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cher que ma vie. J'ai abandonné à la société ma propre défense, dans l'espoir d'être défendu par elle; je ne le suis pas, par conséquent je rentre dans mon droit, et je puis me venger moimême. Il me semble que l'orateur serait conduit à cette conséquence, mais je ne pense pas qu'il veuille aller jusque-là.

Montesquieu a dit avec raison que la licence est aussi éloignée de la liberté que les enfers sont éloignés du ciel. Nous pourrions dire aussi que l'état heureux dont nous jouissons dans une société bien ordonnée est autant l'effet de la contrainte que de la liberté. La contrainte qui nous domine dans la société devient un devoir, et même en quelque sorte un droit: ce n'est qu'avec ce droit réciproque de contrainte qu'il est possible de conserver la liberté. Donc le droit réciproque de contrainte est aussi sacré que celui de la liberté. Par conséquent, si la liberté des journaux peut produire le mal que nous lui avons attribué, nous avons le droit d'exiger d'eux les contraintes qui nous paraissent nécessaires, nous ne blessons pas les droits acquis, à moins que les droits acquis puissent être tels et avoir une telle puissance, qu'ils interdisent tout remède à un mal reconnu d'un consentement unanime.

Messieurs, avec des raisonnements abstraits, on pourrait encore nous mener bien loin. C'est avec des raisonnements abstraits qu'on est arrivé à la déclaration des droits de l'homme. Mais quand cette déclaration fut faite, on se trouva bien embarrassé de répondre à ceux qui trouvaient tyranniques les moindres entraves mises aux droits des citoyens. Lorsqu'on fonda le droit électoral sur quatre journées de travail, et le droit d'élection sur un marc d'imposition, nos démagogues furieux, la déclaration à la main, attaquèrent l'Assemblée avec les armes qu'elle leur avait imprudemment données. Je n'ignore pas, Messieurs, que vous n'avez pas besoin d'un exemple de ce genre pour savoir que quand une fois on est entré dans la carrière des subtilités et de la métaphysique, il n'est plus possible d'en sortir, surtout lorsqu'il s'agit d'appliquer des idées purement théoriques à des nécessités politiques.

Dans la question qui nous occupe qu'avonsnous à faire? Pas autre chose que de suivre le bon sens et la justice, et de faire à la législation actuelle les changements nécessaires à la répression de la licence; répression que réclame la véritable opinion publique; vous devez l'écouter au moins autant que la prétendue opinion dont on parle sans cesse pour réclamer le maintien de l'état actuel des journaux.

Si la Chambre, fatiguée de tant de discussions, pouvait m'accorder encore quelques moments d'attention, je lui montrerais jusqu'à quel point peut nous conduire l'action de cette prétendue opinion publique érigée en opinion nationale, et enfin en pouvoir national. On a souvent invoqué ici les usages et les lois d'Angleterre, je terminerai mon discours par un seul mot. Il s'est trouvé aussi dans ce pays des hommes qui ont prétendu que les pamphlets et les brochures de toute espèce, aussi bien que les journaux, exprimaient l'opinion publique. Or, voici un mot que répondait dans le temps un orateur célèbre, orateur populaire, et qui défendit constamment les libertés publiques :

( On nous dit (s'écriait M. Fox dans une circonstante importante), que le mécontentement augmente, que le peuple appréhende que nos lois ne soient renversées. Et comment ces orateurs

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« Pour moi, je suis loin de me sentir disposé à prendre la voix d'une misérable faction pour celle de mon pays... Ici est la vraie représentation nationale: ici la voix de la nation peut se faire entendre. »

Voilà, Messieurs, les vrais principes. C'est dans les deux Chambres qu'est la véritable opinion publique; elle ne peut être ailleurs. Le principe contraire est une hérésie politique; qui, si elle était adoptée, rendrait aussi impossible le maintien de l'ordre social que cet autre principe qui autorise la désobéissance en constituant chacun son juge particulier.

J'aurais beaucoup d'autres choses à dire, si j'examinais le sujet dans toute sa profondeur, mais je craindrais d'abuser des moments de la Chambre. Je vote en faveur de l'article que nous discutons.

M. de Beaumont. Messieurs, vouloir le gouvernement représentatif, et ne pas vouloir les conditions de son existence; vouloir cette forme de gouvernement parce que c'est la seule avec laquelle on puisse lever un milliard d'impôts sur la France, et ne pas vouloir des libertés publiques seule compensation pour elle de ses sacrifices, tel est le problême que le projet de loi qui vous est présenté semble avoir entrepris de résoudre.

Permettez-moi, Messieurs, de vous proposer un autre problème, il consiste à savoir ce que deviendront nos libertés, si vous adoptez le chapitre II du projet de loi, celui qui a pour objet la presse périodique; et si la perte de ces libertés n'entraînerait pas celle de l'Etat ? Vous voyez que je m'élève au-dessus des intérêts particuliers des journalistes, pour ne m'occuper que des intérêts généraux de la société.

Ainsi je n'examinerai pas si le projet de loi est justement accusé d'intervenir violemment dans les actes civils, de porter atteinte par une rétroactivité monstrueuse, à la sainteté des engagements formés sous la garantie des lois existantes, de dépouiller le citoyen dans sa postérité, de consommer la ruine de la veuve et de l'orphelin, d'encourager la fraude et la mauvaise foi, d'autoriser le vol, d'établir en un mot, pour les propriétaires des journaux, non seulement des lois d'exception, mais une morale d'exception. Ces diverses accusations ont été traitées avec succès par plusieurs des orateurs qui ont parlé dans la discussion générale; elles l'ont été surtout dans les nombreuses colonnes de cette presse périodique qui, semblable à une lampe prête à s'éteindre, a paru jeter un plus vif éclat.

J'entreprends, Messieurs, de vous démontrer que de la combinaison du chapitre II du projet de loi, avec l'article 1er de la loi de 1822, résulterait nécessairement non pas la répression, mais la destruction de la presse périodique, et que la presse périodique une fois détruite, toutes nos autres libertés tomberaient nécessairement avec elle.

Je suis loin de croire que ces conséquences aient été dans la pensée des auteurs du projet de loi, qui, n'y cherchant peut-être qu'un moyen de repos, n'ont pas réfléchi que tel poison que l'on croyait

employer comme un calmant, administré par une main inal habile, peut produire l'irritation, la porter au dernier paroxysme, et quelquefois donner la mort. (Mouvement.)

J'ai dit que la combinaison de la loi de 1822 avec celle qui vous est proposée, tuerait la presse périodique. En effet, d'après l'article lor de cette derniére, aucun nouveau journal ne pouvant paraître sans l'autorisation du gouvernement, les journaux existant actuellement sont donc les seuls qui aient le droit de paraître, en se conformant aux dispositions de la nouvelle loi. Or, ces dispositions sont telles, qu'un bien petit nombre d'entre eux pourront remplir les conditions qui leur sout imposées.

Voici quelles sont ces conditions. On sait que la propriété des journaux se divise en actions qui se subdivisent elles-mêmes, se vendent, se transmettent par héritage, comme toute autre valeur, et deviennent ainsi la propriété de femmes et de mineurs. Par l'article 9 du projet de loi, il faut d'abord que ces femmes et ces mineurs vendent leurs actions ou parts d'actions dans le mois qui suivra la publication de la loi, et pour le prix qu'on leur en offrira, et s'ils ne trouvent pas à les vendre, il faudra qu'ils les abandonnent; mais, par l'article 13, les sociétaires conservés ne peuvent excéder le nombre de cinq; il est clair que ces malheureuses femmes ou ces mineurs seront obligés de subir la loi que ces cinq actionnaires voudront leur imposer.

Ce n'est pas tout. Si par la retraite des femmes et des mineurs, les actionnaires restant ne se trouvent pas réduits au nombre de cinq, il faudra que tout ce qui excédera ce nombre abandonne ses droits ou les cède aux autres; et s'ils ne veulent ni les abandonner, ni les céder, le journal cessera de paraître, à moins que les auteurs du projet de loi, qui n'ont pas prévu ce cas, n'y ajoutent une nouvelle disposition pour autoriser les ministres à choisir parmi les actionnaires ceux qui seront conservés.

Si une partie des actionnaires consent à vendre de bonne grace, n'est-il pas possible que les personnes, ayant la confiance des ministres, se présentent pour acheter les actions des femmes et des mineurs, et subsidiairement celles de ceux des actionnaires qui seront forcés de vendre, ou qui ne voudront pas courir les chances de la responsabilité? Cette spéculation ne sera pas ruineuse pour les personnes qui pourront acquérir à bon marché une propriété qu'on ne peut transmettre ni à sa femme ni à ses enfants, et qui expose son propriétaire à toutes les suites d'une terrible solidarité; voilà donc les complaisants du ministère introduits dans la direction de la plus grande partie des journaux conservés. On conçoit facilement quelle sera la conséquence de cette introduction; les cinq actionnaires responsables étant solidaires pour l'amende et pour la prison, chacun d'eux aurà le droit incontestable de présider à la rédaction, et d'en écarter tout ce qui pourrait déplaire à ses patrons.

Je ne dis pas que, dans les premiers temps, un petit nombre de journaux ne puissent échapper au danger de ce mélange hétérogène; mais les propriétaires de journaux ne sont pas immortels, ils ont des femmes et des enfants; il peut d'ailleurs s'en trouver parmi eux qui préfèrent une forte somme d'argent à l'amende et même à la prisou, et avec un nombre limité de journaux et une caisse d'amortissement illimitée, il me parait impossible qu'avec de la persévérance, et ea saisissant les occasions favorables, le ministère ne finisse par se rendre maître de la direction de

tous les journaux, sans exception, de tous ceux qui auront échappé à la destruction. Alors, Messieurs, le ministre enivré d'encens s'endormira au doux murmure d'un concert universel de louanges, jusqu'à ce que, dégoûté d'un régime aussi insipide, et se ressouvenant qu'un peu d'opposition est un ingrédient nécessaire dans la composition d'un gouvernement représentatif, il paiera lui-même ses amis pour en faire. (On rit.) Je parle du ministère qui existera alors, car vous avez compris, Messieurs, qu'il était ici question des conséquences du projet de loi dans un avenir plus ou moins éloigné.

Voyons à présent quelles seront ses conséquences immédiates.

Vous savez, Messieurs, que les diverses opinions qui se partagent la France, ont chacune leur organe dans un ou deux journaux (je parle de ceux qui ont une opinion): or, s'il faut en croire des bruits qui n'ont pas été démentis, celui de ces journaux qui se trouve encore être l'organe d'une de ces opinions, d'une opinion respectable, et que vous ne récuserez pas, Messieurs, puisqu'elle était celle de la majorité de la Chambre de 1815, se trouverait, par des circonstances qu'il est inutile de rappeler ici, dans une position telle, que l'indépendance de sa rédaction aurait été loin d'être assurée, sans une réserve expresse qui aurait été stipulée par l'estimable et prévoyant créateur de ce journal, et comme cette clause serait de la nature de celles qui sont abrogées par un effet rétroactif du projet de loi, ne serait-il pas à craindre que le journal dont je parle ne tombât immédiatement dans le domaine du ministère? Voilà donc une opinion respectable et nombreuse qui pourrait se trouver sans organe.

Tel autre journal royaliste d'une autre nuance, et qui ne se trouve pas dans les mêmes circonstances, pourra encore se soutenir quelque temps, mais en définitive la loi me semble faite au protit des journaux libéraux. Eux seuls ont assez de vitalite pour résister longtemps à la violence des épreuves qu'on veut leur faire subir.

Je ne parle point des journaux ministériels, soit royalistes, soit libéraux, qui disparaitront à l'aspect du timbre et des frais de poste, à moins qu'il ne soit fait des efforts extraordinaires pour les maintenir; car le petit nombre, je ne dirai pas de leurs lecteurs, mais de leurs abonnés, trouvent déjà que 72 francs sont un poids bien raisonnable pour un abonnement de courtoisie. Ces pauvres journaux seront les premières victimes de cette loi sans pitié : ce sera un vrai massacre des innocents.

Je ne pense pas que MM. les ministres aient imaginé le projet de loi dans l'intérêt des doctrines libérales. Cependant il serait facile de démontrer que le résultat en sera tout en leur faveur. Quels sont, en effet, les abonnés aux journaux royalistes? ce sont, en grande partie, des propriétaires ruraux, que l'avilissement du prix de leurs denrées a mis dans un état de gêne, on peut même dire de détresse : ce sont des émigrés que l'indemnité n'a pas enrichis. Augmentez le prix de l'abonnement, auquel ils out déjà tant de peine à atteindre, et la plupart d'entre eux seront forcés d'y renoncer.

Quels sont, au contraire, les abonnés aux journaux libéraux? Ce sont des industriels pour lesquels cette augmentation sera peu sensible; ce sont les cafés des villes et des campagnes; car aujourd'hui il y a des billards dans les plus petits bourgs. Or, l'abonnement à un journal, et

surtout à un journal libéral, est une condition de leur existence; vous en porteriez le prix à deux cents francs qu'ils les paieraient plutôt que d'y renoncer. Ce sont ces réunions de petits marchanda et d'artisans qui s'assemblent pour lire le journal en commun, et pour lesquels l'augmentation de prix ainsi partagé sera moins sensible. On peut donc prévoir que ces journaux ne perdront que peu d'abonnés, et si un seul subsiste à la fin, comme cela est probable, il en gagnera au lieu d'en perdre.

Mais je vais plus loin, Messieurs, et je soutiens que si, ce qui n'est pas impossible, les royalistes qui ont conservé quelqu'aisance et pour lesquels la lecture d'un journal est devenue un besoin, étaient obligés de choisir entre un journal libéral et un journal ministériel, ils donneraient sans balancer la préférence au premier. Les Français sont ainsi faits, ils n'aiment pas à recevoir des opinions toutes faites des mains de l'autorité. Les vieux royalistes, comme nous, les liront sans danger ces feuilles libérales: ils y chercheront des nouvelles, mais leurs enfants y chercheront des doctrines, et des doctrines d'autant plus dangereuses, qu'étant obligés de se déguiser, pour échapper à la poursuite, sous l'apparence de la modération, elles s'insinueront plus sûrement dans l'esprit de la jeunesse. Tel sera, Messieurs, l'effet inévitable de la funeste loi qu'on vous demande.

J'aurais pu me dispenser, Messieurs, d'entrer dans ces détails pour vous montrer par quels moyens le ministère peut arriver à la destruction ou à l'asservissement des journaux, il m'eût suffi de vous remettre sous les yeux les dispositions des articles 9 et 10 du projet de loi, conservées par la commission, pour vous prouver qu'il serait au pouvoir des ministres de faire disparaître à volonté tous les journaux de l'opposition. En effet, par l'article 10, les journaux existants doivent faire leur déclaration en la forme prescrite par l'article 8, comme s'ils n'avaient point encore paru; l'article 9 donne au directeur de la librairie et aux préfets le pouvoir de suspendre la publication du journal, en contestant à tort ou à raison la déclaration : qui ne voit que ce droit indéfini de suspendre peut équivaloir, dans certaines circonstances, au droit de supprimer.

Il me semble suffisamment démontré que la loi qui vous est demandée porterait un coup mortel à la liberté de la presse périodique: mais quel serait, dans ce cas, le sort de nos autres libertés, de nos libertés civile, politique, religieuse, individuelle même; où seraient pour nous les garanties de leur conservation ?

Serait-ce dans le droit de pétition? Mais ces pétitions, dont la chance la plus favorable est d'être renvoyées aux ministres, ont-elles jamais fait réparer une injustice?

Serait-ce dans la hiérarchie et l'indépendance des corps de magistrature que nous trouverons cette garantie? Nous conviendrons que c'en serait une, en effet, si elle n'était jamais éludée; mais comme les vexations et les injustices viennent presque toujours de l'administration, et que le conflit enlève aux tribunaux toutes les causes où l'administration est concernée ou censée l'être; comme en définitive ce sont des hommes dans la dépendance des ministres, qui sont chargés de prononcer sur leurs dénis de justice ou ceux de leurs agents, on ne peut pas dire que cette garantie existe dans l'indépendance de tribunaux auxquels vous ne pouvez avoir recours.

Existera-t-elle enfin dans la faculté de faire connaître par la voie de l'impression ses réclamations et ses plaintes? Mais indépendamment des entraves et des restrictions qui rendront cette faculté presque illusoire, tout le monde n'a ni le talent d'écrire un livre, ni les moyens de le faire imprimer. Des lignes insérées dans un journal, un appel en quelques mots à l'opinion publique forcera l'autorité à faire attention à votre réclamation. La crainte d'être stigmatisée par cette opinion publique qui juge en dernier ressort tous les jugements, l'empêchera de commettre des injustices qu'un pouvoir sans contrôle n'est que trop porté à se permettre.

Mais enfin, n'avez-vous pas toujours, me dirat-on, la liberté de la tribune, et, avec cette liberté, que pouvez-vous avoir à craindre pour les autres? Vous l'avouerai-je, Messieurs, je ne suis pas sans crainte, même pour ce dernier rempart de nos libertés. La liberté de la tribune consiste dans sa publicité, et lorsque tous les journaux seront asservis, où sera la publicité de la tribune? Croyezvous qu'elle puisse consister dans l'admission de quelques douzaines de spectateurs relégués dans les combles de cette Chambre, et dont la plupart de nos orateurs ne peuvent se faire entendre ? Non, Messieurs, elle ne peut exister que dans la libre publication de journaux qui soient les organes indépendants des différentes opinions qui se partagent la Chambre. Et où sera, quand ces journaux n'existeront plus, la certitude pour les orateurs de la Chambre que leurs opinions seront transmises fidèlement à la connaissance du public, qu'elles ne seront pas affaiblies, travesties même au gré et dans l'intérêt de ceux qui tiendront la presse enchaînée? où sera pour eux l'assurance que ces opinions parviendront au pied du trône telles qu'elles auront été émises?

Mais, nous répondra-t-on enfin, n'y aura-t-il pas toujours dans la Chambre un tachygraphe dont l'office est de recueillir fidèlement les discours de ses membres, et la Chambre souffriraitelle ces altérations que vous paraissez craindre? Messieurs, je ne suis point hostile au ministère (On rit), et crois qu'il n a pas l'intention de tirer de cette loi tous les moyens d'asservissement qu'elle renferme, peut-être même ne les a-t-il pas aperçus, j'ai aussi la plus grande confiance dans la fermeté de cette Chambre, dans son respect pour les libertés publiques, respect dont elle a donné une preuve éclatante dans la mémorable séance d'hier; mais les ministres ne sont pas éternels, et les Chambres se renouvellent; et n'a-t-on pas vu des lois faites dans l'intérêt d'un parti, tombées dans des mains ennemies, servir à l'oppression de ceux-là mêmes qui les avaient faites? tant il est vrai qu'on ne doit jamais faire les lois que dans des intérêts généraux. Ainsi, Messieurs, sans offenser personne, je puis bien supposeren calculant les moyens d'influence, de séduction, de terreur, que les agents du pouvoir peuvent employer dans les élections, qu'un ministère à venir puisse réunir une Chambre formée en majorité dans ses intérêts, je puis supposer cette majorité asservie cherchant à étouffer dans cette enceinte la voix d'une minorité courageuse et je demanderai ce que deviendrait alors la liberté de la tribune en l'absence de celle de la presse?

Et ne croyez pas, Messieurs, que ce soient ici des craintes chimériques : l'histoire n'offre que trop d'exemples de la corruption des Assemblées délibérantes, et le premier de nos publicistes a prévu la possibilité de cette corruption,

mais en même temps il en a marqué la punition. L'Etat périra, dit Montesquieu, lorsque la puissance législative sera plus corrompue que l'exécutive. Et vous remarquerez que, selon Montesquieu, ce n'est pas la corruption du peuple qui doit amener la perte de l'Etat; un peuple corrompu peut être contenu par de bonnes lois ce n'est pas non plus la corruption des courtisans, c'est leur nature; heureux sont ceux, et nous en connaissons, qui savent se préserver de la contagion. Montesquieu ne dit pas encore que l'Etat doit périr par la corruption des ministres, il périrait trop souvent. (On rit.) Qui ne sait combien il est difficile d'échapper aux séductions, à l'enivrement du pouvoir ? Mais si le mal gagne ceux-là même dont le devoir est d'en arrêter les progrès, s'il pénètre au cœur du législateur, si les lois sont corrompues dans leur source, quel espoir peut-il rester à la société ? C'est alors que l'arrêté est irrévocable: l'Etat doit périr.

Telles seraient les conséquences, je ne dis pas nécessaires, mais au moins possibles de l'asservissement de la presse périodique; j'ai démontré que cet asservissement était lui-même la conséquence nécessaire du projet de loi, vous ne pouvez donc l'accepter sans mettre l'Etat en dan

ger.

Je sais que la presse est importune à l'autorité, mais il est pour elle des compensations. Les Français chantent disait Mazarin, ils paieront. Messieurs les Français ne chantent plus, mais ils écrivent et paient mieux que du temps de Mazarin souffrez-leur quelque chose pour leur milliard.

Sans doute, il faut débarrasser la machine de l'administration de toutes les résistances qui peuvent gêner inutilement sa marche; mais il en est de nécessaires, qui servent à modérer son action, à la régulariser, et celles-là doivent être conservées. N'allons pas, croyez-moi, imiter cet ami, privé de raison, qui, voulant préserver son maître de la piqûre d'un insecte incommode, lui brise la tête avec un caillou. (Nouveaux rires.)

Je crois avoir démontré, Messieurs, que le chapitre II du projet de loi aurait pour effet immédiat la destruction des journaux royalistes au profit des journaux libéraux ; je crois avoir démontré qu'elle aurait pour effet, dans un avenir peu éloigné, l'asservissement de la presse périodique en général; je crois avoir démontré que, sans la presse périodique, il n'était plus de garanties pour nos libertés, et que la perte de nos libertés pourrait entraîner celle de l'Etat. Je vote contre le chapitre II.

M. de Villèle, ministre des finances. Messieurs, s'il y avait dans le projet de loi un point qui parût être à l'abri de contestation, c'était assurément celui sur lequel vous avez à délibérer en ce moment. S'il m'en souvient bien, et dans la discussion générale et dans les discussions qui l'ont suivie, chaque orateur parlant, soit pour, soit contre la loi, a déclaré que si l'on s'était borné à demander un remède contre l'abus des éditeurs responsables tels qu'ils sont aujourd'hui institués, on se serait empressé d'accorder à l'unanimité ce remède.

Voix à gauche: Cela est vrai!

M. de Villèle, ministre des finances. Mais à présent que nous sommes parvenus au premier article qui concerne les journaux, qu'arrive-il? chaque orateur qui vient parler contre cet article,

déclare qu'il n'y a pas de remède contre l'état actuel des éditeurs responsables (Mouvements en sens divers.) A ce sujet, on vous a dit qu'il n'y a pas de droit contre le droit, et l'on a oublié qu'une chose, c'est-à-dire de contester le droit qu'a infailliblement la société de réprimer un abus aussi révoltant que celui sur lequel nous délibérons en ce moment, c'est-à-dire aussi d'établir le droit contre lequel il ne peut y avoir de droit.

La loi de 1819, nous a-t-on dit, a consacré la propriété à laquelle vous voulez porter atteinte. Eh bien donc, voyons si la loi de 1819 a dit quelque chose qui consacrât la propriété des journaux de telle manière que les modifications qui vous sont soumises aujourd'hui soient en opposition avec le droit qu'elle a créé.

Jusqu'à cette loi de 1819, on avait toujours dit, en parlant des journaux, les journaux, et l'on avait guère autre chose à en dire, sinon ceci : les journaux ne paraîtront qu'avec l'autorisation de la censure. Mais, à cette époque, on voulut que les journaux pussent paraître indépendamment de la censure; dès lors, il fallut bien parler de ceux qui pouvaient agir en journalistes ; et l'on a dit : « Les propriétaires ou éditeurs de tout journal ou écrit périodique, consacré en tout ou en partie aux nouvelles et matières politiques, et paraissant, soit à jour fixe, soit par livraison et irrégulièrement, mais plus d'une fois par mois, seront tenus:

De faire une déclaration indiquant le nom au moins d'un propriétaire ou éditeur responsable, sa demeure, et l'imprimerie duement autorisée dans laquelle le journal ou l'écrit périodique doit être imprimé. »

Voilà tout ce qui a été dit sur la propriété des journaux; voilà comment a été créé ce droit de propriété auquel on prétend que notre loi porte atteinte. Mais puisque cette loi de 1819 parle de la propriété, voyons si elle a reconnu d'autre propriétaire que l'éditeur responsable. « La responsabilité des auteurs ou éditeurs indiqués dans la déclaration s'étendra à tous les articles insérés dans le journal ou écrit périodique, sans préjudice de la solidarité des auteurs ou rédacteurs desdits articles.» Plus loin encore: « En cas d'insuftisance du cautionnement, il y aura lieu à recours solidaire sur les biens des propriétaires ou éditeurs déclarés responsables du journal ou écrit périodique, et des auteurs où rédacteurs des articles condamnés. »

De sorte que si, comme on le disait hier, la loi de 1819 a consacré un droit de propriété, nous sommes fondés à vous dire qu'il n'y a de véritable propriétaire aux yeux de cette loi, que le propriétaire qui a fait la déclaration prescrite. (Murmures à gauche.)

Messieurs, je ne fais que citer la loi sur laquelle on s'appuie pour nous dire que nous n'avons pas le droit de toucher à la propriété des journaux, même au nom de l'intérêt public, même quand la société devrait périr sous les coups que lui portent les journaux avec le système actuel des éditeurs responsables. Je réponds que la loi de 1819 n'a pas créé de droit de propriété ; qu'elle a si peu reconnu les autres propriétaires qu'elle n'a pas étendu la solidarité jusqu'à eux. (Sensation.)

Mais cette propriété, si elle a été créée par la loi de 1819, les lois postérieures ont dù la respecter. Eh bien! la première loi qui parut après celle que je viens de citer, soumit ces journaux à une nouvelle censure, sans faire aucune exception; elle dit en propres termes: Aucun desdits jour

naux et écrits périodiques ne pourra être publié qu'avec l'autorisation du roi. >>

« Toutefois, les journaux périodiques actuellement existants continueront de paraître, en se conformant aux dispositions de la présente loi. »

Cette même loi, du 31 mars 1820, disait : « Lorsqu'un propriétaire ou éditeur responsable sera poursuivi en vertu de l'article précédent, le gouvernement pourra prononcer la suspension du journal, où écrit périodique, jusqu'au jugement. »

Voilà, Messieurs, cette propriété qu'on invoque pour se soustraire à la conséquence de ce qu'on a reconnu être juste, raisonnable et indispensable dans l'intérêt public, c'est-à-dire à la disposition qui changerait le système actuel des éditeurs responsables contre une responsabilité supportée par celui qui a réellement commis le délit; prétention dans laquelle on se fonde sur des raisonnements qu'il m'a été si facile de détruire le texte des lois à la main.

Vous venez d'entendre un autre orateur, qui a cherché à vous effrayer des résultats presque inévitables de la loi que nous vous avons soumise : il a dit que nous voulions faire passer tous les journaux à la disposition du ministère. Vous remarquerez, Messieurs, que ce reproche nous est adressé précisément à l'occasion d'un article dans lequel nous vous proposons de déclarer que le véritable propriétaire d'un journal soit celui dont la propriété aura été reconnue par la loi. Je demande s'il est possible de tirer d'un pareil article la conséquence qu'en a tirée l'orateur?

M. Casimir Périer. Vous ne donnerez l'autorisation d'établir de nouveaux journaux qu'à ceux qui vous conviendront.....

M. de Villèle, ministre des finances. Pas plus que M. Casimir Périer je ne suis d'opinion qu'il soit favorable à la discussion d'interrompre les orateurs qui sont à la tribune, et, à cet égard, je suis complètement de son avis. (On rit.) Je lui ferai remarquer pourtant que ce ne sont pas les autorisations qui manqueat, puisqu'il y a des journaux qui sont autorisés et qui ne paraissent pas; il y a donc plus d'autorisations que de journaux existants, et par conséquent le reproche par lequel j'ai été interrompu n'a aucune espèce de fondement (Sensation).

Pour ne pas abuser des moments de la Chambre, je terminerai par une courte réponse au préopinant qui nous a dit que la loi actuelle aura pour résultat inévitable de tuer tous les journaux libéraux et de ne laisser subsister que les journaux royalistes.Il est vrai que les journaux qui font de l'opposition doivent avoir naturellement plus d'abonnés que ceux qui n'en font pas ; c'est là une chose qui ne sera contestée par qui que ce soit, et par les journalistes moins que par personne. (Même nouvement.)

Cela posé, je dirai à l'orateur auquel je succède que les journaux, comme tous ceux qui sont en position d'agir sur l'opinion, doivent se tenir dans le rôle qu'ils ont choisi. Chacun son métier, a dit un proverbe trivial. Je comprends que quelques journaux royalistes fassent de l'opposition. Mais si cette opposition est exagérée, que doit-il arriver naturellement? Ce que nous avons vu se passer sous nos yeux. Il est des journaux royalistes qui n'ont pas manqué à l'opposition pour se soutenir, et qui cependant ne se sont pas maintenus. Cela tient, à ce qu'il paraît, à ce que cette opposition n'était pas dans une couleur qui convint aux royalistes, puisque les roya

listes ne s'y sont pas abonnés. (Adhésion à droite.)

:

Si d'un côté nous voyons certains journaux cesser de paraître, nous en voyons d'autres dont le nombre des abonnés s'accroît. A quoi cela tient-il? Messieurs, j'ose le dire à l'orateur qui m'a précédé cela tient à ce que ces premiers journaux ne font pas, ainsi que l'orateur, de l'opposition comme il convient à la noble couleur que je reconnais appartenir à ses sentiments. Naturellement alors if doit arriver ce que nous avons vu, c'est-à-dire que les abonnés vont aux journaux dont la couleur est la plus prononcée et la plus forte, et que ces journaux ont ainsi le succès qu'on nous accusait tout à l'heure de vouloir préparer aux journaux de l'opposition libérale.

Qu'il me soit permis d'ajouter encore un mot: je ne puis mieux comparer certaines manoeuvres que je vois faire à l'aide de certaines opinions, qu'à celles d'un corps d'armée qui, sans cesse aux premiers postes, s'empare de positions qu'il lui est impossible de garder et dans lesquelles d'autres viennent ensuite le relever. Je crois qu'ici les royalistes qui se livrent à des oppositions hors de ligne, à des oppositions qui ne sont pas franchement dans leur couleur, s'emparent il est vrai, de certaines positions, mais qu'il leur est impossible de les garder. (On rit.) Comme rien ne tourne au profit que de ceux dont la couleur n'est pas assez franche pour pouvoir se conserver, les positions sont enlevées par les uns, mais elles sont occupées et conservées par les autres. (Mouvement marqué d'adhésion).

M. Benjamin Constant. Je ne me proposais de prendre la parole que sur le quatrième paragraphe de l'article en discussion, parce que je croyais que déjà tout avait été dit sur l'article en général. Cependant, puisque j'ai l'honneur de succéder à cette tribune, à M. le président du conseil, vous trouverez naturel que je réponde en peu de mots aux arguments qu'il vient d'opposer aux orateurs qui l'ont précédé.

M. le président du conseil est parti d'un point sur lequel nous sommes tous d'accord, c'est qu'il faut trouver un moyen plus réel d'imposer aux journalistes une responsabilité qui préserve la société des abus qu'ils peuvent faire de la faculté qui leur est donnée. Je crois qu'on a beaucoup exagéré ces abus; mais, néanmoins, il suffit qu'ils existent pour que je sois d'avis qu'on apporte quelques changements dans la loi qui a établi des éditeurs responsables, qui, en réalité, n'offrent aucune responsabilité. Mais résulte-t-il de là qu'il faille prendre un moyen plus fâcheux ? C'est sur ce point que M. le président du conseil ne s'est nullement expliqué. J'avais dit hier, avec mes honorables collègues : Offrez-nous un moyen qui ne soit pas rétroactif, qui n'encourage pas la spoliation, et nous l'adopterons. Ainsi, toute cette partie du discours de M. le président du conseil n'est que la reproduction d'arguments qui avaient été déjà réfutés. Il est certain qu'il faut un remède à l'abus, mais il ne faut pas que ce remède présente un abus plus grand. Or, nous soutenons qu'en introduisant la rétroactivité dans nos lois, vous établissez un abus mille fois plus grand que celui qui existe; un abus immoral et corrupteur.

Je ne reproduirai pas ce qui a été dit hier sur la rétroactivité et l'immoralité de la loi, sur les invitations à la fraude; mais je dis que M. le ministre n'a rien répondu et, à cette occasion, je

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