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lége, excepté quelques cardinaux, qui s'abstinrent de paraître, et qui furent éloignés: tous les corps de l'état, toutes les dignités civiles et militaires, et enfin tout ce que la cour de France et les cours étrangères pouvaient, indépendamment de la capitale, offrir de plus distingué. Jamais plus de luxe ne fut déployé qu'à cette fête, à laquelle il ne manqua que d'être nationale. Le souvenir fatal des fêtes du mariage de l'archiduchesse Marie-Antoinette, le souvenir plus fatal encore, de sa fin déplorable, étaient présens à toutes les générations. Le premier fut cruellement renouvelé trois mois après, le 1er juillet, par l'incendie qui embrasa tout-à-coup la maison où le prince de Schwarzenberg, ambassadeur d'Autriche, donnait un bal à la fille de son souverain. Les vieillards prédirent une issue funeste à cette nouvelle alliance avec la maison d'Autriche, et leur prophétie s'est accomplie. Cette alliance fut contractée dans les remparts de Vienne, détruits par Napoléon; elle sera dissoute à jamais, quatre ans plus tard, dans les murs de Paris, envahis par François II.

Napoléon, épris de sa nouvelle épouse, vent la montrer dans la capitale des états conquis sur la maison d'Autriche. Le 27 avril il part avec elle pour Bruxelles, et le 30 il arrive au château impérial de Lacken. Quelques jours sont donnés à ce voyage en Belgique, dont les habitans saluent avec ivresse la fille de leur ancien souverain, et l'épouse de celui qui les a élevés à toutes les prospérités de la France. Après un sé

T. XIV.

jour à Bruxelles, le retour des augustes voyageurs à Paris, a lieu par Dunkerque, Lille, le Havre et Rouen. Partout le cri de la paix se mêle aux bénédictions des peuples. Ce von de la patrie ne sera pas entendu. L'Angleterre manquait aux fêtes de la capitale : Napoléon ne l'oublie pas, en parcourant les côtes septentrionales de son empire, et le système continental va recevoir de sa politique une nouvelle puissance. Dès le 6 janvier, la Suède avait dû y accéder, et la restitution de la Poméranie l'avait récompensée de sa soumission. Désormais les traités n'auront plus d'autre base, les ruptures d'autres motifs, les alliances d'autre lien. L'année 1810 présente le système continental comme une guerre à outrance faite à la commerçante Angleterre ; c'est aussi la seule que la France puisse entreprendre contre les Anglais avec ses infidèles alliés du continent, pour lesquels son amitié, sous ce rapport, doit être une tyrannie véritable, mais nécessaire. Cette terrible raison d'état plane sur l'Europe entière, à qui elle est imposée comme une loi, et aucune considération ne pourra y soustraire; celui qui l'impose, seul pourra la violer, et le trafic honteux des licences ne sera que le monopole du dominateur. La Hollande, terre commerciale, où règne depuis quatre ans Louis Bonaparte, attire les regards inquiets de Napoléon; le 24 janvier, ses ports sont déclarés suspects, et le 16 mars, il se fait céder, , par son frère, le Brabant hollandais, la Zélande, et une partie de la Gueldre, qui prennent

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le nom de départemens des Bouches-du-Rhin et des Bouches-del'Escaut. Une armée de 18,000 hommes, dont 12,000 mille Français, doit soutenir en Hollande, la guerre du système contre l'Angleterre. A l'arrivée de ces forces, le roi Louis, qui seul en Europe ne croit apparemment pas qu'il n'est roi que par la grâce de son frère, après avoir opposé une résistance toute patriotique à la violence faite au commerce de ses états, abdique le 1er juillet en faveur de son fils. Il apprend alors quelle était la condition de sa couronne: son abdication elle-même est rejetée, et l'incorporation de son royaume à la France est décrétée. La Hollande a le sort de ses ancieunes rivales, des républiques de Venise et de Gênes, réduites comme elle à l'état de provinces.

Nous avons dit, et avec raison, que Napoléon ne pouvait faire d'autre guerre que celle de son système continental à cette Angleterre, qui envahissait toutes ses colonies, qui devait, à la fin de la même année, s'emparer de l'Islede-France, et qui s'était si tyranniquement adjugé l'odieux droit de visite sur tous les vaisseaux de l'Europe. Dans cette position, où tout était extrême entre les deux colosses qui se partageaient le monde, tout devenait légitime, même l'usurpation d'un état de famille, dont les intérêts naturels étaient ceux de l'ennemi mortel du grand empire. Napoléon, pénétré qu'il était de la puissance de son système continental, s'était trompé en donnant la Hollande à son irère, le 5 juin1806. Il eût mieux fait

d'agréger alors à son empire cette ancienne succursale du commerce anglais il se fût épargné la création d'un trône inutile, nuisible peut-être, et la destruction de son propre ouvrage. La première mesure eût été toute politique; la seconde fut odieuse, parce qu'elle détruisit l'indépendance d'un peuple. Tant que ce peuple ne fut que conquis, sa réunion à la France pouvait être un bienfait pour lui, parce qu'elle le faisait sortir de l'état violent de l'occupation; mais une fois rendu à lui-même, et reconstitué en corps politique, l'incorporation du peuple batave au peuple français, était un coup d'état dans toute l'acception de ce mot. Napoléon ne le jugea pas autrement; il voulut enlever à l'Angleterre un allié ancien et un ami secret. Il commençait d'ailleurs à se désintéresser des royautés de ses frères, qui avaient eu une place trop marquée dans le système de sa grandeur personnelle, mais qui n'en avaient conservé aucune dans celui de sa, politique. La même nécessité émanant du même principe, se présenta à la fin de cette année, où après avoir, par décret du 17 août, ordonné le brûlement de toutes les marchandises anglaises en France, et dans tous les états de la confédération, où, après avoir donné aux douanes des cours prévotales, sans recours en cassation, il réunit, par le sénatus-consulte du 13 décembre, les villes anséatiques et les rivages de la Baltique à l'empire français. La France compta alors 30 départemens maritimes, et l'Angleterre n'avait plus d'asile en Europe que le Portugal, où se

battait contre elle une armée française. Tel fut le résultat du système continental pendant l'année 1810. Cet état était violent pour l'Europe, mais il était mortel pour l'Angleterre, et l'impossibilité de le supporter plus long-temps, forma, deux ans après, la ligue du Nord, qui termina d'une manière si tragique ce long duel entre Napoléon et la Grande-Bretagne.

tions héroïques, qui ne cessa d'illustrer les deux armées. Cependant, tandis que le continent espagnol de l'Europe se débattait contre l'invasion tyrannique des Français, le 19 avril, le continent espagnol de l'Amérique, déjà trop vieux pour n'être plus que la province d'une métropole d'outre-mer, jetait les bases de son indépendance future, en formant le gouvernement fédératit de Vénézuela. Exemple dont la séduction puissante, inspirée par la prospérité toujours croissante des États-Unis, doit gagner insensiblement les royaumes américains de l'Espagne et du Portugal! Cette immense révolution, qui donne une nouvelle face au monde politique, est une des plus grandes époques du règne de Napoléon; elle aura tous les périls qui font triompher les nations éprises de leur indépendance. La gloire des armes sanctionnera,dansune guerre opiniâtre de plusieurs années, le serment d'être libre, juré par le peuple américain, contre ce même peuple espagnol, à qui il doit le grand exemple de son courage et de sa vertu. Les triomphes des Français se succèdent dans la péninsule; le 8 juin, la forte ville de Méquinenza, au confluent de l'Ebre et du Sègre, se rend au maréchal Suchet. Le 10 juillet, après 25 jours de tranchée ouverte, le maréchal Ney entre dans Ciudad-Rodrigo. En Portugal, le 27 août, Alméida est prise par le maréchal Masséna qui, le 27 septembre, après la bataille sanglante de Busaco, force le général Wellington à se retirer dans la position de Torrès-Vedras : mais

Pendant l'année 1810, la guerre d'Espagne fut heureuse pour la France, si une guerre pareille pouvait l'être; le 2 février la résidence du gouvernement, que l'on appelait alors insurrectionnel, de la junte suprême, l'importante ville de Séville, fut occupée par le maréchal Soult. A cette époque des victoires du maréchal Soult, il n'y cut que les villes d'Alicante, de Carthagène et de Cadix, et la fameuse île de Léon, où n'eussent pas pénétré les armées françaises. Le 23 avril, le général O'Donnel, depuis comte de l'Abisbal, perdait, contre le maréchal Suchet, la bataille de Lérida, qui est prise après 15 jours de tranchée ouverte. Le6 mai, le général Junot enlevait d'assaut la ville d'Astorga; et le 26 du même mois, 600 Français, presque tous officiers, prisonniers de la honteuse capitulation de Baylen, sur les pontons pestiférés de Cadix, par le coup le plus audacieux, s'emparent d'un mauvais navire sans agrès, traversent les escadres anglaises et espagnoles, sous le feu des chaloupes canonnières et des batteries, et abordent le rivage où le maréchal Victor les reçoit dans ses rangs. Cette guerre fut remarquable dans toutes ses phases par la foule d'ac

la fuite du général anglais devient une campagne de défense. Tels furent les événemens principaux de la guerre d'Espagne et de Portugal en 1810.

La révolution de Suède, prépa rée par les événemens du 13 mars, du io mai et du 6 juin 1809, est fixée, le 21 août 1810, par l'adoption que le roi Charles XIII fait du maréchal Bernadotte, prince de Ponte-Corvo, et par l'élection que les états-généraux, assemblés en diete extraordinaire, font de ce prince pour être l'héritier de la couronne. Napoléon n'a point contribué à l'élévation de Bernadotte, à qui il eût préféré, pour occuper le trône de Suède, son fils adoptif le prince Eugène; mais le vice-roi, à qui la couronne d'Italie doit échapper par le second mariage de l'empereur, refusa, dit-on, la puissante intervention de ce prince auprès du gouvernement suédois. Napoléon ne s'est point opposé à l'élection du prince de Ponte-Corvo, que la Suède demande à la France. I est au moins de sa gloire de l'ap prouver; aussi donne-t-il généreusement à ce prince les moyens de paraître avec éclat à la cour de Suède toutefois il résulte d'un tel événement, presque toujours si heureux pour les nations qui le provoquent, que si la France perd un de ses plus illustres défenseurs, Napoléon ne perd pas un ennemi.

Le mois de décembre 1810 est le mois fatal pour la France, dont le nom s'égare depuis le détroit de Charybde jusqu'audétroit du Sund, soit par la réunion, soit par les vassalités des peuples. L'incorporation du Valais a été décrétée le même jour que celle des villes anséati

ques, afin que toute trace republicaine soit effacée du nouveau, sol français; aussi la carte de cette partie du monde. qui va s'appeler FRANCE, présente 24 degrés de longitude sur 7 de latitude, habités par 42 millions de sujets, divisés entre eux par quatre idiômes et autant de religions; mais la domination directe de Napoléon et de sa famille s'étend sur 85,500,000 sujets, qui, réunis aux 16,000,000 d'hommes soumis à sa domination indirecte, offrent la masse effrayante de plus de cent millions d'Européens qui lui obéissent.

Paris est la capitale de l'Europe vaincue; Londres est celle de l'Europe irritée. L'une reçoit les hommages de la soumission, l'autre les vœux de la vengeance. Tout espoir de paix est détruit entre les deux rivales par la rupture des négociations entamées avec lord Lauderdale; 160,000 hommes pour les armées de terre et de mer sont décrétés par le sénatus-consulte du 15 décembre : le même jour avait réuni la Baltique et le Valais au grand empire. L'esprit s'effraie justement, en 1823, de cette puissance multiple de la volonté d'un homme, qui, dans le même moment, ordonnait aux commerçans d'une mer du Nord, aux pasteurs des alpes Juliennes, et à 160,000 soldats de prendre rang parmi les sujets et les instrumens de sa fortune. Au milieu de ces grandes spoliations de la propriété des peuples, les 19 et 29 décembre des dispositions de détail frappent particulièrement l'attention de la France: l'une rétablit l'institution à jamais odieuse de la censure sur les productions de la pensée; l'au

tre remet généreusement aux émigrés les successions dévolues à l'état pour 50 années : ces deux aetes sont au profit du pouvoir; mais la haine des écrivains et la reconnaissance des émigrés seront éga

lement silencieuses.

1811.

Les opérations militaires de la guerre d'Espagne et de celle de Portugal sont les seules qui occupent la France pendant l'année 1811; cette année sera son dernier repos sous Napoléon, car une pareille guerre, malgré l'opiniâtreté de la résistance et la coopération de l'Angleterre, ne saurait affecter les destins de la grande nation, si pendant une année encore la France n'avait pas d'autres ennemis que l'indépendance de la péninsule et l'opposition de ses cortès. Douze années plus tard, peu avant le moment où nous écrivons, 100,000 Français franchissaient la Bidassoa. Sans doute on n'a pu les croire legataires d'une dernière volonté de Napoléon; mais si en rapprochant les motifs de ces deux guerres, elles paraissent à l'historien également déplorables sous le rapport de l'indépendance des nations, à plus forte raison at-il le droit de penser que, les Français vainqueurs, ils n'auront point à s'applaudir du triomphe, et que, les Espagnols vain

cus,

ils n'auront point à rougir de la défaite. Il en fut ainsi pendant toute cette année 1811, où les maréchaux Soult et Mortier, où les généraux Suchet et Clauzel, ajoutèrent aux armes françaises tant de lauriers inutiles, où

le maréchal Masséna ne gâta point sa gloire en évacuant le Portugal devant l'armée anglo-portugaise. Le récit de ces opérations appartient à l'histoire militaire proprement dite de Napoléon. Le tableau de sa vie, rapidement tracé par son biographe, ne perniet que l'exactitude des faits et ne prescrit que la série de leurs dates; ainsi nous nous bornons à présenter ces faits militaires dans l'ordre où ils ont eu lieu. La gloire de ces grands capitaines n'a pas besoin de commentaires; elle était depuis long -temps noblement consacrée par de véritables services rendus à la patrie ou à son héros. Il ne s'agit ici que de ceux rendus à la dictature impériale, et, si on en excepte l'immortelle campagne de 1814, l'histoire n'en a plus d'autres à recueillir jusqu'à l'abdication.

Le 2 janvier, après 13 jours de tranchée ouverte, la place de Tortose se rend au général Suchet. Du 20 au 22, Oporto et Olivenza, en Portugal, sont occupées par le maréchal Masséna; mais le 4 mars, malgré l'importance de cette occupation, Wellington, fortifié depuis cinq mois dans la position inexpugnable de Torrès-Vedras, réparé en quelque sorte, par la retraite à laquelle sa nombreuse armée force les débris de celle de Masséna, les revers qui ont montré si souvent, depuis le commencement de la guerre, les troupes de sa nation fuyant devant les Français à Dunkerque, à Toulon, au Helder, à Flessingue; deux mois après, l'évacuation du Portugal est complétée par celle de la ville d'Alméida. Le 5 mars, à

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