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M. Saladin. C'est énoncé dans le rapport.

M. de Ricard (du Gard). L'article 64 dont je viens combattre la disposition principale, est un des plus importants de la loi que nous discutons. Il intéresse particulièrement les communautés d'habitants, et l'on en compte environ quinze mille dans le royaume qui jouissent du droit de pâturage dans les bois. Il s'applique, selon les articles 88, 89, 112, 113 et 120, à toutes les forêts, à qui que ce soit qu'elles appartiennent. Cet article mérite toute votre attention.

Je n'ai pas contesté les principes que vous venez de consacrer par l'adoption de l'article 63. D'après cet article, le propriétaire peut s'affranchir de l'usage en bois au moyen d'un cantonnement, et ce cantonnement ne peut être requis que par le propriétaire.

Ce dernier privilège est sans doute contraire au droit commun d'après lequel une convention ne peut être détruite que par le consentement réciproque de ceux qui l'ont formée. Aussi, autrefois par un usage presque général, les affaires de cantonnement qui intéressaient les communes, étaient-elles portées au Conseil d'Etat, qui, tuteur légal des communes, était censé stipuler pour elles.

Mais enfin, comme l'usager n'a pas à se plaindre, tant qu'on lui laisse ses droits d'usage, et qu'il les retrouve en entier dans la portion de forêt où le cantonnement ne fait que les circonscrire, il paraît plus conforme à l'intérêt général de la propriété que le droit d'usage, considéré comme une servitude, puisse être, par le propriétaire, transporté sur la partie la moins dommageable du fonds qui doit le supporter.

Mais il n'en est pas ainsi du droit de pâturage, que l'article 64 permet de racheter en argent.

Je m'oppose d'autant plus à cette disposition que je pense que le droit de pâturage ne devrait pas même être soumis au cantonnement, et qu'il devrait être laissé aux usagers.

Le droit de pâturage a presque partout et toujours été cédé pour attirer des habitants sur la propriété, en leur assurant des moyens de subsistance, en les y attachant par cette faculté, sans laquelle ils n'auraient pas formé leurs établissements, dont cette faculté était la condition permise, et que peut-être ils seraient obligés d'abandonner, si elle leur était enlevée. Cette considération a déterminé la commission à vous proposer un paragraphe additionnel. Mais quelle est encore la mesure proposée? il faut qu'il y ait absolue nécessité, ce qui ne se vérifiera presque jamais. Circonscrire le droit de pâturage, et surtout le racheter, ce n'est pas en régler l'usage, c'est l'anéantir, à l'égard des habitants pour lesquels il a été établi, et auxquels il importe peu que la commne deviennne propriétaire d'une portion de terrain, et encore moins qu'une somme d'argent soit versée dans sa caisse

La commission, pour motiver la faculté exclusive donnée au propriétaire de requérir le cantonnement, a dit que le droit d'usage était une servitude. C'est ce que les lois romaines disaient aussi du pâturage qu'elles mettaient au nombre des servitudes. Mais c'est précisément parce que le droit de pâturage est une servitude qui affecte le fonds tout entier et chaque partie du fonds, qu'il ne peut être ni cantonné ni racheté.

Le cantonnement était fondé sur l'idée d'une copropriété entre le propriétaire et l'usager on ferait alors l'application de la maxime que nul ne peut être contraint de rester dans l'indivision ;

mais dès que le droit d'usage est reconnu n'être qu'une servitude, ce sont d'autres principes qu'il faut appliquer,

Quels sont les principes en matière de servitude? ils sont posés dans l'article 701 du Code civil que la commission a invoqué. Il en résulte que le propriétaire du fonds soumis à la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l'usage ou le rendre plus incommode, qu'il peut seulement offrir à celui qui a le droit de servitude un endroit aussi commode pour l'exercice de son droit.

De là la conséquence que, si l'usage en bois peut être cantonné, le droit de pâturage ne peut pas l'être.

L'usage en bois peut être cantonné, parce qu'alors le propriétaire ne fait qu'indiquer à l'usager un endroit aussi commode pour l'exercice de son droit.

Mais comment le propriétaire du fonds soumis en entier au pâturage, peut-il, en donnant à l'usager une portion de son terrain, et surtout une somme d'argent, lui donner la représentation de son droit, et ne pas en diminuer l'usage?

Et quel si grand inconvénient le droit de pâturage entraine-t-il, quand il ne peut être exercé que dans des bois déclarés défensables? Le propriétaire des bois ne laissera pas périr les herbes, les glands et les fruits; il les vendra, il en affermera le pâturage. Nous avons déjà voté plusieurs articles relatifs à l'adjudication des panage, glandée et paisson. Et ceux auxquels des titres primitifs, réciproques et incontestables en assuraient à jamais l'exercice, en seraient pour toujours privés.

La commission paraît avoir reconnu les principes que je viens d'énoncer; mais au lieu d'en tirer la conséquence, que ce droit devait être laissé en entier aux usagers, elle en a conclu qu'il pouvait être racheté en argent.

Elle s'est appuyée principalement sur la loi de 1791 qui veut qu'entre particuliers, la vaine pâture, inême fondée sur titres, soit rachetable en argent.

Je pourrais distinguer entre la vaine pâture et le droit de pâturage, panage et glandée qui fait la matière de l'article que nous discutons et qui constitue une pâture grasse et vive. Je dirai seulement qu'un grave et savant jurisconsulte a pensé que la loi de 1791 exceptait de la faculté du rachat en argent la vaine pâture des communes, et qu'à leur égard elle n'admettait que le cantonnement.

La commission a repoussé le cantonnement par la raison que ce serait donner du bois en échange d'un pâturage; mais autoriser le rachat c'est autoriser à donner de l'argent en échange d'une pâture; et certes, les communes ont un bien plus grand intérêt à avoir du terrain qui se conserve et acquiert chaque jour de la valeur, au lieu d'une somme d'argent qui se perd et chaque jour se détériore. D'ailleurs, le droit de pâturage est un droit réel, un droit inhérent au fonds, et qui, s'il peut être racheté, ne peut l'être que par une portion du terrain sur lequel il est assis.

La raison donnée par la commission est encore repoussée par cette même loi de 1791 qu'elle a invoquée, puisque cette loi conservait le cantonnement pour la vaine pâture. La loi de 1790 avait établi le cantonnement pour tous les usages; or, d'après l'ordonnance de 1669 le droit de pâturage est un usage comme les autres; il peut donc comme tous les autres, être cantonné.

Je pense donc que l'article 64 devrait être rejeté. Mais peut-être la Chambre n'adoptera pas cette opinion; et s'il faut absolument déclarer le droit de pâturage, panage et glandée rachetable, je pense qu'il ne doit être racheté que par la cession d'une partie du fonds, représentative de sa valeur, c'est-à-dire par un cantonnement, et non pas par une somme d'argent. Je propose donc de rédiger ainsi le premier paragraphe de l'article 64: Les droits de pâturage, panage, glandée et autres, de même nature, pourront être convertis en cantonnement, ainsi qu'il est dit à l'article précédent. »

M. le Président. Je dois faire remarquer à la Chambre que l'article précédent admet le cantonnement pour affranchir les forêts de l'Etat de tout droit d'usage en bois, et que l'article interdit le cantonnement quant au droit de pâturage.

M. de Martignac, Les conclusions me paraissent assez opposées à la plaidoirie. Je ne comprends pas trop comment l'orateur est arrivé à ce résultat; car il me semble que la plus grande partie de son discours tendait à établir qu'il n'y avait pas lieu à admettre le cantonnement pour le pâturage. Quoi qu'il en soit, il faut examiner la question en elle-même; il faut voir si c'est avec raison qu'on se prévaut des règles de la ser vitude et de ses dispositions générales, auxquelles, dit-on, il n'est pas permis de déroger. Je soutiens que le droit commun n'est pas la règle qu'on doit suivre ici. L'article 636 du Code civil porte L'usage des bois et forêts est réglé par des lois particulières.» Ainsi vous voyez que ce sont des lois particulières qu'il faut établir, et c'est ce que nous vous proposons. Avons-nous procédé avec justice? Nous avons fait une distinction qui paraîtra naturelle, entre l'usage en bois et l'usage en pâturage, panage, glandée et autres de la même nature. Et nous avons fait un raisonnement qui est à la portée de tout le monde. On comprend facilement qu'il est possible de cantonner un homme qui a en sa faveur un droit d'usage en bois, parce que le propriétaire peut avoir à se libérer du droit général en donnant une portion de la forêt à l'usager. Mais peut-on arriver à un résultat pareil par rapport au droit d'usage en pâturage, panage, glandée et autres ? Non, sans doute; car si ce droit d'usage est établi sur la forêt entière, il est impossible de donner à l'usager un droit équivalent, sur une portion de la forêt. D'un autre côté, les forêts de l'Etat ne peuvent être livrées sans préservatif contre l'abus cruel que font les usagers de leur titre. Nous avons cherché à concilier le respect dû aux titres avec la conservation des forêts; nous avons dit : Le gouvernement aura le droit de racheter par une indemnité le droit d'usage; et les tribunaux apprécieront cette indemnité, en prenant en considération toutes les circonstances particulières. La commission a été plus loin. Selon nous, elle a été trop loin. Mais enfin nous n'entendons pas lui contester la disposition qu'elle a cru devoir ajouter. Si la situation de la commune qui a un droit de pâturage est telle qu'elle puisse trouver, moyennant une indemnité, un autre pâturage qué celui de la forêt, il n'y a pas de raison alors pour empêcher le gouvernement de racheter ce droit. Mais si, au contraire, la commune ne peut trouver ailleurs le pâturage dont elle a besoin pour ses bestiaux, alors le conseil de préfecture fait une enquête de commodo et incommodo, et dé

clare s'il y a lieu à maintenir la commune dans son droit de pâturage. On a donc pourvu par ce moyen à ce qui était, d'une part, dans l'intérêt des communes, et, de l'autre, dans celui de la conservation des forêts.

M. de Ricard (du Gard). M. le commissaire du roi a cru trouver de la contradiction entre ce que j'ai dit et l'amendement que je soumets à la Chambre; entre la plaidoirie et les conclusions, pour me servir de ses expressions,

J'ai soutenu qu'en principe le pâturage ne pouvait pas être cantonné, parce que ce droit établi sur tout le terrain assujetti, et sur chacune de ses parties, ne pouvait pas être représenté par une portion de ce terrain, et qu'il fallait en laisser jouir les concessionnaires, en prenant les mesures les plus propres à prévenir les abus qui pourraient être commis.

Mais prévoyant que cette opinion ne serait pas adoptée par la Chambre, et pour prévenir l'adoption du paragraphe, ce qui ne m'aurait plus laissé le moyen de l'amender, j'ai dû vous proposer subsidiairement l'amendement dont il s'agit : il n'y a donc pas contradiction entre ma doctrine et mon amendement.

M. le commissaire du roi a dit que le Code civil contenait un article d'après lequel l'usage dans les bois devait être régi par des fois particulières, qu'il n'y avait donc pas lieu d'invoquer les dispositions générales de l'article 701. Mais d'abord, je n'avais parlé de cet article que parce que la commission s'en était servie, et ensuite parce qu'alors même qu'il s'agit de faire une loi spéciale, il faut, autant que possible, rester dans le droit commun.

Je propose de décider que le pâturage qui, à mon avis, ne devrait pas même être cantonné, le soit cependant plutôt que d'être racheté par une somme d'argent. C'est dans l'intérêt des communes que je le demande ainsi, afin qu'elles aient du moins une portion de terrain à laquelle elles ont droit, puisqu'une servitude de pâturage est un droit sur la chose, est un droit réel inhérent au fonds; et qu'il est bien plus avantageux pour elles d'avoir du terrain qui se conserve et s'améliore, au lieu d'une somme d'argent qui se dissipe et perd chaque jour de sa valeur.

Je persiste dans mon amendement, qui ne fait d'ailleurs que maintenir la disposition de la loi de 1790.

M. de Villèle, ministre des finances. Je pense qu'il est du plus grand intérêt que vous autorisiez le cantonnement et le droit de rachat qui vous sont proposés par l'article que vous avez déjà voté, et par celui qui est en ce moment soumis à votre délibération. Celui-ci, surtout, me paraît avoir la plus grande importance. En effet, il est question ici de droits fort peu utiles pour ceux qui les possèdent, et qui sont excessivement onéreux pour ceux qui ont à les supporter. Il s'agit du droit de pâturage. C'est à tort que tout à l'heure on nous disait que nous voulions racheter ce droit pour le revendre. S'il s'agissait uniquement du droit de panage et de glandée, on aurait pu avoir cette idée mais il s'agit du droit de pâturage dans les forêts; c'est-à-dire du droit de détruire les forêts. Ce n'est pas seulement dans l'intérêt de l'Etat que la mesure vous est proposée elle est commune aux forêts des particuliers; et, sous ce rapport, je crois que la question mérite la plus grande attention.

C'est un ancien usage établi dans des temps où

la conservation des forêts pouvait avoir très peu d'importance, et où le pâturage pouvait en avoir beaucoup pour les populations qu'on attirait, ainsi qu'on vient de vous le dire, dans telle ou telle localité. Mais les choses sont-elles restées dans cet état? Les populations n'ont-elles pas beaucoup plus de facilités pour se procurer d'une autre manière une subsistance abondante? Et, d'un autre côté, la conservation des forêts n'est-elle pas devenue bien plus importante qu'elle ne l'était aux époques auxquelles remonte l'établissement de ces usages? Je crois que ce sont là des considérations qui doivent frapper le législateur, et que vous sentirez que cette disposition est la plus utile à la conservation des forêts. Vous ne perdrez pas non plus de vue qu'elle servira à retirer des populations entières de l'état misérable dans lequel elles restent, lorsque l'état social leur présente des moyens bien supérieurs à ceux du droit de pâturage, pour améliorer leur position.

Lorsque vous avez ensuite remis aux tribunaux le droit de décider la quotité de la somme destinée à racheter le droit d'usage, vous avez rendu une justice complète; et, en même temps, vous avez fait une chose très utile pour l'Etat en général.

J'étais monté à cette tribune principalement pour présenter à la Chambre ces considérations, et pour lui faire voir que le droit de pâturage ne pouvait être affermé par l'Etat, parce qu'il serait la destruction de ses forêts.

Je ne dis rien relativement au second paragraphe proposé par la commission. Nous sommes résolus à ne pas le contester, quoique nous sachions très bien qu'il a de très graves inconvénients, dans son application. Il paraît, d'après les observations qui ont été faites, que cette disposition est indispensable pour certaines localités. Nous avons donc fait cette concession. Je dis celte concession, parce qu'il y a certainement beaucoup d'inconvénients. Nous ferons tous nos efforts pour qu'on n'en abuse pas; mais en même temps nous avons cru que cette garantie était nécessaire à quelques localités. D'autres plus heureux que nous, pourront, dans la suite, arriver jusqu'à faire disparaître cette exception, qui ne laisse pas d'être dangereuse.

M. le baron Favard de Langlade, rapporteur. Je ne dois pas laisser ignorer à la Chambre que cet article est un de ceux du projet qui a le plus fixé l'attention de la commission. Parmi les membres de la commission, se trouvaient trois de nos collègues qui appartiennent aux départements où des communes ont des droits de pâturage qui leur sont extrêmement nécessaires. Nous avons eu la satisfaction d'adopter, à l'unanimité, l'amendement dont il s'agit. Je me bornerai à faire une réflexion très simple. M. le commissaire du gouvernement a très bien établi que la disposition dont il s'agit n'était pas régie par le droit commun; qu'il fallait en aller chercher les règles dans des lois particulières. Remarquez que nous n'avions pas besoin de créer la disposition qui fait l'objet du second paragraphe, puisqu'elle existe déjà pour les particuliers. Ne serait-il pas singulier que les bois de l'Etat ne pussent jouir des mêmes avantages que ceux des particuliers? M. de Ricard vous a cité l'article 8 de la loi du 21 septembre 1791. S'il y avait fait bien attention, il aurait remarqué que cet article est étranger au droit de pâturage. N'est-il pas ridicule que, parce que j'ai le droit d'aller prendre des glands dans

la forêt, on me rachète ce droit avec des chênes ! Le droit de pâturage et de glandée consiste à faire pacager l'herbe ou à ramasser des glands. Certes, on n'admettra jamais que le propriétaire soit obligé de désorganiser sa forêt pour dédommager ceux qui vont ramasser l'herbe ou les glands. Ainsi, la commission a fait une chose juste en admettant les forêts nationales à jouir des mêmes avantages que les forêts particulières. Nous avons senti qu'il était des communes où le droit de pâturage était devenu une nécessité absolue; et nous avons fait une exception en leur faveur. Mais qui sera juge de cette nécessité ? Ce seront les juges mêmes du lieu qui auront des connaissances locales. Les communes auront donc toutes les garanties qu'elles peuvent désirer pour la conservation de leurs droits. L'indemnité qui leur serait accordée aura servi à faire des prairies artificielles et à parvenir à la régénération des forêts, qui ne pourra jamais s'opérer que par la suppression des droits de pacage.

M. de Ricard (du Gard). Permettez-moi de répondre un mot.

M. le Président. Je suis obligé, d'après le règlement, de vous refuser la parole.

M. de Ricard. Je la demande pour un fait personnel.

(L'orateur, entrant dans la discussion, est arrêté par M. le président, qui lui fait remarquer qu'il n'est pas possible, sous le prétexte de répondre à un fait personnel, de parler ainsi une troisième fois sur la même question, et qu'il doit dans ce cas consulter la Chambre pour savoir si elle veut entendre M. de Ricard une troisième fois.)

M. de Ricard. Je n'ai qu'à faire remarquer que la loi de 1791 ne parle que de la vaine pâture. M. le Président. L'amendement de M. de Ricard est-il appuyé ?

Voix diverses: Non, non!

M. le Président. Je n'ai pas à le mettre aux voix.

M. de Montbel a la parole pour faire un sousamendement au second paragraphe de la commission.

M. le comte de Montbel. Messieurs, je suis tellement convaincu du dommage que l'exercice trop brusque du droit de rachat qui serait concédé à l'Etat par l'article que nous discutons, causerait, dans le premier moment du moins, á un nombre considérable de communes, que je crois devoir prier la Chambre de vouloir bien statuer que ce droit ne pourra être exercé par l'administration forestière que six ans après la promulgation de la présente loi. Ce délai accordé donnerait aux communes usagères le temps de recourir à quelque moyen nouveau de nourrir leur bétail, comme par exemple à l'établissement de prairies artificielles, auquel de mauvaises doctrines agricoles se refusent encore sur une trop grande partie de notre territoire.

Il y aurait dans le délai que j'invoque, justice, j'ose le dire, utilité pour l'agriculture, dont, dans beaucoup de communes usagères, il nécessiterait à la fois et rendrait possible la prochaine amélioration.

Le refus de ce délai ou de tout autre amende

ment atténuatif de la rigueur de l'article qui vous occupe, pourrait mécontenter un grand nombre de communes et avoir les résultats les plus malheureux, résultats que je dois laisser, Messieurs, à votre sagacité et à votre prudence le soin d'apprécier.

M. le Président. Le sous-amendement de M. de Montbel tend à établir que le droit de rachat ne pourra être exercé que six ans après la promulgation de la présente loi.

(Cet amendement est mis aux voix et rejeté.) M. le général Sébastiani propose, par amendement, de substituer aux conseils de préfecture le recours devant les tribunaux.

M. le général Sébastiani. La Chambre sait que je suis l'un des partisans du principe de rachat. L'introduction des bestiaux dans les bois occasionne toujours des détériorations à cette propriété précieuse. Mais je reconnais aussi que les usagers ont une propriété; qu'on l'appelle une servitude ou autrement, c'est toujours une propriété. Ainsi, dans les questions de rachat, le gouvernement n'est qu'un propriétaire en présence d'un autre propriétaire; et toutes les contestations qui peuvent s'élever entre ces deux propriétaires, doivent être jugées par les tribunaux. En envoyant les parties devant le conseil de préfecture, vous rendez l'administration juge d'une question dans laquelle elle est intéressée. Mais, dira-t-on, les conseils de préfecture sont eux-mêmes, pour ainsi dire, les gardiens des droits des usagers ils peuvent en avoir une connaissance parfaite, j'en conviens; mais il n'en est pas moins vrai qu'ils sont partie intéressée dans la question, et qu'ils ne peuvent la décider. Le droit de pâturage dans les forêts est un droit précieux, imprescriptible, dont les tribunaux civils seuls doivent connaître. Ce principe est évident; et j'espère de la justice de la Chambre qu'elle s'y conformera.

M. le baron Favard de Langlade, rapporteur. Je déclare que la question que vient de soulever le préopinant a été discutée longuement par la commission; la force de l'objection consiste à dire que le droit dont il s'agit tient à la propriété, et que les tribunaux sont seuls juges des questions de propriété. Cependant,on vient de remarquer qu'il s'agit d'un acte administratif, et qu'il serait peut-être à l'avantage des communes que ces contestations fussent portées devant le conseil de préfecture, qui pourra, sans frais, prendre les renseignements qui mettront à même de prononcer sur les intérêts des communes. Mais il y a encore une autre considération : la décision du conseil de préfecture peut être attaquée devant le Conseil d'Etat. Ainsi, le roi, en son conseil, examinera si la réclamation est ou non fondée. Il y a une très grande analogie entre l'acte qu'exerce, dans ce cas, l'autorité royale, et celui qu'elle exerce dans une circonstance où il s'agit bien autrement de porter atteinte à la propriété. D'après la loi de 1810, le roi peut rendre une ordonnance qui exproprie pour cause d'utilité publique. Quand cette expropriation est ainsi prononcée, les tribunaux statueront, mais seulement sur la quotité de l'indemnité due à celui qui est dépossédé. Dans le cas prévu par l'article que nous discutons, il s'agit de savoir si une commune a un besoin absolu de son pacage, et si l'administration forestière peut exercer le droit de rachat. Or, ce fait peut être constaté par le conseil de

préfecture d'une manière moins dispendieuse pour la commune que par les tribunaux. D'ailleurs vous savez que les communes ne peuvent paraître devant les tribunaux sans en avoir reçu l'autorisation du conseil de préfecture. Le conseil de préfecture n'aurait donc qu'à refuser l'autorisation pour empêcher la commune de se présenter devant les tribunaux. Sans doute, elle peut se pourvoir devant le Conseil d'Etat contre la décision du conseil de préfecture; mais le Conseil d'Etat peut aussi refuser l'autorisation, et la commune se trouvera dans la même impuis

sance.

M. Bourdeau. L'article 64 du projet de loi porte en termes formels : « Quant au pâturage dans les mêmes forêts, il ne pourra être converti en cautionnement; mais il pourra être racheté moyen nant une indemnité qui sera réglée de gré à gré, ou, en cas de contestation, par les tribunaux. » Le principe posé dans le projet du gouvernement, qui se trouve reproduit dans le premier paragraphe de la commission, consacre le véritable droit sur la matière; tout le reste est exorbitant et abusif.

De quoi s'agit-il dans le second paragraphe de la commission? Il s'agit de déterminer s'il y a nécessité, pour les habitants d'une ou plusieurs communes, de conserver les droits de pâturage, panage et glandée; c'est là, ce me semble, une question préjudicielle sur la propriété; en telle sorte, que s'il était reconnu qu'il n'y a pas nécessité, pour la commune, de conserver le droit dont il s'agit, elle serait forcée d'en subir le rachat. Ainsi, le droit de propriété dépend d'une contestation entre l'administration qui soutient qu'il n'y a pas de nécessité, et la commune qui soutient, au contraire, qu'il y a lieu de la maintenir dans la jouissance de son droit. C'est tellement une question préjudicielle de propriété, qu'elle doit se résoudre en une vente forcée du droit qui appartient à la commune. Alors, c'est essentiellement aux tribunaux à en connaître, puisqu'il n'y a que les tribunaux qui puissent statuer sur les questions de propriété. Le conseil de préfecture et le Conseil d'Etat ne peuvent statuer sur un objet d'administration qui n'intéresse en rien le droit de propriété, lequel est exclusivement attribué à l'autorité judiciaire. Cela est si vrai, que la loi du 8 juillet 1817 renvoie, après l'enquête de commodo et incommodo, devant les tribunaux. Il me suffit donc d'avoir établi que la question est essentiellement de propriété, pour avoir démontré l'incompétence du conseil de préfecture et du Conseil d'Etat.

M. de Martignac. Nous ne venons pas ici défendre notre propre ouvrage; car la Chambre sait que le paragraphe additionnel est l'ouvrage de la commission. Nous n'avons à examiner ici que la question qui vient de s'élever, et qui est celle de savoir si c'est devant les tribunaux ou devant les conseils de préfecture que doit être renvoyé l'examen et la décision de ces sortes de contestations. Avant d'examiner le paragraphe 2, en lui-même, je dois relever une erreur qui s'est glissée dans l'argumentation de l'avant-dernier orateur. Il a toujours raisonné dans la supposition qu'il s'agissait d'un droit de propriété; il a parlé du propriétaire et de l'usager comme ayant des droits de copropriété, et comme ayant par conséquent des actions et des exceptions semblables à opposer: c'est là une erreur dont il n'est plus permis de douter, puisque vous avez consacré le

principe dans l'article 63. Vous avez déclaré dans cet article que l'action en affranchissement du droit d'usage en bois, par la voie de cantonnement, n'appartiendrait qu'au gouvernement. Vous avez, par là, décidé que le gouvernement était le propriétaire; que c'était à lui seul qu'il appartenait de se dessaisir d'une portion de sa propriété ; et que l'usager n'avait pas d'action pour contraindre le propriétaire à lui céder. Ainsi vous avez décidé que le droit d'usage n'était pas un droit de copropriété.

Voyons s'il est possible de raisonner comme l'a fait le préopinant. Il a cru qu'il s'agissait, comme dans le paragraphe 1o, dù rachat du droit de pacage qui est soumis aux tribunaux. Messieurs, le droit de rachat est reconnu préexistant; les tribunaux n'ont à prononcer que sur la quotilé de l'indemnité; c'est la véritable attribution qui doit leur appartenir. Il ne s'agit donc de soumettre aux tribunaux que l'action en dédommagement d'un droit réel qui s'attache à la propriété. C'est aux tribunaux à déterminer le prix auquel il sera permis au propriétaire de se libérer du droit d'usage.

Il se présente maintenant une question d'une nature tout à fait différente. Vous pensez qu'il est prudent et sage de soumettre à des considérations d'utilité et de convenance la question de savoir si la commune peut se passer du droit d'usage. Il y a donc ici un fait à constater, savoir si le droit de pâturage, que le gouvernement veut racheter, est ou non d'une absolue nécessité pour les communes c'est un fait de convenance administrative de nécessité communale, qui ne touche point à la question de propriété. Il est possible que les termes dans lesquels le paragraphe 2 est conçu aient laissé quelques doutes dans les esprits. Quant à nous, nous entendons que la vérification du fait d'absolue nécessité sera portée devant le conseil de préfecture, qui, après une enquête de commodo et incommodo, statuera s'il y a lieu au remplacement. Mais, nous dit-on, vous allez au delà de la législation existante. Les administrations, après l'enquête de commodo et incommodo, renvoient devant les tribunaux. Oui, sans doute; mais pour déterminer le prix; et c'est alors une question d'indemnité, sur laquelle les tribunaux sont appelés à prononcer. Ainsi vous laissez aux tribunaux tout ce qui se rattache au droit de propriété.

M. le général Sébastiani, Vous avez donné par la loi actuelle, au gouvernement, le droit de rachat. La commission vous a présenté des cas de restriction dans lesquels le droit de rachat pourrait ne pas être admis, On vous dit qu'il ne s'agit ici que de reconnaitre un fait, savoir si la commune peut ou non se passer du pâturage. On ajoute que c'est un acte administratif qui est du ressort des conseils de préfecture. Messieurs, je ne saurais admettre un pareil principe.

Songez que le droit de rachat n'est accordé que dans le cas où il n'y a pas, pour la commune, nécessité absolue d'exercer le droit de pâturage; le droit de rachat dépend donc du fait de nécessité. Il est évident que vous tournez dans un cercle vicieux. Si vous accordez à l'administration la faculté de décider s'il y a ou non nécessité, elle décide, par là même, le droit de rachat. Pourquoi donc exclure les tribunaux de la connaissance de ce fait? Ici je commence à trouver tous les inconvénients, toutes les difficultés, dont vous a parlé M. le président du conseil, par rapport à l'introduction de ce second paragraphe. Une com

mune est dans une situation telle, qu'elle ne peut exister que par la continuation du droit de pâturage, dont elle a joui jusqu'à présent. Le gouvernement lui dit nous croyons que ce que vous réclamez comme une nécessité de votre existence n'est pas réel; el pour juger de la réalité de ce fait, d'où dépend votre existence, nous nous en rapportons aux agents que nous nommons, c'està-dire à nous-mêmes,

Je crois que le gouvernement n a aucun intérêt à repousser le jugement des tribunaux. On vous a dit que les communes ne peuvent plaider que dans le cas où elles en reçoivent la permission de l'administration, qui peut la leur refuser, et qu'alors les communes ne pourront pas paraitre devant les tribunaux, Mais qu'est-ce que cela prouve? C'est que la disposition du paragraphe serait incomplète, et qu'il faudrait en introduire une autre, de laquelle il résulterait que les communes seraient toujours autorisées à plaider devant les tribunaux pour ces sortes de contestations, Si vous voulez admettre le cas de nécessité de pâturage pour exclure le droit de rachat, il faut donner aux communes des juges qui ne dépendent pas de vous.

M. de Kergariou. Messieurs, il y a dans l'article 64 que nous discutons une partie judiciaire et une partie administrative.

Savoir si le droit de pâturage, de panage, glandée existe, déterminer sa valeur; voilà la partie judiciaire, et qui, en cas de contestation, est jugée par les tribunaux,

Savoir s'il y a nécessité pour les habitants d'une ou de plusieurs communes à ce que ce droit ne soit pas racheté, voilà la partie administrative, et ce sont les juges administratifs qui en doivent connaître.

L'honorable membre qui descend de la tribune vous a dit qu'il était évident pour lui que c'étaient les tribunaux qui devaient être juges de tels faits; je lui répondrai qu'il est évident pour moi que c'est l'administration, car jamais les tribunaux ne sont chargés d'apprécier des faits d'utilité publique. C'est toujours l'administration qui prononce en pareille matière. Est-il question d'ouvrir ou de supprimer un chemin, d'établir une halle, une foire, un marché, d'exproprier un particulier pour cause d'utilité publique, c'est toujours l'administration qui prononce, ainsi que sur tant d'autres objets d'utilité publique et communale.

Si jamais il se présentait une question purement administrative, c'est incontestablement celle de reconnaître ce qui est de nécessité pour une commune, et ce serait bouleverser notre législation et l'ordre des juridictions que de renvoyer cette question à la décision des tribunaux.

Je ne descendrai pas de cette tribune, Messieurs, sans exprimer le regret que l'amendement de M. de Montbel n'ait pas été adopté : c'était, ce me semble, un heureux moyen de transition, et tout en prouvant aux communes la sollicitude que nous portons à leurs intérêts, cet amendement ne tendrait qu'à les faire jouir, par le droit, de ce qu'elles conserveront probablement plus de six ans par le fait; car je doute fort que le gouvernement puisse racheter immédiatement tous les droits d'usage,

Je termine, Messieurs, en appuyant l'amendement de la commission.

M. Bourdeau, La question que nous discutons est une question de juridiction, dans l'ordre régulier. Ces sortes de questions sont peut-être

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