Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

le projet d'une séparation avec son chef, si hautement proclamée par l'édit de Francfort. Le projet d'une régence n'était pas é tranger à une masse d'opinions, que les grandes époques de la révolution rendaient imposantes, et que les dangers publics semblaient appeler à son secours. Pour tout dire en un mot, les républicains et les constitutionnels de la France, redoutaient autant que les étrangers le retour de la prospérité militaire de Napoléon, et aspiraient à lui voir imposer une paix qui mît fin à son ambition et aux malheurs de la patrie. Ces sentimens, ces opinions, cette volonté, vont se trouver mis en action, à la grande scène de famille que provoquera la convocation du corps législatif, le 19 décembre.

Cependant la situation des troupes françaises devenait chaque jour plus déplorable au-delà du Rhin et au-delà des Pyrénées. Pampelune avait capitulé le 31 octobre; Napoléon apprenait cette nouvelle à Mayence, qu'il quitta le 8 novembre pour se rendre à SaintCloud, où il arriva le lendemain. Le 10, le maréchal Soult était forcé dans les lignes de Saint-Jeande-Luz, par le général Wellington, dont toutes les forces espagnoles, anglaises et portugaises, sont réunies. Il n'y a plus de Français en Espagne. Le 11, le maréchal SaintCyr, enfermé dans la ville de Dresde avec 30,000 hommes, dont 6,000 malades, conclut avec les généraux Klénau et Tolstoi une convention honorable. Mais le système qui faisait trahir les alliances, fit aussi trahir jusqu'aux capitulations, et le généralissime

prince de Schwarzenberg refusa de ratifier la convention faite par ses lieutenans. Le corps du maréchal Saint-Cyr, arrêté dans sa marche, fut conduit prisonnier en Autriche. Il en fut de même des autres garnisons, qui capitulèrent pour leur rentrée en France, telle que celle de Dantzick, sous les ordres du général Rapp : le prince de Wurtemberg, qui commandait le siége avec une armée russe, imita, le 1er janvier 1814, la conduite du prince de Schwarzenberg. Le 21, après huit mois de blocus, la ville de Stettin ouvrait ses portes aux alliés. Le 24, le général Bulow prenait Amsterdam, qui proclamait l'indépendance de la Hollande et rappelait le prince d'Orange : le 2 décembre ce général entrait à Utrecht. Le 4, Lubeck était pris par les Suédois. Du 8 au 13, après des combats trèsacharnés entre l'armée du maréchal Soult et celle du général We!lington, celui-ci, par la supériorité numérique de ses forces, franchit la Nive à Locuboera Ustaritz. Le 10 décembre, l'évacuation de la Hollande continuait par celle de Breda et de Williemstat, et le 15, afin qu'il ne restât plus au-delà du Rhin un seul ami à la France, les Russes stipulaient un armistice avec les Danois, tandis que le 23TM corps, fort de plus de 50,000 hommes, sous les ordres du maréchal Davoust, était condamné à attendre dans les murs de Hambourg la conclusion du grand drame politique dont la France va être la victime. Il en est de même des 80,000 hommes que renferment les villes de Dantzick, de Magdebourg, et les autres places du

[ocr errors]

Nord qui résistent encore au blocus de l'ennemi. Ces nombreuses légions seront assez malheureuses pour apprendre dans leurs prisons guerrières, tous les désastres de celles à qui le champ de bataille est ouvert, et pour sentir que la coalition ne triomphe que parce qu'elles sont captives. Arrivé le 9 novembre à Saint-Cloud l'empereur ne perd pas un moment pour la défense de la France, et retrouve cette incroyable activité qu'il avait déployée au commencement de la même année, pour aller venger sur l'Elbe et sur l'Oder sa grande-armée de Russie. Le 15, un sénatus - consulte met 300,000 hommes à sa disposition, et pour solenniser la séance d'ouverture du corps-législatif, où la cause de la France va être portée, un autre sénatus-consulte du même jour appelle à cette séance le sénat et le conseil-d'état. Il s'agit de la paix du monde et du salut de l'empire. Le 2 décembre, le duc de Vicence, nommé ministre des relations extérieures, déciarait au comte de Metternich que Napoléon adhérait aux bases de Francfort. En témoignage de ses intentions pacifiques, ce prince signait, le 11, le traité de Valançay, et rendait l'Espagne à Ferdinand. Ce traité pouvait être signé et surtout exécuté plus tôt. Il y eut des retards volontaires opposés à son exécntion, de la part du général Clarke, ministre de la guerre. Toute l'armée d'Espagne, les Soult, les Suchet, les Clauzel, se seraient trouvés au cœur de la France dans le mois suivant. Mais déjà on trahissait la France et Napoleon. Le 17, un décret impérial mobilisait

160,000 gardes nationales, pour former les garnisons de l'intérieur; enfin, le 19, le corps-législatif est convoqué; l'empereur en fit l'ou

verture en ces termes :

« Sénateurs, conseillers d'é»tat, députés des départemens au »corps-législatif,

« D'éclatantes victoires ont il»lustré les armes françaises dans » cette campagne, des défections » sans exemple ont rendu ces vic»toires inutiles : tout a tourné >> contre nous. La France même »>serait en danger sans l'énergie »et l'union des Français. Dans ces »> grandes circonstances, ma pre»mière pensée a été de vous apspeler près de moi; mon cœur » a besoin de la présence et de >> l'affection de mes sujets. Je n'ai »jamais été séduit par la prospéri»> té l'adversité me trouvera au» dessus de ses atteintes. J'ai plu»>sieurs fois donné la paix aux na» tions, lorsqu'elles avaient tout »perdu. D'une part de mes con»quêtes, j'ai élevé des trônes pour »>des rois qui m'ont abandonné. » J'avais conçu et exécuté de » grands desseins pour la prospérité et le bonheur du monde...... Monarque et père, je sens que la »> paix ajoute à la sécurité des trô»> nes et à celle des familles.

» Des négociations ont été en»tamées avec les puissances coali»sées. J'ai adhéré aux bases préli>> minaires qu'elles ont présen»>tées...; j'ai ordonné qu'on vous »communiquât toutes les pièces » originales qui se trouvent au

[ocr errors][merged small]
[ocr errors]

»et je partage tous les sentimens des Français..... je dis des Fran»çais, parce qu'il n'en est aucun » qui désirât la paix au prix de » l'honneur.... Sénateurs, conseil»lers-d'état, députés des départe» mens, vous êtes les organes na»turels de ce trône; c'est à vous >> de donner l'exemple d'une é>>nergie qui recommande cette » génération aux générations futu>> res. Qu'elles ne disent pas de »nous : Ils ont sacrifié les pre»miers intérêts du pays; ils ont re» connu les lois que l'Angleterre a » cherché en vain pendant quatre » siècles à imposer à la France! » Mes peuples ne peuvent pas » craindre que la politique de leur » empereur trahisse jamais la gloi»re nationale. De mon côté, j'ai » la confiance que les Français se>>ront constamment dignes d'eux > et de moi. »

Ce discours fit une grande impression, et l'assemblée fut aussi émue qu'on l'avait été à la première audience après le retour de Moskou; mais Napoléon fut écouté par des esprits plus fiers. Les maux de la patrie avaient affranchi toutà-coup les hommes naguère les plus soumis. Le duc de Vicence, ministre des affaires étrangères, fut chargé des communications à la commission du sénat, et le conseiller-d'état d'Hauterive à celle du corps-législatif, qui s'assembla chez l'archichancelier. La commission du sénat se réunit dans son palais; elle communiqua avec le ministre par M. de Fontanes, son rapporteur. Le ministre-d'état Regnauld fut chargé des messages aux deux chambres. La commission du sénat, présidée par

M. de Lacepède, était composée de MM. de Talleyrand, Fontanes, Saint-Marsan, Barbé-Marbois et Beurnonville; celle du corps-législatif, présidée par le duc de Massa, était composée de MM. Raynouard, Lainé, Gallois, Flauguergues et Maine de Biran. L'empereur ne voulut jamais consentir à cette époque à faire communiquer aux deux commissions le rapport de M. de SaintAignan, et ne permit que les communications des bases. Les instances réitérées du duc de Vicence pour tout communiquer furent inutiles. Le rapport ne fut inséré dans le Moniteur que pendant le congrès de Châtillon, et encore l'empereur s'en repentit, au point de faire arrêter la distribution de ce numéro. Le 30, une députation du sénat fut adinise à présenter le rapport de sa commission. Le sénat approuvait tous les sacrifices demandés à la France, mais dans le seul but de la paix. Il suppliait l'empereur de faire un dernier effort pour l'obtenir : « C'est » le vœu de la France, Sire, disait » la députation, c'est le besoin » de l'humanité. Si l'ennemi per» siste dans ses refus, eh bien! »> nous combattrons pour la patrie, entre les tombeaux de nos pères >> et les berceaux de nos en» fans. >>

L'empereur répondit: «.... Ma » vie n'a qu'un but, le bonheur des » Français; cependant le Béarn,

[ocr errors]

l'Alsace, la Franche-Comté, le » Brabant sont entamés. Les cris de » cette partie de ma famille me de» chirent l'âme; j'appelle les Fran»çais au secours des Français; j'appelle les Français de Paris,

de la Bretagne, de la Normandie, » de la Champagne, de la Bourgo» gne, et d'autres départemens, au > secours de leurs frères. Les aban. » donnerons-nons dans leur mal» heur? Paix et délivrance de no» Are territoire, doit être notre cri » de ralliement: A l'aspect de tout » ce peuple en armes, l'étranger fuira, ou signera la paix sur les » bases qu'il a lui-même proposées; » il n'est plus question de recou»vrer les conquêtes que nous a» vions faites. >>

Le rapport de la commission du sénat, avait noblement développé l'opinion généreuse, qui, tout en justifiant ses vœux pour une paix prochaine, justifiait également les efforts que le chef du gouvernement demandait à la nation pour l'obtenir; il ne s'occupa que des malheurs présens, et en effet si dans la campagne de Russie, la gloire comme l'infortune fut toute à la France, et le crime aux élémens, il en était de même de la campagne actuelle, dont la trahison seule avait fait tous les désartres. Le rapport traitait habilement cette dernière question, et abordait avec grandeur la situation de la patrie. « Le moment » est décisif'; les étrangers tiennent »un langage pacifique, mais quel»ques-unes de nos frontières sont Denvahies, et la guerre est à nos "portes; 36 millions d'hommes ne » peuvent trahir leur gloire et leur » destinée.... La France peut être » fière de ses blessures, comme de » ses triomphes passés: le décou>>ragement dans le malheur serait Dencore plus inexcusable que la »jactance dans le succès; ainsi donc » en invoquant la paix, que les pré

»paratifs militaires soient partout »accélérés et soutiennent la négo»ciation. Rallions-nous autour de » ce diadême, où l'éclat de cin» quante victoires brittle au travers » d'un nuage passager: la fortune »ne manque pas long-temps aux »nations qui ne se manquent pas à elles-mêmes.... Le sénat avait heureusement saisi cette occasion, de prendre son rang dans la fortune de la France; mais peu de mois après, ce grand principe. qu'il venait de proclamer était perdu pour la France et pour lui.

Le corps-législatif, placé plus près des besoins et des intérêts domestiques de la nation, songea à l'héritage de vingt-quatre années de législature, qui avait précédé la sienne. Il jugea le procès de l'empire et de la liberté, et demanda des garanties au souverain, qui demandait la dictature; tel fut l'esprit de la commission dont M. Raynouard fut l'orateur dans la séance du 28 : « S'il s'agissait, » dit-il, de discuter ici des condi» tions flétrissantes, S. M. n'eût » daigné répondre qu'en faisant >> connaître à ses peuples les projets » de l'étranger; mais on ne veut » pas nous humilier, mais nous renfermer dans nos limites et rẻprimer l'élan d'une activité ambitieuse, si fatale depuis vingt ans, à tous les peuples de l' Europe; de telles propositions nous parais>> sent honorables pour la nation, » puisqu'elles prouvent que l'é>>tranger nous craint et nous res»pecte. Ce n'est pas lui qui assi»gne des bornes à notre puissan»ce: c'est le monde effrayé qui in» voque le droit commun des nations; les Pyrénées, le Rhin et les Al

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

"pes renferment un vaste territoire, dont plusieurs provinces >> ne relevaient pas de l'empire des » lys, et cependant la royale couron»ne de France était brillante de gloire et de majesté entre tous les » diadêmes. » -(( Orateur, s'écrie >> le duc de Massa président, ce que vous dites est inconstitutionnel! » -» Il n'y a ici d'inconstitution»nel que votre présence,» répliqua M. Raynouard, et il continua par le tableau du despotisme sous lequel gémissaient les peuples du Rhin, du Brabant, de la Hollande.

D

« Ne dissimulons rien, ajouta>>t-il, nos maux sont à leur com»ble... il n'est point de Français qui n'ait dans sa famille une » plaie à guérir...; la conscription >>> est devenue pour toute la France, >>un odieux fléau...; depuis deux ->>ans on moissonne trois fois l'an»>née...; les larmes des mères et » les sueurs des peuples, sont-elles >> donc le patrimoine des rois! Il est » temps que les nations respirent... >>Notre auguste monarque, qui partage le zèle qui nous anime et qui >> brûle de consolider le bonheur » de ses peuples, est le seul digne » d'achever ce grand ouvrage.... » Les monarques français se sont >> toujours glorifiés de tenir leur >> couronne de Dieu, du peuple, et » de leur épée; parce que la paix, » la morale et la force sont, avec »la liberté, le plus ferme sou» tien des empires.... »

>>

C'était parler en tribun monarchique plutôt qu'en homme d'état; car, par ce rapport qui signalait en détail les maux de la situation domestique de l'empire, l'Europe connaissait le point où la France

était le plus vulnérable, et la France apprit que le corps-législatif était un parti d'opposition. Parsuite de ce rapport, une adresse fut votée, ainsi que l'impression, à la majorité de 223 voix contre 31.-Le 30 décembre, l'épreuve de l'imprimeur fut saisie, la planche brisée, et les portes du palaislégislatif furent fermées; le 31, la législature fut dissoute. Cette adresse, encore plus expressive que le rapport, renfermait la demande d'une sorte de redressement des griefs imputés au gouvernement de Napoléon, et lui demandait des garanties contre lui-même. Napoléon sentit à l'instant tout son péril; il se vit isolé de la nation par une délibération du corps-législatif.-Ainsi, c'était par une véritable guerre civile entre Napoléon et les députés de la dernière législature, que se terminait la grande et solennelle communication faite aux premiers pouvoirs de l'état, des espérances et des besoins relatifs à la paix du monde et au salut de la France! La discorde attendait l'invasion étrangère; elle frappait d'un interdit public le dictateur armé, et couvrait de ses partis le sol de la France, que l'union de tous pouvait seule sauver! On avait dit à Rome, à Athènes : Nous délibérons et l'ennemi est à nos portes. On le dira encore à Paris, et l'ennemi prendra deux fois la capitale!

Le corps-législatif voulait, dans son adresse, que la guerre devînt. nationale, et il demandait des garanties politiques à Napoleon pour engager la nation. Si ce grand pouvoir avait proclamé lui-même

« PreviousContinue »