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pour les affaires de ce monde avec la négligence et l'insouciance que l'on met à celles de l'éternité, et que l'on se juge.

On ne court point dans la carrière du salut sans la pénitence. Saint Paul nous apprend qu'il traitait rudement son corps et qu'il le réduisait en servitude (1); c'est ce qu'il appelait courir, ne point courir au hasard, et ne point donner des coups en l'air. Les athlètes dont il parle observaient aussi un régime rigoureux, afin de se rendre plus agiles, plus propres à la course, et pour mieux s'en assurer le prix, qui pourtant ne consistait qu'en une couronne composée du feuillage de quelque arbre ou de quelque plante. Il s'agit ici d'une bien autre couronne, d'une couronne de gloire incorruptible, et du bonheur éternel. Voyons si nous en faisons autant; si nous ne cherchons pas plutôt à satisfaire nos goûts qu'à les contredire; si nous nous privons pour Dieu de quelques plaisirs; si nous livrons quelques combats à nos mauvaises habitudes; si nous pratiquons quelques mortifications. Telle cependant doit être la vie du chrétien. Qu'avons-nous donc à attendre, si nous ne nous y conformons pas ? et sur quoi reposerait notre confiance pour notre salut futur?

Que nous sommes loin des sentimens de l'Apôtre! Malgré tous ses travaux, malgré la vie pénitente qu'il menait, malgré le mérite de ses prédications, il n'était pas sûr de son salut; il craignait, après avoir prêché aux autres, d'être réprouvé lui(1) I. Corinth, IX. 27.

même. Chrétiens insoucians et tièdes, que cet exemple vous fasse trembler! qu'il vous imprime au moins une crainte salutaire, et qu'à l'approche du temps de pénitence, il fasse naître en vous un saint et heureux repentir !

ÉVANGILE.

Saint Matth., ch. XX, v. I.

Ex ce temps-là, Jésus dit cette parabole à ses disciples :

Le royaume du ciel est semblable à un père de famille qui sortit dès le grand matin afin de louer des ouvriers pour travailler à sa vigne; et étant demeuré d'accord avec les ouvriers qu'ils auraient un denier pour leur journée, il les envoya à sa vigne. Il sortit sur la troisième heure du jour, et en ayant vu d'autres qui se tenaient dans la place sans rien faire, il leur dit : Allez-vous-en aussi vous autres à ma vigne, et je vous donnerai ce qui sera raisonnablé ; ils s'y en allèrent. Il sortit encore sur la sixième et sur la neuvième heure du jour, et il fit la même chose. Enfin, étant sorti sur la onzième heure, il en trouva d'autres. qui étaient là sans rien faire, auxquels il dit : Pourquoi demeurez-vous là tout le long du jour sans travailler? c'est, lui dirent-ils, que personne ne nous a loués; et il leur dit : Allez-vous-en aussi en ma vigne. Le soir étant venu, le maître de la vigne dit à celui qui avaît le soin de ses affaires : Appelez les ouvriers, et payez-les, en commençant depuis les derniers jusqu'aux premiers. Ceux donc qui n'avaient travaillé que depuis la onzième heure, s'étant approchés, reçurent chacun un denier. Ceux qui avaient été loués les premiers, venant à leur tour, s'attendaient qu'on leur en donnerait davantage; mais ils ne reçurent néanmoins que chacun un denier ; et, en le recevant, ils murmuraient contre le père de famille, en disant: Ces derniers n'ont travaillé qu'une heure, et vous les traitez comme nous, qui avons porté le poids du jour et de la chaleur. Mais il répondit à l'un d'eux : Mon ami, je ne vous fais point de tort; n'êtes-vous pas convenu avec moi à un denier pour votre jour

née? Prenez ce qui vous appartient et vous en allez ; pour moi, je veux donner à ce dernier autant qu'à vous. Ne m'est-il pas permis de faire ce que je veux de ce qui est à moi ? Et votre œil est-il mauvais parce que je suis bon? Ainsi les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers, parce qu'il y en a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus.

Le royaume du ciel, dont il est parlé dans la parabole qui fait le sujet de l'évangile que nous venons de lire, est l'Église. Le père de famille, c'est Dieu lui-même, qui est le chef de ce royaume, et qui l'a fondé. La vigne est l'œuvre du salut, et les ouvriers sont tous les chrétiens; les différentes heures du jour sont les différens âges de la vie ; le travail est le soin qu'on prend de son salut et de celui des autres; et le denier qui est distribué à la fin du jour, c'est-à-dire à la fin de la vie, et qui est donné aux ouvriers, est la récompense éternelle.

Cela supposé, le sens de la parabole est clair. Le maître sort de grand matin pour chercher les ouvriers qui doivent travailler à sa vigne. C'est Dieu qui, dès l'aurore de notre vie, nous prévient de bonnes pensées et de bons désirs, ou nous ménage de la part de nos parens et de nos maîtres de bons exemples et d'utiles instructions. Si dans cet âge tendre nous répondons à ces saintes inspirations, c'est un grand bonheur; car les habitudes qu'on prend dès l'enfance se forment plus aisément et se conservent mieux. L'âme se plie au joug, s'y accoutume, et finit par l'aimer.

Mais si ce n'est pas au moment où la raison

commence à éclore qu'on s'attache au service de Dieu, que ce soit du moins à la troisième heure du jour, c'est-à-dire quand la raison s'est fortifiée, quand l'intelligence a fait des progrès pour s'ouvrir aux vérités de la religion, et avant qu'on ait pu être séduit par les maximes du monde. Heureux ceux qui n'attendront pas plus tard à travailler à leur salut! Un plus long délai a ses dangers. Outre ceux qui proviennent de l'incertitude de la vie, on ne diffère alors sa conversion que parce qu'on ne répond pas aux grâces dont Dieu ne manque jamais de prévenir les âmes encore innocentes, et la punition de cette négligence est d'en moins recevoir, et par conséquent d'avoir moins de secours pour vaincre les obstacles qui s'opposent au salut.

Alors que ce soit à la sixième heure du jour, c'est-à-dire dans la maturité de l'âge, que l'on songe à sa conversion. La raison est dans toute sa force. Si auparavant ón a eu le malheur de se laisser entraîner, le charme a cessé, et l'enchantement a disparu. Les plaisirs quittent à cette époque de la vie ceux qui ne veulent point les quitter, et le monde qui les avait accueillis les délaisse; qu'ils profitent du moins de cet abandon. Que peuventils faire de mieux que recourir à Dieu ? il ne rejette personne; ses bras sont toujours ouverts pour recevoir le pécheur,quand c'est de cœur qu'il revient, quand son repentir est sincère. Mais que ceux-là se gardent d'attendre plus long-temps; car l'heure presse. Ils ont encore celle d'aujourd'hui; mais demain ne leur appartient pas.

Telle est cependant la bonté de Dieu, qu'il ne rejette pas même ceux qui ne viennent qu'à la onzième heure, c'est-à-dire au déclin de la vie. Mais combien il est difficile de rentrer dans les sentiers de la vertu après un grand nombre d'années passées dans le péché! La conversion alors est un prodige de la grâce, et Dieu ne doit des prodiges à personne. Qu'on ne se fie donc point à une conversion tardive! Il s'en fait sans doute, et par conséquent, dit saint Augustin (*), il ne faut point en désespérer; mais il s'en fait rarement, et ce serait une grande folie que d'y compter. Tous sont ap-. pelés à recevoir le denier à la fin du travail; mais tous ne le reçoivent point, parce qu'il n'est pas dû à ceux qui n'ont point travaillé. De là cette vérité effrayante, qu'il y a beaucoup d'appelés, et peu d'élus.

POUR LE DIMANCHE DE LA SEXAGESIME.

M.

ÉPITRE.

Saint Paul, II. aux Corinth., ch, XI, v. 19. XII, v. 1.

Es frères, étant sages comme vous êtes, vous souffrez sans peine les imprudens, vous souffrez même qu'on vous asservisse, qu'on vous mange, qu'on vous prenne votre bien, qu'on s'élève sur vous, qu'on vous frappe au visage. C'est à ma confusion que je le dis, puisque nous passons pour avoir été trop faibles en ce point. Mais, puisqu'il y en a qui sont hardis à parler d'eux-mêmes, je veux bien faire une imprudence en

(*) Ce père dit en parlant du bon larron converti sur la croix, et au noment de mourir, il en est un;

ne désespérez point. Mais il n'en est qu'un; ne présumez pas. Unus est, ne desperes: unus est, ne confidas.

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