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si l'Etat frappait une propagande qui tomberait dans la diffamation et l'outrage des personnes, ou bien s'il interdisait des associations organisant, sous le prétexte de célébration du culte, une société politique. Ce ne serait pas une tentative religieuse qui serait frappée, ce serait purement et simplement une infraction à la loi, qui ne serait pas devenue innocente pour avoir pris une teinte de dévotion. Mais il en est autrement si ce qui est interdit ou du moins ce qui est soumis à une prévention pouvant toujours aboutir à l'interdiction, c'est la propagande religieuse elle-même par quelque voic qu'elle se poursuive. Si son extension ou son développement n'est possible qu'avec l'autorisation de l'Etat, la liberté religieuse n'existe pas réellement, la religion est placée sous le régine de la prévention, c'est-à-dire de l'arbitraire. Or telle est la situation qui lui est faite dans la législation actuelle. On ne saurait reprocher à celle-ci de manquer de logique; n'accordant pas la liberté aux divers cultes dans l'enceinte du temple, elle ne la leur offre pas au dehors, et l'on ne retrouve

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pas ici cette bienheureuse inconséquence qui dans un autre domaine cherche à compenser l'absence de la liberté à l'intérieur par sa diffusion à l'extérieur. Examinons cette législation qu'il serait injuste d'imputer à un seul régime, car elle a pour elle une longue jurisprudence qui n'est que trop respectable par l'àge. Nous verrons ensuite ce qui l'aggrave dans nos circonstances actuelles.

Pour ce qui concerne le droit de publication et de dissémination des croyances religieuses par des écrits, nous serons très-brefs, car les publications religieuses sont régies aujourd'hui par nos lois actuelles sur la presse. C'est tout dire en peu de mots. Nous nous bornons à rappeler par pure curiosité archéologique que la loi du 17 mai 1819 comme la loi du 26 mars 1822 laissaient une latitude regrettable à la répression des controverses religieuses, car comme ces lois ne définissaient pas nettement ce que le législateur entendait par l'outrage et la dérision des diverses religions reconnues, un tour ironique, une vivacité de polémique auraient pu facilement être qualifiés

d'outrage et de dérision. Il aurait été dangereux d'écrire les Provinciales sous un tel régime légal, et le cas échéant toute controverse pouvait être entravée. Portalis n'avait-il pas donné une pleine approbation aux anciennes ordonnances des rois de France qui interdisaient jusque dans la chaire les paroles tendantes à émotion ? L'article 52 des articles organiques portait que les prédicateurs ne devaient se permettre dans leurs instructions aucune inculpation directe ou indirecte contre les autres cultes autorisés par l'Etat.

Quant à la dissémination des écrits religieux, elle a toujours dépendu des lois sur le colportage. Aucune publication ne peut circuler sans l'estampille administrative toujours révocable, et l'on sait depuis l'arrêt de la Cour de cassation dans l'affaire Bessner, que le prêt à un ami d'un seul exemplaire d'un livre religieux s'appelle distribution et tombe sous le coup de la loi.

Si nous en venons aux associations religieuses, et si nous nous attachons d'abord à celles qui peuvent se former au sein des cultes reconnus, l'article

du concordat qui les concerne nous a appris d'avance qu'elles n'existeront qu'avec l'agrément de l'Etat. << N'est-il pas contre l'ordre public, disait le comte Portalis au conseil d'Etat, qu'il puisse se former dans l'Etat des associations sans l'autorité de l'Etat? Pourquoi, ajoutait-il, introduire de nouveaux ordres religieux ou faire revivre ceux qu'on avait cru nécessaire de détruire? Les évêques et les prêtres sont établis de Dieu pour instruire les peuples. Les ordres religieux ne sont point de la hiérarchie; ce ne sont que des institutions étrangères au gouvernement fondamental de l'Eglise. Je ne dissimulerai pas que de pareilles institutions ont pu être utiles selon les temps et les circonstances; mais aujourd'hui le grand intérêt de la religion est de protéger les pasteurs destinés à porter le poids du jour et de la chaleur, au lieu de laisser établir à côté d'eux et sur leur tête des hommes qui puissent les opprimer... » Touchante sollicitude! Protection tendre et éclairée qui délivre l'Eglise des auxiliaires qu'elle désire, et soulage le clergé des appuis qu'il réclame pour porter avec lui le poids du jour! Le décret

rendu à la suite de ce discours le 3 messidor an XII, porte qu'aucune agrégation ou association d'hommes ou de femmes ne pourra se former à l'avenir sous prétexte de religion, à moins qu'elle n'ait été formellement autorisée par un décret impérial. Si ce décret eût concerné des corporations religieuses, proprement dites, placées à ce titre dans une position exceptionnelle dans l'Etat, et obtenant de lui certains priviléges, comme le droit de posséder collectivement, il nous semblerait juste et raisonnable et ne blesser en rien la liberté, mais il n'en est plus de même une fois qu'il désigne toutes les associations religieuses, aussi bien celles qui ne sont pas des corporations que les autres (1). il livre ainsi à l'Etat l'une des manifestations les plus naturelles du sentiment religieux et lui contère le droit énorme de n'admettre dans le pays que le clergé séculier. Les associations de pure charité tombent également sous sa dépendance, et l'on a

(1) Voir un excellent chapitre dans le livre de M. Nachet, sur cette distinction entre les corporations et les associations. De la liberté religieuse en France. Deuxième partie, c. 2.

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