Page images
PDF
EPUB

vis avec étonnement, dans la rue de l'Arbre-Sec, le nombre des soldats-citoyens qui nous suivaient : c'était une forêt de fusils; armée sortie de terre tout-à-coup comme les soldats de Cadmus.

à

Au perron de l'Hôtel-de-Ville, nous trouvâmes les électeurs en corps: on ne tira pas, on ne put temps y transporter les canons qui étaient à la Bastille, où ils avaient été plus utiles et plus nécessaires; s'ils n'y avaient pas été, à ce moment nous ne serions pas à l'Hôtel-de-Ville. La grande salle où l'on nous conduisit était remplie et des électeurs et de tous les citoyens qu'elle pouvait contenir. On plaça au bureau M. de La Fayette, vice-président de l'Assemblée nationale, M. l'archevêque de Paris, M. le duc de La Rochefoucauld, moi ; et le procès-verbal y ajoute MM. Sieyes et de ClermontTonnerre. Pendant que nous sommes placés, et même encore après, il a été difficile d'arrêter, de suspendre les applaudissemens, et l'expression, trop vive pour n'être pas tumultueuse, de l'allégresse publique. Enfin M. de La Fayette a obtenu de pouvoir parler; il a dit en substance : « Le roi » a été trompé; mais il ne l'est plus; il connaît » .nos malheurs, et il les connaît pour empêcher

qu'ils ne se reproduisent jamais. En venant por» ter de sa part des paroles de paix, j'espère, » Messieurs, lui rapporter aussi la paix dont son >> cœur a besoin. » Il a fait ensuite le récit fidèle des heureux événemens du matin, et il a fait lecture du discours du roi. Cette lecture a renouvelé

les cris de vive le roi! vive la nation! M. deLallyTollendal a demandé la parole: « Messieurs,» a-t-il dit avec cette éloquence sensible et touchante qui le caractérise, «< ce sont vos concitoyens, vos frères >> vos représentans qui viennent vous donner la paix. >> Dans les circonstances désastreuses qui viennent » de se passer, nous n'avions pas cessé de partager >> vos douleurs: mais nous avons aussi partagé >> votre ressentiment; il était juste.

» Si quelque chose nous console au milieu de » l'affliction publique, c'est l'espérance de vous » préserver des malheurs qui vous menacent.

>> On avait séduit votre bon roi; on avait em» poisonné son cœur du venin de la calomnie; on >> lui avait fait redouter cette nation qu'il a l'hon»neur et le bonheur de commander.

>> Nous avons été lui dévoiler la vérité : son » cœur a gémi; il est venu se jeter au milieu de » nous; il s'est fié à nous, c'est-à-dire à vous; il »> nous a demandé des conseils, c'est-à-dire les » vôtres. Nous l'avons porté en triomphe, et il » le méritait. Il nous a dit que les troupes étrangères allaient se retirer; et nous avons eu le plaisir inexprimable de les voir s'éloigner. Le » peuple a fait entendre sa voix pour combler le » roi de bénédictions; toutes les rues retentissent » de cris d'allégresse.

[ocr errors]

>> Il nous reste une prière à vous adresser. Nous » venons vous apporter la paix de la part du roi » et de l'Assemblée nationale. Vous êtes généreux,

>> vous êtes Français; vous aimez vos femmes, vos >> enfans, la patrie: il n'y a plus de mauvais citoyens >> parmi vous; tout est calme, tout est paisible.

;

» Nous avons admiré l'ordre de votre police, » de vos distributions, le plan de votre défense >> mais maintenant la paix doit renaître parmi nous; » et je finis en vous adressant, au nom de l'As>> semblée nationale, les paroles de confiance que >> le souverain a déposées dans le sein de cette As» semblée : Je me fie à vous; c'est là notre vœu ; >> il exprime tout ce que nous sentons. >>

[ocr errors]

Cette éloquence douce, simple et insinuante l'accent sensible et flatteur de M. de Tollendal, excitèrent un vif enthousiasme. Il a été pressé de toutes parts; une couronne lui a été adressée, elle a été posée sur sa tête; et, malgré sa résistance, il a été plutôt porté que conduit à la fenêtre; on l'a présenté et montré à la multitude qui couvrait la place de l'Hôtel-de-Ville.

On a remarqué que le nom de Lally avait reçu ces honneurs au même lieu témoin, plusieurs années auparavant, d'une scène bien différente (1).

M. Moreau de Saint-Merry, second président des électeurs, a dit : « Les fastes d'une monarchie qui

(1) Le comte de Lally, condamné à mort par le parlement de Paris, comme coupable d'avoir trahi dans l'Inde les intérêts du roi, et depuis réhabilité, grâce aux éloquentes réclamations de son fils, M. de Lally-Tollendal, avait subi son jugement sur la place de l'Hôtel-de-Ville, le 6 mai 1766.

(Note des nouv. édit.)

» a déjà duré depuis plus de treize siècles, n'of>> frent point encore un jour aussi solennel que >> celui où les augustes représentans de la nation » viennent lui annoncer, au nom du meilleur des » rois, qu'il lui est permis d'être libre, de cette >> liberté qui élève l'homme à la hauteur de sa des>> tinée.

>> que,

» Dites, Messieurs, à ce roi, qui acquiert au»jourd'hui le titre immortel de père de ses sujets, dans la nécessité de résister à des ordres désastreux, nous n'avons jamais douté que son >> cœur ne les désavouât. Dites-lui que nous sommes » prêts à embrasser ses genoux; dites-lui enfin >> que le premier roi du monde est celui qui a la gloire de commander à des Français. »

Embrasser les genoux, était une figure de rhétorique; cet usage était solennellement proscrit depuis l'ouverture des états-généraux, qui fut celle de la liberté.

M. de Liancourt a pris la parole pour annoncer que le roi confirmait et autorisait la milice bourgeoise; en parlant des gardes-françaises, le mot pardon lui est échappé. Militaire, il ne pensait qu'à la discipline, qui met dans le cas du pardon ceux qui s'en écartent; il oubliait que la défense des citoyens et l'explosion de la liberté ne méritent que des éloges. Un murmure s'éleva. Plusieurs gardes-françaises s'avancèrent au bureau, et l'un d'eux dit avec chaleur : « Qu'ils ne voulaient point de pardon; qu'ils n'en avaient pas besoin;

[ocr errors]

qu'en servant la nation, ils avaient entendu ser» vir le roi, et que ses intentions, aujourd'hui » manifestées, prouvaient assez à toute la France >> qu'eux seuls peut-être avaient été véritablement » fidèles au roi et à la patrie. »>

Ce mot lâché aurait pu être suivi de quelque scène fâcheuse. M. de Clermont-Tonnerre parla avec son éloquence noble, toujours accompagnée et de la mesure et de l'expression précise. Il loua la conduite des gardes-françaises, et il eut l'adresse de les satisfaire, de tout réparer, en ne s'écartant point de la vérité, et en ne disant que ce qu'il convenait de dire.

M. l'archevêque de Paris, ministre de paix autant par caractère que par état, a exhorté tous les habitans de Paris à la paix, et il a proposé que l'assemblée se rendit à la cathédrale pour y chanter le Te Deum. Cette proposition a été unanimement acceptée. M. Moreau de Saint-Merry en a fait une autre, qui a été également accueillie; c'est celle de prononcer la grâce des soldats qui avaient été prisen défendant la Bastille contre les citoyens.

Je vais transcrire le procès-verbal des électeurs sur les faits qui suivent.

<< Au moment où MM. les députés à l'Assem>> blée nationale se préparaient à sortir, toutes les >> voix se sont réunies pour proclamer M. le mar>>> quis de La Fayette commandant-général de la » milice parisienne.

« PreviousContinue »