Page images
PDF
EPUB

si des esprits inquiets et turbulents, et il y en a partout, pouvaient impunément refuser de s'y

soumettre.

Il fallait donc aussi que ces règlements fussent revêtus d'une autorité qui, semblable à celle des lois, eût l'efficacité d'obliger tous les habitants de la commune, et de commander aux tribunaux euxmêmes: en un mot, il fallait une peine à côté de chaque infraction, et que cette peine, les juges fussent obligés de l'appliquer.

Cela existe. On a senti que la grande famille se composant de ces familles particulières, il importait à la société tout entière qu'une bonne police fit régner l'ordre et la paix dans chacune d'elles. En conséquence, la loi intervenant, si l'on peut parler ainsi, dans l'élection des corps municipaux, sanctionne d'avance les mesures d'ordre et de sûreté qu'ils prendront, et leur garantit le concours et l'appui des tribunaux toutes les fois qu'ils agiront dans le cercle des attributions de la police municipale.

C'est à ces mandataires des communes que donne la dénomination d'officiers municipaux.

l'on

CHAPITRE V.

De la formation des municipalités, et du nombre des officiers municipaux.

Il est dans les attributions du gouvernement d'indiquer l'époque à laquelle les électeurs doivent se réunir, et le lieu de leur réunion. Mais c'est à la loi qu'il appartient de régler les conditions auxquelles sont attachés le droit d'élire et celui d'être élu; et c'est elle encore qui détermine le nombre d'individus dont chaque municipalité doit être composée. Quel doit être ce nombre? A cet égard les opinions varient. Voici la mienne:

Tout individu qui exerce des fonctions publiques, ou qui est membre d'une corporation, a trois intérêts différents, et par suite trois volontés distinctes. Comme homme, il veut ce qui lui est personnellement avantageux; comme fonctionnaire, il veut pour le corps dont il fait partie des distinctions et surtout du pouvoir; comme citoyen, il veut le bien général. Semblable à toutes les puissances qui perdent en force ce qu'elles gagnent en surface, l'énergie de chacune de ces trois volontés est en raison inverse de l'étendue

qu'elle embrasse. Dans le citoyen, dirigée vers le bien de tous, elle est généralement faible; plus concentrée dans le fonctionnaire, elle a plus d'intensité; dans l'homme elle est au plus haut degré.

Cet état de choses est, peut-être, le plus grand obstacle au perfectionnement des sociétés; mais il est dans la nature de l'homme, et il n'est pas donné à la sagesse humaine de prévaloir sur la nature. Cependant, en opposant les passions aux passions, les intérêts aux intérêts, on peut, sinon paralyser entièrement, au moins modifier et l'égoïsme qui se préfère à tout, et l'esprit de corps qui ne voit rien au-delà du cercle dans lequel il se

concentre.

Ainsi, plus les assemblées délibérantes seront nombreuses, plus les intérêts individuels trouveront de résistance, et par conséquent moins l'égoïsme et l'esprit de corps auront d'influence sur les délibérations.

En effet, toutes les fois qu'il se forme une réunion de sociétaires à l'effet de délibérer sur les affaires communes, il en est peu qui n'y apportent le désir de faire adopter l'opinion la plus conforme à leurs vues personnelles. Mais chacun trouvant dans les prétentions des autres un obstacle au succès des siennes, les intérêts individuels se neutra

lisent réciproquement, et le bien commun finit par prévaloir.

Mais si la réunion est incomplète; si le nombre des présents est de beaucoup inférieur à celui des membres qui composent l'association, les intérêts particuliers, ne trouvant que peu de résistance, peuvent facilement se concilier, se coaliser, et former une majorité qui, sans frein comme sans règle, se jouera d'une minorité impuissante, et sacrifiera l'intérêt général à ses convenances ou même à ses caprices.

A quels dangers la chose publique ne serait-elle donc pas exposée si la direction en était confiée, non à plusieurs individus, mais à un fonctionnaire qui délibérerait seul, et seul ferait exécuter ses délibérations! S'il ne joignait pas à un esprit éclairé le désir le plus vif de faire le bien, séduit par le charme du pouvoir, il oublierait bientôt qu'il est citoyen, et l'homme se montrerait tout entier avec ses préjugés, ses passions et ses vices.

Ainsi, de toutes les manières d'organiser les municipalités, la plus vicieuse, disons mieux, la plus désastreuse, serait de confier à un seul homme la régie des biens communaux, et le droit de régler la police intérieure des communes. Au contraire, appelez tous les habitants à délibérer, et vous aurez la plus grande probabilité possible que le bien

général sera le résultat de la délibération. Mais les grandes réunions donnent souvent lieu à de grands désordres (1). On y a pourvu par une conception qui appartient aux temps modernes, et qui consiste à obliger les habitants des communes et les nations elles-mêmes à s'abstenir de la direction de leurs propres affaires, et à la confier à des mandataires ou représentants. Cette mesure, commandée aux grands peuples par la force des choses, n'est pas aussi nécessairement applicable aux communes, même aux communes les plus populeuses. Mais le principe est établi, et il ne reste à examiner que la question de savoir quel doit être, dans chaque ville, bourg ou village, le nombre de ces mandataires, ou, ce qui est la même chose, des officiers municipaux.

Nous venons de dire que plus les assemblées délibérantes sont nombreuses, plus il est probable que l'intérêt public prévaudra; mais nous avons ajouté que les grandes réunions ne donnent que

(1) Rome, forte de sa constitution, Rome, faite pour donner au monde des fers et des lois, ne les craignait pas. Tous les citoyens étaient appelés à délibérer même sur les plus grands intérêts, et les assemblées étaient quelquefois si nombreuses qu'une partie du peuple donnait son suffrage de dessus les toits. (H. P.)

« PreviousContinue »