Page images
PDF
EPUB

pour le cas d'assurance par un locataire du risque locatif ou du recours du voisin. Dans l'état de la législation antérieure et d'après les principes généraux du droit civil, l'indemnité payée au locataire pour risques locatifs ou recours du voisin, par la compagnie d'assurances à laquelle il était assuré, tombait dans le patrimoine du locataire assuré et devenait le gage de tous ses créanciers, tandis que le propriétaire ou ses ayants cause pouvaient être gravement atteints par le sinistre occa sionné par le locataire assuré. La disposition du paragraphe 2 de l'article 3 avait pour objet de faire attribuer l'indemnité à ceux à qui elle devait logiquement appartenir en vertu du principe général posé dans l'article 2.

Ce nouvel article 3 étant accepté par la commission, la discussion n'a pas été longue. Son adoption n'a été combattue que par M. Oudet qui a rappelé que cet article, ainsi d'ailleurs que l'article 2, introduisait, dans le droit civil des dispositions nouvelles et de droit commun; que, par suite, ces dispositions n'étaient pas à leur place dans une loi spéciale faite exclusivement en vue de faciliter le crédit agricole. Après ces observations, l'article a été adopté.

Quant au nouvel article 4, d'un caractère purement transitoire, il a été également adopté sans débat sérieux et sans autre modification que celle relative au délai dans lequel la notification du transport devrait être faite.

Il restait à discuter une disposition grave, la disposition de l'ancien article 3 relatif à la commercialisation des billets à ordre souscrits par des agriculteurs. C'était, en effet, une question touchant directement au crédit agricole, quel que soit d'ailleurs le sentiment que l'on puisse avoir sur son efficacité ou sur son opportunité..

La discussion a commencé par l'examen d'un amendement proposé par M. Foucher de Careil, accepté par la commission et le gouvernement, et, aux termes duquel l'ancien article 3 du projet de la commission était ainsi modifié et libellé : « Les tribunaux de commerce connaîtront de toutes les actions en payement contre les signataires des billets à ordre énonçant une cause agricole. Toutefois, la souscription d'un billet à ordre énonçant une cause agricole ne peut donner lieu à l'application des dispositions du livre Ill du code de commerce sur les faillites et les banqueroutes et celles de la loi du 12 février 1886 sur le taux de l'intérêt en matière commerciale. »

Le nouveau texte, soutenu aussi par M. le rapporteur Labiche, a été combattu par M. Marcel Barthe qui a proposé un autre amendement à l'ancienne rédaction de l'article 3. M. Trarieux a combattu les deux dispositions et le principe même de l'article en signalant à la fois, le danger et l'inutilité de la commercialisation des billets souscrits par les agriculteurs, et le texte proposé par M. Foucher de Careil, d'accord avec la commission et le gouvernement, a été rejeté au scrutin par 211 voix contre 50. Le Sénat marquait ainsi sa volonté de ne pas entrer dans la voie de la dérogation aux règles ordinaires de la compétence; M. Marcel

Barthe a retiré son amendement et l'ensemble des autres dispositions votées a été adopté par 140 voix contre 103.

Mais ces différents votes avaient singulièrement modifié le caractère de l'ancien projet de la commission, et il était difficile de laisser au projet voté le titre de « loi ayant pour objet de favoriser le crédit agricole». M. le rapporteur Labiche s'est demandé d'abord s'il était bien indispensable de donner un titre à la loi. Finalement la commission a été chargée de choisir ce titre et le projet de loi est devenu la « loi relative à la restriction du privilège du bailleur d'un fonds rural et à l'attribution des indemnités dues par suite d'assurances ». Ce titre a été approuvé par le Sénat dans la séance du 10 mars.

C'était la fin des vicissitudes du projet déposé par le gouvernement le 20 juillet 1882.

Le projet voté par le Sénat fut transmis à la Chambre des députés et rapporté dans la séance du 17 novembre 1888 par M. Manoury député (1). Il a été adopté sans discussion, en première délibération le 26 janvier 1889, et en deuxième délibération le 5 février suivant.

En résumé, il n'est à peu près rien resté du projet primitif de 1882 qui tendait exclusivement à l'organisation de divers moyens de crédit en faveur des cultivateurs. Seul l'article 1er de la loi donne une certaine satisfaction à cette idée première en apportant, à l'exercice du privilège du bailleur d'un fonds rural, d'importantes restrictions.

Le nantissement sans déplacement du gage a disparu le premier du projet, dès 1883, et aucun jurisconsulte ne saurait regretter cette disparition; car il constitue à la fois un piège pour les tiers et un danger pour celui qui emprunte et ne s'aperçoit pas assez de l'aliénation qu'il a faite de ses ressources mobilières,

La commercialisation, au point de vue de la compétence, des billets à ordre souscrits par les agriculteurs a résisté plus longtemps. Tout ce que nous en pouvons dire c'est que le changement grave que l'on proposait d'apporter aux règles ordinaires de la compétence n'était peut-être pas suffisamment justifié par les avantages très problématiques que les cultivateurs auraient pu tirer de l'innovation. Le crédit par la signature de billets à ordre est en effet, et de toute nécessité, un crédit à court terme et c'est de crédit à long terme, à terme souvent incertain, que les cultivaleurs ont besoin. En dehors de la question grave et difficile de l'organisation d'une grande institution de crédit agricole mieux comprise et plus heureuse que celle qui a été tentée en 1866, M. le sénateur Oudet était peut-être le mieux dans la vérité en disant que c'était dans une bonne organisation des sociétés locales d'agriculture et dans la création de syndicats d'agriculteurs sur les bases de la loi du 21 mars 1884 que se trouvait le remède le plus pratique aux souffrances de l'agriculture.

Quant à la restriction du privilège du bailleur, consacrée par la loi nou(1) Chambre des députés: rapport, annexes 1888, p. 457.

velle, il est certain qu'elle donne aux fermiers plus de facilité pour obtenir des tiers un crédit et des avances dont ils ont souvent besoin avec les grandes dépenses qu'exige le développement des moyens de culture. Ce qu'on peut se demander, c'est si cette même restriction ne rendra pas les bailleurs plus exigeants au point de vue de l'exactitude dans le payement des fermages qui leur sont dus. Mais ce dernier inconvénient, s'il en est un, même pour les fermiers, conduits ainsi à s'habituer à l'exécution plus fixe, plus régulière de leurs engagements, est largement compensé par l'élasticité même que doit donner à leur crédit la restriction du privilège. D'ailleurs, cette restriction du privilège du bailleur de fonds rural en cas de déconfiture du fermier est calquée sur la restriction du privilège du propriétaire à l'égard de son locataire commerçant failli, restriction introduite par la loi du 12 février 1872. Or, cette dernière loi n'a produit que de bons effets, et il y a lieu de penser qu'il en sera de même de l'article 1er de la loi du 19 février 1889.

En ce qui touche les articles 2 et 3 de la loi, il faut reconnaître qu'ils n'ont aucun lien avec l'article 1er. Les dispositions assurément justes qu'ils édictent au sujet des indemnités en général, en cas de sinistre par incendie, grêle, etc., sont des dispositions de droit commun, applicables même aux sinistres qui ne sont pas des sinistres agricoles, et il eût mieux valu peut-être les rattacher directement aux dispositions du droit civil sur lesquelles elles réfléchissent.

Ces dispositions ont d'ailleurs un caractère général et elles profitent à tous les créanciers privilégiés et hypothécaires, quelle que soit la nature du privilège ou de l'hypothèque (1).

Art. 1er. Le privilège accordé au bailleur d'un fonds rural par l'article 2102 du code civil ne peut être exercé, même quand le bail a acquis date certaine, que pour les fermages des deux dernières années échues, de l'année courante et d'une année, à partir de l'expiration de l'année courante, ainsi que pour tout ce qui concerne l'exécution du bail et les dommages-intérêts qui pourront lui être accordés par les tribunaux.

La disposition contenue dans le paragraphe précédent ne s'applique pas aux baux ayant acquis date certaine avant la promulgation de la présente loi.

Art. 2. Les indemnités dues par suite d'assurances contre l'incendie, contre la grêle, contre la mortalité des bestiaux ou les autres risques, sont attribuées, sans qu'il y ait besoin de délégation

(1) Sur ces deux articles et sur leur application, V. une étude critique et un commentaire du plus haut intérêt par MM. Darras et Tarbouriech, docteurs en droit: Annales de droit commercial, publiées par M. Thaller, année 1890, p. 48. Au point de vue du droit comparé, V. Annuaire de législation étrangère, 1885. p. 203.

expresse, aux créanciers privilégiés ou hypothécaires suivant leur rang. Néanmoins, les payements faits de bonne foi avant opposition sont valables.

[ocr errors]

Art. 3. Il en est de même des indemnités dues en cas de sinistre par le locataire ou par le voisin, par application des articles 1733 et 1382 du code civil.

En cas d'assurance du risque locatif ou du recours du voisin, l'assuré ou ses ayants droit ne pourront toucher tout ou partie de l'indemnité sans que le propriétaire de l'objet loué, le voisin ou le tiers subrogé à leurs droits, aient été désintéressés des conséquences du sinistre.

Art. 4. Les dispositions de l'article 2 ne préjudicieront pas aux droits des intéressés dans le cas où l'indemnité aurait fait l'objet d'une cession éventuelle à un tiers, par acte ayant date certaine au jour où la présente loi sera exécutoire, à la condition, toutefois, que le transport, s'il n'a pas été notifié antérieurement, en conformité de l'article 1690 du code civil, le soit au plus tard dans le mois qui suivra.

VII

LOI DU 4 MARS 1889, PORTANT MODIFICATION A LA LÉGISLATION
DES FAILLITES (1).

Notice et notes par M. Ch. LYON-CAEN, professeur à la Faculté de droit de Paris et à l'Ecole des sciences politiques.

Le livre III du code de commerce de 1807 (art. 437 à 614), qui est exclusivement consacré aux faillites et banqueroutes, a été l'objet d'une revision complète opérée par la loi du 28 mai 1838. Depuis cette dernière date, la législation qui régit les faillites n'a pas été modifiée dans ses traits essentiels; quelques modifications de détail ont été seulement apportées à plusieurs dispositions du livre III du code de commerce revisé en 1838 (2); en outre, soit en 1848 à la suite de la révolution (3), soit en 1870 à la suite de nos désastres (4), des mesures provisoires ont été prises pour tempérer les rigueurs de la faillite à l'égard des commerçants malheureux et de bonne foi.

(1) J. Off. du 5 mars 1889.

(2) Loi du 17 juillet 1856 sur le concordat par abandon d'actif modifiant l'art. 541, C. com. – Loi du 12 février 1872 sur le privilège du bailleur en cas de faillite modifiant les articles 450 et 550, C. com.

(3) Décret du 28 août 1848.

(4) Décret du 7 septembre 1870; loi du 21 avril 1871.

Cependant, depuis 1870 et plus spécialement depuis 1878, la question de la réforme de la législation des faillites a été vivement agitée dans le public et posée devant le parlement. L'Assemblée nationale avait été saisie de propositions de loi tendant à introduire définitivement dans les lois françaises le concordat amiable qui n'y avait été admis qu'à titre temporaire en 1870 (1). Ces propositions ne furent pas accueillies favorablement par les commissions (2) et ne vinrent pas en discussion en séance publique. La question parut oubliée jusqu'en 1878. A cette époque, un comité composé de commerçants se réunit à Paris pour discuter les modifications à apporter au livre III du code de commerce. Ce comité se livra à une enquête, dressa un questionnaire qui fut envoyé aux chambres de commerce, aux tribunaux de commerce, aux associations syndicales, et parvint à rédiger une proposition (3) que M. Saint-Martin, député de Vaucluse, et un grand nombre de ses collègues déposèrent à la Chambre des députés le 15 juin 1880 (4). Cette proposition refondait tout le livre III du code de commerce. D'ailleurs, dès le 3 avril 1879, la Chambre avait été saisie d'une proposition de loi sur les concordats amiables par MM. Desseau, Dautresme et R. Waddington (5). La législature prit fin avant que la commission spéciale nommée pour examiner ces propositions en eût achevé l'examen. MM. Saint-Martin (Vaucluse) et ses collègues déposérent de nouveau leur proposition de loi à la Chambre des députés le 15 novembre 1881 (6). Sur la demande du gouvernement, la Chambre des députés vota, le 2 mars 1882, une résolution tendant à ce que le conseil d'Etat préparât un projet de loi sur la matière. Ce projet fut présenté à la Chambre le 27 juillet 1882. Il avait été au conseil d'Etat l'objet d'un rapport de M. Courcelle-Seneuil, qui servit d'exposé des motifs. La commission qui l'examina, y fit de notables changements; le rapporteur, M. Alfred Laroze, déposa son rapport le 16 février 1884 (7). Ce projet, après avoir figuré pendant plus d'une année à l'ordre du jour, ne put venir en discussion avant l'expiration de la troisième législature, en 1885. Du reste, dans l'intervalle, le gouvernement avait consulté sur le projet la cour de cassation, les cours d'appel, les tribunaux de commerce, les tribunaux civils, les chambres de commerce et les chambres consultatives des arts et manufactures. Après les élections de 1885, MM. Alfred Laroze, Jametel, Saint-Romme, etc... reprirent en leur nom le projet et le déposèrent, le 25 février 1886 (8), sur le bureau de la Chambre qui

(1) Proposition de loi de M. Ducuing déposée à l'Assemblée nationale le 7 avril 1871.

(2) Rapport de M. Le Royer.

(3) Exposé des travaux du comité par B. Laplacette (Germer Baillière).

(4) J. Off., juillet 1880. Chambre Documents parlementaires, p. 761.

(5) J. Off., mai 1886. Chambre Annexes, p. 4026.

(6) J. Off., déc. 1881. Chambre : Documents parlementaires, p. 181.

(7) No 2632 (3o législature) et J. Off., mars 1884, Chambre, documents parlementaires, p. 228 et suiv.

(8) J. Off., septembre 1886. Chambre Documents parlement, p. 2114 et suiv.

« PreviousContinue »