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FRANCE

NOTICE GÉNÉRALE SUR LES TRAVAUX DU PARLEMENT FRANÇAIS ET LES ACTES RÉGLEMENTAIRES DU POUVOIR EXÉCUTIF PENDANT L'ANNÉE 1889,

Par M. Jules CHALLAMEL, docteur en droit, avocat à la Cour d'appel de Paris·

L'élection du 27 janvier, qui donnait plus de 245.000 suffrages à M. le général Boulanger (1), fut le signal et la cause immédiate de sa chute. Dès ce jour, toutes les forces gouvernementales et parlementaires prirent conscience du danger qui menaçait les institutions du pays et s'organisèrent pour les défendre.

C'est ainsi que furent votées la loi du 13 février, substituant au scrutin de liste le scrutin d'arrondissement, et celle du 17 juillet qui interdit les élections multiples, l'une et l'autre destinées à barrer la route aux entraînements du suffrage universel.

Une coalition d'un autre genre vota, le 14 février, malgré l'opposition du gouvernement, l'ajournement indéfini de la revision (2); mais ce vote, qui renversait le cabinet Floquet, mit à sa place un ministère de concentration républicaine, dont la tâche fut avant tout de mener la lutte contre le boulangisme (décrets du 22 février).

En même temps, le portefeuille du commerce et de l'industrie confié au président du conseil, M. Tirard, montrait que le gouvernement voulait donner une place prépondérante aux travaux de l'Exposition universelle.

En effet, c'est au milieu des fêtes de l'Exposition que s'ouvrit l'audience de la Haute Cour de justice convoquée pour statuer sur les accusations

(1) Cette élection s'est faite dans les circonstances suivantes : il y avait à pourvoir, dans le département de la Seine, à la vacance d'un siège de député. M. le général Boulanger ayant été précédemment élu par plusieurs départements et représentant alors le département du Nord, divers journaux le défièrent de poser sa candidature à Paris même. Les boulangistes relevèrent ce défi. Après une bataille d'affiches des plus extraordinaires et une polémique de presse des plus violentes, l'évènement du scrutin leur donna gain de cause. Voici les chiffres exacts: Général Boulanger, 245.536 voix sur 444.564 votants; M. Jacques avait obtenu seulement 162.875 suffrages; M. Boulė, 17.039; divers, 11.322.

(2) V. Annuaire, 1889, p. 4, note 8; rapport lu en séance, 9 février 1889; discussion, 14 février.

de complot et d'attentat portées contre M. le général Boulanger et MM. de Rochefort et Dillon, ses complices. Les trois accusés avaient pris la fuite dès le 2 avril; ils furent jugés par contumace et condamnés à la déportation dans une enceinte fortifiée (8, 9, 10 et 14 août).

Tous ces incidents n'empêchèrent pas les étrangers d'affluer en nombre immense à Paris et d'y recevoir, à quelque nation qu'ils appartinssent, cet accueil chaleureux qui est dans les traditions de l'esprit français.

Peu de jours après, la période électorale commença; les scrutins du 22 septembre et du 6 octobre donnèrent une majorité considérable au gouvernement; malgré quelques succès partiels, le parti boulangiste était définitivement vaincu.

Entre temps, des lois très importantes ont été votées par le Parlement, notamment la loi sur l'armée, la loi sur la liquidation judiciaire, la loi sur la nationalité et la loi sur la protection des enfants maltraités ou moralement abandonnés.

La session ordinaire des Chambres, du 8 janvier au 15 juillet, a donc été très remplie, malgré les préoccupations politiques et les interpellations que la violence des partis et l'approche de la campagne électorale ont rendues plus nombreuses et plus animées que jamais (1).

Quant à la lutte religieuse que nourrit et entretient la politique jacobine pratiquée par le gouvernement et par la majorité du parti républicain, elle a suscité devant la Chambre, à propos du budget de l'instruction publique (2), un débat mémorable : M. Jules Ferry venant offrir de rétablir dans le pays la paix religieuse, et M. le comte de Mun lui demandant quelles concessions il apportait, quels sacrifices il consentait à faire pour pacifier les esprits, lui, le premier auteur de cette déplorable campagne d'athéisme dont le but est de déchristianiser la France. Ce débat s'est élevé très haut et, peut-être, n'a-t-il pas été sans écho dans le pays; mais il n'a pas modifié sensiblement l'attitude des divers partis. Le 15 octobre, la nouvelle Chambre s'est réunie; sa session extraordinaire a été tout entière consacrée à la vérification des pouvoirs (3).

Un décret du 7 mars a autorisé le retour en France de M. le duc d'Aumale (4).

LOIS POLITIQUES ET ADMINISTRATIVES.

Suffrage universel. · On trouvera plus loin le texte des lois du 13 février sur le scrutin d'arrondissement, et du 17 juillet sur l'interdiction des candidatures multiples (V. p. 42 et 210). Nous devons signaler, en outre, la loi du 24 janvier qui restitue les droits électoraux à certaines catégories de condamnés (V. p. 25).

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(1) Durant cette session, la Chambre a tenu 99 séances et le Sénat, 83. (2) Séances des 6 et 8 juin 1889.

(3) La session extraordinaire, ouverte le 12 novembre, a été close le 23 décembre; elle compte 16 séances au Sénat et 25 à la Chambre des députés. (4) J. Off. du 9 mars 1889. - Interpellation: Chambre, même jour.

Le 25 février, la Chambre avait commencé la discussion de diverses propositions destinées à assurer le secret et la sincérité du vote dans les élections; le tout a été renvoyé à la commission; un nouveau rapport a été déposé, mais il n'a pu venir en délibération avant la fin de la législature (1).

La proposition de M. Folliet tendant à codifier la législation électorale a fait aussi l'objet d'un rapport qui n'a pas été mis en discussion (2).

Nous mentionnons enfin deux propositions de loi : - l'une tendant à rendre le vote obligatoire (3); — l'autre ayant pour but d'assurer le libre exercice du suffrage universel en réprimant la candidature officielle et la pression électorale (4).

Chambre des députés. Le jour même de sa constitution définitive, la nouvelle Chambre a été saisie de trois propositions de loi tendant à la création de commissions annuelles, correspondant aux principaux services publics (5).

Départements ministériels. Un décret du 5 janvier a rattaché le service de l'hygiène publique au ministère de l'intérieur, et le service des postes et télégraphes au ministère du commerce et de l'industrie (6). Les services relevant de l'administration centrale des colonies ont été rattachés également à ce dernier ministère, qui portera désormais le titre de ministère du commerce, de l'industrie et des colonies (7).

Conseils généraux et conseils d'arrondissement. Deux propositions ont été soumises à la Chambre : l'une ayant pour objet d'étendre aux conseils généraux et aux conseils d'arrondissement l'inéligibilité des militaires de terre et de mer en activité de service (8), l'autre ayant pour objet de rendre les juges de paix inéligibles au conseil d'arrondissement dans le canton où ils exercent leurs fonctions (9). Un rapport d'ensemble sur

ces deux questions a été déposé vers la fin de la session (10).

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Organisation municipale. Le projet de loi sur les syndicats de communes, qui avait été présenté en 1888, a été voté par la Chambre, puis, avec des modifications, par le Sénat; le texte de ce projet devra donc faire l'objet d'une nouvelle délibération (11).

Objets divers. Une loi du 19 mars, dont nous donnons le texte

(1) V. Annuaire, 1887, p. 3.- Chambre : rapport supplémentaire, doc. 1889, p. 759. V. aussi exposé des motifs, ibid., p. 577.

(2) Chambre: rapport, doc. 1889, p. 1207.

(3) Chambre exposé des motifs, ibid., p. 345; rapport sommaire, p. 1352.

(4) Chambre: exposé des motifs, ibid., p. 931.

(5) Chambre: exposé des motifs, doc. 1889 (session extraord.), p. 1, 3 et 4. (6) J. Off. du 6 janvier 1889.

(7) Décret du 14 mars 1889, J. Off. du 15 mars.

(8) Chambre: exposé des motifs, doc. 1888 (session extraordinaire), p. 572.

(9) Chambre: exposé des motifs, doc. 1889, p. 768.

(10) Chambre: rapport, ibid., p. 1221.

(11) V. Annuaire, 1889, p. 3, note 1. Chambre: première délibération, 22 janvier 1889; deuxième délibération, 7 mars. Sénat exposé des motifs, doc. 1889, p. 169; première délibération, 3 décembre; deuxième délibération, 17 décembre 1889.

ci-après, a limité le droit des crieurs de journaux sur la voie publique (V. p. 97). — Une autre, du 22 juillet, a réglé la procédure à suivre devant les conseils de préfecture (V. p. 253).

Les Chambres ont adopté, dans les derniers jours de leur session extraordinaire, un projet de loi tendant à proroger jusqu'à 21 ans la limite d'âge pour l'admission à l'École polytechnique (1); la promulgation de cette loi n'a été faite que le 10 janvier 1890.

Un rapport a été déposé devant la Chambre sur les diverses propositions de loi concernant les mines (2); ce rapport n'a pas été díscuté. Notons enfin une proposition sur la responsabilité civile des fonctionnaires (3), et deux propositions sur la réforme du notariat (4).

Paris et département de la Seine. Le projet de loi présenté par le ministère Floquet sur l'augmentation du nombre des membres du conseil général de la Seine a fait l'objet d'un rapport favorable (5).

Un rapport a été également déposé sur deux projets de loi concernant le Mont-de-Piété de Paris : autorisation de faire des avances, sur valeurs mobilières au porteur;

de la vente des gages (6).

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organisation du service de la prisée et

Nous signalerons enfin une loi du 4 avril, concernant l'utilisation agricole des eaux d'égout de Paris et l'assainissement de la Seine (7).

DROIT CONSTITUTIONNEL ET PARLEMENTAIRE.

Nous avons indiqué déjà que la question de revision des lois constitutionnelles avait été portée devant la Chambre le 14 février et qu'elle avait été ajournée à une date indéterminée. Devant la Chambre issue des récentes élections la question s'est posée de nouveau et elle y a subi le même sort (8); on peut même augurer de la composition actuelle des partis qu'elle ne pourra plus se représenter avec quelque chance de succès durant la présente législature.

Nous reproduisons plus loin la loi du 10 avril, fixant la procédure à suivre devant le Sénat pour juger toute personne inculpée d'attentat contre la sûreté de l'Etat (V. p. 106). — Cette loi a été rendue en exécution de l'article 9 de la loi constitutionnelle du 24 février 1875.

Une proposition a été déposée, tendant à faire déclarer l'incompatibi

(1) Sénat séance du 9 déc. 1889. Chambre: séance du 23 déc. 1889. (2) V. Annuaire, 1887, p. 6, note 8. Chambre rapport, doc. 1889, p. 379. (3) Chambre: exposé des motifs, ibid., p. 723.

(4) Chambre exposé des motifs, doc., 1888 (session extraord.), p. 640; doc. 1889, p. 433; rapport sommaire, p. 440. (5) V. Annuaire, 1889, p. 4, note 5. (6) V. Annuaire, 1889, p. 4, note 7. (7) J. Off. du 5 avril 1889.

dinaire), p. 222.

et 25 mars 1889.

V. Annuaire, 1889, p. 4, note 1. Chambre rapport, doc. 1889, p. 67. Chambre rapport, doc. 1889, p. 1198. rapport, doc. 1888 (session extraorChambre rapport, doc. 1889, p. 417; discussion, 12, 16, 19

Sénat

(8) Chambre : lecture de l'exposé des motifs, déclaration d'urgence et discussion immédiate, 19 novembre 1889.

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