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« Quelle est, par rapport à nos forces militaires, la conséquence de la loi telle qu'elle nous est proposée? Cette conséquence est capitale. Vous avez trois dixièmes de l'effectif qui échappent aujourd'hui à l'incorporation et qui, malgré la bonne volonté des ministres, ont constitué à la longue, depuis 1872, une masse considérable de plusieurs centaines de mille hommes qui, actuellement, ne sont pas préparés à la guerre ; ils seront désormais incorporés. Voilà déjà trois dixièmes d'effectifs assujettis à ce minimum d'un an et qui feront partie désormais de l'armée au moment de la guerre. En outre, par l'extension de la durée du service, portée de vingt à vingt-cinq ans, nous avons augmenté le chiffre total des hommes sur lesquels pourra compter le pays au moment du grand effort national; nous l'avons augmenté de deux dixièmes. Deux dixièmes et trois dixièmes font cinq dixièmes. Nous avons par conséquent augmenté la force disponible de la France de 50 pour 100 (1). »

Quant à la dépense occasionnée par l'incorporation de ce supplément de recrues fourni par la nouvelle loi, M. de Freycinet aussi bien que M. le général Ferron ont affirmé que, grâce à certaines économies, ils pourraient appliquer la loi sans augmentation sensible des charges budgétaires. Telles sont les considérations, d'ordres divers, qui ont entraîné le vote de la loi du 15 juillet 1889.

Avant de reproduire le texte de cette loi, il convient d'en faire connaitre et d'en résumer très brièvement les dispositions essentielles. La loi est divisée en huit titres et comprend 94 articles.

Tous les Français doivent également le service militaire pendant 25 ans. Ce service est dû: 3 ans dans l'armée active; 7 ans dans la réserve; 6 ans dans l'armée territoriale; 9 ans dans la réserve de cette armée.

Avant le 15 janvier de chaque année, l'autorité civile dresse la liste des citoyens domiciliés dans la commune ayant atteint l'âge de vingt ans l'année précédente.

Il est procédé au tirage au sort.

Le temps de service compte à partir du 1er novembre de l'année du tirage. L'incorporation doit avoir lieu au plus tard le 16 du même mois. La libération a lieu le 31 octobre de chaque année.

Peuvent être libérés, après une année de service et s'ils en font la demande avant le tirage au sort, les jeunes gens appartenant aux catégories suivantes :

1o L'aîné d'orphelins de père ou de mère, l'aîné d'orphelins de mère, dont le père est déclaré absent ou interdit.

2o Le fils unique, ou l'aîné des fils, ou, à défaut de fils ou de gendre, le petit-fils unique ou l'aîné des petits-fils d'une veuve, ou d'une femme dont le mari est déclaré absent ou interdit, ou d'un père aveugle ou entré dans sa soixante-dixième année.

(1) Sénat, séance du 24 avril 1888.

3o Le fils unique ou l'ainé des fils d'une famille de sept enfants au moins (1).

4° Le plus âgé de deux frères inscrits la même année sur les listes du recrutement cantonal.

5° Celui dont un frère sera présent sous les drapeaux, à quelque titre que ce soit, au moment de l'appel de la classe.

6° Celui dont le frère sera mort en activité de service, aura été admis à la retraite ou réformé pour blessures reçues dans un service ou pour infirmités contractées au service.

Peuvent encore être renvoyés après un an, et s'il en font la demande : 1o Les jeunes gens qui contracteront l'engagement de servir comme professeur, maitre répétiteur ou instituteur dans l'instruction publique, ou dans les institutions de jeunes aveugles et de sourds et muets subventionnées par le ministre de l'intérieur, les novices et les membres des congrégations religieuses vouées à l'enseignement et reconnues d'utilité publique qui prennent l'engagement de servir dix ans dans les écoles françaises d'Orient et d'Afrique subventionnées par le gouvernement français. 2o Les jeunes gens qui ont obtenu ou qui poursuivent leurs études pour obtenir: le diplôme de licencié ès lettres, ès sciences, de docteur en droit, de docteur en médecine, de pharmacien de 1re classe, de vétéri naire; le titre d'interne des hôpitaux nommé au concours dans une ville où il existe une faculté de médecine; - le diplôme de l'école des chartes, de l'école des langues orientales et de l'école d'administration de la marine; le diplôme supérieur de l'école des ponts et chaussées, de l'école supérieure des mines, de l'école du génie maritime (élèves externes de ces trois écoles); - le diplôme supérieur de l'institut national agronomique, de l'école des haras du Pin (élèves externes), des écoles nationales d'agriculture de Grandjouan, Grignon et Montpellier, de l'école des mines de Saint-Étienne, des écoles des maîtres ouvriers mineurs d'Alais et de Douai, des écoles nationales des arts et métiers d'Aix, de Châlons et d'Angers, de l'école des hautes études commerciales et des écoles supérieures de commerce reconnues par l'État; les jeunes gens ayant obtenu soit l'un des prix de Rome, soit un prix ou médaille d'Etat dans les concours annuels de l'école nationale des Beaux-Arts, du conservatoire de musique et de l'école nationale des arts décoratifs.

3o Les jeunes gens exerçant des industries d'art qui sont désignés par uu jury d'État départemental formé d'ouvriers et de patrons (six pour cent du contingent à incorporer pour trois ans).

4o Les jeunes gens admis, à titre d'élèves ecclésiastiques, à continuer leurs études en vue d'exercer le ministère dans l'un des cultes reconnus par l'État.

En cas de mobilisation ces derniers ainsi que les élèves en médecine et en pharmacie sont versés dans le service de santé.

(1) Dans ces trois cas, si le frère aîné est aveugle ou impotent, le puîné jouira de la dispense.

Tous ces jeunes gens sont astreints à une période d'instruction de quatre semaines dans l'année qui précède leur passage dans la réserve.

En outre il peut être accordé des congés à titre de soutien de famille dans une proportion qui ne doit pas dépasser cinq pour cent du contingent.

Sont assujettis à la taxe militaire tous ceux qui par suite d'exemption, d'ajournement, de classement dans les services auxiliaires ou dans la seconde partie du contingent, de dispense ou pour tout autre motif bénéficieront de l'exonération du service dans l'armée active.

Enfin, quoique la nouvelle loi interdise tous autres congés que ceux accordés pour convalescence, le ministre a le droit de renvoyer en congé dans leurs foyers les hommes suffisamment instruits, lorsque les nécessités budgétaires l'y obligent.

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TITRE PREMIER.

DISPOSITIONS GÉNÉRALES.

Art. 1. Tout Français doit le service militaire personnel. Art. 2. L'obligation du service militaire est égale pour tous. Elle a une durée de vingt-cinq années (1).

Le service militaire s'accomplit selon le mode déterminé par la présente loi.

Art. 3. Nul n'est admis dans les troupes françaises s'il n'est Français ou naturalisé Français, sauf les exceptions déterminées par la présente loi.

Art. 4. Sont exclus de l'armée, mais mis, soit pour leur temps de service actif, soit en cas de mobilisation, à la disposition du ministre de la marine et des colonies, qui détermine par arrêtés les services auxquels ils peuvent être affectés (2):

1o Les individus qui ont été condamnés à une peine afflictive et infamante, ou à une peine infamante dans le cas prévu par l'article 177 du code pénal;

2o Ceux qui, ayant été condamnés à une peine correctionnelle de deux ans d'emprisonnement et au-dessus, ont été, en outre, par

(1) Le projet déposé en 1886 fixait à 20 années la durée de l'obligation au service. Le Sénat a porté cette durée à 25 ans. Cette modification avait déjà été proposée par M. Margaine à la Chambre des députés.

(2) Cet article modifie la législation antérieure sur les points suivants :

1o La condamnation qui entraîne l'exclusion de l'armée doit être à la fois afflictive et infamante, sauf l'exception de l'article 177 du code pénal. La loi de 1872 n'exigeait qu'une condamnation afflictive ou infamante.

2o La surveillance de la haute police ayant été remplacée par la relégation, le nouveau texte règle le service des relégués.

application de l'article 42 du code pénal, frappés de l'interdiction de tout ou partie de l'exercice des droits civiques, civils et de famille;

3o Les relégués collectifs.

Les relégués individuels sont incorporés dans les corps de disciplinaires coloniaux. Le ministre de la marine désigne le corps auquel chacun d'eux est affecté en cas de mobilisation.

Art. 5 (1). — Les individus reconnus coupables de crimes et condamnés seulement à l'emprisonnement par application de l'article 463 du code pénal;

Ceux qui ont été condamnés correctionnellement à trois mois de prison au moins, pour outrage public à la pudeur, pour délit de vol, escroquerie, abus de confiance ou attentat aux mœurs prévu par l'article 334 du code pénal;

Ceux qui ont été l'objet de deux condamnations au moins, quelle qu'en soit la durée, pour l'un des délits spécifiés dans le paragraphe précédent;

Sont incorporés dans les bataillons d'infanterie légère d'Afrique. Ceux qui, au moment de l'appel de leur classe, se trouveraient retenus, pour ces mêmes faits, dans un établissement pénitentiaire, seront incorporés dans lesdits bataillons à l'expiration de leur peine, pour y accomplir le temps de service prescrit par la présente loi.

Après un séjour d'une année dans ces bataillons, les hommes désignés au présent article, qui seraient l'objet de rapports favorables de leurs chefs, pourront être envoyés dans d'autres corps par le ministre de la guerre.

Art. 6. Les dispositions des articles 4 et 5 ci-dessus ne sont pas applicables aux individus qui ont été condamnés pour faits politiques ou connexes à des faits politiques.

En cas de contestation, il sera statué par le tribunal civil du lieu du domicile, conformément à l'article 31 ci-après.

Ces individus suivront le sort de la première classe appelée après l'expiration de leur peine.

Art. 7. Nul n'est admis dans une administration de l'État s'il ne justifie avoir satisfait aux obligations imposées par la présente loi (2).

(1) Cette disposition et celle de l'article 6 n'existaient pas dans la législation antérieure.

(3) Répondant à une question de M. Lorois, le rapporteur a précisé les personnes auxquelles s'applique l'article 7.

« Cet article ne pourra s'appliquer qu'à un très petit nombre et je m'en félicite. Il pourra s'appliquer aux insoumis et aux omis. J'ajoute qu'il s'appliquera

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Art. 8. Tout corps organisé, quand il est sous les armes, est soumis aux lois militaires, fait partie de l'armée et relève, soit du ministre de la guerre, soit du ministre de la marine.

Il en est de même des corps de vétérans que le ministre de la guerre est autorisé à créer en temps de guerre, et qui seraient recrutés par voie d'engagements volontaires parmi les hommes ayant accompli la totalité de leur service militaire.

Art. 9. Les militaires et assimilés de tous grades et de toutes armes des armées de terre et de mer ne prennent part à aucun vote quand ils sont présents à leur corps, à leur poste ou dans l'exercice de leurs fonctions. Ceux qui, au moment de l'élection, se trouvent en résidence libre, en non-activité ou en possession d'un congé, peuvent voter dans la commune sur les listes de laquelle ils sont régulièrement inscrits. Cette dernière disposition s'applique également aux officiers et assimilés qui sont en disponibilité ou dans le cadre de réserve.

Chapitre 1er.

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Art. 10. Chaque année, pour la formation de la classe, les tableaux de recensement des jeunes gens ayant atteint l'âge de vingt ans révolus dans l'année précédente et domiciliés dans l'une des communes du canton, sont dressés par les maires :

1° Sur la déclaration à laquelle sont tenus les jeunes gens, leurs parents ou leurs tuteurs;

2o D'office, d'après les registres de l'état civil et tous autres documents et renseignements.

Ces tableaux mentionnent la profession de chacun des jeunes gens inscrits.

Ils sont publiés et affichés dans chaque commune suivant les formes prescrites par les articles 63 et 64 du code civil. La dernière publication doit avoir lieu au plus tard le 15 janvier.

à une catégorie particulière d'insoumis aux insoumis temporaires - aux hommes qui, ayant fait leur service actif et étant rappelés pour une période d'instruction, refuseraient de s'y rendre et se mettraient en état d'insoumission.» (Chambre des députés, séance du 20 juin 1887.)

M. Lorois avait également présenté un amendement tendant à exiger des candidats aux fonctions électives les justifications exigées par l'article 7. Cet amendement fut rejeté (séance du 20 juin 1887).

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