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blées nationales, qu'il venait d'augmenter d'un volume. Réfléchissant dans son lit aux observations qu'on lui soumettait quelquefois, il changeait ou ajoutait avec une parfaite liberté d'esprit, et peu d'heures avant sa mort il s'était livré à ce travail.

Mgr le duc d'Orléans se montra fort sensible à sa perte, écrivit de sa main au général Pernety une lettre touchante, et envoya son aide-de-camp et sa voiture au convoi du fidèle conseiller qu'il regrettait comme un ami.

Sans doute on n'a pas pu, en cette occasion, accuser le destin; après une longue et belle carrière, le président eut une mort douce et sans angoisses. Mais en voyant la tombe enfermer un si vaste savoir et de si puissantes facultés, qui pouvait retenir sa douleur et ses regrets? « Ce chêne sécu» laire est tombé! combien de temps il avait mis à croître! >> combien de temps il faudra pour le remplacer!... »

Le président Henrion de Pansey est entré dans l'histoire : il a pris place entre Domat et d'Aguesseau. Tous les honneurs rendus à sa mémoire, tous les éloges dont il est l'objet, ce pieux tribut que ma reconnaissance paie à ses bontés paternelles, ne peuvent plus toucher son cœur et n'ajoutent rien à sa gloire. Mais sa vie sera un objet d'émulation pour les hommes livrés comme lui à l'étude et à l'application des lois; elle leur montre qu'on peut arriver par degrés aux plus hautes dignités de la magistrature, sans en demander ni même en désirer aucune.

DISCOURS

PRONONCÉ PAR M. LE PREMIER PRÉSIDENT HENRION DE PANSEY, A LA RENTRÉE DE LA COUR DE CASSATION, LE 5 NOVEMBRE 1828.

MESSIEURS,

Je vais vous entretenir de la nature de nos devoirs envers la Couronne. Je n'oublierai pas que je parle à des magistrats qui font de ces devoirs le sujet habituel de leurs méditations, et je me bornerai à rappeler quelques exemples placés, comme autant de jalons, sur la route que nous avons à parcourir.

L'abolition du combat judiciaire ayant rendu la connaissance et par conséquent l'étude des lois indispensables, les seigneurs, jusqu'alors seuls juges dans leurs terres, désertèrent les tribunaux, et l'administration de la justice devint le partage des hommes de loi. Voilà, Messieurs, l'origine de notre magistrature, et cette grande innovation ne remonte pas plus haut que les dernières années du treizième siècle. A cette époque, l'esprit de Grégoire VII animait encore ses successeurs, et les hauts barons s'agitaient pour reconquérir ce qu'ils avaient perdu sous les derniers règnes.

A peine établi, le parlement, qui ne douta jamais ni de son pouvoir, ni de la puissance des lois, lève sur toutes les classes de la société le glaive de la justice, en frappe indistinctement tout ce qui se montre hostile envers la Couronne, et force l'épée des barons et la crosse des évêques à s'incliner devant la majesté du trône.

Bientôt il ne reste plus en France qu'une seule autorité, l'autorité du Roi; et le droit public des Français se concentre dans cette maxime: Cy veut le Roi, cy veut la loi.

Les magistrats s'aperçurent alors qu'ils avaient dépassé leur but. En brisant les entraves qui gênaient l'action du pouvoir, ils n'avaient voulu que lui rendre la force dont il a besoin et cependant, emportés par leur dévoûment à la cause royale, ils avaient posé les bases d'un gouvernement despotique; ils avaient ouvert le gouffre dans lequel se perdent tôt ou tard les nations et les trônes. Effrayés de leur méprise, ils reculent devant leur ouvrage, et l'un d'eux, peut-être le plus grand homme de son temps, mais certainement le plus sage, le chancelier de L'Hospital, écrivait : Perdre la liberté, 6 bon Dieu! après elle, que reste-t-il à perdre? La liberté, c'est la vie; la servitude est la mort.

Aussi, dès le milieu du seizième siècle, voyons-nous ce même parlement déployer contre les abus du pouvoir toute l'énergie, toutes les résistances compatibles avec l'obéissance qu'il devait à l'autorité royale.

Quel serait donc le langage de ces magistrats, si leur voix s'élevait aujourd'hui dans cette enceinte? Je crois les entendre; ils nous diraient :

« C'est le Roi qui vous a faits ce que vous êtes. Si vous >> planez sur l'ordre judiciaire, si vous en occupez le sommet, >> si vous en êtes les régulateurs, vous le devez au choix >> dont il a bien voulu vous honorer. Quels devoirs n'avez>> vous donc pas à remplir envers lui! La hauteur à laquelle >> il vous a élevés en est la mesure, et vous les signale; mais >> le premier, c'est de donner à tous l'exemple du dévoû» ment à sa personne et du zèle pour la défense de ses » prérogatives. >>

Tel serait le langage de ces magistrats; mais ils nous diraient aussi «< que le dévoûment et le zèle ont des bornes ; » que placer la Couronne au-dessus des lois, ce serait la >> suspendre sur un abîme; qu'une autorité sans limite est

>> une autorité sans appui; que celui qui croirait servir son >> prince en lui immolant les libertés légales se ferait une >> étrange illusion; que ces libertés sont les colonnes sur >> lesquelles reposent la sécurité des rois et la stabilité des >> empires; enfin que, dans la sphère de leurs attributions, >> les magistrats doivent défendre l'autorité royale, non-seu>>lement contre ceux qui tenteraient de resserrer ses li>> mites, mais contre elle-même, si ses agents, par un zèle » aveugle ou coupable, se permettaient de les franchir. »>

Messieurs, j'ai parlé de Grégoire VII et des évêques animés de son esprit; pour être juste, je dois dire que leurs torts appartenaient bien plus à leur siècle qu'à leur caractère. Si quelques traits de lumière sillonnaient les ténèbres qui couvraient l'Europe dans le moyen-âge, on le devait au clergé. Seul il possédait les connaissances que l'on avait alors; et cette supériorité, qui est aussi une puissance, jointe à la puissance spirituelle, lui donnait un pouvoir d'une nature indéfinissable, et dont lui-même peut-être ne connaissait pas les bornes.

Ce pouvoir, longtemps rival de celui des rois, est enfin rentré dans ses limites naturelles; Bossuet, l'immortel Bossuet, si justement proclamé le dernier Père de l'Église, a relevé la barrière qui sépare le sacerdoce et l'empire, et cette barrière est désormais inébranlable. Le prince qui nous gouverne, héritier des vertus de saint Louis comme de sa couronne, et qui, comme lui, sait unir à la foi d'un chrétien la fermeté d'un roi, en a commis la garde à des hommes également dignes de sa confiance et de la nôtre, et dont la sagesse nous promet des institutions qui consolideront à jamais les droits du trône et les libertés publiques.

FIN.

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