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nions l'une était celle de la masse, qui croyait aux succès de Napoléon; l'autre était celle de la cour, qui méprisait cet ennemi, comme 25 ans auparavant elle avait méprisé celui qui s'appela la révolution. Cependant on ne put cacher long-temps l'épisode de Grenoble, ni la marche sur Lyon; en conséquence, MONSIEUR, M. le duc d'Orléans, et le maréchal Macdonald, partirent en toute hâte pour cette ville, où ils devaient marcher avec 25,000 hommes contre le fugitif conquérant. M. le duc d'Angoulême, le maréchal Masséna, les généraux Marchand et Duvernet, devaient lui fermer la retraite. Sur ses flancs était le général Lecourbe. Le maréchal Oudinot marchait à la tête de ses invincibles grenadiers tout le midi était levé. Enfin, le 11 mars, on annonça à Paris que Bonaparte venait d'être complètement battu du côté de Bourgoing. Cependant il a vait couché à Bourgoing le 9 sans coup-férir, et le 10, à 7 heures du soir, il avait fait son entrée à Lyon, à la tête de l'armée envoyée pour le combattre. Il était descendu à l'archevêché que venait de quitter MONSIEUR, et il avait voulu y être gardé par la garde nationale à pied: celle à cheval s'étant présentée,

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peler. « Je n'ai jamais laissé, lui dit-il, une belle action sans ré>> compense. Je vous donne la croix »de la légion-d'honneur. » Cette action serait héroïque, si Napoléon n'avait pas voulu récompenser la fidélité qu'il voulait réveiller pour lui-même.

Aussi la scène va-t-elle changer parce que Napoléon n'est point changé. Jusqu'aux portes de Lyon, depuis le golfe Juan, il s'est dit le premier citoyen de la France. A Lyon, il reprend le sceptre. Il écrit à l'impératrice : Je suis remonté sur mon trône. Il écrit au roi Joseph retiré en Suisse: J'ai ressaisi ma couronne. Ille charge de faire déclarer à la Russie, à l'Autriche, aux puissances, qu'il veut tenir loyalement le traité de Paris. On doit croire cependant qu'il était entièrement décidé, vis-à-vis de lui-même, à abjurer l'esprit de conquêtes, puisqu'il répète à Lyon, aux autorités, ce qu'il avait dit sur sur sa route: «J'ai » été entraîné par la force des évé»> nemens dans une fausse route. » Mais instruit par l'expérience

j'ai abjuré cet amour de la gloi»re, si naturel aux Français, qui » a eu pour la France et pour moi » tant de funestes résultats.... Je » me suis trompé en croyant que le » siècle était venu de rendre la Fran»ce le chef-lieu d'un grand empi»re. » Il est clair, en songeant aux proportions de l'empire qu'il avait perdu, que par grand empire Napoléon entendait parler au moins de L'EUROPE. Telle était donc sa première pensée, en rentrant en France, celle de n'être plus un conquérant. Mais la seconde fut d'être un souverain.

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« J'y suis décidé, disait-il le len» demain ; je veux dès aujourd'hui » anéantir l'autorité royale et renvoyer les chambres. Puisque j'ai repris le gouvernement, il ne doit plus exister d'autre autorite que » la mienne. Il faut qu'on sache, » dès à présent, que c'est ▲ MOI >> SEUL qu'on doit obéir.» Alors il dicta ces frop fameux et trop justement fameux décrets de Lyon. Par le premier, il prononçait la dissolution des deux chambres, et il ordonnait la réunion à Paris en assemblée extraordinaire du champ-de-Mai, des collèges électoraux de l'empire, soit pour corriger, disait-il, nos institutions, soit aussi pour assister au couronnement de l'impératrice, notre très-chère et bien aimée épouse, et à celui de notre très-cher et bien aimé fils. Par le second décret, il rétablissait contre les émigrés non radiés, rentrés en France depuis le 1 janvier 1814, la rigoureuse législation des assemblées nationales, et de plus il frappait leurs biens du séquestre. Par le troisième, il rentrait au 1 article dans le système de la révolution, en abolissant la noblesse et les titres féodaux. Mais au 5 article, il rentrait dans son système impérial, en confirmant la jouissance des titres à ceux qui les avaient reçus de lui, et en se réservant par le 4 article de les concéder à sa volonté, aux héritiers des grandes notabilités de la France dans tous les âges et dans tous les genres d'illustration. Le quatrième décret congédiait tous géné raux et officiers de terre ou de mer, qui avaient été introduits dans nos armées depuis le 1

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vril 1814, et qui soit émigrés ou non avaient quitté le service à la première coalition contre la France. Le cinquième rappelait à leurs fonctions tous les magistrats éliminés, parce que tous les membres de l'ordre judiciaire sont inamovibles par nos constitutions. Un sixième décret ordonnait le séquestre sur les biens des émigrés à tous les établissemens publics à qui ils avaient été repris. Le huitième, licenciait la maison du roi et les Suisses. Le neuvième enfin, supprimait tous les ordres royaux. Tels furent les décrets de Lyon. Ils reconstituaient tout le pouvoir impérial, et satisfaisaient, non aux intérêts moraux, mais aux intérêts individuels de la révolution, ainsi qu'aux vengeances de l'époque. Le séquestre et la proscription d'un côté, de l'autre la noblesse impériale par privilége exclusif, le couronneinent de l'impératrice, celui de sou fils, étaient loin d'être les gages de cette liberté que voulait la France et dont Napoléon s'était, au golfe Juan, proclamé le dispensateur. De tous ces décrets il n'y avait de populaire que celui qui abolissait en France le service étranger; les autres furent et durent être désavoués par les amis d'une véritable liberté, par ceux qui ne voulaient, ni la proscription, ni le bon plaisir. Mais comme les vrais citoyens sont en petit nombre dans tout état, ces décrets eurent la faveur du peuple, faveur que l'enthousiasme rendait séditieuse contre lui-même, et qui dans l'adversité devint au moins inutile si ce n'est fatale à celui qui l'avait provoquée. Le noble refus que fit le grand-maréchal Bertrand,

en sa qualité de major-général, de contresigner les décrets, ne doit pas être passé sous silence.

Le 12 mars 1815, Napoléon reprenait la route du pouvoir avec la inême pensée, la même volonté,qui Jui avaient fait rompre à Châtillon, et même à Prague, les négociations de la paix, qui l'avaient porté à se faire empereur, consul à vie, premier consul, à détruire au 18 brumaire la représentation nationale par la force, à concevoir le projet de conquérir l'Asie à Saint-Jean d'Acre, et la France à Aboukir, à être déjà à sa première entrée à Milan le maître de l'armée de la république, et le souverain de ses conquêtes, et enfin à faire la paix à Léoben sans l'aveu de son gouvernement. Pour arriver à la domination, Napoléon était tout d'une pièce, si on peut le dire, il n'agissait qu'avec un seul moyen. Il séduisait et fanatisait le peuple et les soldats, proclamait son pouvoir en leur nom, restait seul, tout seul hors de l'égalité, traduisait la liberté légale par l'indépendance politique, donnait la législature à un conseild'état, ajoutait la police au code civil, ne concevait la responsabilité des ministres qu'envers lui seul, et couvrait de trophées le joug sous lequel la nation décimée criait: Vive l'empereur! Dans une telle combinaison, qui fut invariable, aucune aristocratie, ni parlementaire, ni nobiliaire, ni ministérielle, ne pouvait exister. Par conséquent les élémens de la moindre résistance étaient inconnus. Il y avait égalité uiverselle devant celui qui tenait le sceptre;

le grand empire présentait deux êtres complets dans leur condition, le sujet et le maître. C'était une grande fatalité, mais sans laquelle Napoléon ne pouvait exister. Il en était dominé lui-même, et il y succomba deux fois. Les décrets de Lyon ne furent que les échos du passé. La tendre popularité de ses adieux aux habitans de cette importante cité les livrait comme de nouveaux oracles à l'ivresse de la multitude.

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«Lyonnais, leur dit-il le 13 » mars, au moment de quitter votre ville pour me rendre dans Ma capitale, j'éprouve le besoin de » vous faire connaître les senti»>mens que vous m'avez inspirés. >> Vous avez toujours été au premier rang dans mes affections. Sur le »trône ou dans l'exil vous m'avez » toujours montré les mêmes sen>>timens; le caractère élevé qui >> vous distingue, vous a mérité >> toute mon estime. Dans des mo» mens plus tranquilles, je revien»drai pour m'occuper de vos ma»nufactures et de votre ville. » Lyonnais, je vous aime. » Et les cris de vive la nation! vive l'empereur! accueillirent tumultueusement les adieux de Napoléon.

La veille de son départ Napoléon apprit que le maréchal Ney avait un commandement. Il chargea le général Bertrand de lui écrire ce qui venait de se passer, et de lui dire qu'il serait responsable de la guerre civile. « Flattez»le, mais ne le caressez pas trop; il » croirait que je le crains et se fe»rait prier. »

Le 13, Napoléon coucha à Châlons, où il reçut un envoyé de

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Paris. Il apprit que la garde nationale était disposée à défendre le roi, et que le roi avait déclaré qu'il ne quitterait point les Tuileries.... « J'en doute fort, dit Napoléon, quand je serai à 20 lieues » de Paris, les émigrés l'abandon> neront comme les nobles de Lyon » ont abandonné le comte d'Artois. La garde nationale crie de loin; quand je serai aux barriè»res, elle se taira; son métier » n'est pas de faire la guerre civi>>le. Retournez à Paris; dites à »>ines amis de ne point se compromettre, et que dans dix jours » mes grenadiers seront de garde » aux Tuileries. »

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Le 14, Napoléon arriva à Châlons. Le maire ne parut point; on l'envoya sermoner par un affidé, auquel il objecta son serment au roi, et l'abdication. Cependant il se rendit aux raisons qui combattirent son opinion, et le lendemain il fut destitué. Cette anecdote du voyage de Napoléon dut prouver que le temps même de la réflexion n'était plus accordé dès le 14 avril pour se soumettre et redevenir son sujet, tant à l'insu de la nation il avait fait de chemin vers le pouvoir absolu, toul en marchant à journées d'étapes sur la capitale encore occupée par le roi, et défendue par des armées qu'il allait rencontrer. Le lendemain, il reçut l'ordre du jour du maréchal Ney du quartier-général de Lons-le-Saulnier. Soldats, disait le maréchal, je vous ai souvent menés à la victoire, maintenant je vais vous conduire à cette phalange immortelle que l'empereur Napoleon conduit à Paris, el qui y sera sous peu de jours; Vi

ve l'empereur! L'exemple du maréchal Ney donnait le reste de l'armée à Napoléon. Le 18, Napoléon l'embrassa à Auxerre. «Quels gé»néraux avez-vous avec vous? lui >> dit Napoléon. Lecourbe et »> Bourmont. · En êtes-vous sûr? »De Lecourbe oui, şire, mais »moins de Bourmont. — Ne crai»gnez-vous pas que Bourmont ne >> remue? Non, sire; d'ailleurs il »> ne trouverait personne pour le » seconder.

N'importe, je ne » yeux point lui laisser la possibi>>lité de nous inquiéter. Vous or» donnerez qu'on s'assure de lui jusqu'à notre entrée à Paris. J'y » serai du 20 au 25, et plus tôt :... »je ne voudrais pas qu'une tache »de sang souillât mon retour.....» Le soir, Napoléon fit embarquer une partie de son armée. Malgré les avis qu'il recevait, soit par les correspondances interceptées, soit autrement, des projets sinistres tramés contre ses jours, il se perdait lui-même dans la foule qui se pressait autour de lui à Auxerre, et il popularisait ainsi sa propre confiance. Cependant l'ordonnance royale du 6 mars portait : « Napoléon Bonaparte est déclaré traitre et rebelle pour s'être introduit à main armée dans le département du Var. Il est enjoint à tous les gouverneurs, commandans de la force armée, gardes nationales, autorités civiles, et même aux simples citoyens, de lui courir sus, de l'arrêter et de le traduire incontinent devant un conseil de guerre, qui, après avoir reconnu l'identité, provoquera contre lui l'application des peines portées par la loi. »

Les autres articles appliquaient

les mêmes dispositions à toutes les autorités et tous les individus civils et militaires qui auraient pris part à l'entreprise de Napoléon. Il était donc autorisé, soit à craindre pour ses jours, soit à croire à des vengeances contre les royalistes de la part de ceux qui, se déclarant ses partisans, mettraient ainsi leur vie en danger. Il ne s'arrêta toutefois qu'à cette dernière inquiétude, et il écrivait à un général : «On m'assure que »vos troupes, connaissant les dé»crets de Paris, ont résolu par représailles de faire main-basse » sur les royalistes qu'elles rencon>>treront Vous ne rencontrerez »que des Français. Je vous dé»fends de tirer un seul coup de » fusil....... Dites à vos soldats que je » ne voudrais pas entrer dans ma » capitale à leur tête, si leurs ar»mes étaient teintes du sang fran»çais. » Les troupes que Napoléon rencontra sur sa route vinrent à lui et prirent rang dans son armée.

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>> sentimens que cet événement » leur a fait éprouver. En rompant ainsi la convention qui l'avait »établi à l'île d'Elbe, Bonaparte » détruit le seul titre légal, auquel » son existence se trouvait atta>>chée. En reparaissant en France » avec des projets de troubles et » de bouleversemens, il s'est privé »lui-même de la protection des lois, et a manifesté à la face de l'univers, qu'il ne saurait y avoir »ni paix ni trève avec lui. Les »puissances déclarent en consé»quence, que Napoléon Bonapar»te s'est placé hors des relations » civiles et sociales; et que, com>> me ennemi et perturbateur du »repos du monde, il s'est livré à

la vindicte publique; elles décla>> rent en même temps que ferme»ment résolues de maintenir in»tacts le traité de Paris du 30 mai 1814, et les dispositions sanction» nées par ce traité, et celles qu'elles ont arrêtées ou qu'elles arrê»teront encore pour le compléter » et le consolider; elles emploie»ront tous les moyens et réuniront >> tous leurs efforts pour que la paix » générale, objet des voeux de l'Eu»rope, ce vœu constant de leurs » travaux, ne soit pas troublée de » nouveau, et pour la garantir de >> tout attentat qui menacerait de » replonger les peuples dans les » désordres et les malheurs des ré»>volutions; et, quoique intime»>ment persuadés que la France » entière se ralliant autour de son » souverain légitime fera inces>> samment rentrer dans le néant » cette dernière tentative d'un délire criminel et impuissant, tous » les souverains de l'Europe, ani» més des mêmes sentimens et

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