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et préparer auparavant ce que je devais dire au roi, en le recevant aux portes de Paris. J'étais triste de quitter Versailles; j'y avais été heureux dans une Assemblée qui avait un excellent esprit, et qui était digne des grandes opérations auxquelles elle était appelée. J'avais vu faire de grandes choses, j'y avais eu quelque part. Je laissais tous ces souvenirs : ce jour, mon bonheur a fini. Si j'ai eu des jours brillans, des momens de satisfaction, je n'ai pas été heureux depuis.

J'avais envoyé chercher une voiture. On me fit attendre pour partir ; je n'en concevais pas la raison. Quand je sortis, je trouvai les cochers des voitures de la cour, qui m'offrirent un arbre chargé de fleurs et de rubans. Je regrettais Versailles, et on m'y regrettait. Je fus obligé de souffrir que cet arbre fût attaché sur le devant du carrosse ; tous les cochers m'accompagnèrent, en tirant des pétards, quoique ce fût en plein jour, et cela jusqu'au bout de l'avenue; il n'y eut pas moyen de s'en défendre. Enfin je les quittai au bout de l'avenue, fort sensible à leur fête amicale, et fort satisfait de pouvoir suivre librement ma marche, qui en avait été un peu retardée. J'ai été beaucoup loué dans les journaux de cette simplicité du chef de la capitale, qui arrive à Paris dans une de ces voitures appelées vulgairement pots-de-chambre. Depuis, les libellistes ont censuré mon faste. Quant à moi, j'ai pensé que le premier officier de la plus grande ville du monde, devait être simple dans

ses mœurs et dans sa personne, comme magistrat du peuple, et en même temps grand dans ce qui l'entourait, comme représentant d'une ville considérable, et dépositaire de sa dignité.

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J'avais demandé un carrosse de remise que je trouvai à la place Louis XV, où je laissai madame Bailly, et qui me conduisit à l'Hôtel-de-Ville, où j'arrivai à dix heures. J'y trouvai tout le monde occupé des préparatifs pour la réception du roi. Les échevins ont demandé d'être séparés des électeurs et de paraître avec les robes municipales qui étaient de velours. Rien n'était plus ridicule que cette prétention. On leur a répondu «<< Si vous voulez vous distinguer des électeurs qui ont sauvé Paris, vous êtes bien les maîtres. » On prétend qu'il a été demandé aussi si les échevins parleraient à genoux; il leur a été répondu il leur a été répondu « qu'ils étaient encore bien les maitres de perpétuer cet avilissement; mais qu'alors les électeurs demanderaient à leur tour d'être séparés des échevins. » Au reste, je dois dire que la première demande m'a été adressée comme au chef de la municipalité, et que je n'ai eu nulle connaissance de la seconde. Ils n'étaient point les maîtres de perpétuer cet usage. C'était à moi à porter la parole, et nulle puissance ne m'aurait fait parler autrement que debout. J'avais gagné ce procès à Versailles et pour toute la nation; je ne serais pas certainement venu le perdre à Paris et pour mes concitoyens.

Nous sommes partis pour aller au-devant du

roi, vingt-cinq électeurs choisis, vingt-cinq membres du corps municipal, la compagnie entière des gardes de la ville; et je marchais à la tête, précédé de leur colonel et de MM. Buffault et Vergue, échevins, portant alternativement les clefs de la ville, dans un bassin de vermeil. En marchant, je fis quelques questions sur le cérémonial de ces clefs; je demandai ce que le roi en ferait quand je les lui aurais remises. « Il vous les rendra. Et moi? Vous les garderez.

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Croyez-vous que je porterai ces clefs, grosses et lourdes tout le long de la marche ? je les jetterai au premier coin. Gardez-vous-en bien; ces clefs sont précieuses: ce sont celles qui ont été présentées à Henri IV.» Cela me donna sur-le-champ l'idée des premières lignes de mon discours, que j'y ajoutai à la hâte et au crayon.

Ordinairement l'ancienne ville recevait le roi à la place de Louis XV, parce que les bornes en étaient là, à la porte nommée de la Conférence, et depuis long-temps abattue. Nous poussâmes. plus loin, et nous allâmes jusqu'à Chaillot et visà-vis la pompe à feu. Nous rencontrâmes environ trois cents députés qui se rendaient à Paris pour composer le cortége du roi. J'ai dit que Paris ne se souciait pas que je demandasse la confirmation du roi. M. de Clermont-Tonnerre avait proposé la veille à l'Assemblée de la faire demander par sa députation au roi. Il n'y avait eu rien de décidé sur cette proposition. Moi, ma marche

était de me tenir tranquille et en réserve : la place était neuve il n'y avait point de formes établies, ce n'était pas à moi à les régler ou à les provoquer. Mon rôle était d'attendre. On s'en était occupé vraisemblablement à la cour; car le prince de Poix, en arrivant, me prévint que le roi me dirait quelque chose à cet égard. Le roi arriva. Je lui présentai les clefs, et je lui dis:

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«< SIRE,

J'apporte à Votre Majesté les clefs de sa >> bonne ville de Paris: ce sont les mêmes qui ont » été présentées à Henri IV; il avait reconquis >> son peuple, ici le peuple a reconquis son roi (1).

» Votre Majesté vient jouir de la paix qu'elle a

(1) On a voulu trouver dans ces paroles une insulte au monarque. La suite entière du discours dément assez cette interprétation que l'esprit de parti a seul pu faire adopter. Voyez d'ailleurs les réflexions de Bailly lui-même. Elles eussent suffi, sans doute, pour nous dispenser de cette observation; mais un nouvel historien de l'Assemblée constituante, déjà cité dans ces notes, ayant renouvelé à ce sujet les accusations adressées au discours de Bailly, nous avons cru devoir insister à cet égard. Cet historien prétend que «< Bailly ne respecta point assez la situation de l'infortuné monarque, qu'il fut séduit par l'éclat d'une antithèse, que son cœur ne sentit pas qu'elle renfermait un outrage pour le malheur, la vertu et le trône. » Le lecteur, qui dans le cours de ces Mémoires a pu juger le cœur du maire de Paris, sa probité politique et sa sensibilité pour les ve: tus royales, est en état de décider si Bailly était capable d'outrager volontairement le roi, et s'il ne possédait pas le sentiment de ce qui était dû à l'infortune et à la vertu de Louis XVI.

(Note des nouv. édit.)

et

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>> rétablie dans la capitale; elle vient jouir de >> l'amour de ses fidèles sujets. C'est pour leur » bonheur que Votre Majesté a rassemblé près » d'elle les représentans de la nation, et qu'elle » va s'occuper avec eux de poser les bases de la » liberté et de la prospérité publique. Quel jour » mémorable que celui où Votre Majesté est venue siéger en père au milieu de cette famille réunie! » où elle a été reconduite à son palais par l'Assem>> blée nationale entière! Gardée par les représen >> tans de la nation, pressée par un peuple immense, >> elle portait dans ses traits augustes l'expression » de la sensibilité et du bonheur; tandis qu'au>> tour d'elle on n'entendait que des acclamations » de joie, on ne voyait que des larmes d'atten>> drissement et d'amour. Sire, ni votre peuple, >>> ni Votre Majesté n'oublieront jamais ce grand

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jour; c'est le plus beau de la monarchie; c'est >> l'époque d'une alliance éternelle entre le mo»narque et le peuple. Ce trait est unique dans » l'histoire ; il immortalise Votre Majesté. J'ai vu >> ce beau jour; et comme si tous les bonheurs >> étaient faits pour moi, la première fonction de la >> place où m'a conduit le vœu de mes concitoyens, >> est de vous porter l'expression de leur respect » et de leur amour. »

Je parlais de l'abondance du cœur ; j'ai toujours aimé personnellement le roi, mais avec la mesure de dévouement convenable aux circonstances et à la raison, c'est-à-dire après ma patrie, et après

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