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Art. 67. Le règlement d'administration publique pour l'établissement du tarif des dépens sera rendu dans les six mois qui suivront la promulgation de la présente loi.

Art. 68. Sont abrogées les dispositions de la loi et des règlements contraires à la présente loi.

XXIII

LOI DU 24 JUILLET 1889, SUR LA PROTECTION DES ENFANTS MALTRAITÉS OU MORALEMENT ABANDONNÉS (1).

Notice et notes par M. Léon LALLEMAND, avocat à la Cour d'appel de Paris.

<< Protéger les enfants contre leurs parents indignes, procurer aux administrations publiques, aux associations de bienfaisance et aux personnes charitables le moyen légal de pourvoir efficacement et avec sécurité à l'éducation des enfants qu'elles recueillent, enfin régler la dévolution à l'assistance publique de la puissance paternelle retirée aux parents ou délaissée par eux, tels sont, dit l'exposé des motifs, les objets de la proposition soumise au Parlement. >>

Dans ses lignes générales le projet voté par les Chambres réalise un progrès véritable; on aurait pu cependant, au moyen d'un examen plus attentif, améliorer certains points que nous indiquerons ultérieurement.

§ 1er. HISTORIQUE DE LA QUESTION. Depuis longtemps l'opinion publique était frappée de l'impuissance des pouvoirs publics à réprimer les abus de l'autorité paternelle; d'un autre côté les administrations ou œuvres qui avaient entrepris la tâche d'élever les petits êtres délaissés par leurs parents voyaient leurs efforts entravés par les revendications de ces mêmes parents désireux de ressaisir les enfants au moment où

(1) J. Off. du 25 juillet 1889. Travaux préparatoires. Projet de loi présenté par les ministres de l'intérieur et de la justice (MM. Floquet et Ferrouillat) 22 décembre 1888 (J. Off., annexes de 1888, no 3389, p. 706 et suivantes). - Rapport de M. Gerville-Réache, député, 12 janvier 1889 (J. Off., ann. de 1889, no 3481, p. I). Chambre des députés, 1 ce délib. (sans discussion), 18 mai 1889 (J. Off. du 19). Chambre des députés, 2o délibération (courte discussion), 25 mai 1889 (J. Off. du 26). Dépôt au Sénat 18 juin 1889 (J. Off. du 19). Renvoi du projet

à la commission précédemment saisie, 24 juin 1889 (J. Off. du 25). — Rapport de M. Th. Roussel, sénateur, déclaration d'urgence, lecture du rapport, 10 juillet 1889 (J. Off. du 11). Adoption du projet par le Sénat (sans discussion) 13 juillet 1889 (J. Off. du 14). — Circulaire du ministre de l'intérieur, en date du 16 août 1889. (Bull. du Ministère-1889). Circulaire du ministre de la justice et des cultes, 21 septembre 1889 (J. Off. du 17 octobre 1889, p. 5,137).

ils pouvaient espérer en tirer quelque profit. Aussi dès le 27 janvier 1881 voyons-nous MM. Th. Roussel, Bérenger, Jules Simon et plusieurs autres sénateurs déposer un projet de loi ayant pour but la protection des enfants abandonnés, délaissés ou maltraités (Sénat, session de 1881, no 5). En même temps un arrêté ministériel du 5 décembre 1880 créait une commission extra-parlementaire chargée d'étudier les dispositions susceptibles d'être proposées aux Chambres relativement aux cas de déchéance de la puissance paternelle, ainsi que la situation légale des enfants indigents ou abandonnés. Cette commission se divisa en trois sections et les travaux, sanctionnés en séance plénière, furent réunis en un projet de loi que le gouvernement présenta au Sénat le 8 décembre 1881 (no 87). Dans l'intervalle, la première commission d'initiative parlementaire avait conclu à la prise en considération de la proposition Roussel, Bérenger, Jules Simon (Sénat, session de 1881, 16 juin, annexe no 325), si bien que la commission sénatoriale nommée définitivement était saisie de deux projets concernant les enfants moralement abandonnés et l'extension des cas de déchéance paternelle. Son rôle était tout tracé, mais elle ne sut pas s'y renfermer et adopta une série d'articles ayant pour objet de réglementer le service des enfants assistés proprement dits, régi déjà par diverses lois.

Le premier débat occupa tout ou partie de onze séances (du 1er mai au 12 juin 1883). La discussion continua les 5 et 7 juillet; le 10, le Sénat adoptait, par 165 voix contre 76, un projet subordonnant la bienfaisance privée au pouvoir discrétionnaire des représentants de l'État et composé de tels éléments hétérogènes, ou même contradictoires, que l'honorable M. Bérenger pouvait dire avec vérité : « J'étudie votre loi depuis deux mois et je ne puis parvenir à la comprendre, comment voulez-vous la faire appliquer, en connaissance de cause, par des personnes vouées aux œuvres, par des femmes peu au courant de nos codes?»>

Au cours de la discussion le ministre de l'intérieur d'alors, M. Waldeck-Rousseau, avait critiqué un assez grand nombre d'articles adoptés par le Sénat; néanmoins, le projet voté le 10 juillet, était transmis dès le 27 à la Chambre des députés. M. Gerville-Réache, élu rapporteur, déposa ensuite :

1o Le 26 mai 1884 (no 2.828) un rapport ne comportant que quelques modifications de détail au texte sénatorial.

2° Un second rapport, séance du 29 janvier 1885 (n° 3.481), fusionnant avec ce projet primitif plusieurs dispositions de la proposition Couturier (31 mars 1884) relative à l'abaissement de moitié des degrés de successibilité ab intestat, de manière à fonder une caisse du service des enfants délaissés ou abandonnés. Du moment, en effet, que l'on s'occupait de l'universalité des enfants pauvres, la question prenait une gravité exceptionnelle; on parlait de 13 à 15 millions de dépenses annuelles ! C'était un saut dans l'inconnu.

Le gouvernement le comprit; après avoir consulté le conseil d'État et

le conseil supérieur de l'assistance publique, il soumit aux Chambres, le 22 décembre 1888, le nouveau projet devenu la loi actuelle. Projet restreint, ayant pour but de régler la déchéance ou la suspension de la puissance paternelle, en ajournant « des améliorations qui, toutes salutaires qu'elles soient, ne présentent pas, dit l'exposé des motifs, le même caractère de nécessité et d'urgence (1). »

§ 2. EXAMEN DE LA LOI. La loi sur la protection de l'enfance est divisée en deux titres s'occupant de situations tout à fait différentes et qu'il faut étudier séparément.

TITRE Ier. De la déchéance de la puissance paternelle. La commission extra-parlementaire réunie à la chancellerie en 1881 proposait une simple extension de l'article 335 du code pénal. Le Sénat avait au contraire dépassé de beaucoup la mesure et privé de plano de la puissance paternelle des individus condamnés pour de légers délits. Au Corps législatif ces dispositions trop draconiennes s'étaient déjà trouvées atténuées. Le titre Ier de la loi amendé par le conseil d'Etat donne encore prise à la critique en ne distinguant pas assez entre les enfants nés et ceux à naître. L'article premier est d'ailleurs mal rédigé, car lors de la discussion si rapide du 25 mai 1889, on a parlé de célibataires condamnés et privés ensuite de la puissance paternelle dès, qu'une fois mariés, il leur survient des enfants! Or il ne s'agit ici, à notre avis, que des individus condamnés depuis leur mariage; sans cela il faudrait logiquement interdire le mariage à toute une catégorie de délinquants. Ce serait une nouvelle mort civile. Cette question et plusieurs autres aussi importantes n'ont point été élucidées; la majorité, qui voulait voter cette loi de réforme sociale avant de se séparer, avait intercalé la deuxième délibération au milieu de l'examen du budget et le rapporteur se bornait le plus souvent à répondre aux critiques formulées. « Nous avons discuté tous ces points dans la commission, nous repoussons l'amendement. »>

Les mots«< inconduite notoire et scandaleuse » (art. 2, § 6) sont également bien vagues. Le conseil d'État a d'ailleurs fait disparaître la déchéance partielle. «< Il n'a pas compris, dit M. Courcelle-Seneuil (Off. p. 726, 2o colonne), qu'on pût être père à demi, ou au tiers ou au quart. Pour que la condition de l'enfant soit stable il faut qu'il soit placé sous l'une ou l'autre puissance et que celle du père soit entière ou ne soit pas. » On ne peut qu'approuver cette manière de voir.

La déchéance une fois prononcée, si la mère est prédécédée ou si elle a été déchue, les articles 10 et suivants s'occupent de la constitution de la

(1) Voir aux annexes du projet de loi (Off., annexes 1888, p. 714-725), les très intéressants rapports présentés par M. Brueyre au conseil supérieur de l'Assistance publique et par M. Courcelle-Seneuil au conseil d'État. M. Brueyre, ancien chef de la division des enfants assistés de la Seine, se trouvait tout particulièrement désigné pour les fonctions de rapporteur, car il a été le véritable organisateur du service des enfants moralement abandonnés qui fonctionne à Paris depuis 8 années.

tutelle. Les règles adoptées sont pour la plupart sages et logiques; il n'y a pas lieu de s'y arrêter. Mentionnons seulement à propos de l'article 13 que le Conseil d'État a fait admettre une série de dispositions constituant une tutelle officieuse, distincte de celle prévue par le Code. « On sait, écrit M. Courcelle-Seneuil (J. Off., p. 727, 3e colonne), que jusqu'ici les conditions rigoureuses imposées à la tutelle officieuse ont empêché cette utile institution de se développer. La tutelle officieuse n'est chez nous qu'un préliminaire de l'adoption, traitée elle aussi comme suspecte. Le projet de loi considère la tutelle officieuse à un tout autre point de vue. Il suppose qu'un homme bienfaisant peut désirer dans plusieurs circonstances et par des considérations très légitimes s'attacher à un enfant et lui être utile sans aucune arrière-pensée d'adoption. Quel acte de bienfaisance ou de charité peut être plus conforme au bien public et plus irréprochable que celui de la personne qui élève un enfant pauvre et le met en état de gagner sa vie? Le projet propose de permettre cet acte et de le rendre facile sous le nom ancien et connu de tutelle officieuse. »

On peut espérer que des hommes généreux sauront mettre à profit les facilités qui leur sont ainsi offertes pour faire le bien.

Les articles 15 et 16 s'occupent de la restitution de la puissance paternelle; la disposition finale de l'article 16 décidant « que la demande qui aura été rejetée ne pourra plus être réintroduite si ce n'est par la mère après la dissolution du mariage » paraissait excessive et a été combattue par le rapporteur du conseil supérieur de l'Assistance. Voici les raisons, ayant certainement leur valeur, qui ont motivé la décision du gouvernement et des Chambres (J. Off., annexes de 1888, p. 708, 3° colonne): « Ce n'est pas une raison juridique, dit l'exposé des motifs, qui nous a déterminés à accepter l'avis du conseil d'État, mais uniquement la considéra. tion de l'intérêt du mineur. Il faut penser, en effet, au trouble moral que de semblables procès, leurs préliminaires et leurs suites peuvent causer au pupille; à l'incertitude où l'on jette l'enfant relativement à son avenir, aux désirs et aux craintes que l'on éveille. » Puis, comme le fait observer M. Courcelle-Seneuil, « les demandes de restitution de puissance paternelle seront souvent suspectes parce qu'elles se produiront presque toujours pendant la période où l'enfant commence à rapporter plus qu'il ne coûte... >>

TITRE II. De la protection des mineurs placés avec ou sans l'intervention des parents. Ce titre a pour objet la protection des mineurs dont les administrations d'assistance publique, les associations charitables ou les particuliers ont accepté la charge avec le consentement des parents, ou qu'ils ont recueillis sans l'intervention de ceux-ci. Quel était l'obstacle à surmonter? L'exposé des motifs (J. Off., p. 708, 3e col.) l'indique clairement : « Un père obtient l'admission de son enfant dans un établissement de bienfaisance. L'enfant est trop jeune pour se livrer à un travail productif; il constitue donc une charge. Il grandit; il est pourvu d'une instruction élémentaire; il devient, au sens économique du terme, une valeur. C'est alors qu'il est

réclamé par son père. L'œuvre oppose à ce dernier un engagement qu'il a souscrit. Le père en effet s'est engagé à laisser l'enfant dans l'établissement jusqu'à la majorité, ou à rembourser à l'œuvre le montant des frais d'entretien et d'éducation. L'engagement est, dans la forme, d'une régularité irréprochable. Le père, s'il retire l'enfant, devient débiteur de l'établissement, mais fût-il insolvable, la personne de l'enfant ne saurait être le gage de la créance. L'œuvre gagnerait le procès et perdrait l'enfant; pourquoi plaiderait-elle ? Dans l'état actuel de notre législation, le juge ne peut pas ne pas ordonner la remise de l'enfant au père, si indigne que soit ce père... >>

Le projet voté par le Sénat admettait un contrat de dessaisissement de la puissance paternelle intervenant entre les parents et les établissements ou les particuliers avec approbation du juge de paix et pouvoirs excessifs conférés en réalité à l'autorité administrative. Le conseil d'État s'est montré hostile à cette manière de procéder. Il n'y a plus dans la loi actuelle que le dessaisissement judiciaire. « Une autre garantie donnée et à l'enfant et aux parents et aux gardiens, dit l'exposé des motifs (J. Off., p. 709, 2° col.), c'est l'intervention du pouvoir judiciaire... Nous n'avons pas besoin d'insister sur cette garantie. Nous n'insisterons pas non plus sur sa nécessité, l'état des personnes ne peut être modifié sans une décision des tribunaux. »

Deux hypothèses peuvent se présenter: 1° Les père, mère ou tuteur ont confié les enfants à des associations, à des particuliers; 2o ces enfants ont été recueillis directement sans l'intervention des parents.

Dans le premier cas (art. 17 et 18), « le tribunal peut, à la requête des parties intéressées, agissant conjointement, décider qu'il y a lieu, dans l'intérêt de l'enfant, de déléguer à l'assistance publique les droits de la puissance paternelle et de remettre l'exercice de ces droits à l'établissement ou au particulier gardien de l'enfant ». S'il s'agit au contraire (art. 19) de mineurs de 16 ans recueillis sans l'intervention des père, mère ou tuteur, une déclaration doit être faite, sous peine d'amende, aux autorités compétentes, le préfet est saisi et, si (art. 20) l'enfant n'est pas réclamé dans les trois mois, ceux qui l'ont sauvé de l'abandon peuvent adresser requête au président du tribunal, et obtenir l'exercice de tout ou partie des droits de la puissance paternelle.

Les père, mère et tuteur ont la possibilité (art. 21) de réclamer l'enfant en s'adressant aux tribunaux. La demande rejetée ne peut plus être renouvelée que trois ans après le jour où la décision de rejet est devenue irrévocable. Au sujet de cette dernière disposition M. Courcelle-Seneuil s'exprime ainsi (J. Off., p. 728, 3o col.): « Les procès relatifs à la puissance paternelle et à l'éducation des enfants sont toujours fàcheux, et il est bon qu'ils soient aussi rares que possible. » C'est ce motif qui a entraîné l'adhésion du Parlement.

Ces articles appellent une autre observation; il y est constamment parlé « des associations de bienfaisance régulièrement autorisées à cet effet ». Les textes primitifs parlaient des associations régulièrement

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