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une véritable « dictature anticléricale », que n'avaient exercée ni le Comité de Salut public, ni le Comité de sûreté générale. Par l'article 24 de la loi du 19 fructidor, le Directoire était armé du pouvoir arbitraire de déporter, << par des arrêtés individuels motivés, les prêtres qui troubleraient dans l'intérieur la tranquillité publique ». Contre les réfractaires fonctionna cette « guillotine sèche », si souvent signalée dans les histoires catholiques. Cependant, il ne faudrait pas croire que les 8.235 prêtres désignés furent tous déportés : on évalue à 258 le nombre des prêtres fructidorisés. Le pape lui-même fut fructidorisé. La République fut proclamée à Rome et placée sous la protection du Directoire, qui fit enfermer Pie VI, le « vieux renard », d'abord à Florence et à Parme, puis à Valence. Audace inouïe: le Saint-Père prisonnier de cette République française, de cette Révolution contre laquelle il avait tant de fois lancé l'anathèine!

Toutes ces mesures étaient appliquées aux pays conquis de la rive gauche du Rhin, notamment à la Belgique où, en 1796-1797, les ordres religieux avaient été supprimés, leurs biens confisqués, le serment exigé, la circulation interdite aux brefs du pape, les réfractaires déportés après fructidor, les troubles étouffés par le décret draconien qui proscrivit d'un coup plus de 6.000 prêtres et priva de leurs curés plusieurs millions de chrétiens.

Telle fut la politique du Directoire, à l'égard des réfractaires. Cette politique paraît avoir été caractérisée par Drulhe, à la tribune des Cinq-Cents, dans la séance du 4 floréal an IV:

<< Vous avez voulu et vous voudrez toujours que chaque citoyen soit libre de professer en paix telles opinions religieuses qu'il lui plaît ;... mais vous n'avez pas voulu,

vous ne voudrez jamais qu'on se serve des opinions religieuses pour exciter les hommes à la révolte contre l'autorité légitime et pour allumer au milieu d'eux le flambeau des discordes intestines... Ce n'est pas comme prêtre que vous attaquerez ces hommes qui prêchent la guerre civile, au nom d'un Dieu de paix, et foulent aux pieds la souveraineté du peuple, au nom du roi ; mais vous les punirez comme mauvais citoyens, comme rebelles aux lois de la patrie. Vous n'êtes pas persécuteurs; mais vous avez le droit de ne pas tolérer ceux qui vous persécutent. »

Est-il téméraire de conclure, après cela, que la séparation, qui obligea pourtant les différents cultes à vivre côte à côte (à Notre-Dame, on en vit trois se succéder à des heures différentes : le culte décadaire, le culte philanthropique et le culte catholique gallican), n'a été qu'une séparation apparente, presque exclusivement financière?

Il ne pouvait pas en être autrement, parce que l'anticléricalisme révolutionnaire a été surtout la peur de rétrocéder les biens de l'Église et ceux des émigrés, parce qu'il n'a duré que ce qu'a duré cette peur, et parce que l'Église ne pouvait vivre en paix avec la Révolution qui avait commencé par liquider ses propriétés.

CINQUIÈME PARTIE

LE CONCORDAT

« La Révolution est finie, » écrivait Bonaparte au lendemain du 18 brumaire. Et le mot est vrai, sauf pour le domaine social et juridique où le régime napoléonien a maintenu la révolution propriétaire et les privilèges de la bourgeoisie.

Brumaire n'est pas le retour à l'ancienne féodalité, mais c'est le retour à l'ancienne monarchie que Bonaparte rajeunira par une merveilleuse machine de centralisation administrative; c'est aussi le retour au système des concordats.

Le Concordat de 1801 ferme à peu près la Révolution au point de vue religieux. Ce fut une restauration. Le début de son histoire appartient à la période de réaction contre les «< excès» de la Révolution. C'est la fin d'une chose la séparation, et le recommencement d'une autre : les rapports entre l'Église et l'État. Il constitue logiquement le dernier chapitre d'un aperçu historique sur l'Église et la Révolution française.

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La situation est très nette après Brumaire : personne ne songe au Concordat.

La renaissance catholique avait rouvert quarante mille

églises, ainsi que le constatait avec joie, en 1803, l'évêque constitutionnel de Rennes, Lecoz. Le régime de la séparation n'avait donc pas déchristianisé la France, et c'est contre toute vérité que Bonaparte, par intérêt, s'est fait passer, aux yeux des catholiques, pour le restaurateur des autels. La séparation n'avait pas encore porté tous ses fruits. On attendait d'elle la complète liberté des cultes.

« A l'époque de l'avènement de Bonaparte, dit Mme de Staël, témoin autorisé du Consulat, les partisans les plus sincères du catholicisme, après avoir été aussi longtemps victimes de l'inquisition politique, n'aspiraient qu'à une parfaite liberté religieuse. Le vœu général de la nation se bornait à ce que toute persécution cessât désormais contre les prêtres et que l'on n'exigeât plus d'eux aucune espèce de serment, afin que l'autorité ne se mêlât en rien des opinions religieuses de personne. Ainsi donc le gouvernement consulaire eût contenté l'opinion en maintenant en France la tolérance telle qu'elle existe en Amérique. »

Cependant, on a parlé de l'opinion exprimée par les conseils généraux. Or, M. Aulard a établi qu' « on n'en trouve pas un qui ait, soit demandé le retour au Concordat, soit même critiqué en principe le régime de la séparation. Un seul département, celui des Deux-Sèvres, demanda l'intervention du pape en vue de faire cesser le schisme, mais il ne demanda pas un concordat >>.

Les premiers actes du Consulat sur le terrain religieuxmise en liberté d'un grand nombre de prêtres emprisonnés par le Directoire, promesse aux curés déportés de les laisser rentrer en France, usage des églises garanti, célébration du dimanche permis, réduction du serment

à celui de «< fidélité à la Constitution >>

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préparaient une complète séparation et valurent au Premier Consul, de la part des prêtres, des milliers d'adresses de reconnaissance, de fidélité et de dévouement.

D'autre part, l'effervescence réfractaire se calmait. Dans une étude, où le ministre de l'intérieur examinait la situation religieuse de la France en l'an IX, on lit que « dans la majorité des départements, le clergé catholique romain, même s'il n'a pas fait la promesse de fidélité exigée par la loi du 21 nivôse an VIII, a renoncé à guerroyer contre la République », que « les procédés sont plus paisibles de part et d'autre », que « les catholiques ont renoncé pour l'instant soit à asservir l'État, soit à étouffer les autres cultes; peu à peu ils sentent le prix de la liberté dont ils jouissent; on est en visible voie de pacification. >> Est-ce à dire que l'Église ait renoncé à ses biens? On ne peut le supposer puisqu'elle les réclamera au cours des négociations qui précédèrent le Concordat. Mais peut-être est-elle lassée d'une lutte longue et stérile, peut-être a-t-elle peur du gouvernement si puissant de Bonaparte.

Quoi qu'il en soit, à la veille du Concordat, personne ne songe au Concordat.

Personne? Si; quelqu'un : Bonaparte...

Est-ce par piété que le général de Brumaire songe à renouer les relations de l'Église et de l'État, à reconstituer l'Église en service national? Mais les « catholiques sincères» s'accommodent de la séparation! Il avait parlé avec dédain au cours de sa première campagne d'Italie, de la << prêtraille » et des « radoteurs imbéciles de la cour de Rome »>! A son retour, il avait rangé la religion, dans

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