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bunal civil.

Devill., 1859, 1, p. 268).

198. La cour de cassation de Belgique a eu à s'occuper d'une question tout à fait analogue et l'a décidée d'une manière identique par son arrêt du 3 mai 1861.

Cass., 15 mars 1858 (Sirey- | du Vuylbeek. De Roubaix se défendait en sounant que le Vuylbeek n'était qu'un égout où il pouvait déverser ses eaux corrompues..... Evidemment tout cela était étranger à la compétence limitée du juge de paix; cela était de la compétence du tribunal civil: donc le moyen ici produit pour la première fois, fût-il d'ordre public et recevable, n'est nullement fondé. »

Dans l'espèce sur laquelle la cour de cassation de Belgique a statué, il s'agissait d'une réclamation de 6,000 fr. de dommages-intérêts faite par le sieur Van Geert contre les sieurs De Roubaix, Oldenhoven et Cie.

La cour adopta cette opinion en la justifiant par les considérations suivantes :

« Sur le deuxième moyen, tiré de la violation Cette demande était fondée sur ce que Van des art. 6 du code civil, 170 du code de procéGeert, en se servant pour arroser ses fleurs des dure civile, 10, titre III, et 4, titre IV, de la loi eaux du Vuylbeek, ruisseau qui longeait sa des 16-24 août 1790, 7, § 1er, de la loi du propriété, les avait fait périr pour la plupart, 24 mars 1841, en ce que la cour d'appel de parce que les eaux du Vuylbeek avaient été al- Bruxelles ne s'est pas déclarée incompétente, térées par des substances provenant de la fabri- toute action pour dommages faits soit par les que de De Roubaix, Oldenhoven et Cie. Les pro-hommes, soit par les animaux, aux champs, priétaires de la fabrique déniaient à Van Geert fruits et récoltes étant exclusivement du ressort le droit de recevoir pures les eaux du Vuylbeek, du juge de paix; en prétendant que ce ruisseau était un véritable égout.

La cour de Bruxelles se prononça en faveur de Van Geert, par arrêt du 24 avril 1860 (Pasic., | 1861, 1, p. 401).

«Attendu que l'action du défendeur avait pour objet la réparation non d'un dommage directement fait à son jardin et à ses plantes par De Roubaix, mais de pertes réitérées qu'il avait essuyées par suite de l'altération par les demandeurs des eaux d'un ruisseau dont lui Van Geert était en droit de se servir pour l'irrigation et l'arrosage de sa propriété;

Devant la cour de cassation, De Roubaix, Oldenhoven et Cie se fondèrent sur la violation de l'art. 7, n° 1, de la loi de 1841 (2e moyen). D'après leur pourvoi, Van Geert ne demandait que la réparation d'un préjudice accidentel souffert par ses fleurs. Il ne fondait pas son action sur l'existence de l'usine, ni sur le dommage permanent qui résultait pour lui de ce qu'il se trouvait privé du droit de se servir de l'eau courante qui bordait sa propriété (art. 644 du code civil). Dès lors, la cour de Bruxelles était in-1, compétente il s'agissait tout simplement de dommages aux champs. Cette incompétence de la cour, étant d'ordre public, pouvait être invoquée pour la première fois devant la cour de cassation.

Mais, dans son examen des moyens proposés, M. le premier avocat général Faider fit justice de cette prétention en ces termes :

Le second moyen est fondé sur une prétendue incompétence d'ordre public, tirée de ce qu'il s'agissait d'un cas de dommage sur lequel le juge de paix seul pouvait prononcer, aux termes de l'article 7, § 1er, de la loi du 25 mars 1841. Sans examiner si ce moyen est recevable en présence de la chose jugée résultant de l'arrêt du 6 juillet 1858, nous disons qu'il suffit de lire l'assignation pour se convaincre que Van Geert se plaignait d'une atteinte portée à son droit de propriété, telle que le lui attribue le code civil, au point de vue d'une eau courante dont il avait le droit de faire utilement usage; il ne se plaignait évidemment pas de dommages aux champs, fruits et récoltes; il se plaignait de l'écoulement des eaux corrompues et de l'altération des eaux courantes dont il avait la propriété; il demandait que des défenses fussent faites à De Roubaix, que des travaux fussent accomplis en vue de conserver pures les eaux

« Qu'une pareille demande basée non sur une simple entreprise ou voie de fait, mais sur l'entrave prolongée apportée à l'exercice d'un droit, ne rentrait évidemment point dans les prévisions de la disposition exceptionnelle du § 1er de l'article 7 de la loi du 25 mars 1841;..... Rejette. >> Cour de cassation du 3 mai 1861 (Pasic. 1861, p. 397 et suiv.; Belg. judic., t. 19, p. 657). Cette décision de la cour de cassation nous semble à l'abri de tout reproche. La défense de De Roubaix, Oldenhoven et comp. équivalait à la dénégation d'un droit de servitude dout Van Geert pouvait jouir en vertu de la situation des lieux (art. 644 du code civil). Dès lors, le juge de paix cessait d'être compétent.

En matière de dommage causé par une usine aux champs, fruits et récoltes, rappelons que le juge de paix reste compétent alors même que les dommages-intérêts sont basés sur une cause permanente de perte. Il en est autrement lorsqu'il s'agit d'une véritable dépréciation de la propriété (supra n13 155 à 161).

199. Il est incontestable, d'ailleurs, que le juge de paix ne pourrait retenir la décision d'un dommage aux champs ou de certaines réclamations de dommages-intérêts pour défaut d'élagage ou du curage, en renvoyant seulement la question de propriété ou de servitude au juge de première instance.

Il faut appliquer à l'article 7, no 1, le même principe qu'à l'article 1er. La cour de cassation de France a jugé en ce sens, qu'un juge de paix, qui s'est déclaré incompétent pour connaître d'une contestation relative à l'existence d'une servitude de tour d'échelle, ne peut retenir la connaissance des dégradations dont se plaint le

de paix, comme s'agissant de dommages aux
champs, de ne pas contester la franchise de ser-
vitude du terrain du demandeur. Comme le dé-
fendeur avait gardé le silence à cet égard, le
tribunal civil avait pu rester saisi de la demande
telle qu'elle avait été introduite, et y statuer
sans violer les règles de la compétence.
C. rejet, 29 juin 1820 (Sir.-Devill., 21, 1,
p. 112). Le texte de cet arrêt se trouve à notre
n° 211.

Sur l'hypothèse inverse, v. n° 212.

propriétaire du mur, si ces dégradations ne sont que la suite de la méconnaissance de son droit de servitude. C. cass., 3 pluviôse an xII (Pasic., à sa date). Il s'agissait ici d'une simple demande en dommages-intérêts pour dégradations (art. 1er), et non d'une demande pour dommages aux champs (art. 7, no 1). Mais on peut dire en général que si une question relative à un dommage quelconque se présente devant le juge de paix, cette question ne peut pas être débattue devant lui, si elle se trouve être connexe à une question de propriété ou de ser- 201. Mais pour qu'il y ait contestation sur vitude immobilière. Nous savons que de pa- la propriété ou sur la servitude rendant le juge reilles contestations échappent à la compétence de paix incompétent, il ne suffit pas d'une simordinaire du juge de paix, aux termes de l'arti-ple allégation du défendeur. La loi, en n'exicle 1er de la loi de 1841 (supra, no 51). L'art. 7, n° 1, fait une application du même principe aux cas de compétence exceptionnelle du juge de paix. 200. Mais si, sans attendre la contestation de la propriété par le défendeur, le demandeur demandait au juge de paix, en même temps que la condamnation à des dommages-intérêts, la reconnaissance de la plénitude de sa propriété, ou d'une servitude déterminée, le juge de paix serait-priété ou de servitude. il compétent pour statuer sur de pareils objets? . Tout dépendrait ici de l'attitude prise par le défendeur. S'il se joignait au demandeur pourt. reconnaître la pleine propriété de celui-ci ou déclarait convenir avec lui de l'existence d'une servitude à son profit, il nous paraît qu'il n'y aurait aucun obstacle à la compétence du juge de paix.Celui-ci se bornerait à condamner à des dommages-intérêts, en se fondant sur l'art. 7, no 1. La question de propriété ou de servitude resterait en effet hors de cause, et le seul objet dont le juge aurait à se préoccuper serait la hauteur des dommages-intérêts réclamés.

Mais si au contraire le défendeur répondait au demandeur par une contestation de son droit de propriété ou de servitude, le juge de paix devrait se dessaisir. L'art. 7, no 1, in fine, lui enlève toute compétence pour cette hypothèse.

Il en serait de même, pensons-nous, si le défendeur négligeait de reconnaître la propriété ou l'existence de la servitude. Le défaut de conclusion du défendeur sur ce point forcerait le juge à examiner les conclusions du demandeur tendant à la reconnaissance d'un droit de propriété, ou à l'existence d'une servitude. Un pareil examen n'est pas permis au juge de paix, qui devrait, dans un tel cas, se dessaisir, puisqu'il ne peut se prononcer sur une question de propriété immobilière ou de servitude.

La cour de cassation de France a décidé, sous l'empire de la loi de 1790, que dans cette hypothèse le tribunal civil était seul compétent. Il s'agissait d'un passage avec chevaux et charrette sur le terrain d'autrui. Le propriétaire du terrain assigna l'auteur de cette voie de fait devant le tribunal civil en reconnaissance de franchise de servitude de passage et en dommages-intérêts pour préjudice causé. La cour décide qu'il n'avait pas suffi au défendeur, pour dessaisir le tribunal et demander son renvoi devant le juge

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geant pas autre chose, aurait fait dépendre de celui-ci la compétence ou l'incompétence du juge. Le défendeur est en effet toujours libre de dénier la propriété ou la servitude dans le chef du demandeur. Mais une telle dénégation ne suffit pas. Le juge de paix reste donc ici souverain appréciateur de la question de savoir s'il y a une véritable contestation sur le droit de pro

C'est ce que le tribunal de Bruxelles a décidé par son jugement du 7 février 1852 (Belg. jud., 10, p. 283), à propos d'une question de dommages aux champs.

La cour de cassation de Belgique s'est prononcée dans le même sens par un arrêt du 24 novembre 1849. Devant cette cour, la question s'est présentée à propos d'une action en élagage. Le juge de paix a, d'après l'arrêt, le droit d'examiner s'il y a contestation sur la propriété ou la servitude (Belg. jud., t. 7, p. 1499). Dalloz (Répert., vo Comp. civ. des trib. de paix, n° 125), Carou (no 318), Curasson (p. 454), Ratier (Cours d'eau, no 396), et Delebecque (Comp., no 62), se prononcent dans le même sens. Dans une question analogue qui se présente à propos de l'action en bornage, certains auteurs adoptent cependant l'opinion contraire (infra, no 452). Mais la cour de cassation de France décide à bon droit que le juge de paix ne cesse pas d'être compétent par cela seul que le défendeur allègue vaguement être propriétaire du terrain sur lequel le dommage a été causé, sans d'ailleurs proposer une exception d'incompétence. Dans ce cas même, le juge de paix ne doit pas surseoir jusqu'à la décision de la question de propriété, si le défendeur ne demande pas le sursis.

Cour de cass. de France, 26 mai 1840 (Jurisp. xix du siècle, 1840, p. 623; Pasic., à sa date).

Le défaut de demande de renvoi ne mettrait cependant pas obstacle à ce que le juge de paix se déclarât incompétent si une véritable question de propriété ou de servitude devait se débattre devant lui. Dans l'arrêt cité, la cour de cassation de France ne conteste pas ce principe; mais elle argumente de ce que le renvoi n'a pas été demandé, pour prouver le peu de solidité de l'allégation du défendeur, qu'il était lui-même propriétaire.

202. La cour de cassation de France a en

core décidé que, dans le cas d'action en indemnité pour dommages aux champs, il n'y a pas contestation sur la propriété faisant obstacle à la compétence du juge de paix par cela seul que le défendeur soutient que le terrain auquel le dommage a été causé dépend du domaine public, alors d'ailleurs que le demandeur a la possession annale de ce terrain. Le juge de paix, en pareil cas, ne devrait se dessaisir que si le défendeur prétendait à un droit personnel sur le terrain dont il s'agit. Cass. de France, 2 août 1859 (SireyDevill., 1860, 1, p. 59).

II va de soi, cependant, que si le défendeur prouvait que le terrain sur lequel il a exercé un dommage appartient non pas au demandeur, mais à un tiers, la demande devrait être écartée par le juge pour défaut d'intérêt dans le chef du réclamant.

Mais le juge de paix reste compétent, quand bien même la propriété du demandeur serait contestée par un tiers, alors, bien entendu, que le défendeur ne se prétend aucun droit sur cette propriété.

Cette opinion a pour elle l'appui de la cour de cassation de France.

Le juge de paix, dit cette haute autorité, compétent pour statuer sur une demande en dommages-intérêts pour dommages aux champs, cesse de l'être si le défendeur oppose une exception prise de la propriété du champ auquel le dommage aurait été causé. Dans ce cas, le juge de paix doit, même d'office, surseoir à statuer sur la demande principale jusqu'à la décision de l'exception par le juge compétent (loi du 25 mai 1838, art. 5, § 1er). · - C. rej., 22 juin 1842 (Pasic., 1842, 1, p. 682).

La cour de cassation persistait par cet arrêt dans sa jurisprudence antérieure qui avait admis le même principe (Cass., 4 février 1824 (Dall. P., 1824, p. 53); Id., 16 mars 1836 (Dall. P., 1836, p. 229). Mais il est à remarquer que sous l'empire de la loi de 1790 la controverse se présentait sous une face tout à fait dif| férente (supra, no 195). Le texte de la loi de 1790 ne donnait pas eu effet compétence au juge de paix lorsque les droits de propriété et de servitude ne sont pas contestés.

C'est ce que le tribunal de Liége a décidé le 26 janvier 1850 (Belg. judic., t. 10, p. 299). Ce Un arrêt de la cour de cassation de France jugement nous paraît parfaitement justifié par du 26 mai 1840 (Pasic., 1840, 1, p. 304) semble cette considération que la contestation d'un au premier abord laisser le choix au juge de tiers ne complique aucunement l'action. L'in-paix, de se déclarer incompétent ou de surseoir demnité est réclamée par celui qui a subi le dommage comme possesseur. Si le tiers parvient à prouver sa propriété, il n'aura d'autre droit que de réclamer la restitution des dommagesintérêts obtenus par le possesseur.

Nous verrons plus loin qu'il en est autrement en matière de bornage (infra, no 450).

203. Lorsque l'exception de propriété ou de servitude paraît avoir un caractère suffisamment sérieux pour que le renvoi devant le juge de première instance soit prononcé, le juge de paix doit-il se déclarer tout simplement incompétent, ou bien doit-il tenir la cause en surséance?

à statuer (1); mais, en réalité, cet arrêt ne juge pas la question. Il nous paraît avoir pour objet de combattre la doctrine qui consiste à dire que la simple allégation d'un droit de propriété par le défendeur doit suffire pour que le juge de paix se déclare incompétent. Raisonnant dans cet ordre d'idées, la cour de cassation s'exprime ainsi : « Attendu que les demandeurs (2) eussent pu faire cesser cette compétence (du juge de paix) en justifiant de leur propriété, et en concluant à ce que le juge se déclarât incompétent, ou au moins à ce qu'il sursît à faire droit jusqu'à ce que la question de propriété fùt jugée par les tribunaux qui devaient en connaître. » Le défaut En Belgique, comme en France, la question de conclusions par les défendeurs devant le est vivement controversée. Elle présente d'ail-juge de paix n'est donc allégué ici par la cour de leurs les mêmes éléments sous l'empire de la loi de 1838 et sous celui de la loi de 1841. MM. Benech (p. 176), Masson (p. 111) et Carou (n° 317) estiment que le juge de paix ne doit pas se dessaisir complétement. L'exception de propriété ou de servitude est tout simplement une question préjudicielle que le juge de première instance est appelé à trancher. Après quoi, la décision sur la hauteur du dommage revient de droit au juge de paix. Les deux questions sont tout à fait indépendantes l'une de l'autre, et peuvent sans difficulté être décidées par des magistrats différents. Ce système offre l'avantage de ne pas permettre au plaideur d'éviter la compétence du juge de paix, en soulevant une exception reconnue plus tard mal fondée.

(1) D'après l'arrêtiste, cette décision de la cour serait ainsi en désaccord avec celle du 22 juin 1842.

cassation que comme une puissante présomption du peu de sérieux de leur demande de renvoi. La manière dont la demande aurait pu être formulée ne fait présumer en rien l'opinion de la cour sur la décision que le juge de paix aurait dû rendre sur cette demande. Voilà pourquoi la cour semble laisser le choix au défendeur de demander au juge de se déclarer incompétent, ou au moins de tenir la cause en surséance.

La doctrine de la cour de cassation de France est donc incontestablement de conserver au juge de paix la décision sur les dommages-intérêts, après que la question de propriété ou de servitude a été décidée.

En Belgique, le tribunal de Huy s'est prononcé dans le même sens.

(2) Demandeurs en cassation, mais défendeurs devant le juge de paix.

Quand à une action pour dommages aux champs, il est opposé une exception tirée de la prescription, le juge de paix doit tenir la cause en surséance en fixant au défendeur un délai pour faire juger la question préjudicielle. Tribunal de Huy du 9 juin 1852 (Recueil de Cloes et Bonjean, t. 3, p. 313). V. la note qui se trouve jointe au jugement dans ce recueil.

quoi? c'est que l'incompétence du tribunal civil étant radicale, pour ce qui concerne la répression, le juge correctionnel ou de police ne peut en être dessaisi; il doit donc se borner à surseoir, en fixant un délai pour le jugement de la question de propriété ici, au contraire, c'est une attribution extraordinaire que la loi confère au juge de paix, en la limitant au cas où le La fixation d'un délai par le juge pour faire droit de propriété ne serait pas contesté. Pourdécider la question préjudicielle est une précau- quoi le tribunal auquel l'affaire est renvoyée, tion utile, puisqu'elle met obstacle à ce que le en cas de contestation, ne statuerait-il pas en défendeur paralyse par son abstention l'exer- même temps sur la question de propriété et cice de l'action du demandeur. Mais il faut bien sur les dommages-intérêts qui n'en sont que la le reconnaître, cette fixation d'un délai n'est conséquence? Pour que la fixation des domautorisée par aucun texte de loi se rapportant à | mages-intérêts dût retourner au juge de paix, il la matière. Dans la doctrine, M. Carou seul lui faudrait que sa compétence fût exclusive, tandis donne son appui (no 317). que le tribunal a pour cet objet, comme dans les autres matières, la plénitude de juridiction. Aussi a-t-on vu que le tribunal saisi d'une demande ayant plusieurs chefs ne peut les scinder, mais doit se retenir la connaissance du tout, quand bien même l'un de ces chefs serait de la compétence du juge de paix. »

Le tribunal de Marche a statué sur la question du renvoi dans le même sens que le tribunal de Huy. Mais il a adopté une solution différente sur la question de savoir si un délai devait être fixé par le magistrat qui se réserve de statuer.

Le juge de paix, dit-il, n'est pas obligé, comme en matière répressive, de fixer un délai dans lequel le défendeur sera tenu d'intenter une action. Tribunal de Marche du 20 janvier 1855 (Recueil de Cloes et Bonjean, t. 4, p. 920). Malgré la puissance des raisons invoquées à l'appui de la doctrine qui se refuse à dessaisir complétement le juge de paix, nous pensons que l'opinion contraire doit être préférée.

En premier lieu, la crainte de voir le défendeur éviter la compétence du juge de paix par l'invocation d'un droit de propriété ou de servitude qui se trouverait plus tard mal fondé, cette crainte, disons-nous, ne doit pas être exagérée. Nous ne pouvons oublier que la simple contestation ne suffit pas au défendeur pour obliger le magistrat à se dessaisir. Il faut que la contestation paraisse sérieuse au juge de paix (supra, no 201). L'écueil que l'on signale peut donc être évité par la sagesse du magistrat.

En second lieu, le texte même de l'art. 7 de la loi belge, comme celui de l'art. 5 de la loi française, nous semble un obstacle au renvoi de la cause au juge de paix après décision sur la propriété ou la servitude. Voici comment Curasson s'exprime à cet égard : « S'il eût été dans l'intention du législateur de ne renvoyer aux tribunaux ordinaires que la question de propriété, la loi aurait dit qu'en ce cas, le juge de paix surseoirait à prononcer, jusqu'à ce qu'il eût été statué sur cette question préjudicielle, ainsi que cela est prescrit en matière correctionnelle ou de police. Au contraire, la loi attribuant aux juges de paix la connaissance des actions pour dommages faits aux biens ruraux, ainsi que celles relatives à l'élagage des arbres et au curage des fossés, lorsque les droits de propriété ou de servitude ne sont pas contestés, il est bien évident que la compétence cesse en cas de contestation sur ce point. Quand, sur la poursuite d'un délit, il s'élève une question préjudicielle, le concours de deux juridictions est forcé; et pour

« Ainsi, la loi étant positive et conforme aux règles ordinaires, il n'est pas besoin de l'argument a contrario sensu, pour l'interpréter. D'ailleurs, en matière d'interprétation, cet argument est très-valide le seul cas où il puisse être repoussé, c'est lorsqu'on prétend en induire soit l'abrogation, soit la modification d'une loi antérieure, ou d'un point de droit commun, ce qui ne se présente point dans l'hypothèse où il s'agit, au contraire, de limiter le sens d'une loi exceptionnelle. »

Ajoutons que le renvoi devant le juge de paix après décision sur la propriété ou la servitude nous paraît directement contraire au but que la loi de 1841 s'est proposé : la rapidité dans les décisions, et l'économie pour les plaideurs.

Le juge de première instance, à qui le litige aura été renvoyé, devra donc, en repoussant la prétention du défendeur à la propriété ou à la servitude, se prononcer immédiatement sur les dommages-intérêts réclamés par le demandeur. Il ordonnera de même les travaux nécessaires pour l'élagage ou le turage, comme le juge de paix aurait dû le faire si la contestation de propriété ou de servitude n'avait pas eu lieu.

L'opinion que nous croyons devoir adopter a pour elle l'autorité de Dalloz (Répert., vo Comp. des tribunaux de paix, no 126), et celle de Delebecque (Comment., Législ., no 63). M. Cloes signale la difficulté, mais sans exprimer son avis sur la question. Celle-ci se présente presque dans les mêmes termes à propos de l'art. 7, no 3, et de l'art. 9 de la loi de 1841. Nous renvoyons à cet égard aux no 251 et 455.

204. Mais en se dessaisissant, le juge de paix doit-il condamner le demandeur aux dépens de l'instance qui a été engagée devant lui?

Cette question est complétement analogue à celle que nous avons traitée à propos de l'art. 2 de la loi, pour le cas où le renvoi est prononcé

par suite de la contestation du titre. Nous ne pourrions que présenter de nouveau les arguments que nous avons fait valoir au n° 80.

205. Lorsque le défendeur oppose à la demande en dommages-intérêts, ou bien à l'action en élagage ou en curage une exception tirée de sa possession annale, il est certain que cette question doit d'abord être décidée. Mais le juge de paix peut-il se déclarer compétent et statuer sur l'exception? Nous n'y voyons aucune difficulté.

D'après l'art. 9 de la loi de 1841, le juge de paix est juge du possessoire. Que la question de possession se présente directement devant lui par action séparée, ou qu'elle naisse au contraire d'une exception produite pour repousser la demande, cela importe peu. Le juge de paix est, dans les deux hypothèses, également compétent pour la trancher.

La même solution est admise en France, où l'article 6 de la loi de 1838 consacre le même principe que notre art. 9.

(V. Curasson, t. 1o, p. 365 et 372; Carou, n° 319; Dalloz, Répert., vo Comp. civ. des trib. de paix, no 127; Delebecque, no 64 et 66; Cloes, n° 71 in fine.)

On peut donc dire en général qu'il n'y a qu'une seule exception qui dessaisisse le juge de paix, c'est la contestation de la propriété ou de la servitude (supra, n° 196).

C'est en ce sens que la cour de cassation de Belgique a résolu la question (24 novembre 1849; Pasic., 1850, 1, p. 47).

A une demande en élagage, on avait opposé une exception tirée de l'existence depuis plus de trente ans des branches au-dessus du fonds voisin. Cette exception, décide la cour de cassation, est sans importance au point de vue de la compétence. Le juge pouvait, sans sortir de ses attributions, examiner si, en supposant l'exception établie, elle constituait la prétention du défendeur à une servitude. Cette décision implique que, dans tous les cas où l'exception n'est pas une contestation de propriété ou de servitude, le juge de paix reste incompétent. 206. Le juge de paix pourrait-il, avec le consentement des parties, juger une exception de propriété ou de servitude?

Nous ne le pensons pas. L'exception motivée dans cette hypothèse rend le juge incompétent à raison de la matière. L'ordre public est intéressé, dans ce cas, à ce que la juridiction ne soit pas étendue.

Nous avons expliqué plus haut (no 10 à 15) les raisons qui enlèvent la prorogation ratione materiæ à la volonté des parties.

Le tribunal de Liége a consacré le principe à propos d'une action en curage.

Les parties peuvent donner au juge de paix le pouvoir de juger en dernier ressort, dès qu'il n'y a pas incompétence ratione materiæ. Ce point a été décidé à propos de l'action en curage du biez d'un moulin, lorsque bien entendu la propriété n'était pas en litige. Tribunal de Liége

du 8 janvier 1848 (Belg. judic., t. 6, p. 536). 207. Dans quel délai les actions en dommages-intérêts pour dommages aux champs et celles en élagage ou en curage doivent-elles ête intentées ?

Quelques auteurs prétendent que ces actions doivent s'exercer dans l'année du trouble, ou dans l'année à partir de l'élagage ou] du curage.

Ne pas limiter la compétence du juge de paix aux faits accomplis pendant l'année, c'est forcément admettre qu'il connaîtra des faits accomplis pendant une période de trente ans, car ce n'est qu'après l'expiration de ce délai que la propriété est acquise, et qu'il deviendra incompétent seulement parce qu'il s'agira alors de la propriété; en second lieu, parce que ce serait détruire ce principe, que celui qui possède de bonne foi, sans trouble et depuis une année révolue, acquiert la possession, présomption légale de la propriété. »

Telle est l'opinion de M. Marc-Deffaux dans son commentaire de la loi de 1838 (sur l'article 5 1o, p. 22). V. aussi Garnier (Actions possessoires, p. 232).

A ces considérations, M. Foucher, s'occupant du curage (no 210), répond avec infiniment de raison, que M. Marc-Deffaux confond les actions possessoires et les entreprises sur les cours d'eau avec le simple fait de curage, qui est indépendant de toute question de possession ou d'envahissement de terrains. Dans l'espèce de notre paragraphe, le législateur n'a voulu régler que le droit de faire curer les fossés et canaux des héritages voisins. Mais si, au lieu de faire un simple curage, le propriétaire change la direction du fossé, l'élargit de manière à envahir sur la propriété du voisin ou à porter un trouble à la jouissance de cette propriété, ou enfin à ne plus rester dans les limites de distance voulues par la loi, dès lors ce n'est plus l'action prévue par notre paragraphe que le demandeur devra intenter, mais bien celle en dénonciation de nouvel œuvre, en complainte, en réintégrande ou en distance légale, suivant la nature de la voie de fait et l'espèce du fossé ou du canal... ›

La question de possession annale n'a donc rien à faire avec l'action en dommages-intérêts, en élagage ou en curage.

Dans cette dernière, on suppose que, ni la propriété, ni la possession n'est contestée au demandeur. Dans le cas au contraire où l'on se prévaut de la possession, un trouble a été apporté à cette présomption de propriété, et le demandeur peut s'adresser au juge de paix, mais seulement en vertu de l'art. 9 de la loi de 1841.

Comment est-il possible, d'ailleurs, de s'arrêter à cette idée de M. Marc-Deffaux, qu'un dommage causé aux champs, ou bien l'absence de curage ou d'élagage depuis une année donne nécessairement la possession au défendeur, et lui permette de repousser ainsi l'action du demandeur. Il y a là une étrange confusion d'idées.

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