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Ils vous feront enfin haïr la vérité....

(Septième interruption.)

Vous peindront la vertu sous une affreuse image;
Hélas! ils ont des rois égaré le plus sage.

(Explosion générale de battemens de mains dans toute la salle.)

Ces rapports étaient de nature à éclairer la cour; mais il est certain que de Crosne aurait pu lui rendre de plus importans services, en lui signalant la cause et les auteurs de ces agitations secrètes qui amenèrent les premiers événemens de la révolution. Voici un des nombreux actes de la complaisance de de Crosne envers le baron de Breteuil.

Entouré de ministres et de courtisans intéressés à cacher la vérité, Louis XVI, en 1787, crut enfin s'apercevoir qu'on le trompait. Ce prince pensa qu'il parviendrait à connaître l'opinion publique en lisant les nombreux pamphlets politiques que la circonstance faisait naître, et il chargea secrètement le libraire Blaizot de remettre chaque jour ce qui paraîtrait, en un lieu indiqué. Depuis deux mois le roi pouvait juger à quel point ses ministres l'abusaient, et ceux-ci, trouvant le monarque mieux instruit qu'ils ne le désiraient, prirent l'alarme, et mirent leurs espions en campagne pour savoir d'où partait la lumière. Blaizot fut bientôt connu pour le coupable qui se permettait d'éclairer le monarque sans l'aveu des ministres ; et M. de Breteuil ne trouva rien de mieux que de le faire mettre à la Bas

tille, sous prétexte qu'il se livrait à un commerce de livres prohibés.

Louis XVI, ne trouvant plus de brochures au lieu où le libraire avait habitude d'en déposer, s'informa du motif qui l'empêchait de faire ses dépôts quotidiens. Quel fut son étonnement quand il apprit que, par son ordre, Blaizot gémissait dans les cachots de la Bastille!

Blaizot fut bientôt libre; mais les fauteurs de cet emprisonnement arbitraire restèrent impunis.

Bailly ayant été nommé maire de Paris le 16 juillet 1789, de Crosne lui remit son administration de la police, et quelque temps après, à la prière de sa mère, s'éloigna de la capitale et partit pour Londres, d'où il ne tarda pas à revenir.

Lors des excès révolutionnaires de 1793, l'ancien lieutenant de police fut emprisonné dans la maison de Picpus, où il se trouva avec Angran-d'Alleray (1), son oncle, et madame Thiroux d'Arconville, sa mère (2).

Traduit au tribunal révolutionnaire, et condamné à mort le 28 avril 1794, il fut exécuté le même jour.

(1) Guillotiné le 28 avril 1794, à l'âge de soixante dix-neuf ans. Madame Angran-d'Alleray, sa femme, sœur de madame Thiroux-d'Arconville, fut gardée dans sa propre maison pendant tout le temps de la terreur.

(2) Madame Thiroux d'Arconville mourut le 23 décembre 1805, âgée de quatre-vingt-cinq ans.

« On le conduisit à l'échafaud en même temps que le lieutenant civil Angran-d'Alleray, le ministre de la guerre la Tour-du-Pin, le comte d'Estaing, etc. Dans ce moment même, il eut pour madame la marquise de Donnissan, qui était restée sa créancière par suite de leurs rapports d'amitié, le procédé le plus délicat, et sans que cette dame en eût alors connaissance. Huit ans après sa mort, le conseil municipal de Rouen ordonna que le nom de Crosne, effacé pendant la révolution, serait restitué à la rue qui le portait précédemment..... Ayant acquis de bonne heure ce que l'on appelle de l'instruction, il entendait très-bien tous les auteurs anciens; mais des manières, des tics, et souvent des questions qui paraissaient niaises à l'excès, dans sa bouche, prêtaient chez lui au ridicule. Dans sa jeunesse, il avait été cependant fort goûté de la société du duc de Choiseul; il était resté ami intime de la duchesse de Ci-' vrac, de sa fille, la marquise de Donnissan, et de madame de Lescure, aujourd'hui marquise de la Roche-Jacquelein (1). »

Je reviens sur la vie de de Crosne, afin de faire voir sous quelles influences ce magistrat dirigeait la police, et comment il l'administrait.

C'est le 9 décembre 1785 que le maréchal de Richelieu écrit à de Crosne, par la main de sa femme :

Deux gardes de la connétablie, monsieur, m'ont amené à Versailles, un quidam qui, dans un café, a

(1) H. de La Porte.

tenu des propos indécens contre certains grands du royaume, et notamment contre moi, je vous prie très-instamment de voir à cette affaire, et écouter ce que les gardes vous diront à cet égard.

» Je suis parfaitement, etc.

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Avec le post-scriptum suivant, de la main débile du maréchal, duquel post-scriptum je conserve l'orthographe et la rédaction : « Je ne vous demande rien, n'étant pas assez au fait de toute cette affaire qui regarde cette homme, que je cognois point et ne désire que la justice, qui ne peut mieux être rendue que par vous, monsieur, et je suis très-fâché de n'avoir pas le temps de vous en dire davantage. »

Et le bon lieutenant-général de police de s'occuper de cette homme avec la dignité d'un juge sévère qui a la religion et le trône à venger!

C'est Calonne qui, en l'instruisant, en 1786, qu'un nommé Hilliard a fait imprimer, sous le nom de d'Auberteuil, un ouvrage sur les colonies, ouvrage qui déplaît au maréchal de Castres, et en lui annonçant que l'agent de change Brunot en est le distributeur, le prie de faire saisir le libelle et arrêter les deux fauteurs du trouble qu'il cause.

Et de Crosne d'expédier des ordres!

C'est le comte de Vergennes qui l'invite, le 24 janvier 1786, à faire enfermer à perpétuité le nommé Jean-Claude Fini. Qu'avait fait ce malheureux, dont le dessein était d'aller un jour former un empire de

Circassie et le gouverner? Il avait soustrait à la re-cherche de l'inspecteur Morande onze manuscrits qui pouvaient intéresser le gouvernement.

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Et le soumis de Crosne d'obéir et d'envoyer Fini à Bicêtre.

C'est le marquis de Ximenès qui, le 25 avril de la même année, lui adresse cette prière : « .............J'ai lieu de croire que le Journal de Paris prépare une critique amère de mon épître à M. de Rivarol, et publiée avec votre approbation et celle de M. le garde-des-sceaux. Cette critique est encore chez l'imprimeur Quillau; et je vous serais très-obligé d'ordonner qu'elle ne soit pas publiée......

Et l'obligeant de Crosne de satisfaire au désir du marquis-poète!

C'est le maréchal de Ségur qui se plaint, le 23 décembre 1786, que le Journal de Paris ait fait l'éloge du gouverneur des invalides Guibert, et qui demande que cette feuille n'imprime rien, concernant le militaire, sans son approbation.

Et le complaisant de Crosne de gourmander le rédacteur Suard, qui s'humilie et promet!

C'est, le 18 mars 1787, le baron de Breteuil qui lui expédie quatre ordres :

1° Pour faire arrêter et conduire au château de Ham le comte de Mirabeau;

2o Pour exiler à Montargis le sieur abbé Sahuguet d'Espagnac ;

3° Pour enjoindre au sieur Barroud de se retirer à Lyon sous vingt-quatre heures, avec défense d'en

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