Page images
PDF
EPUB

avant lui, des règles spéciales auraient même été établies pour l'exercice de la profession de colporteur.

Eh bien! Messieurs, de ces trois assertions, il n'y en a qu'une seule qui soit exacte; c'est-à-dire qu'il est vrai que l'on colporte, et surtout que l'on colporte beaucoup de mauvais livres. Mais à quelle peine a-t-on été soumis, lorsque, nonobstant l'état positif de votre législation, on a été surpris par l'autorité publique exerçant le colportage de livres? On a été soumis, non pas aux peines portées par l'édit de 1723 contre les colporteurs de livres qui n'étaient pas autorisés par les lois sur la librairie, mais bien aux peines portées par l'édit de 1723 contre les personnes qui exercent le commerce de la librairie sans avoir un brevet et sans être assermenté. On a considéré ceux qui distribuaient des livres de cette manière, non pas comme colporteurs de livres, mais comme individus violant la prohibition de faire le commerce de la librairie, sans y être autorisé par l'administration publique.

Il est donc vrai, Messieurs, que votre commission ne s'est pas proposé pour but de restreindre le commerce de la librairie; au contraire, car notre législation actuelle ne parle pas des colporteurs de livres, et elle veut que la législation future en parle elle veut que l'exercice de cette profession soit autorisé; seulement elle propose d'établir des peines contre ceux qui violeraient les règles qu'elle voudrait établir.

Cela posé, il me semble qu'on peut dire que la disposition proposée par votre commission est favorable, et qu'elle mérite d'être examinée avec quelque intérêt. En quoi consiste-t-elle quant aux peines? Elle consiste à punir de quinze jours de prison et d'une amende de 300 francs ceux qui auront fait le colportage des livres sans y être autorisés par l'administration publique. Cette peine est-elle trop sévère; est-il véritable qu'il faille la graduer ? Telle est en réalité la question que vous avez à résoudre.

Quelques orateurs ont regardé comme essentiel d'établir en principe que l'on pouvait, même pour de simples contraventions, établir des peines graduées. Nous ne ferons pas d'efforts pour contester une semblable assertion. Oui, la législature a le droit d'établir des peines graduées ; mais ce droit elle ne veut pas l'exercer en aveugle. Lorsqu'il s'agit d'une contravention qui n'est pas de nature à varier, alors elle mesure la peine avec égalité et la rend invariable comme le fait qu'il s'agit de réprimer ou de prévenir.

Je sais bien que s'il s'agit de certaines contraventions de police qui peuvent acquérir un certain degré de gravité plus ou moins supérieur ou inférieur, le Code pénal permet d'appliquer des peines diverses. Je sais aussi que s'il s'agit de certaines contraventions aux lois de douanes, contraventions qui, de leur nature, ne peuvent varier quant à la culpabilité dont elles sont empreintes, certaines lois prononcent des peines fixes et invariables. Je sais bien enfin (et ceci est plus évident) que s'il s'agit de contraventions aux règlements qui vous régissent aujourd'hui quant à l'imprimerie et à la librairie, si ces contraventions sont d'une nature invariable, la peine que la loi de 1814 prononce, la peine que prononçait le décret de 1809 était fixe et invariable ellemême.

Ainsi, tout se réduit dans cette question, à examiner la nature de la contravention. Le fait peut-il changer? Il faut que la peine soit variable. Le fait ne peut-il pas changer Il faut

que la peine soit modérée sans doute, mais qu'elle soit fixe. Or, quel est le fait qu'il faut réprimer ? Un des orateurs que vous avez entendus aujourd'hui vous disait qu'il pouvait y avoir de la différence dans les contraventions, attendu qu'il y aurait des colporteurs qui colporteraient de bons livres et des colporteurs qui en colporteraient de mauvais; que, par conséquent, il faudrait punir davantage ceux qui vendraient de mauvais livres que ceux qui en vendraient de bons.

Je ne sais pas bien si cette différence est réelle : je ne sais pas bien si ceux d'entre vous qui ont connaissance de ce qui se passe en cette matière, ne sont pas convaincus, comme moi, que ces prétendus colporteurs de bons livres, qui en effet ont de bons livres à produire à ceux qui veulent les arrêter, n'en ont pas encore plus de mauvais, et n'auraient pas de préférence livré les mauvais, s'ils n'avaient pas aperçu, dans la personne qui les interrogeait, un officier de police plutôt qu'un véritable acheteur.

Cette réponse me paraît avoir plus de substance qu'on ne pourrait le croire. Quoi qu'il en soit, j'ai une réponse encore plus directe à faire. S'il s'agit d'un colporteur de mauvais livres, il sera puni d'abord pour avoir colporté; il sera puni encore pour avoir vendu de mauvais livres. Si ces livres sont impies ou séditeux, les dispositions de la loi de 1819 lui étant applicables, il sera puni de peines correctionnelles: il le sera aussi pour la contravention, et cette double peine il ne l'aura que trop méritée.

Au contraire, s'il n'a pas distribué de mauvais livres, il aura commis une simple contravention, il aura exercé une industrie sans en avoir le droit au préjudice de ceux qui seuls avaient ce droit, il aura violé des règlements de police; et certainement cette faute est telle en soi, qu'abstraction faite du degré de culpabilité plus ou moins considérable résultant de la nature des livres, la peine doit toujours être la même, car le fait ne peut jamais varier.

La question ainsi réduite à ses termes simples, de quoi s'agit-il en ce moment? Il ne s'agit que de savoir s'il est vrai que la peine prononcée par la commission soit trop sévère, ou bien si elle est exacte et peut être appliquée avec équité au fait qu'il s'agit de prévenir. Sans doute, si la commission avait proposé un emprisonnement considérable ou une amende très élevée, je concevrais les objections qu'on a faites. Mais quand il s'agit de quinze jours de prison et de 300 fr. d'amende, cela est-il trop rigoureux? Non, certainement; et je m'empresse de dire que l'un des plus grands défauts que je remarque dans les amendements gradués des orateurs que je réfute est précisément dans le bas degré auquel ils ont établi la dernière limite de la peine qu'ils proposent.

Ne vous faites pas illusion, Messieurs, les tribunaux peuvent choisir entre les divers degrés d'une échelle des peines, quand le fait qu'il s'agit de punir peut varier. Si celui auquel on l'impute peut être plus ou moins coupable, les tribunaux agissent avec équité: mais si le fait est invariable de sa nature, n'espérez pas que les tribunaux feront une différence qu'il est impossible de faire avec justice; n'espérez pas qu'ils prennent le terme moyen; n'espérez pas qu'ils prennent jamais le terme le plus élevé: ils préféreront le terme le plus bas que vous leur aurez permis de prendre, et ils feront bien. Ils prononceront trois jours d'emprisonnement, ils prononceront trente francs d'amende, parce que vous le

leur aurez permis; et il n'y aura aucune raison pour qu'ils ne donnent pas la préférence au minimum, puisque, quand il s'agira d'individus qui auront vendu de mauvais livres, il y aura une autre peine.

Or, pensez-vous que ce soit avec un emprisonnement de trois jours, avec une amende de 30 fr. que vous puissiez espérer de prévenir le colportage? Si vous avez cette espérance, j'ai tort; mais il est impossible que vous la conceviez, et par conséquent que vous adoptiez l'amendement de M. Hyde de Neuville. L'amendement de la commission est certainement très équitable et très modéré, et je ne puis croire que là Chambre ne l'adopte pas.

M. de Ricard (du Gard). Je me suis bien mal exprimé si j'ai pu donner à penser que nos lois actuelles autorisent le colportage des livres. Je n'ignore pas que la législation et la jurisprudence qui l'a interprétée le prohibe, et j'ai parlé des décisions judiciaires qui l'ont ainsi déclaré. Mais j'ai dit que le colportage avait été toléré après la loi de 1814. Si ce n'est pas sous l'administration actuelle, c'est sous une de celles qui l'ont précédée.

Quoi qu'il en soit, nous avons à prendre une détermination sur ce point important, et toute la difficulté est dans l'application de la peine.

Sans doute, la peine doit être fixe si la contravention ne peut présenter aucune variété. Il s'agit de savoir si celle qui nous occupe en peut présenter.

Or, y a-t-il similitude parfaite entre le colporteur non autorisé qui vend des almanachs et des livres de prières, et celui qui vend des livres qui, bien qu'ils ne soient pas condamnables, sont contraires à la bonne morale; et la graduation n'est-elle pas nécessaire pour mieux assurer la répression de la contravention?

M. le garde des sceaux a dit que les tribunaux n'appliqueraient jamais que le minimum, et que la répression serait ainsi illusoire. Mais il en serait de même pour tous les cas où il y a graduation des peines, et pourtant le système de notre Gode pénal est celui de la graduation.

Je n'insiste pas davantage et je persiste dans mon opinion.

M. Hyde de Neuville. Je demande la parole...

M. Je Président. Je ne puis vous l'accorder. Les orateurs parlent alternativement pour et contre. Vous parleriez dans le même sens que M. de Ricard. Nous allons entendre M. de Berbis ; vous pourrez réclamer la parole ensuite.

M. de Berbis. Je crois, Messieurs, que l'article de la commission remplit complètement le but qu'on s'est proposé. Tous les conseils généraux et toutes les personnes qui prennent intérêt à la chose publique ont demandé la répression du colportage. Quoique le colportage ne soit pas légal, il est constant qu'il a lieu; il est constant qu'il arrive tous les jours dans les bourgs et dans les villages des colporteurs qui y répandent de mauvais livres dont la lecture produit le plus mauvais effet sur le peuple. Il était donc très urgent de régulariser ce colportage.

Je ne suis pas de l'avis de M. de Laurencin qui en demande la suppression, parce que celui qui demande trop n'obtient rien. Après la suppression du colportage, il n'y aurait pas moins des

hommes qui vendraient de mauvais livres, et l'on n'aurait aucune sanction contre eux. La commission, en proposant de faire donner une autorisation aux colporteurs par l'autorité compétente, offre à la société une garantie suffisante, car le directeur de la librairie à Paris, et les préfets, dans les départements, seront intéressés à ne donner d'autorisation qu'aux individus dont ils connaîtront la moralité. En obligeant ces individus à exhiber leur autorisation à tous les officiers judiciaires, on donne à l'autorité tous les moyens possibles de les surveiller. Assurément, porter une peine de quinze jours de prison et de cent écus d'amende, c'est offrir à la société tout ce qu'elle peut demander. Aller au delà, serait entraver le commerce sans aucune utilité.

Par ces motifs, je crois que la commission a parfaitement rempli la tâche dont vous l'aviez chargée. Je crois qu'elle a concilié ce qu'elle devait à la liberté du commerce avec ce qui est dû aux bonnes mœurs et à l'autorité du gouvernement. Par conséquent, je vote pour l'amendement de la commission.

M. le Président. M. Hyde de Neuville a la parole.

Quelques membres: Aux voix!... La clôture !...

M. Hyde de Neuville. Messieurs, permettezmoi de vous parler d'une disposition que j'ai provoquée. Je crois que je puis opposer à MM. les ministres des autorités très puissantes, et qu'ils ne récuseront pas. Ces autorités sont M. le garde des sceaux et M. le président du conseil.

M. le garde des sceaux vient de nous dire : Si vous mettez un minimum, les tribinaux appliqueront toujours la peine la plus légère, et il a ajouté: Ils feront bien. J'avoue que j'aurais dit : Ils feront mal. Ils feront bien chaque fois que le colporteur sera innocent d'intention, chaque fois qu'on n'aura trouvé dans son bagage que quelques almanachs ou quelques livres insignifiants; mais il feront mal quand il s'y trouvera de ces livres dangereux qui peuvent concourir à corrompre la morale.

M. le garde des sceaux ajouté si ces livres sont impies ou obscènes, le colporteur sera puni conformément aux lois. A cet égard, je vous rappellerai, Messieurs, les paroles de M. le président du conseil. Il vous a dit qu'il y a beaucoup de livres qu'on ne peut atteindre et qui cependant sont très dangereux; alors il en a cité un sur le compte duquel je ne puis partager son opinion, car je ne puis croire que jamais on cherche à rapprocher le nom méprisable de Tartufe du nom d'un respectable pasteur. Mais enfin, il n'en reste par moins qu'à côté de Tartufe, il y a des ouvrages dangereux qu'on peut colporter sans que les tribunaux aient à les condamner.

Or, j'en appelle à tous les juges: lorsque les maires enverront devant eux un Savoyard, dans le bagage duquel on aura trouvé Nostradamus ou la Vie de Marie Alacoque, pourraient-ils le punir avec la même sévérité que celui qui, sous le manteau, ferait circuler dans les campagnes de ces ouvrages qui, comme l'a dit M. le président du conseil, seront mauvais, mais que la loi ne pourra ni atteindre, ni condamner ? Non, Messieurs, il ne peut en être ainsi. Je dis donc qu'il y a des cas différents. J'ajoute que c'est mal connaître le cœur humain, que de croire que les maires de campagne voudront livrer un malheureux colporteur qui n'aura

pas eu de mauvaises intentions, quand ils le sauront menacés d'une amende plus forte que tout ce qu'il possède.

Accordons, Messieurs, une juste latitude aux juges. Ne venons pas tantôt faire leur éloge, et tantôt nous mettre en garde contre leur conscience. J'ai fait, en 1815, une propositionqui prouve que je désirais que les tribunaux fussent bien composés. De nouveau, je rends justice à M. le garde des sceaux. Je combats ses lois, mais je reconnais qu'il a fait tous ses efforts pour que nos tribunaux fussent bien composés. Mais c'est parce que j'ai confiance dans la magistrature que je veux qu'on s'en rapporte à elle pour la conservation de nos mœurs: c'est aussi parce que je suis bien convaincu que les maires fermeront les yeux sur le colportage plutôt que de ruiner des malheureux qui n'auront pas eu de mauvaise intention, que je demande que la peine soit graduée comme le Code pénal l'a fait pour la pose des affiches. Le cas est identique, la peine doit l'être.

Une foule de membres: La clôture, la clôture!...

(M. Méchin demande et obtient la parole contre la clôture.)

M. Méchin. Ce n'est pas cinq minutes qui retarderont beaucoup l'Assemblée. Vous ne pouvez pas refuser de m'entendre, car je veux vous dire que la disposition que vous allez prendre vous mettrait en contradiction avec une loi existante, et embarrasserait beaucoup les tribunaux.

Vous avez donné une sanction à la loi de 1814, en déterminant une peine qu'elle avait omis de prononcer. On a demandé que cette peine fût graduée.M.le garde des sceaux s'y refuse en s'appuyant sur le principe qu'en fait de contravention les peines ne peuvent être graduées. Mais il arriverait que si vous adoptiez la proposition qui vous est faite en ce moment par la commission, l'infraction d'un règlement de police serait punie plus sévèrement que le délit.

L'article 285 du Code pénal dit que «Si un écrit imprimé contient quelques provocations à des crimes ou délits, les crieurs, afficheurs, vendeurs et distributeurs seront punis comme complices des provocateurs.» Or, quand une provocation n'a été suivie d'aucun effet, elle est punie de trois jours à deux ans de prison: remarquez bien que la peine est graduée, et que, par conséquent, elle le sera aussi pour le vendeur. Ainsi, le délit pourra n'être puni que de trois jours de prison, et la contravention, d'après l'article de la commission, serait punie nécessairement de quinze jours d'emprisonnement. Il est évident que, si nous prenions une pareille disposition, nous ferions une chose absurde et inconséquente, et que nous aurions l'air de n'avoir aucune connaissance du Code pénal. Voilà à quoi on s'expose en voulant faire des lois avec trop de précipitation.

Je termine en disant que c'est avec beaucoup de peine que j'ai entendu proposer d'empêcher entièrement le colportage dans les campagnes. Nous vivons, Messieurs, sous un gouvernement qui exige que l'instruction se répande comme l'air et comme la lumière. (Des murmures s'élèvent.) L'essentiel est de prendre des mesures pour qu'il n'arrive dans les campagnes que de bons livres. Pour cela, je dis que les lois existantes auraient suffi. Mais si l'on en veut absolument de nouvelles, au moins faudrait-il qu'elles fussent raisonnables, et que les simples contraventions ne fussent pas punies plus sévèrement que les délits.

(La clôture est de nouveau demandée.)

M. le Président consulte la Chambre, qui ferme la discussion. La parole est donnée à M. le rapporteur.

M. Bonet, rapporteur. Je n'ai rien à ajouter à ce qui vous a été dit par M. le garde des sceaux et par M. de Berbis, sur les motifs qui nous ont empêchés de graduer la peine. Je ferai observer seulement que vous avez adopté déjà une mesure dans laquelle il n'y a pas de graduation. M. Méchin. C'est une faute !...

M. Bonet, rapporteur. Alors c'est une faute bien ancienne, car le règlement de 1723 prononçait tout simplement une amende de 500 francs.

Je vais maintenant répondre à ce qu'a dit M. Méchin, que la peine de la contravention serait plus forte que la peine du délit lui-même. C'est aussi pour cela que, d'après le vœu manifesté dans tous les bureaux et adopté par la commission, nous avons, dans le chapitre qui suivra, augmenté considérablement les amendes; et dans le cas dont parle M. Méchin, le délit serait puni beaucoup plus que la simple contravention."

Maintenant je vous prie d'observer que, si vous adoptez l'article, il sera nécessaire de faire un changement à l'article 6.

M. le Président. Le changement est inutile, on a mis par les articles précédents.

M. Bonet, rapporteur. Je crois que le changement est nécessaire pour ôter toute équivoque sur le point de savoir si le colporteur qui aura contrevenu ne sera pas responsable pour le délit même de la distribution. Il faut que cela soit expliqué, parce que les lois précédentes ne parlant pas des colporteurs, el celle-ci en parlant, il me paraît nécessaire de mentionner que la peine de la contravention n'empêchera pas la peine de la culpabilité.

M. Méchin. La peine de la culpabilité serait moindre; cela ne se peut pas !...

(On demande de nouveau à aller aux voix.)

M. le Président fait lecture de l'amendement de M. de Laurencin.

M. de Cambon. Je demande la parole.

M. le Président. Cela n'est pas possible; la discussion est fermée.

(L'amendement de M. de Laurencin est mis aux voix et rejeté.)

M. le Président. A l'amendement de la commission qui établit quinze jours de prison et 300 francs d'amende, M. Hyde de Neuville a proposé de substituer une peine de 30 francs à 300 francs d'amende, et de six jours à un mois de prison.

(Cette proposition de M. Hyde de Neuville est mise aux voix et rejetée.)

M. le Président. Reste à statuer sur l'amendement de la commission.

M. Méchin. Jedemande qu'on dise que l'autorisation sera accordée par le préfet dans le département de la Seine comme dans les autres

départements; je demande aussi à motiver cet amendement.

M. le Président. Il n'est plus possible de faire d'amendement; la discussion est close.

M. Méchin, qui était monté à la tribune, en descend.

(L'amendement de la commission est mis aux voix et adopté.)

M. le Président fait remarquer que les observations de M. le rapporteur, sur l'article 6, demeurent sans objet.

La discussion est reprise sur l'amendement de M. de Frenilly à l'article 9.

M. le général Sébastiani a la parole.

M. le général Sébastiani. Je viens combattre l'amendement qui vous est proposé par M. de Frenilly, parce qu'il porte atteinte à la libre transmission de la propriété. Messieurs, tous les orateurs qui m'ont précédé à cette tribune ont reconnu la propriété des journaux; avec elle, ils ont dû reconnaître, aux trois caractères qui y sont inhérenst, la conservation, la libre disposition et la libre transmission de la propriété.

On vous a dit que cette propriété était d'un genre particulier. J'avoue que je ne comprends pas cette proposition. Toutes les propriétés appartiennent à un genre particulier: la propriété d'un livre ne ressemble pas à la propriété d'un pré. On vous a dit aussi que la propriété des journaux existants a été acquise par la loi de 1819.Messieurs, elle remonte à une époque antérieure à l'époque où la législation permettait l'établissement d'un journal sans le consentement du gouvernement. Ainsi il y avait, pour cette propriété, une possession d'état.

Voici ce qui est résulté de l'ancienneté de cette propriété. Dix pères de famille possédant à la fois des propriétés foncières et une propriété dans un journal ont laissé dans leur succession ces deux sortes de propriétés; et dans le partage qui en a été fait, les uns ont reçu des propriétés foncières, et les autres la propriété du journal. Est-il juste de porter atteinte à cette dernière propriété?

On nous a dit qu'elle ressemblait à celle des avoués ou des pharmaciens. Il est évident qu'il n'y a point analogie; les professions de pharmacien et d'avoué ne sont acquises qu'à certaines conditions, tandis qu'ici ceux qui ont une part dans l'entreprise d'un journal sont devenus propriétaires en vertu d'un contrat fait dans des circonstances déterminées par les lois existantes. Vous ne sauriez infirmer des droits consacrés par un tel contrat.

On vous a dit que la propriété d'un journal n'a rien de corporel. Je ne comprends pas cette expression, quoiqu'elle soit légale. Comment, il n'y aurait rien de corporel dans un établissement qui exige de vastes magasins, une imprimerie, et tout l'attirail d'une grande entreprise! Quelle différence feriez-vous donc entre l'établissement d'un journal et l'établissement d'une maison de banque? La maison de banque, dans ce sens, n'aurait rien de corporel. Car, comment fait-elle son commerce? par des fonds nécessaires à l'exploitation de ce genre d'industrie. Comment le journal fait-il cette entreprise? par des fonds nécessaires à son entreprise.

M. le rapporteur vous a dit que ce genre de propriété pouvait faire beaucoup de bien et beaucoup de mal. Messieurs, c'est la condition de tous

les établissements. Nous, Chambre, nous pouvons faire beaucoup de bien, en votant de bonnes lois, et nous pouvons faire beaucoup de mal en en votant de mauvaises, en votant la loi qui vous est proposée.

Nous ne devons jamais perdre de vue que le projet de loi traite deux genres de propriétés : la propriété des journaux aujourd'hui existants, et la propriété des journaux à venir. Le gouvernement n'a pas le droit de porter atteinte aux propriétés existantes. La violation de ce principe pourrait avoir les conséquences les plus fâcheuses. On nous oppose l'intérêt de la société. Messieurs, l'intérêt de la société consiste à respecter la propriété. Vous savez que c'est au nom de l'intérêt public qu'ont été faites toutes les lois révolutionnaires; c'est encore au nom de l'intérêt public qu'on vient vous demander la violation de la propriété. Mais comment cet intérêt public pourrait-il être troublé aujourd'hui par les journaux? Les sociétés les plus florissantes du monde existent dans un état de tranquillité parfaite avec la liberté la plus étendue des journaux: les Etats-Unis de l'Amérique et l'Angleterre sont des nations prospères, libres et tranquilles. Ainsi vous n'avez rien à redouter de la presse périodique. Savez-vous pour qui elle est redoutable? C'est pour l'amour-propre des ministres, c'est pour leur repos. Ils voudraient pouvoir nous dire à cette tribune ce que dans des temps de despotisme Louis XIV disait: l'Etat, c'est moi. Eh bien! l'Etat n'est pas MM. les ministres.

Il me reste à démontrer que l'amendement de M. de Frenilly porte atteinte à la propriété en exigeant que les propriétaires de journaux soient portés sur la liste électorale. Pour être électeur, il faut non seulement posséder une propriété foncière, mais encore avoir trente ans accomplis. Ainsi, celui qui n'aurait que vingt et un ans, vingt-cinq ans, qui aura atteint sa majorité, et qui réunirait toutes les conditions exigées dans l'intérêt de la sécurité publique, se trouvera écarté par cet amendement. L'amendement vient donc inettre obstacle à la transmission de la propriété. Je vote son rejet.

M. Pavy. Messieurs, voici bientôt quinze jours que nous discutons le projet de loi sur la presse, et cependant la controverse n'avait rien pù fournir en faveur des bonnes doctrines et du véritable point de la question. Pourquoi ? Parce que les gens qui aiment la paix et la concorde, fidèles à leurs maximes depuis 38 ans, n'ont cessé de faire des concessions à la secte savante et artificieuse qui, après avoir traversé plusieurs fois le droit d'opprimer notre pays, furieuse de l'avoir laissé tant de fois échapper de ses mains, veut le conquérir encore une fois et l'arracher à la légitimité.

En effet, jusqu'à hier, les orateurs les plus respectables et les plus honorables de cette Chambre ont cru devoir préliminairement user par précaution de la locution ordinaire et fallacieuse dont les journaux out fait un article de foi politique, savoir que la liberté la plus étendue de la presse est nécessaire aux gouvernements représentatifs plus particulièrement qu'à tous autres. Plusieurs concédaient encore que la propriété, ou plutôt la faculté de prêcher chaque jour le peuple, de haranguer la multitude, était une propriété de la même espèce que celle des meubles et immeubles, et que la possession d'une chose donnait le droit au propriétaire d'en user et d'en abuser. C'est ainsi qu'en faisant ces concessions,

on laissait établir des principes à la conséquence desquels on ne pouvait plus échapper.

Heureusement hier on a enfin osé aborder ces principes en face, et démontrer combien ils sont faux,coniment les journaux les ont accrédités dans l'intérêt de leur tyrannique domination, en déversant le ridicule et accablant d'outrages tous ceux qui ne veulent pas les tenir pour irréfragables et sacrés; il y a assez de portes ouvertes, je ne dis pas à la démocratie, maís à l'anarchie, dans un gouvernement monarchique déjà excédé d'institutions démocratiques: chaque jour elles envahissent le domaine royal, témoin la jurisprudence introduite dans la Chambre pour les amendements, jurisprudence évidemment violatrice de la Charte; et encore celle établie touchant les attributions du roi, accordée à de prétendus respects de la secte cession qui a facilité le système d'outrages au gouvernement, et a porté une si grande atteinte au pouvoir du roi, qu'il doit, avant peu, l'éclipser tout entier.

Voilà de véritables infractions à la Charte, qui menacent nos institutions et notre liberté. Mais il s'en faut qu'elles soient en faveur du pouvoir : elles sont à son détriment, elles vont à sa ruine; et c'est à leur faveur que la démocratie nous envahit de plus en plus.

Hier enfin on a osé dire la vérité; elle consiste en ce que le gouvernement représentatif avec ses tribunes publiques est celui qui a le moins besoin de cette liberté illimitée depuis trois ans qu'elle existe, elle a augmenté, par ses médisances et ses calomnies, le désordre et la confusion, sans autre fruit, car je repousse de toutes mes forces cette instruction que quelques-uns prétendent que nous pourrions puiser dans les journaux pour l'accomplissement de nos honorables fonctions.

Quant à l'érection de la profession de journaliste en propriété, qui ne voit encore que la loi qui leur a concédé la publication quotidienne de leurs journaux ne leur a accordé qu'une faculté ? S'il est entré dans les convenances de ces journalistes de donner une grande extension à leurs prédications, s'ils ont voulu qu'elles fussent faites dans un plus grand nombre d'endroits et à une plus grande quantité d'hommes, ils ont dû prendre leurs arrangements en conséquence et courir toutes les chances de perte et de bénéfice, restant subordonnés, pour l'usage de cette faculté, à la fois aux exigences de leurs abonnés et à celles de l'intérêt de la société.

Dans le fait, hier, on a ramené la discussion dans le véritable cercle duquel elle ne doit pas sortir.

L'exercice de la profession de journaliste est une faculté que le gouvernement a concédée : dans cette concession, il a stipulé pour ses intérêts présents, et n'a pu abandonner les intérêts futurs, car il n'en avait ni le droit ni le pouvoir.

Considérez, Messieurs, que cette concession est en effet l'investiture d'une fonction publique. On a dit enfin hier, seulement hier, après quinze jours de discussion, que les fonctions de journaliste étaient de la nature de celle des instituteurs. On a dit une vérité : encore est-elle faiblement exprimée; car, outre qu'ils se sont emparés de la direction de l'opinion politique, ils se sont encore attribués la censure des actions des citoyens, des corps, des administrations, des ministres, et enfin du roi lui-même, et ainsi se sont arrogés la plus haute magistratúre, le droit de censurer. Droit énorme, menaçant toutes les considérations et la liberté de tous, que le gou

vernement lui-même n'a pas le pouvoir d'exercer, encore moins de concéder. Si ces faits sont vrais, comme ils le sont en effet, quelle analogie ces droits ont-ils avec ceux qui dérivent des propriétés de meubles et d'immeubles, et comment peut-on les comparer?

Restons donc dans la vérité : la faculté accordée aux journalistes est la faculté d'exercer des fonctions publiques, voilà le fait. Or, qui ne sera pas étonné d'une concession aussi immense, qui peut avoir de si graves conséquences; et qui osera nier que c'est bien peu d'exiger en retour des journalistes des garanties contre l'abus qu'ils en ont fait et qu'ils en font chaque jour! Je vote donc pour l'amendement de M. de Frenilly, en déplorant que les préjugés existants aient affaibli tellement notre complexion politique qu'elle ne peut supporter que des palliatifs à peine capables de retarder notre ruine pour quelques instants.

M. Gautier. La précaution que M. de Frenilly vous propose, Messieurs, me semble superflue; et, à certains égards, je crois même qu'elle n'est pas sans inconvénients.

Même en supposant les propriétaires responsables, au nombre de trois par chaque journal, chacun d'eux devra justifier de la possession du neuvième des intérêts dans l'entreprise et du neuvième du cautionnement. L'ensemble de ces deux propriétés suppose évidemment un capital supérieur à celui qui est nécessaire pour payer 500 francs de contribution, c'est-à-dire pour être électeur. Les garanties que l'honorable auteur de l'amendement espère trouver dans cette qualité sont donc assurées déjà par les conditions que votre commission vous propose d'exiger.

Mais M. de Frenilly voudrait sans doute doubler les garanties, et obliger les propriétaires responsables à être possesseurs, indépendamment du capital nécessaire pour fournir à leur part du cautionnement et du journal, d'une fortune suffisante pour être électeur.

Son amendement n'atteint pas le but, car il ne faut pas perdre de vue que, dans toutes les villes où des journaux se publient, et surtout à Paris, il suffira d'une patente payée depuis un an pour obtenir cette qualité, laquelle peut, par conséquent, n'être fondée sur aucune propriété réelle.

L'amendement n'aura donc d'autre effet certain que celui de faire payer aux propriétaires-rédacteurs une patente de 300 francs. Ce n'est là qu'une charge qui ne fait ni bien ni mal, mais ce n'est pas une garantie.

Il me semble enfin qu'il est au moins inutile de faire intervenir ainsi la capacité politique dans les conditions imposées pour l'exercice d'une industrie. Il est vrai, comme un honorable orateur vous l'a dit hier, qu'en raison de sa nature même, cette industrie doit être soumise à des garanties particulières. Mais ce n'en est pas une que la qualité d'électeur, et ce serait même peutêtre ajouter encore à l'influence de nos journaux que d'imposer à leurs rédacteurs une condition qui prêterait plus de poids à leurs opinions, et qui semblerait assimiler, en quelque sorte, l'exercice de leur profession à une fonction publique. (Sensation.) C'est pour ces motifs que je vote contre l'amendement. (Mouvement d'assentiment général.)

(M. de Vaublanc a la parole contre l'amendenient.)

On demande à aller aux voix.

« PreviousContinue »