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des intérêts privés en exerçant la librairie sans brevet.

M. Casimir Périer. Messieurs, avant d'adopter l'amendement, je crois qu'il y a lieu de faire une observation qui n'est pas sans importance. Considérez, je vous prie, la position dans laquelle vous mettriez les départements qui, sur plusieurs points, manqueraient d'individus exerçant la librairie. Comme cela est extrêmement grave, peutêtre serait-il convenable de renvoyer à la commission comme vous l'avez fait hier. (Des murmures s'élèvent.)

Messieurs, il n'y a pas de discussion possible si l'on interrompt de cette manière. Je dis qu'il serail convenable de renvoyer à la commission qui combinerait ensemble les diverses propositions et les comparerait au règlement de 1723 que personne n'a sous les yeux. Si vous n'agissez pas ainsi, vous courez le risque de vous mettre dans une position difficile, ainsi que vous allez le voir.

La loi de 1814 dit que nul ne pourra être libraire s'il n'est muni d'un brevet délivré par le gouvernement sur un certificat de bonne vie et mœurs. Eh bien! si vous adoptez l'amendement de M. Hyde de Neuville, auquel je ne m'oppose pas au fond, il dépendra de la volonté du gouvernement de priver et les campagnes et les départements de toute espèce de livres. Cet inconvénient est trop grave pour que vous refusiez d'y remédier. Je crois que, pour y parvenir, il faudrait dire que le brevet de colporteur ne pourra être refusé à tout individu qui justifiera, conformément aux dispositions de la loi de 1814, d'un certificat de bonne vie et mœurs, visé par l'autorité municipale du lieu de son domicíle. (Les murmures continuent.)

Messieurs, il faut connaître les détails commerciaux pour sentir dans quelle situation les libraires se trouveraient placés. Ils ne pourraient donc plus envoyer de commis-voyageurs dans les provinces. (Nouveaux murmures.)

Plusieurs voix: Si, si!...

M. Casimir Périer. Nous ne nous opposons pas aux mesures que vous pouvez juger nécessaires contre les colporteurs; mais nous vous demandons de ne pas laisser une branche de commerce aussi intéressante que la librairie entièrement à la merci de l'administration. Cela est très important. Je pourrais dire que, dans différentes villes, M. le ministre de l'intérieur s'est fait présenter des brevets de libraire, sous prétexte qu'ils n'étaient pas en règle; que ces brevets n'ont pas été rendus, et que les libraires ont été supprimés. Les mesures de ce genre ont été tellement multipliées, qu'il y a une foule de villes qui manquent absolument de libraires. (On rit.)

Plusieurs voix : Oh! il n'y en a que trop !...

M. Casimir Périer. Je persiste dans ma proposition.

(On demande à aller aux voix.)

M. Agier. J'espère que la Chambre, en raison de la gravité de la matière, voudra bien me prêter quelques instants d'attention. J'avais le désir d'appuyer l'amendement de mon honorable ami M. Hyde de Neuville; la discussion qui vient d'avoir lieu n'a fait qu'accroître ce désir. Messieurs, les réflexions lumineuses qui vous ont été

présentées, et par M. le commissaire du roi et par M. Pardessus, ont dû vous faire sentir la nécessité d'adopter l'amendement de M. Hyde de Neuville. En effet, d'après ce que vous a dit M. le commissaire du roi, la législation, malgré les arrêts de la cour royale de Paris et de la Cour de cassation, serait encore incertaine. Le danger sur lequel j'appelle votre attention résulte de ce que la police n'accorde pas de nouveaux brevets de libraire pour remplacer ceux auquels elle a jugé à propos de les retirer. Des brevets de libraire ont été souvent demandés pour des personnes appuyées des plus honorables recommandations du département. Ces brevets ont été refusés. Il en est résulté une diminution dans le nombre des libraires; et, d'un autre côté, les colporteurs de mauvais livres se sont multipliés. C'est là, Messieurs, que réside tout le mal, et que doivent porter tous les soins du législateur. On dit souvent que s'il n'y avait point de receleurs, il n'y aurait point de voleurs, ou du moins il n'y en aurait pas autant; je dirai, moi, que s'il n'y avait pas de colporteurs, il n'y aurait pas tant de mauvais livres répandus. Vous voyez, Messieurs, par cette seule réflexion sur le colportage, que la sévérité de la loi doit être appelée.

Pour colporter des livres, il faut nécessairement être muni d'un brevet, et on doit demander à un colporteur son brevet, comme on demande à un voyageur son passeport. Vous sentez assez, sans que j'aie besoin de m'étendre sur ce sujet, combien il serait dangereux de laisser colporter des livres à des hommes sur lesquels la police ne pourrait exercer aucune surveillance.

Pour assurer l'exécution d'une disposition pénale, je pense qu'il convient de ne pas trop élever l'amende, et de laisser une certaine latitude aux juges. J'ai eu, dans la discussion générale, l'occasion de dire que toutes les fois que vous agrandissez le cercle pour la conscience du magistrat, il s'y renferme et applique une peine proportionnée à la gravité du délit. Ainsi, l'amende de 500 francs prononcée par le règlement de 1723 était peut-être trop forte. Je pense qu'il vaudrait mieux la graduer de 30 francs à 500 francs, suivant le plus ou moins de gravité du délit. Par la même raison, la proposition de M. Hyde de Neuville me paraît offrir quelques dangers. Peutêtre ne faudrait-il porter la peine de l'emprisonnement que de cinq jours à trois mois.

En me résumant, je dirai qu'il n'existe pas, à proprement parler, de dispositions législatives contre le colportage de livres, et qu'il y a nécessité d'en insérer une dans la loi actuelle, afin de satisfaire au désir que doivent avoir les honnêtes gens, d'empêcher, autant que possible, la circulation des mauvais livres. Par toutes ces considérations, qui me paraissent de la plus haute importance, j'appuie de toutes mes forces l'amendement de M. Hyde de Neuville avec les changements que j'ai indiqués.

M. Hyde de Neuville. J'en appelle à tous les préfets et sous-préfets qui sont dans cette Chambre, si vous portez l'amende à 500 francs contre un malheureux colporteur qui souvent n'a pas pour 100 francs de livres, la loi pourra-t-elle être exécutée? Les juges reculeront devant l'application d'une amende aussi forte. Ne vaut-il pas mieux établir un minimum et laisser au juge une certaine latitude qui lui permette de proportionner la peine au délit? Elevez autant que vous voudrez le maximum. Si vous trouvez que l'amende de 2,000 francs ne soit pas assez forte

contre un libraire forain, riche, qui vendrait de mauvais livres, élevez-la, si vous voulez, jusqu'à 20 et 30,000 francs.

Je ne crois pas qu'il y ait tyrannie à obliger un colporteur d'avoir avec lui son brevet de libraire et de l'exhiber à l'autorité locale. Le gouvernement donne des brevets de libraire à ceux qui lui paraissent offrir assez de garanties contre l'abus qu'ils peuvent en faire. J'avoue que je serais d'avis que ces brevets fussent beaucoup plus répandus, car il est utile aux sciences et aux lettres qu'il y ait beaucoup de libraires, et il me semble qu'il n'y en a pas assez. (Murmures.) Oui, Messieurs, et c'est ce qui occasionne le colportage. Laissez un homme honnête s'établir dans un arrondissement, lorsqu'il paie patente et qu'il offre à l'autorité toutes les garanties désirables, et empêchez qu'un inconnu ne vienne, en colportant des livres, porter préjudice à son

commerce.

Je consens à la suppression du mot distribuer, puisqu'on l'a interprété dans un sens différent de celui que j'y attachais. Je n'avais entendu parler que d'un colporteur qui distribue des livres, et non pas d'un magistrat ou d'un député qui fait distribuer son opinion.

(On demande la clôture de la discussion.) M. Benjamin Constant obtient la parole contre la clôture.

M. Benjamin Constant. Si la Chambre veut bien y réfléchir, il me semble impossible qu'elle vote la clôture sur une question qui tend à établir des peines, et qui, comme je m'engage à le prouver, n'a pas encore été éclaircie car tous les orateurs que vous avez entendus se sont contredits; et il suffirait de rapprocher leurs raisonnements pour prouver la nécessité d'examiner avec plus de maturité cette question, et de la renvoyer à l'examen de la commission. Sans cela, vous courrez le risque de faire une loi pénale en contradiction avec le Code pénal. Je demande, en conséquence, la continuation de la discussion, et à répondre aux arguments qui ont été produits.

Plusieurs voix Parlez, parlez !...

D'autres voix : La clôture!

(M. de Berthier obtient la parole pour proposer un sous-amendement.)

M. de Berthier. Messieurs, trop de précipitation serait d'autant moins convenable ici qu'il s'agit d'une proposition en quelque sorte nouvelle. Je crois devoir vous proposer de modifier ainsi l'amendement de M. Hyde de Neuville: « Nul ne pourra colporter et vendre des livres, écrits et brochures, s'il n'a préalablement justifié à la mairie du brevet, etc. » Comme le but de cette disposition est principalement de prévenir les abus du colportage dans les campagnes, j'ai. proposé d'assujettir les colporteurs à justifier à la mairie du brevet de libraire dont ils doivent être porteurs, afin que la vente des livres ne puisse avoir lieu avant que le maire en ait connaissance. J'ai ainsi remplacé la sous-préfecture par la mairie. On s'est attaché, dans cette discussion. à établir qu'il fallait une seule pénalité pour ce genre de contravention, et on a proposé une amende fixe de 500 francs, ainsi qu'elle est établie dans le règlement de 1723. J'observerai qu'avant la Révolution, tous les ouvrages étaient

soumis à la censure, et qu'alors il n'est pas étonnant qu'il n'y eût qu'une même pénalité, puisqu'il n'y avait pas de gradation dans le délit. Aujourd'hui il n'y a plus de censure: ainsi le délit peut être plus ou moins grave, et par conséquent il est juste de graduer les peines. Je propose de punir tout contrevenant d'une amende de 100 fr. à 1,000 francs et de cinq jours à un mois de prison.

Je termine en demandant le renvoi à la commission et de l'amendement et des sous-amendements, afin que ces diverses propositions puissent être coordonnées entre elles. Cet article me paraît un des plus importants et des plus propres à réprimer les abus qui résultent de la circulation des mauvais livres.

Voix nombreuses: Appuyé, appuyé!

(M. le ministre de l'intérieur se lève pour monter à la tribune.)

M. le Président. Je crois devoir rappeler à la Chambre l'état de la question et remettre sous ses yeux les diverses propositions qui ont été faites. L'amendement de M. Hyde de Neuville a été l'objet de sept sous-amendements. (M. le président rappelle tous ces amendements). Au milieu de tous ces amendements, on a demandé le renvoi à la commission de la proposition de M. Hyde de Neuville et des sous-amendements.

M. Hyde de Neuville. Je ne m'oppose pas à ce renvoi.

M. de Corbière, ministre de l'intérieur. Si la Chambre a l'intention de les renvoyer à la commission, je n'ai pas maintenant d'observations à lui soumettre; mais si le renvoi n'était pas prononcé, je demanderais à être entendu.

(La Chambre, consultée, décide que l'amendement de M. Hyde de Neuville et les sous-amendements seront renvoyés à la commission.)

M. le Président. Article 6 du projet de loi: « Les peines portées par les articles 1er et 5 de la présente loi sont indépendantes de celles que les auteurs de la publication auront encourues pour les autres crimes ou délits qui auront été commis par cette publication. »

M. Josse-Beauvoir. Mais il n'y a pas d'article 5.

M. le Président. Le numéro est encore incertain. L'article dont j'ai donné lecture restera l'article 6, si on met quelque chose à la place de l'article 5; si on ne met rien, il deviendra l'article 5.

M. de Peyronnet, garde des sceaux. Dans l'état où se trouve maintenant la partie de la loi qui a été adoptée, il est impossible de laisser dans cet article la désignation de l'article 5, puisqu'il n'y a pas encore d'article 5, et qu'il n'y en aura que dans le cas où la Chambre adopterait, en tout ou en partie, la proposition de M. Hyde de Neuville.

M. Pardessus. Je proposerai de mettre à la place des mots les peines portées par les articles 1er et 5, ceux-ci les peines portées par les articles précédents.

(L'article, ainsi modifié, est mis aux voix et adopté.)

L'article 7 est adopté, sans discussion, en ces termes :

Les dispositions du présent chapitre sont indistinctement applicables à tous les écrits imprimés, quels que soient le mode et les procédés de leur impression. »

On passe à la discussion du chapitre II.

CHAPITRE II.

De la publication des écrits périodiques.

Art. 8. Aucun journal ou écrit périodique quelconque ne pourra être publié, s'il n'a été fait préalablement une déclaration indiquant le nom des propriétaires, leur demeure, et l'imprimerie autorisée dans laquelle le journal ou écrit périodique devra être imprimé.

« Cette déclaration sera faite par les propriétaires du journal ou écrit périodique, et non autrement.

«Elle sera reçue, à Paris, à la direction de la librairie, et dans les départements, au secrétariat général de la préfecture.

Si la déclaration est reconnue fausse par les tribunaux, le journal ou écrit périodique cessera de paraître..

M. le Président. La commission a proposé de modifier ainsi le premier paragraphe de cet article:

Aucun journal ou écrit périodique quelconque ne pourra être publié s'il n'a été fait préalablement une déclaration indiquant le nom de tous les propriétaires, leur demeure, la part de chacun d'eux dans l'entreprise, et l'imprimerie autorisée dans laquelle le journal ou écrit périodique devra être imprimé. ›

M. de Salaberry a demandé qu'après ces mots du projet de la commission: La part de chacun d'eux dans l'entreprise, il soit ajouté: « et les intervalles ou les jours auxquels paraitra chaque numéro du journal ou écrit périodique. › La marche à suivre dans notre délibération serait facile si les sous-amendements se réduisaient à ces termes; mais il a été présenté, par M. Mestadier, un amendement qu'il veut rendre applicable aux articles 8, 9 et 15 du projet de loi. En conséquence, il a proposé de leur substituer un article conçu en ces termes :

Nul journal ou écrit périodique quelconque ne pourra, sous les peines portées par l'article 6 de la loi du 9 juin 1819, être publié que par un Français, âgé de trente ans accomplis, jouissant des droits civils et politiques, payant depuis plus d'un an 1,000 francs de contribution foncière, et trente jours après le dépôt par lui fait à la direction de la librairie ou au secrétariat de la préfecture :

1° D'une quittance constatant le versement en numéraire du cautionnement exigé par l'article 1er de la loi du 9 juin 1819;

2o D'une affectation d'immeubles libres imposés à 1,000 francs de contribution.

«L'auteur de la déclaration restera seul directeur et éditeur responsable. Il ne pourra contracter de société, relativement à la propriété de son écrit périodique ou journal, que pour les deux tiers, à peine de nullité. »

C'est à la Chambre à décider s'il convient d'accorder la priorité à l'amendement de M. Mestadier ou à celui de la commission.

M. Mestadier. Je demande à parler sur la question de priorité: (La parole est accordée.) Messieurs, la commissiou, dans les modifications qu'elle a proposées, respecte les bases du projet de loi. Je trouve que l'application de ces règles aux journaux actuels est injuste et entachée de rétroactivité. Pour obvier aux inconvénients qui ont motivé la proposition du gouvernement, je voudrais qu'il fût permis à tout Français réunissant les conditions indiquées, de publier un journal ou écrit périodique consacré en tout ou en partie aux matières politiques. C'est en cela que j'appuie l'amendement de mon honorable ami, M. de Beaumont. Si mon amendement était adopté, je proposerais un autre article qui donnât aux tribunaux le droit de suspendre ou de supprimer un journal, en cas de délit contre la religion, la royauté, la Charte et les droits qu'elle garantit. C'est le seul moyen, ce me semble, d'avoir une répression efficace. Les tribunaux auront toujours peine à se déterminer à suspendre ou à supprimer un journal lorsqu'ils savent qu'à défaut de l'organisation du gouvernement, ce journal ne serait pas remplacé; et qu'ils pourraient craindre que par la suppression successive des journaux, on arrivât à n'avoir plus la liberté de la presse périodique que sous le bon plaisir des ministres.

Il me suffit, pour le moment, d'avoir indiqué ma proposition. Si vous me donnez la parole pour la développer, vous pourrez prononcer en connaissance de cause; mais si vous donnez la priorité à l'amendement de la commission, il en résultera que ma proposition se trouverait implicitement rejetée sans avoir été développée.

M. Bonet. Je demande la priorité pour le projet de loi, tel qu'il est amendé par la commission. Ce que vous propose M. Mestadier n'est pas une bagatelle (On rit.): c'est une loi entière, qui non seulement renverse le projet de loi, mais encore la loi de 1822 qui porte que nul journal ou écrit périodique, consacré en tout ou en partie aux matières politiques, ne pourra être établi et publié sans l'autorisation du roi.

La commission se serait bien gardée de vous proposer de rapporter une loi, car ce serait entreprendre sur l'initiative royale. Sous ce rapport, la proposition de M. Mestadier ne devrait pas même être mise en discussion. Je demande la priorité pour les amendements de la commission.

(La priorité est accordée aux amendements de la commission.)

M. le Président met aux voix le premier amendement de la commission, qui consiste à remplacer les mots : le nom des propriétaires ; par ceux-ci le nom de tous les propriétaires. (Cet amendement est adopté.)

La Chambre adopte également le second amendement, qui consiste à ajouter après les mots : leur demeure, ceux-ci: la part de chacun d'eux dans l'entreprise.

La parole est accordée à M. de Salaberry pour développer son amendement, qui consiste à ajouter à la disposition que la Chambre vient d'adopter, celle-ci et les intervalles ou les jours auxquels paraîtra chaque numéro du journal ou écrit périodique. »

M. de Salaberry. Messieurs, la loi, dans mon opinion, doit être plutôt fortifiée qu'affaiblie je pense donc que l'amendement de commission

ajoute aux garanties que donne le projet du gouvernement, puisqu'elle substitue à la déclaration indiquant le nom des propriétaires et leur demeure, la déclaration indiquant le nom de tous les propriétaires de journaux et la part que chacun d'eux a dans l'entreprise : c'est à cette disposition que je demande qu'il soit ajouté ces mots: Et les intervalles ou les jours auxquels paraitra chaque numéro du journal ou écrit périodique. Et voici les motifs de cet amendement additionnel.

J'applaudis de grand cœur à toutes les précautions prises dans l'article; mais l'expérience nous avertit de nous mettre en défiance contre la ruse et les subterfuges des propriétaires de journaux, contre leur habileté à éluder les lois qui les gênent. Si on ne leur impose pas immédiatement et en termes très précis les obligations qu'ils auront à remplir, dans peu ils trouveront le moyen de s'affranchir. Dans l'état actuel, les lois distinguent entre les journaux et les écrits périodiques paraissant plus d'une fois par mois : le cautionnement, pour ceux-ci, n'est pas de la moitié de celui exigé pour les autres. D'un écrit périodique, les numéros ou livraisons sont publiés toutes les semaines, par exemple; et peuvent devenir plus multipliés sans que le cautionnement en soit augmenté. Si vous n'assujettissez pas les propriétaires à déclarer quel nombre de feuilles ou de livraisons ils feront publier par mois, l'écrit périodique se convertira en journal quotidien, échappera au cautionnement qu'il devrait consigner en cette qualité, sans que l'autorité ait les moyens d'empêcher, je ne dirai pas cette fraude, mais au moins cette ruse: c'est donc à la loi d'y pourvoir. Il serait même à désirer que tous les articles fussent signés par leurs auteurs. Le vieux renom de tel ou tel journal peut tromper le public le nom de l'écrivain sert de mesure à la confiance qu'on lui accorde ou qu'on lui refuse. Par mon amendement ainsi complété, la société trouvera ses sûretés contre la puissance, contre l'effet des journaux; et qu'il me soit ici permis de placer une observation et de rétablir un fait incontestable avant de quitter cette tribune.

J'ai dû attendre et j'ai attendu qu'après la discussion générale, on prononçât le mot de journal pour venir détruire l'assertion de M. Benjamin Constant, au sujet de ses propres paroles que j'ai citées comme positives pour caractériser l'effet des journaux. (Des murmures s'élèvent.) J'avais cru inutile de répliquer sur-le-champ, parce que je n'avais qu'à montrer le livre et dire à la Chambre prenez et lisez le passage entier.

Mais M. Benjamin Constant a dit que je n'avais ni écouté ni entendu dans le moment; et voici ce que j'ai lu dans le Moniteur du lendemain 15 février : «On a cité comme exprimant mon opinion les paroles que j'avais mises dans la bouche des hommes que je combattais. »

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J'ai pris la version du Moniteur vous remarquerez que celle du Constitutionnel. à l'usage de ses vingt mille abonnés, est toute différente; mais l'une n'a pas plus de valeur que l'autre.

Le livre est loi: un personnage très connu a jugé à propos de dire: « Je ne connais rien de plus méprisable qu'un fait. » Non, Messieurs : nous ne connaissons rien de plus entêté.

Et c'est ainsi que je profite encore de la circonstance qui m'a appelé à cette tribune pour prouver, jusqu'à l'évidence, à trois de mes collegues, que mes paroles contre lesquelles ils ont cru devoir s'élever comme absurdes, injustes et

atroces, n'ont et ne peuvent avoir qu'un seul sens je m'en rapporte à leur loyauté.

J'ai dit, en parlant des écrivains de journaux ou d'écrits périodiques, que je ne sais de quelle religion ils sont, car il ne leur est pas même nécessaire de croire en Dieu.

Plusieurs voix: A l'amendement !

M. de Salaberry. J'ai dit à leur sujet : « La presse est la baliste perfectionnée qui lance des torches et des flèches empoisonnées : c'est l'arme aux coups mortels, l'arme chérie des ennemis de la religion et de la dynastie régnante, l'arme chérie des amis du protestantisme et de la légitimité ou de la souveraineté du peuple. Ils verront plus tard.» Or, ici les amis du protestantisme et de l'illégitimité ou de la souveraineté du peuple ne signifient pas autre chose que les amis de la souveraineté du peuple ou de l'illégitimité par le protestantisme.

Voix diverses: A l'amendement !...

M. de Salaberry. Je n'ai pas eu et n'ai pas pu avoir d'autre pensée que de vous rappeler à vous tous comme à moi, comme à tous les Français fidèles, que ces écrivains marchaient sous deux bannières; sur l'une étaient écrits: Protestantisme et illégitimité ou souveraineté du peuple.

M. Benjamin Constant. On ne peut ainsi attaquer les cultes protégés par la Charte...

Voix diverses: A la question!

M. de Salaberry. Depuis 1817 que l'hérésie politique du changement de dynastie a été proférée cette tribune, les écrivains de journaux ou de feuilles périodiques n'ont cessé, sous vos yeux, d'appeler chaque jour l'illégitimité par les changements de la religion de l'Etat.

Grand nombre de membres : A l'amendement... Dites-nous ce que vous avez à dire sur l'amendement.

M. de Salaberry. J'ai dit ce que j'avais à dire sur l'amendement. (On rit.) L'orateur descend de la tribune.

M. Royer-Collard a la parole sur l'article du projet de loi.

M. Royer-Collard. Messieurs, l'article 8 du projet de loi n'est qu'une partie d'un tout dont il ne faut pas l'isoler, si on veut pénétrer son esprit et sa tendance. Le chapitre II n'est, à proprement parler, ni préventif ni répressif. Les auteurs de la loi se sont proposé de créer des éditeurs responsables qui manquent à la pénalité légale; voilà le but, avoué par eux, du chapitre tout entier. Le moyen, ils n'en savent pas d'autre que d'opérer une révolution dans la propriété des journaux. Si vous cherchez cette révolution dans l'un des articles, quel qu'il soit, vous ne l'y trouverez pas; elle se consomme peu à peu par une suite de dispositions étroitement enchaînées entre elles. Par exemple, l'article 8 prescrit une déclaration aux propriétaires, et l'article 9 les conditions de la propriété on pourrait croire qu'on n'a en vue que l'avenir; mais l'article 10 se hâte de soumettre à ces dispositions les propriétaires des journaux existants. L'artifice de ce détour est palpable. Il est si peu probable qu'on songe en ce

moment à établir de nouveaux journaux, que l'avenir n'est évidemment ici qu'une fiction par laquelle on arrive plus commodément au présent. Il y a donc une question qui domine tout le chapitre, de la première ligne à la dernière, et tous les amendements qui s'y rapportent; c'est celle de la propriété des journaux. Il m'a semblé, par cette raison, qu'elle devait être abordée à l'ouverture de la discussion, et je vais m'y attacher uniquement. J'ai cru devoir cette explication à la Chambre avant d'entrer en matière, parce que je ne veux pas la surprendre, ni me condamner non plus à rattacher plus tard les articles les uns aux autres par des subtilités. Je ne rentrerai pas dans la discussion générale, et je serai court.

Qu'il y ait une telle chose que la propriété des journaux, cela ne peut faire aucun doute; toutes les lois se servent de ce mot et le consacrent. On a pu dire, comme on le lit dans le rapport de votre commission, que c'est un genre de propriété tout particulier; cela est vrai: mais on n'a pas dit et on ne pourrait pas dire que ce n'est pas une propriété reposant sur la même base, et jouissant des mêmes droits que toutes les autres.

La propriété des journaux a son titre dans la loi du 9 juin 1819; elle résulte du droit que cette loi reconnaît d'établir un journal à certaines conditions. La loi du 17 mars 1822 a prohibé à l'avenir l'établissement d'aucun journal sans l'autorisation du roi. Il suit de là qu'un journal qui s'établirait aujourd'hui en vertu de cette autorisation serait privilégié dans la juste acception de ce terme; mais, par cette raison même, les journaux établis avant la loi de 1822 ne le sont pas : ils existent par le droit commun.

Rien n'empêchait que la propriété d'un journal ne se divisât comme toute autre; elle s'est divisée plus ou moins. La division s'est opérée par des conventions parfaitement légitimes, puisqu'elles n'étaient contraires ni aux lois ni aux bonnes mœurs. Chaque associé est propriétaire au même titre et de la même manière qu'ils le sont tous ensemble.

Les journaux sont une industrie; les industries peuvent être soumises à des règlements de police, une industrie politique plus que toute autre. Ces règlements gênent et restreignent; mais ils ne touchent jamais la propriété. Si l'industrie vient à être prohibée, ce sera le cas d'une force majeure, comme l'incendie qui consume une maison, ou le tremblement de terre qui engloutit un champ; la propriété périt pour tous à la fois. Mais tant qu'elle subsiste, elle est la même pour tous. (Sensation.)

Il n'est pas besoin d'un grand appareil de raisonnements pour prouver que, soit le projet de loi, soit les divers amendements, celui de la commission compris, attentent à la propriété des journaux établis, puisqu'il en résulte infailliblement qu'un plus ou moins grand nombre de ceux qui sont aujourd'hui propriétaires cesseron. de l'être sans leur consentement, soit tout à fait, soit dans la même proportion, et autant qu'ils le sont. Ils seront forcés de vendre, quand ils ne le veulent pas; de vendre sans concurrence, et peutêtre à qui ne peut ou ne veut pas acheter. L'Etat peut, selon l'article 10 de la Charte, exiger le sacrifice d'une propriété avec une indemnité préalable; ce n'est point ce qui arrive ici. L'Etat n'exige rien pour lui: il ne se substitue point à un propriétaire indemnisé; mais il intervient par sa force dans la distribution actuelle de la propriété; il la défait, la refait, la remanie à son gré, prononçant que les uns auront plus, les autres

moins ou rien du tout, et renvoyant l'indemnité de ceux-ci à la bonne volonté de leurs associés. Quoique cette violence faite à la propriété éclate bien plus odieusement dans le projet de loi, elle se fait encore trop sentir dans tous les systèmes qui font une nécessité aux propriétaires responsables de posséder une quotité déterminée de la propriété, à laquelle ils ne parviendront que par la perturbation des droits acquis.

Mais si nous ne bouleversons pas la propriété des journaux, dites-vous, nous n'arriverons pas à des éditeurs responsables qui ne soient pas une scandaleuse illusion. Dissipez ce scandale, nous en sommes d'accord; mais il ne vous est pas permis d'élever à la place un scandale plus grand et bien plus contagieux, celui d'une révolution dans la propriété. Cherchez jusqu'à ce que vous ayez trouvé; nous ne sommes pas obligés de vous aider à si haut prix. L'initiative n'est pas seulement une prérogative d'honneur; c'est un travail difficile qui n'est glorieux que quand il satisfait aux besoins de la société, sans qu'il lui en coûte un droit ni une liberté : il n'y a point d'utilité, je dirai, si l'on veut, de nécessité à laquelle le droit de propriété ne résiste, et dont il ne doive triompher. Posons pour maxime, dit Montesquieu, «que, lorsqu'il s'agit du bien public, le bien pu«blic n'est jamais que l'on prive un particulier « de son bien, ou même qu'on lui en retranche < la moindre partie par une loi, ou un règlement « politique. (Esprit des Lois, liv. 26, chap. 15.)

Voilà, Messieurs, le point sur lequel notre dissentiment est le plus profond, le plus inconciliable. Il s'agit de savoir si, moralement, la loi peut tout. Nous disons, nous, que la loi ne peut pas tout, qu'elle est elle-même soumise au droit, ou, en d'autres termes, à la justice, et que là où le droit est renversé par elle, il y a oppression, il y a tyrannie. (Même mouvement.)

Quoi qu'il ne fût guère besoin d'autorités pour confirmer un principe aussi certain, je me suis appuyé de cette belle maxime de Bossuet, qu'il n'y a point de droit contre le droit. Je l'avais abrégée, tout en la rapportant fidèlement; mais, puisque le sens en a été contesté, je vais la reprendre en entier. « On se tourmente en vain, dit

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Bossuet, à prouver que le prince n'a pas le droit « d'opprimer les peuples ni la religion. Car, qui jamais a imaginé qu'un tel droit pût se trouver < parmi les hommes, ni qu'il y eût un droit de « renverser le droit même, c'est-à-dire une raison <d'agir contre la raison, puisque le droit n'est << autre chose que la raison même, et la raison la plus certaine?» (Cinquième avertissement aux protestants, § 32.) Bossuet pouvait-il marquer en termes plus précis que le prince, c'est-à-dire la loi, est distincte du droit, qu'elle peut être en opposition avec le droit, et que si cela arrive, elle est sans droit pour renverser le droit? Cette différence du prince au droit est-elle autre chose, Messieurs, que la différence des souverainetés humaines à la souveraineté divine, ou de l'homme à Dieu? Je ferais injure à M. le garde des sceaux, si j'insistais plus longtemps sur un point aussi clair.

Quelques lignes plus bas, Bossuet raisonne dans la supposition que le Prince fait mal.

Résout-il là-dessus que, par la volonté du prince ou de la loi, le mal devient le droit, et qu'il y a obligation morale de l'accomplir? Vous ne le pensez pas, Messieurs: ce grand homme dit seulement que, même en ce cas, la raison ne permet pas aux particuliers de prendre les armes contre le prince. Nous abondons dans cette doctrine

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