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mystique, moitié politique du lien de la vertu, du Tugend-bund, qui doit jouer un si grand rôle un du an plus tard, avait étendu, sein de la Prusse où le patriotisme l'avait enfantée, ses ramifications populaires dans toutes les universités de l'Allemagne, dans celles même qui appartenaient aux états que Napoléon s'était plu à doter sur la rive droite du Rhin. Cette conspiration morale avait été dénoncée à ce prince qui la dédaigna, comme il avait refusé quelques années plus tôt de se mettre à la tête de la réformation politique de la Germanie protestante. Le rôle de Luther lui convenait aussi peu que sa doctrine. Alors aussi il régnait dans le même palais impérial du plus puissant prince de la Germanie, et il méprisait jusqu'au poignard du jeune fanatique qui y avait pénétré pour immoler l'oppresseur de sa patrie. Mais l'Autriche ne s'était pas contentée de n'avoir pas le courage de survivre à la bataille de Wagram, quand une seule victoire, quand la seule prolongation de la Jutte si loin de la France, et dans l'état d'exasperation où étaient les esprits, pouvaient effacer pour elle tous les triomphes de son ennemi; elle s'était précipitée audevant d'une alliance de famille, tant elle fut jalouse d'enlever aux autres couronnes le nouvel hymen que se proposait Napoléon. Toute l'activité de sa diplomatie se déploya pour obtenir cette grande préférence, et le sang de MarieThérèse devint le gage nouveau, que la superbe cour de Vienne offrit instamment au général de, vendémiaire. Napoléon, qui avait

pris l'histoire de la monarchie française pour la sienne, vonlut la continuer; il accepta cette alliance, et cimenta ainsi, en quelque sorte, la vassalité de l'Autriche, qui alors y vit son salut. L'alliance du 4 mars 1812 fut bien aussi pour elle une nécessité nouvelle, que lui imposa la guerre de Rus sie. Menacée qu'elle était du réta blissement de la Pologne, la mai. son d'Autriche voulut se ménager une indemnité dans le cas où elle perdrait la Gallicie, et cette indemnité qu'elle convoitait était la possession de l'Illyrie, qui offrait à son commerce les débouchés maritimes, dont elle manquait absolument; par le traité d'alliance signé à Paris, cette puissance stipula un secours réciproque de 50,000 hommes et de 60 pièces de canon. La cause de la France et de l'Autriche est devenue commune, identique, inséparable, c'est une cause de famille, et l'objet de ce dernier pacte est si pen douteux, qu'on y garantit mutuel lement l'intégralité en Europe de l'empire turc, alors en guerre avec la Russie. Cette garantie mutuelle de l'intégralité de l'empire ottoman n'avait d'autre motif que d'empêcher la Porte de signer la paix qu'elle négociait avec la Russie,ce qu'elle fit quelques mois après à l'insu de Napoléon. Ainsi l'Autriche, toujours forte et puissante inalgré la prépondérance effrayante de la France, allait au-devant d'un lien qui plaçait ses drapeaux et sa politique sous la fortune de Napoléon. Ce prince a pour allié toute l'Allemagne, toute l'Italie, la Pologne, la Suède et la Hollande, et il devait compter pour auxiliaire

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la Porte ottomane,

si la crainte de démasquer ses projets contre la Russie n'avait mis dans cette circonstance la diplomatie francaise en défaut, à Constantinople et à Stockholm. La Russie a pour elle le général français qui gouverne la Suède et qui a oublié sa première patrie; elle a pour auxiliaires la haine anglaise, et l'insurrection espagnole. Ses défensears naturels sont la flamme qui dévorera ses cités, et les frimas qui anéantiront ses ennemis. Le 3 mai, son attitude guerrière devient plus imposante par l'acces-sion de l'Angleterre au traité que la Suède a signé le 24 mars. Les deux empereurs ont quitté leurs capitales, Alexandre le 24 avril, Napoléon le 9 mai. Il ne s'agit plus entre eux de fixer les limites de l'empire d'Orient et de l'empire d'Occident. Les intérêts de Tilsit n'avaient pas tout-à-fait disparu à Erfurth, mais ils avaient été modifiés, et sans doute affaiblis les événemens de l'Espapar gne et du Portugal, et par les diverses réunions de la France. Il s'agit à présent de l'empire de l'Europe partagée en de grands vassaux. Cette ambitieuse pensée est toute de Napoléon, à qui elle sera fatale. Alexandre héritera de cette grande prépondérance, qu'il abdiquera bientôt. Hercule pouvait succomber, mais sa massue n'était point un héritage.

Le 26 mai, Napoléon est à Dresde, où sont abjurées les conférences d'Erfurth, en présence de plusieurs souverains de l'Allemagne. L'empereur et l'impératrice d'Autriche, de leur plein gré, par la plus éclatante démarche, ont

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quitté Vienne, sont arrivés dans la capitale de la Saxe, et donnent au milieu et en présence de l'Europe, une sanction authentique à la guerre gallo-germanique que leur gendre va porter en Russie. Le roi de Prusse et tous les souverains du Rhin à la Baltique, consacrent également cette guerre par leur présence, et ils prennent à l'envi leur part de complicité dans les vœux et dans les moyens qu'ils rassemblent pour l'asservissement général de l'Europe. L'abaissement commun de tous ces princes, a produit un nouveau droit public au profit du dominateur, tant qu'il sera victorieux. Mais si la fortune l'abandonne, la conspiration sera universelle, comme l'était la soumission.

Au moment où Napoléon fait consacrer à Dresde, par sa cour de rois, les arrêts qu'il vient de porter contre la Russie, un traité secret pour une paix définitive et fatale à son entreprise, était signé à Bucharest, entre les Russes et les Ottomans. Cette négociation est due à l'Angleterre, qui ne peut servir plus habilement sa propre haine et son allié de Pétersbourg. L'étoile de Napoléon a pâli le 28 mai, jour de la signature de ce traité qu'il ignore; sa conclusion fut brusquée. Kutusow, chargé de la négociation et du commandement de l'armée contre les Turcs, ayant appris qu'il était rappelé et remplacé par Tchitchagoff, qui avait ordre de terminer, à quelque prix que ce fût, prit sur lui de signer la paix, afin de n'en pas laisser l'honneur à son successeur. Napoléon ne fut pas seul trompé par ce traité, le sultan

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le fut aussi, et quand il apprit l'invasion de Napoléon en Russie, il refusa de le ratifier, et ne s'y décida encore que par l'influence de l'Angleterre. Ce retard à la ratification ne permit à l'armée russe de Moldavie, de s'ébranler que dans le mois d'octobre. La guerre que les États-Unis d'Amérique déclarent à l'Angleterre, le 18 juin, est loin de remplacer,pour Napoléon, l'importance de la diversion ottomane, et de l'alliance de la Suède, et n'ajoute aucune chance aux intérêts de la guerre purement continentale qu'il va commencer. Chacune de ces quatre puissances a son motif de guerre particulier. L'Amérique se bat pour la liberté du commerce, la Russie pour se soustraire au blocus continental et pour ne pas perdre ses provinces polonaises, l'Angleterre pour abattre Napoléon, et Napoléon pour régner sur tout ce qui s'appelle Europe.

Un demi-million d'hommes, et plus de mille bouches à feu, sont réunis déjà dans la Prusse orientale. Le 2 juin, Napoléon est à Thorn; le 22, de son quartier-impérial de Willkoswiski, il adresse à ses armées la proclamation sui

vante :

« Soldats, la seconde guerre de » Pologne est commencée. La première s'est terminée à Friedland » et à Tilsit. La Russie a juré l'é»ternelle alliance à la France et guerre à l'Angleterre : elle viole » aujourd'hui ses sermens. Elle ne veut donner aucune explication de cette étrange conduite, que » les aigles françaises n'aient repas» sé le Rhin, laissant par-là nos ala liés à sa discrétion. La Russie est

entraînée par la fatalité : ses des»tins doivent s'accomplir. Nous »> croit-elle donc dégénérés ? ne se>>rions-nous plus les soldats d'Aus>> terlitz! Elle nous place entre le » déshonneur et la guerre : le choix »> ne saurait être douteux. Mar>>chons donc en avant; passons le » Niémen; portons la guerre sur » son territoire : la seconde guerre » de la Pologne sera glorieuse aux » armées françaises, comme la pre»mière; mais la paix que nous con»clurons portera avec elle sa ga»rantie, et mettra un terme à la >> funeste influence que la Russie a >> exercée depuis 50 ans sur les affaires de l'Europe.»>

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Le 24 juin, le Niémen a revu Napoléon. Cette terrible limite est dépassée aux applaudissemens de la malheureuse et fidèle Pologne. Le 28 juin, l'empereur est à Wilna, capitale de la Lithuanie; ce duché se réunit à la Pologne,' dont la diète proclame le même jour, à Warsovie, la trompeuse indépendance. Une confédération générale réunit les membres épars du royaume de Sobieski. Les souvenirs de la longue tyrannie de Repnin à Warsovie, sous Catherine la grande, se réveillent de toutes parts au bruit de la marche de Napoléon. Une députation de la diète se rend près de lui, à Wilna, et lui dit : « La »diète générale du grand-duché » de Warsovie s'est constituée en » confédération de la Pologne : el» le a déclaré le royaume de Polo» gne rétabli dans ses droits... Di»tes, sire, que le royaume de Pologne existe, et ce décret sera »pour le monde équivalent à la réalité. Napoléon, qui persistait

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dans la fausse idée de ne pas sacrifier la Gallicie autrichienne au nouveau système polonais, afin de ne pas rendre l'Illyrie, que désirait ardemment la maison d'Autriche, répondit : « Polonais, j'au» rais pensé comme vous dans l'assemblée de Warsovie: l'amour » de son pays est le premier de» voir de l'homme civilisé. Dans » ma situation, j'ai beaucoup d'in» térêts à concilier, beaucoup de devoirs à remplir. Si j'avais ré»gné pendant le premier, le se»cond et le troisième partage de » la Pologne, j'aurais armé mes » peuples pour la défendre... J'ai» me votre nation... J'autorise les » efforts que vous voulez faire... >> c'est entièrement dans l'unani»mité de la population que vous »pouvez trouver l'espoir du suc»cès... Je dois ajouter que j'ai ga»ranti à l'empereur d'Autriche » l'intégrité de ses domaines.... »

Telle fut, en substance, la réponse de Napoléon à la députation de la diète; mais, par une fatalité remarquable, et qu'il était loin de pouvoir deviner, l'Autriche, dont le contingent occupait la portion de son territoire polonais, et à laquelle il sacrifiait le rétablissement si politique du royaume de Pologne, devait, quelques mois après, par une défection subite, livrer la Pologne entière à la Russie, contre laquelle, à Dresde, elle était venue solliciter la faveur de faire cause commune avec la France! La paix de Bucharest, l'alliance de la Russie avec la Suède, et le refus de Wilna, furent les auspices malheureux de la campagne de

1812.

L'armée impériale française é

tait composée de dix corps d'infanterie, aux ordres des maréchaux Davoust, Oudinot, Ney, Victor, Macdonald, du prince Eugène, du prince Poniatowski, et des généraux Saint-Cyr, Régnier et Junot.

La vieille garde était commandée par le maréchal Lefèvre; la jeune par le maréchal Mortier; la cavalerie de la garde par le maréchal Bessières; la réserve de la cavalerie formait les quatre corps de Nansouty, Montbrun, Grouchy et La Tour-Maubourg; elle était sous les ordres du roi de Naples; le corps autrichien était sous les or dres du prince de Schwarzenberg; le corps prussien sous ceux du général d'Yorck : la force de l'armée française, y compris ses renforts et les garnisons, était de 439,700 hommes.

La grande-armée russe était divisée en première et seconde armée d'occident, sous les généraux Barclay-de-Tolly et Bagration, et en armée de réserve sous le général Tormasow; le corps d'observation était commandé par le général Hertel, et l'armée de Moldavie par l'amiral Tchitchagow. A cette époque le gouvernement russe fit paraître un état de ses forces, qui, y compris ses milices et ses garnisons, et sans compter ses paysans armés, présentait 926,370 hommes, et 5,592 pièces d'artillerie de campagne.

De nouvelles alliances embrassent et protégent puissamment la cause de la Russie : le 18 juillet, l'Angleterre signe un traité avec la Suède, et le 1 août elle signe à Pétersbourg un traité de paix et d'union. Le 20 juillet le cabinet de

Pétersbourg avait habilement placé la France entre deux grands périls, par le traité de Welikylouski avec la régence de Cadix. On ne nommait pas alors rebelles ces cortès de Cadix: on traitait avec elles. Cette conspiration des deux extrémités de l'Europe contre Napoléon, a quelque chose de gigantesque, qui appartient particulièrement à son histoire. Elle prouve la grandeur du péril, comme celle de la haine, et relève merveilleusement l'ennemi dévoué à la vengeance combinée du Nord et du Midi. Ce traité est signé en Russie, le 20 juillet, et le 22 commence en Espagne, par la bataille des Aropiles, gagnée par Wellington sur le maréchal Marmont, la décadence des armes françaises dans la péninsule. L'importance de cette victoire est telle, que si elle eût été remportée par les Français, les cortès faisaient leur soumission au roi Joseph; au contraire, cette victoire détrône ce prince, et le 12 août suivant Wellington est à Madrid. La redoutable union de l'Angleterre, de l'Espagne et de la Russie, forme un triangle dont la France est la base. Cependant Napoléon poursuit sa marche en Russie, et voit dans l'abaissement prochain de cet empire, la soumission de toute l'Espagne. Tout est extraordinaire dans sa destinée actuelle, soit l'immense espoir dont son âme est remplie, soit l'encouragement dont la fortune se plaît à fortifier une telle espérance. En effet, tous les pas de l'armée française sur le territoire russe, sont marqués par d'importans succès, qui sont antant de perfidies de la destinée,

dont la gloire de Napoléon est devenue la complice. Le 23 juillet Bagration est défait à Mohilow, par le maréchal Davoust; le 28 les Français sont à Wytepsk; la 1 août la forte place de Dunabourg est évacuée à l'approche du maréchal Macdonald; le même jour Wittgenstein, battu par le maréchal Oudinot, à Obaïavszma, sur la Drissa, perd 7,000 hommes, et une partie de son artillerie; le 17, après quelques affaires d'avantpostes, les Russes abandonnent l'importante ville de Smolensk, après y avoir mis le feu. Ils avaient, en manoeuvrant de l'autre côté du fleuve, évité la grande ba taille que Napoléon voulait leur livrer, avant d'entrer à Smolensk. Cette grande ville, le seul boulevart de l'empire russe sur la frontière de Pologne, fortifiée par des ouvrages redoutables, et défendue par une nombreuse armée, pourrait arrêter long-temps et diviser les forces de Napoléon; mais une tactique barbare a remplacé chez les Russes les nobles conceptions de la guerre. La défaite, la honte de leurs armées, l'embrasement de leurs villes par leurs propres mains, la ruine, le désespoir des habitans, sont les combinaisons que la politique de leur gouvernement a adoptées pour attirer les Français dans le cœur de son empire: ce long suicide est le premier élément de sa vengeance.

On assure que plusieurs chefs de l'armée française engagèrent Napoléon à terminer sa campagne à Smolensk. Mais il avait pris Milan, Vienne, Berlin, Madrid, et l'orgueil d'entrer aussi à Moskou, dans la ville sainte du Nord, l'em

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