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entières dans le seul but d'avoir une forêt qui sera mieux conservée quand il aura racheté un droit que quand ce droit subsistait. Mais si vous admettez l'amendement de la commission comme nécessaire, je suis disposé à penser qu'il vaut mieux prendre la juridiction des tribunaux que d'adopter celle du Conseil d'Etat. J'ai donné mes motifs à la Chambre.

M. de Kergariou. M. le ministre des finances croit que l'amendement n'est pas nécessaire et que l'on pourrait se reposer sur le gouvernement, en conservant l'article 64 tel qu'il avait été présenté. Je ne suis pas de cet avis, bien que je n'approuve pas la nouvelle rédaction de la commission. D'après le projet du gouvernement, l'administration pourrait, dans tous les cas, racheter les droits d'usage. Nous sommes ici pour défendre les intérêts des communes; et nous devons supposer que si l'administration avait ce droit, elle en userait. La commission, aussi bien composée qu'elle était, a su que, dans certains départements, il existait des communes qui seraient réduites à la mendicité, des populations considérables qui seraient forcées de s'exiler du pays où elles prospèrent, grâce à un certain commerce et aux droits d'usage. La commission n'a pas voulu que ce droit d'usage put être racheté dans tous les cas; elle a proposé par amendement de déclarer que ce droit ne sera pas rachetable quand il sera, pour la commune, d'une nécessité absolue.

Je reviens à la question traitée par M. le ministre des finances il a dit que ce n'était pas une question d'utilité publique. Comment, une question de nécessité absolue n'est pas une question d'utilité publique! S'il s'agissait de donner à une commune un chemin, ou une fontaine qui serait de nécessité absolue, ne décideriez-vous pas la question par les mêmes moyens que vous em ployez pour décider la question d'utilité publique ? Je l'avoue, Messieurs, quelque déférence que j'aie pour M. le ministre des finances, et pour la commission, quelque soin que j'aie mis à écouter la discussion, je ne puis que persister dans mon avis.

Cependant, avant de terminer, je prie la Chambre de ne pas oublier que l'administration forestière, comme toutes les administrations financières, est fiscale de sa nature; elle l'est, et elle doit l'être. Elle fera des procès: elle aura tous les moyens de les poursuivre. N'oubliez pas qu'il s'agit de communes très pauvres contre lesquelles on fera valoir tous les droits que vous accorderez par la loi.

M. le Président. La Chambre a adopté hier le premier paragraphe de l'article 64. Le second paragraphe, amendé en premier lieu par la commission, était ainsi conçu: « Néanmoins, le rachat ne pourra être requis par l'administration dans les lieux où l'exercice des droits de pâturage est devenu d'une absolue nécessité pour les habitants d'une ou de plusieurs communes. Si cette nécessité est contestée par l'administration forestière, les parties se pourvoiront devant les conseils de préfecture qui, après une enquête de commodo et incommodo, statuera sauf le recours au Conseil d'Etat. »

A cette dernière partie de l'amendement, si cette nécessité, etc., la commission propose maintenant de substituer ces mots : Si cette nécessité est contestée, les tribunaux prononceront sur la question préjudicielle. On a demandé le rejet de de cette nouvelle rédaction; je dois la mettre d'a, bord aux voix.

M. le Président met cette rédaction aux voix. Plusieurs membres Sur quoi vote-t-on?

M. le Président. Il ne faut pas qu'il y ait de surprise. Toutes les fois qu'un amendement est présenté, soit par une commission, soit par un membre, ce n'est pas le rejet qu'on met aux voix, c'est l'amendement même. Je vais recommencer l'épreuve; la Chambre vote sur la nouvelle rédaction. Les membres qui partageront l'avis de M. de Kergariou et de M. Dudon, se lèveront contre.

M. le Président met la nouvelle rédaction aux voix. Une première épreuve est douteuse, MM. les secrétaires se rendent à la tribune et l'épreuve recommence. M. le président, après avoir consulté le bureau, déclare que l'amendement est rejeté.

(La Chambre adopte l'amendement que la commission avait proposé en pretnier lieu; elle adopte également l'article ainsi amendé.)

M. le Président. La Chambre ajourna hier sa délibération sur la nouvelle rédaction de la commission à l'article 58. Cet amendement est imprimé. La Chambre veut-elle s'en occuper mainte nant?

Plusieurs voix : Oui, oui!...

M. le Président. L'article 58 du projet était conçu en ces termes :

«Art. 58. Les affectations de coupes de bois ou délivrances, soit par stères, soit par pieds d'arbre, qui ont été concédées à des communes, à des établissements industriels ou à des particuliers, nonobstant les dispositions prohibitives des ordonces et lois existantes, continueront d'être effectuées jusqu'au 1er septembre 1837, et cesseront d'avoir leur effet à l'expiration de ce terme.

« Ceux des concessionnaires qui prétendraient que leur titre n'est pas atteint par les prohibitions ci-dessus rappelées, et qu'il leur confère des droits irrévocables, pourront se pourvoir, dans les six mois qui suivront le promulgation de la présente loi, par devant les tribunaux, pour en réclamer l'exécution.

En cas de pourvoi, les jugements et arrêts à intervenir seront exécutés selon leur forme et teneur, sans que le concessionnaire, qui l'aura exercé, puisse se prévaloir de la prorogation de dix années accordée par le paragraphe 1er du présent article. Le défaut de pourvoi dans le délai de six mois équivaudra à une déclaration d'option en faveur de cette prorogation. »

La commission propose la rédaction suivante : « Les affectations de coupes de bois ou déli vrances, soit par stères, soit par pieds d'arbre, qui ont été concédées à des communes, à des établissements industriels ou à des particuliers, nonobstant les prohibitions établies par les lois et les ordonnances alors existantes, continueront d'être exécutées jusqu'à l'expiration du terme fixé par les actes de concession, s'il ne s'étend pas au delà du 1er septembre 1837.

Les affectations faites au préjudice des mêmes prohibitions, soit à perpétuité, soit sans indication de terme, ou à des termes plus éloignés que le 1er septembre 1837, cesseront à cette date d'avoir aucun effet.

« Les concessionnaires de ces dernières affectations, qui prétendraient que leur titre n'est pas atteint par les prohibitions ci-dessus rappelées,

et qu'il leur confère des droits irrévocables, devront, pour y faire statuer, se pourvoir devant les tribunaux dans l'année qui suivra la promulgation de la présente loi, sous peine de déchéance.

« Si leur prétention est rejetée, ils jouiront néanmoins du terme accordé par le second paragraphe du présent article.

Dans le cas où leur titre serait reconnu valable par les tribunaux, le gouvernement, quelles que soient la nature et la durée de l'affectation, aura la faculté d'en affranchir les forêts de l'Etat, moyennant un cantonnement qui sera réglé de gré à gré, ou, en cas de contestation, par les tribunaux, pour tout le temps que devait durer la concession. L'action en cantonnement ne pourra pas être exercée par les concessionnaires.

(M. Hyde de Neuville demande et obtient la parole.)

M. Hyde de Neuville. Je comptais combattre l'article du gouvernement et l'amendement de la commission, parce que, dans mon opinion, la proposition du gouvernement était une injustice que l'amendement ne faisait qu'affaiblir; mais la nouvelle rédaction laissera du moins aux propriétaires un moyen de se pourvoir devant les tribunaux, d'y faire valoir leurs titres, que je crois sacrés, et que les tribunaux valideront comme tels puisque ces affectations ont été faites pour un but d'utilité publique, pour des industries qui ont concouru à vivifier le pays. Je ne viens donc faire qu'une observation sur la rédaction du second paragraphe. Les mots « titre irrévocable >> s'entendent, dans notre langue, d'un titre perpétuel. On dit, dans cet article : « Les concessionnaires qui prétendraient que leur titre leur confère des droits irrévocables. » Bien certainement on n'a pas entendu, par là, dire des droits perpétuels. Je demande donc que les mots : « Et qui leur confère des droits irrévocables, » soient supprimés. Puisque, par l'article précédent, nous donnons à tous ceux qui ont des titres, la faculté de les faire valoir, je ne vois pas pourquoi on exigerait ici que les titres fussent perpétuels. J'ai consulté, à cet égard, des personnes versées dans la connaissance des lois, elles m'ont dit que j'avais raison; je pense que la Chambre consentira à retrancher des mots qui ne servent à rien, et qui peuvent avoir de grands inconvénients.

M. Pardessus. L'orateur a fait une confusion de principes un titre qui n'est pas perpétuel, qui est pour un temps, est irrévocable, s'il n'est pas frappé d'un vice qui puisse le faire révoquer avant le temps auquel il devrait naturellement cesser. Il est facile de comprendre pourquoi la commission a mis le mot irrévocable. L'Etat a des bois qui lui viennent de diverses origines, et auxquels s'appliquaient les législations différentes. Par exemple, dans la Lorraine, la législation sur les domaines n'était pas la même qu'en France. La fameuse ordonnance de 1669, que votre Code va finir par adopter en partie, n'était pas loi pour la Lorraine parce que cette province ne faisait pas partie de la France, lorsque l'ordonnance fut rendue. Dès lors, si un concessionnaire avait des droits. antérieurs à la réunion de la Lorraine à la France, il pourrait aujourd'hui avoir un titre irrévocable quoiqu'il fût dans la même position qu'un homme appartenant à l'ancienne France et dont le titre n'aurait pas la même valeur. Ainsi, un titre irrévocable est un titre qui n'est entaché d'aucun vice qui puisse le rendre nul, et donner à l'Etat le droit de reprendre sa

chose. Ce titre sera irrévocable, s'il est jugé qu'il a été fait conformément aux lois. Il sera, au contraire, déclaré révocable s'il est reconnu qu'il n'est pas fait dans les formes légales. Ainsi, la rédaction du gouvernement et de la commission se justifie très bien et je crois que la Chambre doit l'accepter.

M. Avoyne de Chantereyne. Messieurs, je m'étais proposé de combattre l'article 58 tel qu'il avait d'abord été amendé par votre commission; aujourd'hui qu'elle adopte une rédaction nouvelle qui me paraît convenable, ma tâche devient plus

facile.

Cependant, comme il est essentiel de bien fixer les principes sur une question grave, et que je ne partage pas en tout point ceux de votre commission, comme enfin il est nécessaire de mettre les tribunaux à portée de juger d'après la discussion si l'article qui en est l'objet est adopté par vous dans les principes qu'elle a posés, où dans ceux de l'exposé des motifs; si la Chambre veut bien m'entendre, je tâcherai de ne pas fatiguer son indulgente attention.

Le principe de l'inaliénabilité du domaine de l'Etat est aussi ancien que la civilisation des peuples; il est fondé sur cette vérité politique, que si le chef de l'Etat en est l'administrateur suprême, il n'en est pas propriétaire; que l'Etat peut se passer d'aliéner et ne peut se passer de domaines.

Depuis l'établissement de la dynastie actuelle, et longtemps avant l'ordonnance de Moulins, nos rois avaient à leur sacre consolidé ce grand principe par la religion du serment.

Mais l'ordonnance de 1566, donnée à Moulins; sur la demande des Etats généraux, a établi les bases fondamentales de la législation en cette matière.

Cette ordonnance porte que le domaine ne peut être aliéné que pour l'apanage des fils de France et pour les besoins de la guerre.

Le roi y fait défense aux parlements et aux Chambres des comptes d'autoriser les lettres patentes portant aliénation du domaine et des fruits qui en dépendent pour qu'elle cause et pour quel temps que ce soit, si ce n'est dans les deux cas d'exception, et statue que, dans aucune circonstance, il ne sera fait aucune aliénation des bois de haute futaie, ni cédé aucun droit à des coupes qui en proviendraient.

C'est dans le même esprit que, par l'ordonnance de 1579, donnée à Blois sur les remontrances des Etats généraux, Henri III, voulant empêcher la ruine et la dégradation des forêts, défend de faire à l'avenir aucun don de bois des forêts royales, ni vente et coupe par pied desdits bois.

Enfin, l'ordonnance de 1669 a supprimé, sauf quelques exceptions, tous droits de chauffage gratuits postérieurs à l'ordonnance de Moulins, et réitéré, par l'article 1er du titre 27, la prohibition de faire aucune aliénation de quelque partie que ce soit des forêts, bois et buissons de l'Etat.

C'est après ces dispositions de nos lois fondamentales que les lois nouvelles ont prononcé la révocation des engagements et aliénations illégales de diverses portions du domaine, et que la loi du 13 décembre 1814, après avoir déclaré que les biens formant la dotation de la couronne sont inaliénables, ajoute qu'ils ne pourront être grevés d'aucunes charges qui en atténueraient la valeur et compromettraient la conservation.

Voilà, Messieurs, les lois qui régissent la France.

A l'égard des pays tels que la Lorraine qui lui ont été réunis depuis l'ordonnance de 1556, la raison veut que l'on juge les actes faits dans ce pays suivant les lois qui y étaient en vigueur lors de leur confection.

Mais il est constant que les ducs de Lorraine ont, comme les rois de France, reconnu et déclaré qu'ils étaient dans l'heureuse impuissance d'aliéner leur domaine, et révoqué, comme eux, toutes aliénations et concessions de terres, bois et droits immobiliers dépendants de leurs domaines.

C'est ce qui résulte et de l'ordonnance de Léopold et de l'édit du duc François-Etienne, en date des 18 mars 1722 et 9 juillet 1729, lesquels déclarent que, par les lois anciennes et fondamentales des duchés de Lorraine et de Bar, dont la date y est rappelée, le domaine de ces duchés est inaliénable.

Maintenant que les dispositions des lois sont bien connues, doit-on considérer en général comme des aliénations prohibées ou comme de simples usages, les concessions de bois connues sous le titre d'affectations?

Voilà, Messieurs, la question importante que vous avez à résoudre, non comme juges, mais comme formant une portion intégrante du pouvoir législatif.

L'autorité qui fait les lois doit, je le sais, se borner à poser des règles générales, et laisser aux tribunaux le soin d'en faire l'application aux espèces particulières.

Le projet de code s'est conformé à ce principe; il a fait, relativement aux affectations, ce qu'ont fait les lois de 1790 et de l'an VII, en déclarant révocables les engagements et alienations postérieurs à l'ordonnance de 1566.

Le projet décide, en thèse générale, que des affectations concédées nonobstant les prohibitions des lois existantes à l'époque des concessions cesseront d'avoir leur effet à une époque déterminée.

Il n'a point, comme a paru le craindre la commission, prescrit sans aucune distinction la cessation à une époque déterminée de toutes les affectations, il ne les a pas déclarées toutes contraires aux lois antérieures, et n'a pas voulu que le recours aux tribunaux fût illusoire pour qui que ce soit.

Mais il a posé une règle générale qu'il modifie ensuite par une juste exception : les tribunaux jugeront si les réclamants sont dans le cas de la disposition générale ou de l'exception particulière. Rien n'est jugé à cet égard dans le système du projet, tandis que l'article additionnel proposé par votre commission, en appliquant indistinctement à toutes les affectations un principe établi contre les usagers, semblait les assimiler toutes à de simples usages.

Cet amendement était une suite du principe posé dans son rapport: que les affectations peuvent être considérées comme des droits d'usage en bois; c'est pourquoi elle trouvait naturel de les soumettre au cantonnement dont ces usages sont passibles.

Que le cantonnement s'applique aux affectations qui seront reconnues par les tribunaux être de simples usages, c'est ce que fait le nouvel article en discussion. Mais je ne puis admettre le principe général énoncé dans le rapport.

Parmi les établissements qui ont été largement dotés aux dépens des forêts, il en est dont les concessions, moins étendues et faites à des conditions qui n'ont rien d'inique contre l'Etat, sont

temporaires, et qui peuvent être dans un cas d'exception.

Mais il est d'autres affectations qui ont un caractère bien différent, et qui méritent d'autant plus de fixer votre attention, qu'elles sont accordées à perpétuité.

Ainsi, l'on a accordé à tel établissement 4,368 cordes de Lorraine à prendre dans telle forêt, à tel autre 3,200 arpents, à tel autre jusqu'à 24,000 arpents divisés en coupes de 600 par chaque année.

Les concessionnaires jouissent, les uns du droit de prendre dans la forêt tantôt une grande quantité de bois déterminée par mesures ou par pied d'arbres, d'autres ont le droit de couper, dans telle ou telle portion de forêt qui leur est à jamais affectée, tous les arbres qui en couvrent ou en couvriront la surface; le droit d'exploiter euxmêmes une énorme quantité d'arpents avec dispense de demander la délivrance après la première révolution des bois, avec faculté d'enlever les chablis, de porter la hache même sur les futaies, et d'employer enfin une immense quantité de bois, ainsi qu'ils jugeraient convenable, et pour tout autre usage que celui des usines, objet de tant de faveur et de préférence.

Quel est le prix de ces délivrances excessives, de ces milliers d'arpents tant prodigués, de ces concessions perpétuelles qui absorbent tout? Le prix en est fixé à toujours, tantôt à 12 sous, tantôt à 1 liv. 10 sous, quelquefois de 3 liv. la corde de la Lorraine, tantôt à 16 livres l'arpent, tantôt à un prix en masse qui n'a rien de plus approchant de la juste valeur.

Je conviens que le préjudice énorme que ces concessions font éprouver à l'Etat n'est pas en soi un motif pour en prononcer la révocation, si les actes qui les renferment ont été légalement faits; mais s'ils présentent une infraction grave des lois, s'ils ont eu lieu malgré leurs probibitions formelles, s'ils sont entachés de nullité, la lésion peut ajouter quelque force aux moyens puisés dans la loi même.

Si donc les charges imposées en faveur de quelques établissements sur les forêts de l'Etat sont de nature à en altérer la valeur et à en compromettre la conservation; si quelques-unes de ces concessions extraordinaires rentrent dans les prohibitions des ordonnances qui défendent l'aliénation de quelque partie que ce soit des forêts et de leurs fruits et revenus, surtout des coupes par pied des futaies, peut-on les ranger dans la classe des simples usages? Voilà ce qu'auront à décider les tribunaux, si ces concessionnaires s'y pré

sentent.

Peut-on assimiler à des droits de chauffage essentiellement restreints, ou par les titres, ou par leur nature même, aux besoins personnels de l'usager et de sa famille, toujours sujets à délivrance, toujours bornés suivant l'état et la possibilité de la forêt, un droit réel dans la chose, un droit immobilier d'une extrême étendue, et dont l'exercice serait exempt de la plupart des conditious prescrites par la loi aux usagers? peut-on regarder comme une cession de fruits qui elle-même serait illégalement établie, un droit illimité dans sa durée, un droit, qui, embrassant dans sa dévorante extension les futaies ellesmêmes, absorbe la propriété presque entière?

Refusera-t-on entin le titre d'aliénation à des actes par lesquels le gouvernement, abandonaant á vil prix, tantôt une quantité de bois énorme, et, tantôt un droit exclusif aux coupes d'une immense portion de forêt, cède à jamais tous les

avantages de la propriété, et ne s'en réserve que les charges?

Votre commission, Messieurs, n'a point à cet égard partagé l'opinion que présente l'exposé des motifs, et tout en convenant que des concessions aussi extraordinaires différent sous beaucoup de rapports des droits d'usage en bois, elle finit par les considérer comme une espèce d'usage.

Elle se fonde sur ce que l'ordonnance de 1669 parait les avoir compris sous la dénomination générale de droits de chauffage.

Il est assez probable que les contradicteurs de cette ordonnance, publiée longtemps avant la réunion de la Lorraine à la France, à une époque où les concessions de cette nature étaient, comme elles sont encore, très rares dans le royaume, n'y ont pas pensé alors de la rédaction de l'article 1er du titre XX, et ne se sont occupés que des nombreux droits de chauffage dont les forêts de l'Etat sont encore surchargées.

Mais le principe de révocabilité qu'il s'agit en ce moment d'établir, n'est pas fondé précisément sur les dispositions de l'ordonnance portant suppression de ces droits; il est particulièrement appuyé sur l'article 1er du titre XXVII, qui réitère la prohibition portée en l'ordonnance de Moulins, « de faire aucunes aliénations de quelques parties que ce soit des forêts, bois et buissons. >>

Il faut donc reconnaître que les concessions extraordinaires dont nous nous occupons en ce moment, ne sont point en général de simples usages, et plusieurs peuvent avoir, aux yeux de la loi, le caractère de véritables aliénations.

On fait valoir en faveur des concessionnaires les principes protecteurs des contrats synallagmatiques; mais quand bien même les engagements contractés par eux auraient quelque apparence de proportion avec les avantages dont ils jouissent depuis longtemps, cette considération ne peut nous faire dévier des principes, si les contrats sont frappés de nullité aux termes des lois.

Si, pour encourager une industrie naissante, on a pu, dans un temps où les lois avaient peu de valeur, les prodiguer à des grandes usines, dignes sous beaucoup de rapports, de la protection du gouvernement, ce n'est pas une raison pour les faire jouir indéfiniment d'un privilège que, depuis longues années, elles exploitent à leur grand profit, au grand préjudice de l'Etat, et surtout au préjudice de nouvelles usines qui, obligées de s'approvisionner à grands frais d'un combustible que les anciens établissements ont à peu près pour rien, ne peuvent soutenir la concurrence.

Que les services rendus au pays par ces anciens établissements déterminent à user avec modération d'un droit rigoureux; qu'il entre dans les convenances d'en adoucir l'exercice par des tempéraments équitables, je le conçois très bien, et je désire qu'il en soit ainsi.

Mais réclamer la foi des contrats quand ils ont violé nos lois fondamentales, et pourse soustraire à l'empire des lois, parler du respect dù à des engagements réciproques, quand l'Etat aliène, moyennant un simulacre de prix, ces belles portions de forêts où il ne conserve qu'un sol sans produit et des charges sans avantages; mais vouloir, sur le motif de sacrifices faits par les concessionnaires dans leur propre intérêt, autant que dans l'intérêt du pays, perpétuer un privilége désastreux pour des établissements également utiles, et qui ne demandent d'autre faveur que l'égalité, c'est ce qui me paraît inadmissible.

M. le baron Saladin. Messieurs, député de

l'un des départements ou quelques-unes des concessions connues sous le nom d'affectations subsistent encore, il est de mon devoir de présenter à la Chambre quelques observations pour lui prouver que ces actes n'ont point les vices d'illégitimité et d'injustice qu'on leur suppose.

Et d'abord, l'article 11 du titre 20 de l'ordonnance de 1669 que M. le commissaire du roi a citée pour établir que les affectations sont interdites, y est absolument inapplicable: 1° parce que cette ordonnance de France n'a pu régir la province de Lorraine et les actes qui y ont été faits antérieurement à sa réunion à ce royaume ; 2o parce que l'article cité ne s'applique qu'au «don et attribution de chauffages qu'il interdit à l'avenir et pour quelque cause que ce soit; » et qu'on ne pourrait en induire ici l'interdiction nila révocation des affectations qui n'ont rien de commun avec les chauffages dont traite le titre 20 de l'ordonnance de 1669.

Le but évident du duc Léopold, restaurateur de la Lorraine, qui, l'un des premiers, a concédé des affectations, a été de rappeler dans ce malheureux pays, les habitants, les arts, l'industrie et le commerce, que trente années de guerre avaient fait fuir, après les avoir entièrement ruinés.

Les terres en friche, les bois sans valeur et périssant sur souches ont été affectés à des établissements d'usines, de verreries et de forges, à la confection de routes, de ponts et de canaux, à la fondation de villages, de censes et de hameaux; et, suivant leur importance, le prince leur a assigné, à perpétuité où à termes, les bois dont ils avaient besoin.

Que ces concessions aient été faites avec ou sans rétribution, le but réel du souverain a été atteint la population, l'industrie se sont accrues, le commerce a enrichi les habitants, et devenus contribuables, ils ont enrichi le Trésor public.

Ce n'est pas contre de telles concessions qu'ont été faits les édits de révocation; ces affectations n'avaient été accordées ni à la faveur ni à l'importunité; elles sont moins des aliénations du domaine de l'Etat, que des actes d'une administration à la fois politique et paternelle, que les bons princes ont toujours la volonté et le pouvoir de faire.

La plupart de ces actes imposent aux concessionnaires l'obligation de construire ou de rétablir des usines; et les concessions ne doivent durer qu'autant que ces usines seront en activité.

Ce sont donc des contrats synallagmatiques, des conventions qui tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, et qui ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, soit que les chances de bénéfice ou de perte tournent plus ou moins au profit de l'un ou de l'autre.

Les affectations n'ont pas le caractère de l'aliénation proprement dite, puisque la propriété des bois affectés demeure à l'Etat qui continue à les administrer, en faisant seulement délivrer les quantités de bois, à la fourniture desquellesil s'est obligé; le fonds et tous les autres produits de la propriété lui appartiennent.

De telles concessions ne peuvent donc être comprises dans la classe des aliénations du domaine de l'Etat prohibées par les lois qui le déclarent inaliénable, et on l'a tellement reconnu, que nonobstant toutes les lois de révocation intervenues depuis l'ordonnance de 1669 en France, et depuis celle de 1707 en Lorraine, jusqu'à celle du 14 ventôse an VII, relatives aux domaines engagés, aucune n'a atteint ces affectations dont les concessionnaires ont toujours continué de jouir.

C'est dans cet état de choses, Messieurs, que le projet du code forestier vous est présenté, et qu'en renvoyant aux tribunaux la connaissance des contestations qui peuvent s'élever entre l'administration et les concessionnaires, ce projet semblait circonscrire les tribunaux dans la stricte applications des dispositions de l'ordonnance de 1669, et des principes rigoureux des lois sur l'aliénation des domaines de l'Etat.

Votre commission a justement pensé qu'il fallait laisser aux tribunaux toute la latitude qu'ils doivent avoir pour juger les affaires qui sont de leur compétence; il y a au-dessus d'eux une cour régulière qui seule peut décider s'ils ont violé ou mal appliqué les lois, et cette suprématie salutaire est la plus sûre garantie des personnes et des propriétés.

Jusqu'à la réunion de la Lorraine à la France par le traité de Vienne en 1736, cette province avait ses coutumes et ses lois forestières particulières, et elle les a conservées jusqu'à la promulgation du Code civil. Le domaine de l'Etat avait å la vérité été déclaré inaliénable par un édit de 1446. Mais en supposant que cet édit, émané du souverain qui régnait alors, ne pút être révoqué par ses successeurs, et que ses dispositions pussent s'appliquer aux contrats d'affectation et aux droits d'usage dans les forêts du domaine, encore faudrait-il examiner si dans l'exécution de ces lois il n'y a pas eu des exceptions; ce qui paraît résulter des règles et des mesures prescrites, et par la coutume de Lorraine, et par l'ordonnance des bois et forêts de 1707 relativement aux usagers.

On voit d'ailleurs que, notamment en 1729, des commissions avait été établies par le souverain pour vérifier les contrats d'aliénation et d'ascensement; leurs décisions, les arrêts de maintenue de ces actes, devraient encore être respectés.

On doit aussi avoir égard à la possession des concessionnaires, puisque la coutume de Lorraine admettait comme notre Code civil, « la prescription de trente ans pour acquérir avec titre ou sans titre, entre absents ou présents, contre le prince ou le vassal, et tout autre, quel qu'il soit, là propriété d'un héritage et plein droit en la chose mobilière ou immobilière. »

Enfin, les traités de réunion, maintenus et par la loi de 1790, relative au domaine, et par celle du 14 ventôse an VII, doivent être consultés, et la clause de celui de 1736, qui porte qu'il est donné toute assurance possible contre toute idée de réunion, doit être prise en considération.

Les amendements proposés par la commission ont pour objet de laisser aux parties tous les droits qu'elles peuvent avoir, et aux tribunaux toute l'indépendance que la loi leur assure.

C'est aussi devant les tribunaux que seront portées les contestations relatives au cantonnement qui pourra faire cesser les affectations, ou du moins le mode d'en jouir.

La faveur de la délibération, les principes admis pour faire cesser l'indivision et maintenir le droit de propriété, motivent suffisamment la faculté exclusive accordée au gouvernement d'affranchir les forêts de l'Etat des droits d'usage actuellement accordés.

Les affectations ont bien quelque analogie avec les droits d'usage en bois, cependant elles ont cela de particulier, qu'elles ne doivent durer qu'autant que ceux qui en jouissent entretiendront les usines, et rempliront les conditions de leurs contrats, et que les usagers, au contraire, ne sont soumis à aucune condition; cette diffé

rence doit en apporter dans les termes et le mode de cantonnement.

J'aurais préféré, Messieurs, parce que je le crois plus juste et plus conforme aux principes, qu'ainsi que l'avait proposé la Cour de cassation dans ses observations sur le premier projet du Code forestier, on maintînt provisoirement les affectations faites à perpétuité ou à termes, sauf au gouvernement à contester, s'il s'y croyait fondé, la validité des titres et de la possession devant les tribunaux; mais le projet semble intervertir les rôles, et c'est celui qui a le titre et la possession qui est chargé de les faire confirmer.

Les amendements de la commission tempéreront la rigueur de cette obligation, en prolongeant le délai pour se pourvoir, et en accordant à tous la continuation de jouissance pendant dix aps et dans les cas prévus, quel que soit le résultat des contestations qui pourront s'élever.

C'est pour tous ces motifs que je vote l'ar ticle 58 du projet avec les amendements de la commission.

M. Labbey de Pompierres. Si je monte à la tribune, c'est parce que j'ai entendu avancer, je crois par M. de Chantereyne que les ducs de Lorraine n'avaient jamais rien concédé à perpétuité. J'ai en main un titre qui prouve que les ducs de Lorraine avaient affermé à perpétuité pour la verrerie de Saint-Louis. Il existe un arrêt du conseil, de 1737, un an après la réunion de la Lorraine à la France, qui reconnaît la légitimité de la possession de ceux à qui cette concession était faite. Il y a mieux: c'est que le propriétaire de cette concession ayant émigré, on a vendu sa maison, ses biens, sa verrerie et les bois qui en dépendaient. Le titre porte plus de 8,000 arpents de bois, partie en haute futaie, et le surplus en coupes de quatre ans, affectés à perpétuité à ladite usine par arrêt du conseil du 17 février 1737. Je vous demande comment on pourrait débouter de ses droits de concession celui à qui on a vendu en vertu d'une aliénation confirmée par un arrêt du conseil et reconnue par le gouvernement? Je ne sais pas même pourquoi on le forcerait à produire son titre devant les tribunaux. Ce serait lui occasionner des dépenses inutiles. Au reste, je me bornerai à appuyer l'amendement de la commission.

M. de Martignae, commissaire du roi. Je n'entends pas combattre l'amendement proposé par la commission, dans la nouvelle rédaction qui vous a été distribuée; mais j'ai pensé qu'au moment où, par une disposition nouvelle, vous alliez donner aux tribunaux une attribution, qui jusqu'à présent, ne leur a pas appartenu, il était indispensable de donner des explications qui empêchent les cours appelées à prononcer d'être induites en erreur.

On a rappelé les principes que nous avions établis dans l'exposé des motifs, et on en a fait une critique à laquelle je dois répondre. Nous avions, ce me semble, professé les véritables principes. En France, le domaine de l'Etat était incontestablement inaliénable; et toutes les aliénations du domaine de l'Etat, en quelques formes qu'elles fussent faites, lorsque c'était en violation de ses principes conservateurs, étaient entachées de nullité. Nous avions ajouté qu'en Lorraine, les dispositions législatives étaient les mêmes, et nous aurions pu citer douze édits rendus depuis le 25 septembre 1373 jusqu'au 16 septembre 1736,

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