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cheveux dressent sur la tête, qui en est responsable, je le demande ?

Un mot encore, et je finis.

Je ne dirai rien de l'officier qui a figuré dans cette scène déplorable. On nous assure qu'il n'a agi que sur la réquisition réitérée de l'autorité civile; en ce cas, il était dans son droit. Toutefois, combien n'est-il pas affligeant de penser jusqu'à quelles extrémités on en est venu! J'y insiste, moins encore en songeant à la profanation des restes inanimés de M. de Liancourt, qu'en pensant à quelque chose non de plus sacré sans doute, mais de plus général ; j'y insiste non point parce que c'était lui qu'ai-je besoin, moi, de parler de mon respect pour sa mémoire? Je ne suis pas de ceux auxquels il importerait de faire à ce sujet des professions de foi; j'ai toujours honoré ses cheveux blancs, et son nom ne réveille en moi d'autres sentiments que le regret de sa perte. J'y insiste parce qu'il y và de nos intérêts les plus chers comme citoyens et comme Français.

Par quelle fatalité arrive-t-il que toutes les fois que les volontés ou les amours-propres de l'administration se trouvent en jeu, l'emploi de la force pour le maintien de l'ordre soit toujours précipité, violent, et accompagné de désastres? Chaque jour, dans le cours ordinaire de la vie, nous voyons à la porte des spectacles, à l'entrée des promenades públiques, des foules bien autrement tumultueuses que celle qui s'empressait autour du convoi que nous suivions avant-hier; nous les voyons se précipiter pour forcer une consigne, pénétrer dans une enceinte interdite, violer une défense qui les gêne. On les contient cependant, on les contient sans qu'il en coûte ni une goutte de sang ni ane larme. Pourquoi donc, partout où l'administration intervient, en quelque sorte pour le compte de son propre caprice, a-t-on constamment à déplorer d'autres résultats? Se presse-t-on trop de requérir l'emploi de la force? Commande-t-on à ceux qui en disposent plus de rigueur que dans d'autres occasions? Je ne sais; mais quant à moi, je ne puis, je l'avoue, contempler froidement ce mépris de l'humanité; je ne puis contempler froidement ces procédés d'une administration à la fois insouciante et fantasque, qui traite des populations paisibles et régulières comme un bagne de forçats dont on ne peut rien obtenir que le sabre au poing et la menace à la bouche. A coup sûr, il valait mieux laisser cheminer le cercueil de notre à jamais regrettable collègue sur les bras qui le portaient, que de le précipiter dans la fange; à coup sûr, en tous cas, il y avait des moyens à la fois plus sûrs et plus doux pour faire rentrer dans l'obéissance aux lois, des enfants rangés autour du convoi de leur père; des élèves pieusement courbés sous le cercueil de leur bienfaiteur.

(La Chambre ordonne l'impression de ce discours.)

M. le comte de Saint-Roman déclare que c'est avec la plus vive douleur qu'il vient d'entendre, dans cette discussion déjà assez triste par elle-même, prendre en quelque sorte fait et cause pour ceux-là mêmes qui, par l'excès d'un sentiment louable sans doute, mais poussé au delà des bornes, ont involontairement été la cause première du désordre que la Chambre déplore. En règle générale, le transport doit avoir hea sur un char: une permission de l'auforité était indispensable si l'on désirait une exception: cette permission n'a pas été deman

dée ceux qui ont enfreint la règle étaient par conséquent dans leur tort. Y eut-il doute, il devrait encore se résoudre en faveur de l'autorité: comment donc serait-ce la Chambre des pairs qui donnerait l'exemple de l'accuser? Ce n'est pas en prenant toujours parti contre l'autorité, en cherchant à avilir ses agents, qu'on peut espérer de maintenir l'ordre et la paix dans un pays où les passions sont si vives. Le devoir de la Chambre est de donner appui au pouvoir lorsqu'il ne s'exerce que dans de justes bornes, et surtout elle doit s'abstenir à jamais de dépasser les limites constitutionnelles de ses attributions. Peutêtre, sous ce rapport, ne devait-elle pas permettre qu'en semblable matière, on parlât dans son sein de juger les actes des ministres. La Chambre ne saurait ici être constituée juge de personne; tout ce qui a été dit devant elle n'est qu'une conversation mais cette conversation retentit au dehors, et c'est pour cela qu'il importe que les vrais principes y trouvent des défenseurs.

M. le marquis de Clermont-Tonnerre, ministre de la guerre, présent à la séance, obtient la parole et s'exprime en ces termes :

Messieurs, les orateurs qui jusqu'ici ont émis leur opinion sur cette déplorable affaire avaient tous rendu justice à la conduite du commandant de la force publique; mais un noble pair en a jugé autrement et vient de le blâmer devant vous. C'est donc à moi à lui rendre le témoignage qui lui est dû. Oui, Messieurs, non seulement le lieutenant-colonel du 39 de ligne a agi dans cette circonstance avec prudence, avec fermeté, avec vigueur; mais si cela eût été nécessaire, il aurait déployé plus de vigueur encore, parce qu'après tout, un militaire n'est responsable que de l'exécution de la consigne qu'il a reçue.

Quelques pairs demandent l'ordre du jour.

M. le vicomte Lainé déclare qu'il s'était abstenu de prendre la parole parce qu'il n'avait pas entendu de proposition précise; mais il doit surmonter sa tristesse pour repousser la formule au moins indifférente que des coe irs brisés ne sauraient adopter. L'événement que la Chambre déplore est à la fois un grand malheur public et un grand scandale; l'administration y trouve de plus un délit puisqu elle assure qu'une information a été ordonnée. Les recherches de la justice s'étendront sans doute aussi sur la conduite des agents de l'autorité, car leur justification ne paraît pas aussi complète qu'on l'a présentée. Le noble pair a recueilli avec respect les paroles prononcées par un pair de France, ministre du roi et parent du défunt, qui vient de déclarer avoir permis aux jeunes élèves de Châlons de porter le cercueil de leur protecteur. Il est avéré que le cortège s'était avancé jusque dans l'église avec un religieux silence, sans que personne eût fait la moindre observation. Avoir depuis interrogé un des meinbres de la famille à la sacristie, c'était se montrer disposé à céder à ses désirs, et la réponse du comte Alexandre de La RochefoucanId est loin de contrarier le consentement donné à l'hôtel. C'est donc seulement le troisième jour de la mort, objet d'un deuil public, au milieu des funérailles, que la police est intervenue pour en interrompre le cours. Le noble pair se garde d'inculper l'administration, mais il ne croit pas que ses agents soient sans reproches; et comme, durant les prières, il ne s'était manifesté au dehors aucun

indice de désordre, on serait réduit à dire que la douleur et la reconnaissance sont seules répréhensibles. Quels que soient les coupables, puisque l'autorité compétente a commencé une information, la Chambre n'a maintenant rien à prescrire, mais elle doit s'exprimer autrement que par l'ordre du jour. Touchée du compte qui lui a été rendu par son grand-référendaire, il est naturel qu'elle puise sa décision dans le récit qu'elle a entendu. Avant de le proposer, le noble pair ne peut s'empêcher de témoigner sa surprise d'avoir entendu égaler à l'autorité des lois, des règlements dont l'administration dispense, et auxquels elle a souvent laissé déroger. Ces réglements d'ailleurs prohibent-ils à la piété empressée de rendre les derniers devoirs à la manière des aïeux ? L'occasion et l'heure étaient mal choisies pour les remettre en vigueur. N'aurait-on pas dû, ne devrait-on pas en faire une nouvelle publication, car il est reconnu que presque tout le monde les ignore. Cette publication est nécessaire pour expliquer aux provinces comment, dans une grande capitale, on est réduit à sacrifier à l'ordre public les sentiments les plus naturels; pour faire comprendre pourquoi la police a le droit de venir près du sanctuaire épier la douleur, compter les larmes et donner la mesure des regrets et des hommages. Le noble pair propose de terminer le procès-verbal de la séance par la décision suivante: « La Chambre attendra le résultats des informations, et remercie son grand-référendaire du compte qu'il a rendu. »

(La proposition faite par le noble pair est mise aux voix et adoptée, et l'impression de son discours est ordonnée par la Chambre.)

La séance est levée, avec ajournement à demain mardi, 3 du courant, à une heure, pour la continuation de la délibération sur les articles du projet de loi relatif à la juridiction militaire.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

PRÉSIDENCE DE M. RAVEZ. Séance du jeudi 2 avril 1827.

La séance est ouverte à deux heures.
M. Ravez, président, occupe le fauteuil.

M. le président du conseil, M. le garde des sceaux, M. le ministre de la marine, M. de Martignac, ministre d'Etat, M. de Bouthillier, directeur général des forêts, et M. Fumeron-d'Ardeuil, commissaires du roi, sont présents.

Un de MM. les secrétaires fait lecture du procès-verbal.

M. Benjamin Constant demande et obtient la parole sur la rédaction du procès-verbal.

M. Benjamin Constant, Messieurs, en relevant des omissions et des inexactitudes dans le procès-verbal, je ne prétends pas accuser ses rédacteurs; ils ont pu ne pas entendre ce qui a été dit, et ils n'ont pu insérer ce qu'ils n'avaient pas entendu. Cependant, le procès-verbal doit contenir, sinon le texte, du moins l'indication de tout ce qui est dit à cette tribune; et, dans le cas dont je vais pour un moment entretenir la Chambre, je crois pouvoir lui prouver qu'il est de son intérêt que le procès-verbal soit exact.

Mon honorable ami, M. Casimir Périer, à l'occasion d'une pétition de plusieurs habitants de Rouen, a appelé l'attention de la Chambre sur un événement qui a révolté tout Paris il y a trois jours (Des murmures s'élèvent.) et qui probablemen!, au moment où je parle, révolte toutes les parties de la France où cet événement est connu. (Les murmures continuent.) Je répète qu'il est de l'intérêt de la Chambre qué le procès-verbal soit exact; et si la Chambre ne trouvait pas bon ce que je dis là, je ne parlerais qu'en mon propre nom, car j'ai intérêt aussi à ce que le procèsverbal soit fidèle.

Par une fatalité que je n'explique pas, les paroles de mon honorable ami, M. Casimir Périer, n'ont pu être entendues. Des murmures se sont élevés pendant qu'il parlait. Je ne crois pas que ce fut une marque de dissentiment de la part de la Chambre d'avec les sentiments nobles et généreux qu'exprimait M. Casimir Périer. Quoi qu'il en soit, il est de l'honneur de la Chambre qu'elle ne s'associe pas aux outrages faits au citoyen le plus vertueux (Murmures.), à l'ami et au bienfaiteur de l'humanité. Il est de l'honneur de la Chambre qu'on ne croie pas qu'elle veuille partager la vengeance qui a poursuivi, jusque sur sa dépouille mortelle le noble duc de Liancourt. (Les murmures continuent.)

M. le Président. M. Benjamin Constant, vous avez demandé la parole sur le procès-verbal, et non pour traiter une question. De quelle omission vous plaignez-vous? Voici en quels termes s'exprime le procès-verbal...

M. Benjamin Constant. J'en ai écouté la lecture avec attention...

M. le Président. Peut-être en l'écoutant de nouveau, reconnaîtrez-vous que vous n'avez pas à vous plaindre de la manière dont il est conçu. Voici comment il s'exprime :

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« C'est montrer peu de respect pour la propriété; mais on ne doit pas s'étonner qu'une administration ait si peu d'égards pour les vivants, lorsqu'elle outrage les morts, comme on l'a vu hier aux obsèques d'un noble duc, qui a mérité pendant sa vie l'amour et la vénération de ses concitoyens. La Chambre des pairs demandera sans doute vengeance de l'insulte faite aux restes mortels d'un de ses membres les plus distingués; mais l'orateur a cru devoir, en cette occasion, unir sa voix à celle de tous les Français amis de leur pays, pour déplorer la perte d'un homme qui fut l'honneur de l'ancienne comme de la nouvelle France, et le bienfaiteur de l'humanité. » (On rit.)

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M. Benjamin Constant. Ce n'est pas tout que de s'associer comme mon honorable ami à la vénération universelle; il faut encore, et c'est là que le procès-verbal a fait une omission, il faut encore s'associer à l'indignation qu'on a éprouvée pour les outrages faits aux vertus de ce vénérable duc, par une police qui semble chercher toutes les occasions d'attaquer ce qu'il y a de plus respectable. Mon honorable ami a dit qu'il s'élevait contre l'attentat inoui qui avait été commis; il a dit qu'il s'élevait contre cette police qui cherche à exaspérer les citoyens. Vous trouverez cette phrase dans le Moniteur; elle est aussi dans les autres journaux; mais je cite le Moniteur parce que c'est le journal officiel. Eh bien ! le procès-verbal a retranché cela; il s'est borné à un éloge que personne ne peut refuser au noble duc, même ceux qui l'ont fait outrager; il n'a fait aucune mention de l'indignation qu'éprouve tout ce qu'il y a de généreux dans la nation pour les outrages infâmes qu'on a fait subir au convoi du' noble duc de Liancourt.

Je ne sais si la Chambre ne sent pas qu'il est de son intérêt de témoigner son indignation contre la violation sacrilège des funérailles, contre la violation de la dignité d'une des Chambres; violation qui bientôt peut s'étendre à l'autre Chambre. Mais je déclare que quant à nous, minorité de la Chambre, minorité à laquelle je suis fier et heureux d'appartenir, nous voulons au moins qu'il soit constaté que nous avons protesté de toutes nos forces contre les tentatives de cette police qui ne respecte rien de ce qui est sacré; de cette police qui semble destinée à provoquer sans cesse quelque calamité pour être mieux à même de nous enlever à la fois toutes ces libertés contre lesquelles on conspire chaque jour en détail.

Je demande que les expressions de mon honorable ami soient rétablies dans le procès-verbal. Je demande que, pour l'honneur de la Chambre, et pour l'honneur de la vérité, qui est au-dessus de la Chambre, vous fassiez une rectification sans laquelle vous consacreriez le mensonge. (Agitation.)

M. le Président. De quoi demandez-vous le rétablissement?

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M. Benjamin Constant. Le rétablissement de cette phrase: « Sans nécessité, sans but, sans motif, on a fait croiser la baïonnette sur le sein d'une population industrieuse et reconnaissante qui venait payer un dernier tribut et à son bienfaiteur et à une des plus belles illustrations de notre ancienne monarchie. Je demande le rétablissement des mots attentat inouï; et aussi le rétablissement de cette phrase: « Lorsqu'elle laisse outrager jusqu'au pied des autels les restes inanimés de ceux qui ont mérité, pendant leur vie, l'amour et la vénération de leurs concitoyens. »

M. le Président. La proposition est-elle appuyée?

Un grand nombre de voix: Non, non!

MM. Sébastiani, Labbey de Pompierres et autres. Oui, oui!...

(La proposition de M. Benjamin Constant est mise aux voix et rejetée à la presqu'unanimité.)

La Chambre adopte la rédaction du procèsverbal.

L'ordre du jour est la suite de la délibération sur les articles du projet du Code forestier.

M. le Président rappelle les amendements proposés par M. de Charencey, dans la dernière séance, sur l'article 122, première section du titre IX, et donne la parole à M. Sébastiani pour appuyer la proposition de M. de Charencey.

M. le général Sébastiani. La question que la Chambre discute en ce moment est d'une extrême importance; il est indispensable de la poser en termes clairs et précis: est-il de l'intérêt de l'Etat que le droit de martelage dont le gouvernement a joui jusqu'à ce moment, lui soit continué? Dans le cas où cette question serait résolue affirmativement, est-il encore de l'intérêt de l'Etat que ce droit soit borné aux bois qui appartiennent au gouvernement et aux communes, ou bien faut-il qu'il s'étende aux bois des particuliers? M. le ministre de la marine a cherché à résoudre ces questions d'une façon affirmative. Je me plais à reconnaître que dans l'administration de son ministère il a déjà opéré d'importantes améliorations. Après avoir ainsi applaudi à tout ce qu'il a fait d'utile dans son département, j'entre en matière en suivant l'ordre de discussion qu'il a tracé lui-même.

Mon opinion est que le gouvernement n'a aucun besoin de la continuation d'un droit qui remonte, comme l'a très bien dit M. le ministre, à l'ordonnance de 1669. Au moment où Louis XIV se proposa de créer une marine puissante, il adopta deux mesures : l'une tendant à grever les bois des particuliers comme ceux de l'Etat, du droit de martelage; l'autre eut pour objet de prononcer une prohibition générale des défriche

ments.

Peu d'années avant cette époque, l'Angleterre jetait aussi les fondements d'une marine puissante; c'est sous le rêgne d'Elisabeth et sous celui de Cromwell que les bases de cette puissance furent posées. Il existait alors de vastes forêts en Angleterre; cependant aucun droit de ce genre ne fut établi, et la prohibition du défrichement ne fut pas prononcée. Dans ce pays, la propriété jouit de toute l'étendue de ses droits; il en est résulté des avantages immenses, et vous êtes forcés de reconnaître que le système suivi par nos voisins, nos rivaux, est celui qui a donné le plus de résultats heureux et puissants.

Si la question du martelage apparaissait pour la première fois dans nos codes, si elle se présentait dépouillée du prestige des habitudes, le gouvernement, je n'en doute pas, repousserait le martelage comme un présent inutile et funeste; la Chambre le repousserait comme attentatoire au droit de propriété. L'Angleterre, dont on a parlé, et dont je vous entretenais moi-même il n'y a qu'un instant, a des primogénitures, des substitutions; et ses vastes forêts ont disparu. Pourquoi ? parce que cet intérêt composé, dont on nous parlait samedi avec tant de mépris, y a toujours été favorisé par l'administration; et c'est surtout à ce principe évident d'économie politique que l'Angleterre doit le degré de prospérité dont elle jouit en ce moment.

M. le ministre de la marine a reconnu que les formes dont a été entouré jusqu'ici le droit de martelage étaient vicieuses; il a concouru avec bonne foi à en atténuer les mauvais effets. J'en félicite l'administraton tout entière: le code qui nous est présenté est une grande et importante amélioration dans cette partie comme dans presque toutes ses dispositions. Toutefois M. le ministre craint que de ces dispositions il ne résulte une augmentation considérable de dépenses pour

son administration. lci, je sens la nécessité d'interroger les faits et de vous en soumettre quelques-uns qui sont incontestables. La consommation annuelle en bois pour le ministère de la marine est de 34,000 stères, représentant une dépense annuelle de 4 millions de francs.

Dans l'année 1826, l'abondance des produits du martelage a été telle, que le ministre de la marine en a reçu pour un million de plus qu'il n'en avait demandé, et qu'il a été obligé de porter cet excédent sur son budget de 1827 Il est donc démontré qu'il y a des produits considérables, et que dans cet instant la marine, loin d'éprouver des embarras, de la pénurie, a au contraire des approvisionnements qui excèdent ses besoins. Si une augmentation de prix pouvait exister, en la calculant avec une exagération visible, en la por tant à 25 pour 100, elle ne serait que d'un million par an pourquoi la borner à la seule propriété des bois particuliers?

Mais une nouvelle question, et la plus importantes de toutes, se présente. Ces bois, affranchis du droit de martelage, peuvent-ils fournir aux besoins annuels de la marine? peuvent-ils subvenir aux besoins futurs? Car nous désirons Paccroissement de nos forces navales; nous désirons qu'elles se quadruplent, afin que la liberté du commerce du monde se réalise; nous désirons pouvoir mettre enfin un terme à ce monopole de l'Angleterre, qui usurpe la domination des mers. Sous le gouvernement impérial, notre marine se composait de 115 vaisseaux ; elle est aujourd'hui réduite à 40. A cette époque, comme vous le voyez, les besoins de notre marine étaient triples de ce qu'ils sont aujourd'hui, et jamais aucun besoin de bois ne se fit sentir; les forêts de PEtat et les bois des particuliers ont toujours fourni surabondamment tout ce qui était nécessaire, malgré les difficultés et les entraves qu'éprouva nécessairement le commerce; embarras qu'une guerre longue et douloureuse avait porté au plus haut point.

M. le ministre de la marine reconnaîtra, j'espère, la réalité des faits que je viens d'établir. 11 nous a dit ensuite qu'il y aurait danger à passer brusquement et pour ainsi dire sans transition, de l'état actuel de la législation, qui accorde le droit de martelage sur la totalité des propriétés forestières de la France, à la suppression complète de ce droit. Pour nous éclairer à cet égard, examinons ce qui nous a été dit dans la séance de samedi. M. le ministre de la marine a dit qu'il existait en France 6,500,000 hectares de bois : dont 3 millions appartenaient à l'Etat ou aux communes et 3,300,000 hectares aux particuliers. Cependant les bois des particuliers, a-t-il ajouté, entrent dans la fourniture navale pour les trois cinquièmes de la consommation.

Ce fait m'étonne, car la différence est faible entre 3,300,000 et 3,500,000 hectares; et la différence de trois à deux cinquièmes vous surprendra encore davantage quand vous saurez qu'il n'existe dans les bois des particuliers qu'environ 20,000 hectares de futaies; tandis qu'il s'en trouve plus de 367,000 hectares dans les forêts de l'Etat ou des communes ; et quand vous réfléchirez que les aménagements de ces dernières forêts sont beaucoup plus longs que ceux des bois des particuliers. Vous conclurez nécessairement de là que les bois de l'Etat et les bois des communes devraient concourir à la fourniture de la marine dans une proportion beaucoup plus considérable que les bois des particuliers. D'où naît donc cette différence de trois à deux cin

quièmes? Elle ne peut venir que de ce qu'on a fait porter le martelage beaucoup plus sur les propriétés particulières que sur celles de l'Etat. Cette conséquence est incontestable.

On nous a parlé de l'intérêt de la conservation; on nous a dit que les châteaux avaient disparu, que l'égalité des partages et l'absence des substi tutions avaient rendu impossibles les futaies dans les propriétés particulières; et que l'égoïsme du temps, en introduisant le calcul de l'intérêt composé, avait amené la ruine totale des forêts. L'existence des châteaux est ancienne, et la ruine en a commencé depuis bien longtenips. Les premiers châteaux étaient placés sur des rochers escarpés, dans des passages difficiles, dans des positions presque inexpugnables, afin que ceux qui les possédaient pussent résister au gouvernement, et se livrer impunément à des désordres de toute espèce. Le gouvernement a attaqué ces châteaux ; ils ont disparu; cette disparition, ouvrage de la royauté, à été éminemment utile à la société. Je ne pense pas que ce soit contre la destruction de ces châteaux que M. le ministre de la marine ait voulu s'élever.

De nouveaux châteaux ont fait place à ceux de la féodalité. Bâtis par la richesse, conservés par le luxe, ils avaient de vastes bois et des pares remplis de futaies. Mais la destruction de ces futaies n'a causé aucun dommage aux intérêts de la marine, car M. le ministre nous apprend que jamais le gouvernement n'a eu le droit de pénétrer dans ces enceintes pour y marquer les bois qui auraient convenu à sa marine.

Arrive maintenant la question des substitutions. Les substitutions les plus importantes du monde, parce qu'elles accumulent le plus de richesses territoriales, sont celles de l'Angleterre. Eh bien ! que s'est-il passé en Angleterre ? Les vastes forêts qui existaient sous Henri VIII, sous Elisabeth, et qui avaient été conservées jusqu'à Cromwell, ont disparu; et cet intérêt composé dont on se plaint avec amertume a porté l'Angleterre à une richesse presque fabuleuse, et à un commerce étendu qui est l'aliment de sa force maritime. Suivez le même système et vous arriverez au même résultat.

M. le ministre de la marine vous a dit encore avec une bonne foi que je ne saurais trop admirer, qu'en Angleterre le fer à remplacé, dans presque toutes les constructions les bois de charpente. Si vous voulez obtenir les mêmes produits en fer, vous n'avez qu'une seule voie pour y parvenir c'est de rendre le combustible cher; c'est de pénétrer dans les entrailles de la terre, et d'en extraire le fossile avec lequel vous produirez une quantité énorme de fer qui servira à vos constructions de terre et de mer.

Pourquoi s'écarter des principes du commerce, quand on veut étendre sa puissance maritime? J'ai voté avec empressement, Messieurs, les établissements des équipages de haut-bord; mais ces équipages de haut-boru ne sauraient vous donner une puissance considérable sur mer, si vous ne préparez pas le développement du commerce maritime en favorisant sa liberté, qui seule peut vous donner le moyen de combattre avec succès les forces immenses de votre rivale. La marine française a pris, depuis quelques années, une heureuse direction; mais l'influence désastreuse des anciennes habitudes s'y fait encore sentir, à tel point qu'ayant besoin de câbles en fer et d'ancres, lorsque le commerce se présentait pour lui en fournir à un prix modéré, elle a préféré acheter des usines dans le Nivernais. Quel a été le ré

sultat de cette mauvaise opération? C'est que la marine a payé 300 francs le fer qu'elle aurait pu obtenir à 100 francs par le commerce.

Les mêmes résultats accompagneront votre droit de martelage. Ce que la concurrence du commerce pourrait vous faire obtenir à un prix modéré, vous coûtera très cher par suite du droit exclusif que vous donnez à vos fournisseurs, dont les ingénieurs du gouvernement ne sont que les agents.

On vous a dit encore que l'Angleterre trouve dans les productions de son propre sol les trois quarts des bois dont elle a besoin pour sa marine, et que l'autre quart lui est fourni par ses possessions d'outre-mer. Par là, il a démontré que la libre jouissance de la propriété, que la disparition même de ces forêts immenses que vous voulez conserver, n'a point affaibli les rèssources de nos voisins.

Mais ne pourriez-vous pas aussi vous-mêmes tirer du bois de vos possessions d'outre-mer? Vous avez de vastes forêts dans la Guyane : pourquoi ces forêts ne sont-elles pas exploitées ? pourquoi ne vous fournissent-elles rien ? Le commerce offrait de les exploiter: vous avez préféré la voie de l'administration; vous y avez lait introduire des ingénieurs; partant, plus d'exploitation, parce que les produits sont devenus trop chers. Le duc de Richelieu, dans sa longue et habile administration d'Odessa, avait reconnu que les forêts du Caucase donnaient à vil prix un bois propre aux constructions navales: parvenu à la tête du gouvernement français, ce ministre voulut introduire un commerce d'échange entre la France et le Phase. Il s'adressa à différents négociants; tous s'empressèrent de seconder ses vues sages et bienfaisantes; l'administration se présenta; elle demanda que des ingénieurs y fussent envoyés dès lors plus d'échange, pas une seule pièce de bois n'a été tirée des forêts de la Colchide. L'accroissement du nombre des ingénieurs de la marine a été tel, depuis quelques années, qu'aujourd'hui nous n'avons pas plus de 40 vaisseaux de ligne, que nous avons perdu les ports de la Hollande, Anvers, la Spezzia, Gènes, Venise, Corfou, il en existe plus que sous le régime impérial. Il est facile de vous en indiquer Ja cause: l'administration de la marine cherche constamment à étendre ses relations et son influence, et, égarée par d'anciens préjugés, elle croit que son existence dépend de la continuation d'abus qui ruinent l'Etat.

Si, comme je pense l'avoir démontré, le principe du martelage a été funeste au développement des forces navales de la France; si notre heureuse rivale ni aucune autre nation de l'Europe n'ont jamais eu la pensée de l'établir; si elles ont reconnu l'indépendance et la liberté de toutes les propriétés forestières avec tant d'utilité, pourquoi vous obstineriez-vous à conserver un système dont vous reconnaissez vous-mêmes les effets désastreux?

Mais, dira-t-on, comment prouverez-vous que nos forêts produiront la quantité de bois nëcessaire? Comment, sans le droit de martelage, la marine, à moins qu'elle décuple ses ageuts, pourra-t-elle aller chercher les bois sur les points où ils se trouvent et les conduire dans les chantiers? Pour répondre à ces objections, examinons ce qui se passe aujourd'hui. Les plus vastes forêts de la France sont situées dans la Lorraine, dans les Ardennes, dans le Berry et dans le Nivernais. La marine refuse tous les bois de la Lorraine, parce que ces bois, descendant par le

Rhin et la Meuse et passant par la Hollande, sont soumis à des droits considérables, et sont souvent plus chers de 25 pour 100 que les bois qu'on se procure dans les quatre bassins dont on nous parlait dans la dernière séance. Mais en même temps qu'elle refuse ces bois, la marine prend tous ceux des particuliers de l'Artois et de la Flandre, qui lui reviennent à dix francs pour cent plus cher que les bois qu'elle tirerait de la Lorraine et des Ardennes, malgré le long trajet qu'ils seraient obligés de parcourir, et les droits auxquels ils seraient soumis. On peut affirmer avec assurance que les bois de la France suffisent, non seulement à une marine qui ne compte que 40 vaisseaux, mais pourraient même suffire à une marine qui en compterait 130. M. le ministre nous dit: Mais n'apercevez-vous pas le danger qu'il y aurait à passer brusquement de la légisgislation actuelle à la suppression du droit de martelage ? Et nous aussi, ajoute-t-il, nous désirons suivre la marche que vous nous indiquez; mais nous craignons un trop prompt changement de système. Je félicite l'administration de la marine et l'administration de l'Etat de cesdispositions; mais je dis qu'on ne saurait trop se håter d'entrer dans cette voie. Si vous pouvez y entrer par le commerce, vous le devez. Je crois avoir démontré que vous le pouvez, et de là je déduis que c'est pour vous un devoir rigoureux de commencer dès aujourd'hui.

Vos approvisionnements de réserve sont plus que complets. Vous observez que deux campagnes au plus suffiraient pour les absorber, et que cette difficulté a été tellement sentie, qu'à toutes les époques on s'est accordé pour la conservation du droit de martelage à l'exception de l'année 1791, où il a existé un interim de deux ans. Des réquisitions, dites-vous, ont été le résultat de cet intérim. Mais les réquisitions étaient la législation de cette époque les réquisitions, le maximum. régissaient alors ou plutôt tourmentaient la société. Mais en 1794, et sous le régime de l'Empire, vù notre marine était triple de ce qu'elle est aujourd'hui, jamais la pénurie qu'on semble craindre ne s'est fait sentir. Je conclus de là que vous imposez inutilement cette servitude aux propriétés particulières.

Mais, nous dites-vous, cette gêne que vous représentez comme si fâcheuse pour la propriété se trouve tellement adoucie par le projet de loi, que ce sera presque un bienfait pour les proprié. taires. Oui, sans doute, les disposit ons que vous avez soumises à la Chambre affaiblissent beaucoup les inconvénients du martelage; mais il en reste encore de très grands. Comptez-vous pour rien l'obligation de faire des déclarations? Comptez-vous pour rien le droit qu'a l'adininistration de vous faire attendre pendant trois mois après qu'elle a marqué des arbres, pour vous faire savoir si elle les achètera ou si elle les refusera? Il y a de plus grands inconvénients encore pour le paiement s'il y a conflit entre tes parties, on est exposé à des procès, à des déplacements continuels. Le propriétaire, en vendant à un acheteur quelconque, toucherait promptement le prix de ses bois, et il est trop heureux d'être remboursé après deux ans lorsqu'il vend aux fournisseurs dont vous n'êtes que les instruments.

On nous dit que ce droit est un peu gênant, qu'il est le résultat naturel de l'état de la législation; et on le compare à l'expropriation pour cause d'utilité publique, à la défense d'élever des maisons particulières au delà de la hauteur determinée dans les places de guerre, et aux pres

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