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Que doit penser un lecteur de bonne foi, un bon Français, un vrai royaliste, lorsqu'après un mois d'une lecture journalière, assidue, il voit la Chambre adopter, à une grande majorité, une loi contre laquelle il a reçu les plus fortes préventions, par la continuité et l'étendue des arguments contraires, par la brièveté et la soustraction même des arguments favorables? Que doit-il penser, lorsque, l'esprit rempli de ces préventions, il lit des déclarations outrageantes contre la Chambre? Certes, il faut un esprit ferme, plus élevé que l'intelligence ordinaire des hommes, pour ne pas adopter et répéter ces déclarations. C'est ainsi que se dénature l'esprit public. On répond que la dignité de la Chambre est dans ses actes; mais il faudrait donc que ses actes, et surtout les lois qu'elle adopte ne fussent pas défigurées par l'artifice que je viens de peindre.

En vain dites-vous que le Moniteur rend un compte exact de nos séances, et qu'il suffit à l'exactitude que nous réclamons. Nous répondrons qu'il n'est lu que par un très petit nombre de personnes, s'il est comparé au grand nombre de lecteurs des journaux quotidiens. D'ailleurs, nous pouvons tourner cet argument contre nos adversaires, et leur dire: Si vous nous proposez le Moniteur comme la balance de l'inexactitude dont nous nous plaignons, vous reconnaissez par là même cette inexactitude. Et remarquez donc qu'ainsi, relativement à la publicité des séances, les personnes qui en sont témoins les voient telles qu'elles sont; que celles qui lisent le Moniteur en reçoivent une idée fidèle, et que l'immense majorité des Français en reçoit, au contraire, par les journaux quotidiens, une idée fausse et trompeuse. Est-ce là le vœu de la Charte quand elle prescrit la publicité, à laquelle elle a posé des bornes?

Si la Charte a voulu que cinq membres pussent demander le comité secret, n'est-ce pas pour empêcher les inconvénients de cette publicité? Elle ne la veut donc qu'autant qu'elle ne pourra nuire; elle ne veut donc pas qu'un autre genre de publicité puisse être nuisible. Or, si elle a donné à cinq membres le pouvoir d'arrêter tout à coup, par leur seule volonté, une publicité entière, à plus forte raison veut-elle que la Chambre puisse empêcher les abus d'une partie seulement de cette publicité. Nous sommes donc dans les vrais principes de la Charte, en vous proposant des mesures pour empêcher les inconvénients qu'elle a prévus. Nous demandons ce qu'elle veut elle-même.

Il est une autre manière, non moins condamnable, de livrer la Chambre aux préventions injustes des lecteurs, c'est de lui prêter une sorte de mouvement dramatique et ridicule.

Dans toute assemblée, dans tous les pays, des hommes de talent ont mêlé aux discussions politiques des traits d'une plaisanterie ingénieuse permise par les convenances, et que ne réprouve pas un goût même sévère; nos voisins n'ont point banni de leurs discussions la bonne plaisanterie, pas plus que l'orateur romain; il en est de même parmi nous. Dans toute assemblée aussi, on a témoigné son improbation avec plus ou moins de force. Tous ces divers mouvements de l'esprit, tous ces effets de la satisfaction et du mécontement sont naturels, inévitables, dans une nombreuse assemblée; mais il est un art perfide de les présenter, en dénaturant leur cause, ou en supposant une cause qui n'existe pas.

Les orateurs qui parlent contre une loi proposée, remplissent leur devoir, comme ceux qui la dé

fendent. Si les uns et les autres abondent dans leur opinion, ils doivent la soutenir et chercher à la faire prévaloir. S'ils parlent, s'ils répliquent avec véhémence, ils prouvent, par cela même, qu'ils parlent d'après une conviction intime. La force et la différence des opinions est utile, tant que les sentiments sont unanimes. Ceux qui combattaient la dernière loi cherchaient loyalement à la rendre meilleure, suivant leur opinion.

Mais pour que les Français aient une juste idée de ces séances animées, il faut un compte impartial il ne faut pas qu'on traduise la Chambre à leurs yeux, tantôt comme une assemblée légère, inconséquente, et tantôt comme une arène agitée par de violentes oppositions, où les passions seules, et non les raisonnements, se disputent la majorité.

C'est une étrange publicité, que celle qui motive nos plaintes, et qu'on voudrait conserver.

Ceux qui soutiennent cette publicité telle qu'elle est maintenant, ont oublié ces jours déplorables, où une informe publicité, portée au dernier excès, enfantait les désordres et les périls de l'Etat; ils ont oublié combien ce prétendu principe était enraciné, combien illimité, et tous les obstacles qu'il fallut surmonter pour détruire cette prétention de la démagogie.

Mais qu'est-il besoin de raisonnements? La Charte a posé les bornes. Que ceux qui l'invoquent si souvent, la respectent dans cette disposition, comme dans les autres. Vos séances sont publiques, coinine elle le prescrit; vous faites plus, vous admettez les journalistes, et même d'une manière privilégiée, à vos séances; mais vous voulez impérieusement un compte fidèle de vos délibérations. La loi le veut, et vous devez le vouloir puisqu'elle l'ordonne. Vous aurez donc, Messieurs, cette volonté ferme inébranlable; et vous établirez un tel ordre, que la France ne sera plus trompée par un compte infidèle de vos séances.

La commission nouvelle sentira que vous lui confiez le dépôt de votre dignité, de votre considération elle fera ce que vous lui prescrirez; elle ne fera rien de plus. Quand elle connaîtra un article offensant envers la Chambre, elle en recherchera le sens avec bonne foi, et non avec subtilité; elle pèsera les circonstances du moment, sans se laisser intimider par elles; elle ne cherchera point à deviner l'intention, elle la saisira lorsqu'elle sera évidente, lorsqu'elle frappera tous les esprits; elle ne s'exposera pas à fixer votre attention sur de vaines expressions, sans motif évident. L'évidence seule pourra la décider à paraître devant vous; mais alors, elle ne fléchira ni dans ses rapports, ni dans ses propositions. Sa fermeté sera digne d'elle, digne de vous.

Il est une observation importante et qui n'admet point de réponse. Si les feuilles publiques outrageaient la cour de cassation, les cours royales, les tribunaux, les conseils généraux de département, l'armée, la marine, le ministère public provoquerait la punition des offenses qui leur seraient faites mais pour ce qui vous concerne, comme Chambre législative, il ne peut rien sans vous, sans votre expresse volonté; et cette volonté ayant été manqué trop souvent, cette Chambre a été traduite devant le public avec la dernière indécence.

Quel est donc cet avilissant privilège que vous imposent les hommes qui s'arrogent la prétention d'être les organes de l'opinion publique? C'est donc au nom de cette opinion prétendue

qu'ils vous outragent, qu'ils vous outragent seuls, parce que l'impunité les enhardit. Cette observation suffit pour prouver la nécessité de la commission qui vous est proposée.

C'est ici le moment de répondre à une objection enfantée par la faiblesse. Cette mesure est intempestive. Il ne fallait pas la proposer, lorsque les esprits sont exaspérés par la loi sur la presse.

Les esprits exapérés! qui vous l'a dit? les journaux. Par qui le savez-vous? par les hommes qui ont remué et fatigué les esprits. Encore, parmi les écrivains, en est-il d'une assez loyale intention, et assez désintéressés, pour penser différemment. Avez-vous compté les voix de tous les Français? Eh bien, nous ne connaissons qu'une manière légale de les supputer: c'est de compter les voix des deux Chambres, et d'ajouter respectueusement la volonté de la couronne. Jusqu'à ce que les trois volontés aient parlé, tout bon citoyen doit suspendre son jugement, et ne se permettre que des observations modérées. La critique peut être forte et modérée à la fois. Quoi! il s'agit de vous faire respecter, de repousser les outrages, et l'on vous dit que les esprits sont exaspérés, et qu'il faut se garder d'une mesure qui annonce de la fermeté! Si une telle faiblesse pouvait prévaloir, il faudrait désespérer des libertés publiques, de vous-mêmes et de la France!

N'oubliez pas, Messieurs, que l'Assemblée constituante, immédiatement après avoir commencé la Révolution, a toujours été entraînée au delà de sa propre volonté par le mouvement qu'elle avait elle-même imprimé aux esprits; ses membres les plus courageux n'ont pu résister à ce torrent, après en avoir imprudemment brisé les digues. En voulez-vous une preuve sans réplique ? Le plus fameux orateur de ces temps, triomphant sur les débris de la monarchie, dont il avait si puissamment sapé les fondements, est revenu ensuite, mais en vain, à d'autres principes. Il a combattu la déclaration des droits, il a succombé; le ridicule vote suspensif, il a succombé; il voulait que le roi eût le droit de paix et de guerre, il a succombé; il voulait que le monarque pût choisir ses ministres, dans la Chambre, nouvelle défaite; il demanda que les provinces subsistassent telles qu'elles étaient, et ne fussent divisées que pour l'administration, nouvelle défaite encore. Et enfin, lorsque les membres influents de cette Assemblée sentirent la nécessité de diviser le corps législatif en deux chambres; ils s'arrêtèrent devant cette opinion factice qui maîtrisait la capitale et l'Assemblée elle-même : ils sentaient avec non moins de force qu'ils devaient se donner le droit d'être réélus, pour éviter une seconde assemblée, nouvelle et inexpérimentée; mais ils craignirent aussi l'exaspération des esprits; et l'Assemblée constituante et la monarchie se sont écroulées sous le poids de cette opinion qui se disait l'opinion nationale.

Vous ne commettrez pas une faute de la même espèce vous serez ce que vous devez être, ce que la Charte veut que vous soyez des hommes fermes et constants dans votre volonté d'être libres, indépendants, de ne devoir cette indépendance qu'à vous-mêmes, et de réprimer avec la force de la loi tout ce qui pourrait oser porter atteinte à votre liberté et au respect qui vous est dù.

C'est dans cette certitude que nous vous proposons d'ajouter deux articles à votre règlement.

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M. Hyde de Neuville. Nous aurons plus tard la loi de la presse, qui nous sera renvoyée; nous aurons encore les comptes, les crédits supplémentaires et le budget, que probablement nous ne voulons pas voter en poste. Il semble donc que nous n'avons pas de temps à perdre, et que nous devons d'abord nous occuper des grands intérêts de l'Etat. D'ailleurs, je ne crains pas de le dire, cette proposition est une nouvelle pomme de discorde; elle sera, par sa discussion, un nouveau sujet de scandale, et, à cet égard, Messieurs, nous soinmes assez riches. Je demande, en conséquence, que la discussion soit renvoyée après le budget; car nous devons avant tout nous occuper des véritables intérêts du pays.

M. le Président met aux voix la proposition de renvoyer la discussion après la délibération du budget. Une première épreuve est douteuse. MM. les secrétaires se rendent à la tribune, et l'épreuve recommence. M. le président, après avoir consulté le bureau, déclare que cette proposition est rejetée.

M. Becjamin Constant demande et obtient la parole.

M. Benjamin Constant. Puisque la Chambre a refusé de renvoyer la proposition après la loi de finances, je viens lui demander de la renvoyer au moins jusqu'après l'examen des comptes. Il est essentiel qu'on ne voie pas, cette année, la loi des comptes passer en 24 heures, comme cela

s'est fait à une session précédente. (Des murmures s'élèvent.) Oui, Messieurs, cela s'est fait. Il est essentiel aussi que la France ne croie pas que nous nous occupons de nos intérêts privés, et nullement de la régularité des finances de la France. Je suis affligé de voir que vous préférez le soin de venger quelques offenses à celui de surveiller les intérêts des contribuables. (Les murmures continuent.) Messieurs, j'ai déjà eu occasion de le dire la manière dont cette question a été dirigée sera que le budget, le seul projet qui nous offre le moyen de défendre à la fois les intérêts pécuniaires des contribuables en tachant d'obtenir des économies, et leurs intérêts politiques en jugeant à la fin la conduite du ministère; que le budget, dis-je, sera presque forcément voté sans discussion. Je demande le renvoi de cette étrange proposition après les comptes. (Nouveaux murmures.)

(La proposition de M. Benjamin Constant est mise aux voix et rejetée.)

La Chambre fixe la discussion de la proposition de M. de La Boëssière, après les sujets de délibération dont le rang a été fixé précédemment.

L'ordre du jour est la suite de la délibération sur les articles du Code forestier.

M. le Président rappelle à la Chambre l'article 127 et l'amendement qu'y a proposé M. Révelière.

(Cet amendement de M. Révelière est mis aux voix et rejeté.)

M. le Président soumet à la Chambre un autre amendement, proposé par M. de Burosse, et qui tendrait à rédiger l'article en ces termes :

«Les adjudicataires des bois soumis au régime forestier, les maires des communes, ainsi que les administrateurs des établissements publics, pour les exploitations sans adjudication, et les particuliers, traiteront de gré à gré du prix de leurs bois avec la marine.

«En cas de contestation relative aux bois de l'Etat, le prix sera réglé par experts nommés contradictoirement; et s'il y a partage entre les experts, il en sera nommé un d'office par le président du tribunal, à la requête de la partie la plus diligente. Les frais de l'expertise seront supportés en commun.

Mais lorsque cette contestation sera relative aux bois des communes, des établissements publics et des particuliers, le prix sera déterminé par la concurrence, et les agents de la marine n'auront droit qu'à la préférence, à prix réduit. » La parole est donnée à M. de Burosse pour soutenir cet amendement.

M. de Burosse. Messieurs, ainsi que l'a parfaitement démontré l'honorable général qui, le premier, a traité la discussion qui nous occupe, ainsi que l'ont prouvé plusieurs autres orateurs après lui, la question du martelage est sans contredit une des plus importantes de la loi.

A ce droit depuis longtemps usurpé sur le plus sacré de tous, sur celui de la propriété, se rattachent les plus graves inconvénients; et malgré l'opposition de plusieurs orateurs, il me semble que le gouvernement eût facilement pu écarter de la loi cette disposition gênante et presque illusoire, sans craindre de compromettre les approvisionnents de la marine; car nous le savons tous, Messieurs, grâce au vandalisme révolutionnaire et à l'impérieuse nécessité d'en réparer les ravages, grâce au malaise déplorable qu'éprouve

depuis quelques années l'agriculture, malaise qui a forcé le propriétaire à abattre presque tous ses bois pour remplacer momentanément le pénible déficit que lui fait éprouver le bas prix de ses produits, les particuliers ne possèdent presque plus de hautes futaies; et rien, en effet, ne pouvait mieux prouver la vérité de cette dernière assertion que le rapport que nous a fait M. le ministre de la marine au sujet des énormes fournitures faites depuis peu d'années par les particuliers. Rien, à mon avis, ne prouve mieux la gêne des propriétaires et la destruction de leurs bois; car plus ils en ont abattu et moins il leur en reste aujourd'hui, puisqu'il faut au moins cent ans pour la croissance d'un chêne.

D'après cette incontestable vérité, je vous le demande, Messieurs, pourquoi laisser subsister dans une nouvelle législation, sans objet apparent d'utilité, une disposition qui n'aurait d'autre résultat que celui de placer une très petite exception de propriétaires hors des règles du droit de tous, et de les rendre très souvent victimes des spéculations ambitieuses et injustes de quelques agents de la marine?

Quelle serait, en effet, Messieurs, la conséquence de la conservation du droit de martelage, surtout avec la mesure insidieuse qui l'accompagne, celle de l'expertise, dont le tiers expert serait nommé par le président du tribunal? J'ai dit mesure insidieuse; car avec l'apparence de la justice, ce mode ne peut que préjudicier au propriétaire, attendu que l'expert délégué par l'autorité sera toujours disposé à seconder les intérêts de l'administration au détriment du propriétaire, et, le plus souvent, à se laisser aller aux insinuations de l'agent de la marine. Cette conséquence, Messieurs, sera donc de réduire, comme par le passé, le propriétaire à l'impossibilité absolue de retirer de ses bois leur véritable valeur, et de l'exposer, sans cesse, à des longueurs et à des vexations déplorables. Mais ce n'est pas tout: elle exposerait, en outre, la marine à payer des arbres de très peu d'utilité, beaucoup au-dessus de leur valeur, comme cela ne s'est que trop souvent justifié depuis longtemps, et à compromettre ainsi les deniers du Trésor et les intérêts de l'Etat. C'est ce que je vais tâcher de démontrer en peu de mots.

La prodigieuse diminution des bois de construction sur une grande partie du sol français, a opéré sur cette nature de ses produits une telle augmentation dans leurs prix, que la marine ne peut acquérir dans ces différents lieux que quelques arbres très rares et très précieux, à moins qu'elle ne les achète au plus vil prix, à cause des énormes frais de transport, ce qui compromet inévitablement les intérêts du propriétaire, puisque ce bas brix ne peut être déterminé que par une estimation fausse, ou du moins très faible, et souvent obtenue que par des moyens coupables.

De ce principe découle nécessairement, ou une injustice révoltante pour le propriétaire, ou un dommage considérable pour l'administration de la marine une injustice pour le propriétaire, lorsqu'après avoir payé durant 100, 150 ans peut-être, l'imposition de son bois, victime d'une expertise affaiblie par des considérations, toujours présentées comme d'intérêt public et n'ayant cependant d'autre motif que celui de l'ambition ou de la cupidité, il se voit forcé à livrer à l'agent de la marine, au vil prix de 50 francs par exemple, un arbre dont son voisin, honnête propriétaire projetant un édifice, ou tout autre marchand

de bois, lui aurait offert 70 ou 80 francs un dommage pour l'administration de la marine, lorsqu'à son tour, victime des spéculations ambitieuses ou des faux calculs de ses agents, elle est contrainte à payer des bois qui lui deviennent souvent à charge bien au-dessus de leur valeur réelle, attendus qu'achetés déjà trop cher, les frais obligés du transport triplent ou quatruplent leur prix lorsqu'ils se trouvent placés à une grande distance du lieu de leur destination.

De ces considérations, de celles surtout que tant d'autres orateurs ont fait valoir avant moi, résulte nécessairement, Messieurs, sinon l'obligation d'affranchir complètement du martelage tous les bois appartenant aux communes, aux établissements publics et aux particuliers, du moins celle d'adoucir, autant que possible, la rigueur, je dirai presque l'injustice de cette disposition, en écartant tout ce qui pourrait prêter à l'arbitraire et à la cupidité de quelques uns des agents subalternes de la marine.

C'est là le but de l'amendement que j'ai l'honneur, Messieurs, de vous proposer. Le propriétaire assujetti à l'obligation de déclarer, en temps utile, l'intention de couper son bois, requiert, par cet acte, le transport de l'agent de la marine; et avant de procéder au martelage, ils tâchent de s'accorder entre eux sur le prix de chaque arbre, prix sur lequel le propriétaire est déjà définitivement fixé par les offres que lui ont préalablement faites les différents consommateurs de sa localité.

Si l'agent peut, sans compromettre les intérêts de son administration, payer les arbres au prix offert, la préférénce lui étant acquise par la loi, il les marque, et dès lors la vente est consommée; dans le cas contraire, il se retire sans acheter, et laisse le propriétaire dans une pénible incertitude, surtout si, dans l'espoir de tromper l'agent de la marine, il s'était trompé lui-même en exagérant les offres qui lui auraient été faites; car il serait dans la rigoureuse obligation, ou de laisser son bois sur pied, ou d'aller de nouveau l'offrir à l'agent.

Si l'on m'objectait, Messieurs, que cette mesure pourrait restreindre les moyens que la marine a eus jusqu'ici, de s'approvisionner trop largement, j'en conviendrai franchement; mais j'ajouterai que de cette trop grande facilité sont résultés des abus désastreux pour les propriétaires, révoltants pour la justice, et que je crois la loi qui nous occupe destinée à y mettre un terme, en renfermant le droit du martelage dans les limites de la justice et de l'équité.

En effet, Messieurs, ou les bois que la marine recherche lui sont inutiles, comme cela ne s'est que trop souvent vérifié, ou elle en a un besoin indispensable. S'ils lui sont inutiles, l'achat qu'elle en fait n'a d'autre résultat que de préjudicier au propriétaire, et d'enrichir illégalement les fournisseurs, par la vente qu'ils en font à grands bénéfices pour d'autres destinations. Si, au contraire, ils lui sont indispensables, n'est-il pas dans la justice, dans les lois de l'équité, qu'elle les paye leur valeur réelle aux propriétaires, qui, après en avoir laissé leur sol surchargé durant des siècles, ne peuvent consentir, sans une juste indignation, à éprouver la moindre réduction dans le prix qu'ils en obtiennent.

J'ose donc me flatter, Messieurs, que mon amendement, de nature à concilier les intérêts de la marine avec les droits trop longtemps méconnus de la propriété, obtiendra votre assentiment. 11 rédigerait l'article 127, qui nous occupe, en ces termes :

«Les adjudicataires de bois soumis au régime forestier, les maires des communes, ainsi que les administrateurs des établissements publics, pour les exploitations faites sans adjudications, et les particuliers, traiteront de gré à gré du prix de leur bois avec la marine.

«En cas de contestation relative aux bois de l'Etat, le prix sera réglé par experts nommés contradictoirement; et, s'il y a partage entre les experts, il en sera nommé un d'office par le président du tribunal, à la requête de la partie la plus diligente. Les frais de l'expertise seront supportés en commun.

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Mais lorsque cette contestation sera relative aux bois des communes, des établissements publics et des particuliers, le prix sera déterminé par la concurrence, et les agents de la marine n'auront droit qu'à la préférence, à prix égal..

M. Favard de Langlade, rapporteur. La Chambre a voulu conserver temporairement le droit de martelage; l'amendement qu'on lui propose en ce moment tendrait à le détruire complètement. D'après cet amendement, le prix serait déterminé par la concurrence, et les agents de la marine n'auraient droit qu'à la préférence, à prix égal. Cet amendement s'écarte d'une règle constante qui a présidé à la rédaction du projet de loi, et que la commission a cherché à maintenir scrupuleusement dans toutes les dispostions qu'elle vous a présentées. Cette règle consiste à ne faire aucune différence entre les bois de l'Etat, ceux des communes et ceux des particuliers. Tous doivent être régis par le même droit commun, parce que l'Etat n'est qu'un simple particulier chaque fois qu'il s'agit de l'application de la loi. La commission me charge en conséquence de demander le rejet de l'amendement.

(L'amendement de M. de Burosse est mis aux voix et rejeté.) La Chambre adopte le premier amendement de la commission tendant à supprimer dans le second paragraphe le mot deux. Ce paragraphe, d'après cet amendement, serait rédigé

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M. le Président. M. de Fussy demande qu'au lieu de ces derniers mots : les frais de l'expertise seront supportés en commun, on dise: les frais de l'expertise seront supportés par la partie condamnée. M. de Fussy a la parole.

M. de Fussy. Je conçois que s'il s'agissait d'un traité entre deux particuliers, les frais pourraient être communs. Mais ici, il n'y a pas de liberté dans la vente; c'est la marine qui vous force à vendre votre bois; dès lors, vous n'êtes pas maîtres du prix; vous êtes obligés d'en passer par le prix d'estimation des experts. Si les experts ne s'entendent pas, le tribunal doit nommer un tiers expert; et l'on veut que le propriétaire, dans le cas même où il aura raison, supporte la moitié des frais! Cela serait une chose extrêmement injuste. Si vous adoutiez cet article, vous mettriez les agents de la marine dans le cas de faire souvent des procès; car les frais devant être supportés en commun, il y aurait beaucoup moins de frais pour eux. Au contraire, le propriétaire, alors même qu'il

aurait raison, craindrait d'élever des contestations; quoique dans ce cas-là même il aurait à payer la moitié des frais, et perdrait ainsi une partie de sa chose. Je crois que vous ne pouvez vous refuser à adopter ma proposition.

M. de Martignac, commissaire du roi. Il ne s'agit nullement, dans l'opération réglée par la dernière disposition de l'article, d'un procès à élever entre l'Etat et le propriétaire ou l'adjudicataire des bois; il ne s'agit pas d'une condamnation à prononcer contre l'une ou l'autre partie. Il ne s'agit que d'un règlement à prononcer contre eux. Le mode de ce règlement est établi dans un intérêt commun, et dans toutes les concessions de ce genre, les frais doivent être supportés en commun. Lorsqu'il s'est agi précédemment du bornage, vous avez décidé que, par quelque partie que la réclamation soit faite, le bornage aurait lieu à frais communs; votre décision a été la même relativement aux fossés et aux clôtures jugés nécessaires sur les chemins pratiqués à travers les taillis; et l'on voudrait maintenant que la partie condamnée supportât seule les frais! Vous allez voir l'inconvénient qui résulterait de l'amendement qu'on vous propose. Un propriétaire demanderait 100 fr., par exemple, d'une pièce de bois qu'il aurait à livrer à la marine; la marine n'en offrirait que 50, et le tiers expert établirait la valeur de 75 francs. Je demande laquelle des deux parties aurait été condamnée, et sur qui devraient porter les dépens?

M. de Fussy. Si le cas que vient de citer M. le commissaire du roi se présentait, ni la partie qui vend ni celle qui achète n'aurait raison, et alors les frais devraient être payés par moitié.

(L'amendement de M. de Fussy est mis aux voix et rejeté après deux épreuves, un petit nombre de membres ayant pris part à la première.)

La Chambre adopte l'article 127 tel qu'il a été amendé.

M. le Président. L'article 128 est ainsi conçu :

«Art. 128. Les adjudicataires des bois soumis au régime forestier, les maires des communes, ainsi que les administrateurs des établissements publics, pour les exploitations faites sans adjudication, et les particuliers, pourront disposer librement des arbres marqués pour la marine, si, dans les six mois après qu'ils en auront fait notifier à ses agents l'abattage, la marine n'en a pas pris livraison et acquitté le prix. »

La commission a proposé de rédiger cet article en ces termes :

Les adjudicataires des bois soumis au régime forestier, les maires des communes ainsi que les administrateurs des établissements publics, pour les exploitations faites sans adjudication, et les particuliers, pourront disposer librement des arbres marqués pour la marine, si, dans les trois mois après qu'ils en auront fait notifier l'abattage à la sous-préfecture, la marine n'a pas pris livraison de la totalité des arbres marqués appartenant au même propriétaire, et n'en a pas acquitté le prix. »

Trois autres amendements_sont présentés par MM. Hyde de Neuville, de Fussy et Bonnet de Lescure.

M. de Fussy. Je me réunis à celui de M. Hyde de Neuville.

M. le Président. Alors, je n'ai à soumettre à la Chambre que les amendements de MM. Hyde de Neuville et Bonnet de Lescure; celui de M. Hyde de Neuville consiste à remplacer les articles 128 et 129 par l'article suivant :

« La marine aura la faculté d'annuler le martelage tant que les arbres seront sur pied, mais une fois abaitus, elle ne pourra, si le propriétaire l'exige, refuse d'acquérir la totalité des arbres marqués. Elle sera tenue d'en prendre livraison et d'en acquitter le prix dans les trois mois qui suivront la notification de l'abattage.

M. Hyde de Neuville a la parole.

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M. Hyde de Neuville. Mon amendement diffère de celui de la commission en ce que je demande que la marine prenne les arbres sur pied au lieu de les prendre abattus. Il me semble que l'un des raisonnements qu'a faits hier M. le ministre des finances justifie pleinement ma proposition. M. le ministre des finances est convenu que, dans beaucoup de cas, ainsi que je l'avais fait observer, le martelage, tel que vous l'adoptiez, sera onéreux à l'Etat. En effet, il ne faut pas se le dissimuler, l'expert sera toujours un marchand ou un propriétaire de bois; il aura nécessairement intérêt à ne pas déprécier les bois d'une localité où il en aura lui-même à vendre; et nous savons trop que l'intérêt fait souvent fléchir l'équité.

M. le ministre des finances est convenu de ce fait; mais il a ajouté que l'Etat pourrait éviter la perte que lui occasionnerait le résultat de l'expertise en s'abstenant de prendre livraison, et en achetant du commerce; je suis convaincu que c'est là le parti que prendra M. le ministre de la marine, et il s'en trouvera bien. Mais, dans ce cas, le martelage deviendrait essentiellement oné reux pour le propriétaire. D'abord, ce propriétaire est oblige d'attendre six mois après sa déclaration d'abattage; il doit ensuite attendre trois mois après cet abattage pour savoir à quoi se résoudra la marine. Evidemment il n'y a pas là réciprocité.

En maintenant le martelage, que je crois inutile, vous ne voulez pas le rendre trop onéreux pour le propriétaire. Cependant c'est ce qui arriverait. Que ferait-il de son bois, lorsqu'après l'abattage, la marine refuserait de le prendre? L'acquéreur du reste de la coupe ne manquerait pas de faire valoir cette circonstance, et de s'appuyer du refus de la marine pour ne donner qu'un très bas prix des arbres refusés.

On me dira pourquoi voulez-vous que le propriétaire vende son bois quand il est encore couvert de l'écorce qui cache des défauts qu'on découvrira ensuite ? Je ne demande rien, Messieurs, sinon que la chance soit réciproque. Quand j'achète un arbre de marteau ou de pressoir je l'examine, je le juge; mais une fois que je l'ai acheté, le propriétaire ne peut être responsable des vices que je découvrirai dans cet arbre quand je l'aurai abattu. Vous voulez que le propriétaire attende six mois après la déclaration; et après cela, vous voulez qu'il reste encore trois mois dans l'incertitude! Cela n'est pas conforme à la justice.

Si mon amendement était adopté, il arriverait que le fournisseur apporterait beaucoup plus de circonspection dans le martelage; et il ne faut pas se dissimuler que ce martelage s'opère avec beaucoup de légèreté. Autrefois, il était fait par le maître des eaux et forêts, assisté de deux officiers. Aujourd'hui, il est confié à un contre

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