sujets de ce souverain, que tout navire doit être réputé une continuation du territoire de la nation à laquelle il appartient; - que la pavillon d'une Puissance est le signe de la nationalité d'un navire et porte avec lui sa juridiction et sa souveraineté, et que la circonstance du nolissement du CarloAlberto, fait par le comte de Saint-Priest, duc d'Almazan, ne pouvait changer le caractère primitif de la nationalité de ce bâtiment ; - considérant, enfin, que l'arrestation des diverses personnes qui se trouvaient sur le Carlo-Alberto avait été effectuée lorsque ce bateau à vapeur, allant de Roses à Nice, avait été forcé de relâcher à la Ciotat, par suite de l'état de délabrement et d'avaries graves et constatées, survenues à sa chaudière, et pendant qu'il s'occupait à les réparer; que ces circonstances étaient de la nature de celles qui, parmi les nations policées, se placent sous la sauvegarde de la bonne foi, de l'humanité et de la générosité; que, d'après ces principes et ces faits, les arrestations qui étaient l'objet des réclamations portées devant la cour, avaient été faites sur un bâtiment étranger qui s'assimile à un territoire étranger, et dès lors sur un territoire indépendant de la France; - qu'elles avaient été faites dans le temps de la relâche forcée du CarloAlberto à la Ciotat, et dès lors dans un moment où l'on ne pouvait imputer quelqu'acte répréhensible aux détenus; qu'il y avait, dans ces arrestations, violation du droit des gens et atteinte aux sentiments de générosité que la nation française n'a cessé de professer ; - que dès lors ces arrestations devaient être regardées comme non avenues, et que les détenus devaient être rendus à la liberté et reconduits sur le territoire sarde; etc. etc. etc.

La cour annula les arrestations de MM. de Saint-Priest, de Bourmont, de Kergolay fils, de Sala, de Mile Lebeschu, de M. Ferrari, subrécargue-directeur du Carlo-Alberto, de Georges Zara, capitaine du bâtiment, etc. etc., et ordonna qu'ils fussent mis en liberté et reconduits sur le territoire sarde.

La cour d'Aix ayant reconnu, dans la première partie des considérants de son arrêt, qu'il existait, contre divers passagers du Carlo-Alberto, quelques indices suffisants d'avoir pris part à un complot contre le gouvernement français, avait prononcé leur mise en accusation; mais l'annullation des arrestations et le renvoi sur le territoire sarde des passagers détenus, indiquaient que,

selon elle, les prévenus, à quelque catégorie qu'ils appartinssent, ne pouvaient être jugés que par contumace.

Les sentiments qui dictèrent l'arrêt des magistrats de la cour royale d'Aix étaient respectables, humains, et dignes d'une grande époque de civilisation, où les haines de parti ne doivent jamais être assez développées, assez puissantes pour étouffer l'équité, l'humanité, la générosité, la raison. Si, dans l'année 1797 (§ 8), c'est-à-dire à une époque où les passions révolutionnaires existaient encore en France à un haut degré, le gouvernement comprit qu'il ne pouvait, sans blesser l'équité et la justice, s'emparer des émigrés naufragés sur les côtes du Pas de Calais, par leur appliquer les lois rendues, par la convention nationale, sur l'émigration.

A plus forte raison, la cour royale d'Aix dut-elle, en 1832, alors que les passions politiques n'étaient pas aussi vives que celles qu'avaient fait naître la première révolution, comprendre que les passagers saisis à bord du Carlo-Alberto, entré en relâche forcée à la Ciotat, lorsque ce bâtiment se rendait à Nice, devaient être mis en liberté et reconduits sur le territoire sarde.

Toutefois, le procureur général près de la cour royale d'Aix n'eut pas la même pensée; il crut devoir se pourvoir en cassation contre l'arrêt du 6 août.

L'affaire fut plaidée et jugée dans les audiences des 6 et 7 septembre 1832 de la cour de cassation.

L'avocat des prévenus établit en principe que le navire est le territoire du souverain dont il porte le pavillon; que monter à bord, c'est franchir la frontière; et que cette infraction du territoire que représente le bâtiment, ne peut avoir lieu, même en temps de guerre, que pour vérifier la sincérité du pavillon, et s'il n'existe pas de munitions de guerre à bord.

On le sait, et ceci a déjà été dit dans divers chapitres de cet ouvrage 1), les hommes de l'équipage, et les passagers qui ne sont pas actuellement au service militaire de la nation ennemie, ne peuvent être enlevés du bâtiment visité, neutre, ami ou allié.

L'avocat des prévenus, M. Hennequin, rappela dans son plaidoyer la conduite du gouverneur de l'ile de Cuba à l'égard du capitaine Edwards, de la marine royale d'Angleterre, entré en relâche forcée à la Havane, en 1746, lorsque la Grande-Bretagne se trouvait en guerre avec l'Espagne (§ 4); ainsi que la conduite du gouvernement français envers les émigrés sur les côtes du

) Notamment au titre III du Livre 1, §§ 14, 15, 17 et 18.

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