Page images
PDF
EPUB

produit cette exception, le juge de paix est forcé, de se dessaisir. Il est d'ailleurs inexact de prétendre que ce dessaisissement ait été établi par la loi en faveur du propriétaire. Il a été institué comme une nécessité pour le juge de paix, non pas parce que c'est là l'intérêt du propriétaire, mais parce que l'exception du propriétaire soulève des questions dont la solution a paru trop compliquée pour appartenir à une juridiction inférieure, par exemple des questions d'interprétation d'actes de bail, ou de concours de plusieurs contrats qui semblent souvent s'annihiler ou se contredire. Tel est l'intérêt qui fait écarter la juridiction du juge de paix. A toute évidence, cet intérêt appartient à l'ordre des juridictions, et partant, à l'ordre public. Pour que la renonciation du propriétaire fût présumée au cas où il ne propose pas l'exception in limine litis, il faudrait qu'il appartint au propriétaire de renoncer à la juridiction du tribunal de première instance dans le cas de contestation sur l'indemnité. Or, ce droit ne lui est pas accordé. Le texte de la loi nous en donne la conviction. En effet, l'art. 7, no 3, ne donne compétence au juge de paix que lorsque le droit n'est pas contesté; c'est-à-dire que, dans l'hypothèse contraire, le juge d'arrondissement est seul compétent. Comment dès lors le propriétaire pourrait-il renoncer tacitement à une juridiction qu'il ne peut même pas répudier d'une manière expresse, puisqu'elle lui est imposée par la loi ?

Nous avons dit plus haut ce qu'il faut entendre par incompétence absolue. Bornons-nous à renvoyer sur ce point à nos nos 10 à 16.

L'opinion que nous venons d'émettre a pour elle deux arrêts récents de la cour de cassation de France. En premier lieu, celui du 21 juin 1837, que nous avons cité plus haut (no 250), à | propos du sens qu'il faut donner aux mots contestation du droit d'indemnité. Cet arrêt déclare que l'incompétence en cas de contestation de l'indemnité aurait dû même être admise d'office, et avait pu par conséquent être demandée en cause d'appel. » Le second arrêt de la cour de cassation de France consacrant le même principe est du 12 août 1851 (Sirey-Devill., 1853, 1, p. 200).

Comme conséquence du caractère absolu de l'incompétence du juge de paix dans le cas où le droit à indemnité est contesté, faisons remarquer que cette incompétence pourrait être demandée en appel, même par la partie qui aurait obtenu gain de cause devant le premier juge et qui n'aurait pas interjeté appel incident. L'ordre public est intéressé à ce que l'incompétence soit prononcée.

254. Mais si devant le tribunal de première instance saisi sur appel on soulevait pour la première fois l'exception dont nous parlons, devrait il immédiatement décider sur la cause, en se déclarant valablement saisi ?

Nous ne le pensons pas. Le tribunal de première instance serait ici un tribunal d'appel. En

[ocr errors]
[ocr errors]

|

cette qualité, il ne pourrait juger au delà de la compétence du premier juge. Celui-ci étant incompétent, le juge de première instance devrait de même se déclarer incompétent comme juge d'appel d'un tribunal qui avait été saisi mal à propos. Ce principe a été consacré par l'arrêt de la cour de cassation de France du 12 août 1851 (Sirey-Devill., 1853, p. 200) que nous avons cité à notre numéro précédent. Renvoyons sur le point à ce que nous disons dans un cas analogue (no 215).

255. Mais lorsque le droit à l'indemnité est contesté, le juge de paix est-il du moins compétent si l'indemnité réclamée est une somme inférieure à 200 francs?

D'après Curasson (t. 1, p. 68 et 344) et Dalloz (Rép., v° Compétence civile des juges de paix, no 229 in fine), la compétence du juge de paix est incontestable en ce cas. On peut en effet invoquer l'art. 1er de la loi en faveur de cette opinion.

Alors même, dit-on, que le droit à l'indemnité est contesté, l'action du locataire est toujours une action personnelle, et appartient dès lors au juge de paix si elle reste au-dessous de 200 fr.

Ce raisonnement ne peut, croyons-nous, résister à l'examen attentif de l'esprit de la loi.

Dans son art. 1o, la loi prévoit, il est vrai, le cas d'actions personnelles ou mobilières soumises au juge de paix; mais dans les articles suivants elle spécifie des actions spéciales qui appartiennent au juge de paix, à cause de leur caractère très-simple et de la promptitude que réclame leur solution.

De ce nombre sont les actions dues pour indemnité de non-jouissance, mais à une condition essentielle : la non-contestation du droit à l'indemnité. Cette condition ne se réalisant pas, c'est le juge de première instance qui devient compétent. Il ne s'agit plus en effet d'appliquer le principe général de l'art. 1er, mais le principe spécial de l'art. 7, no 3, qui prévoit un cas particulier et ne se réfère aucunement à d'autres dispositions de la loi. M. Cloes se prononce en ce sens (no 75 in fine).

Nous avons vu plus haut une application analogue du même principe (n° 199). Nous savons en effet que, les contestations sur la propriété ou la servitude échappant à la juridiction du juge de paix, celui-ci ne peut, quand ces contestations se présentent, retenir la connaissance de certains dommages-intérêts, qui cependant lui appartiendrait en vertu du principe général de l'art. 1er. Il n'est plus permis d'appliquer cet article, en présence de dispositions qui prévoient des cas spéciaux.

256. Le second cas prévu par l'art. 7, no 3, est celui où des dégradations sont alléguées par le propriétaire. Comme nous l'avons dit (no 235) la loi de 1841 n'a pas changé sur ce point celle des 16-24 août 1790.

L'art. 4 de la loi française du 25 mai 1838, qui correspond au no 3 de notre art. 7, a au contraire modifié la loi de 1790 en restreignant

la compétence du juge de paix à un double | qu'il impute à celui-ci, c'est que de semblables point de vue (supra, no 238). demandes ne donnent lieu, pour l'ordinaire, qu'à la recherche d'un fait matériel et à son appréciation; qu'ainsi il était naturel et utile d'attribuer la connaissance au juge le plus rapproché, à celui qui peut le plus promptement et à moins de frais se transporter sur les lieux dont la visite est indispensable, et se prononcer, d'après les usages locaux, sur le degré de gravité des faits dommageables. »

La loi nouvelle, dit Dalloz, restreint cette compétence au cas où la demande n'excède pas 1,500 fr., et où, de plus, elle est fondée sur les art. 1732 et 1735 du code civil, portant que le preneur répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu'il ne prouve qu'elles ont eu lieu sans sa faute, et qu'il est pareillement tenu des dégradations et des pertes arrivées par le fait des personnes de sa maison ou de ses sous-locataires. C'est donc à ces articles, et aux diverses autres dispositions du code civil qui en sont la conséquence, comme, par exemple, celles des articles 1728, 1729, 1766, etc., que le juge de paix doit recourir pour s'éclairer sur sa compétence. (Dalloz, Rép. v° Compétence civile des tribunaux de paix, no 237.) Nous verrons plus loin quelle est l'importance de ces changements, en examinant la portée de la loi belge. (V. infra, nos 268 in fine, et 269.)

257. Remarquons d'abord que, quand il s'agit de dégradations alléguées par le propriétaire, il importe peu que le droit à l'indemnité soit contesté ou ne le soit pas.

[ocr errors]
[ocr errors]

C'est dans le même sens que la contestation sur les dégradations alléguées par le propriétaire était attribuée au juge de paix, sous l'empire de la loi de 1790. On peut voir sur ce point un arrêt du tribunal de cassation de France du 1er ventôse an vi (Pas., à sa date). Dans l'espèce, le défendeur avait répondu à l'action du propriétaire que les dégradations alléguées ne provenaient pas de son fait, et qu'ainsi il ne pouvait en être responsable. Le tribunal de cassation admit la compétence du juge de paix (Dalloz, Rép., v° Comp. civ. des juges de paix, n° 255).

258. Malgré la généralité des termes de l'art. 7, n° 3, quelques auteurs soutiennent que, dans certains cas, le juge de paix peut se trouver incompétent en matière de dégradations alléguées par le propriétaire.

Ainsi Augier soutient que la compétence du juge de paix cesse d'exister, lorsque le locataire prétend trouver dans une clause de son bail le droit de poser certains actes qui ont entraîné les dégradations alléguées. (Augier, Bail, no 7.)

Le texte du n° 3 de l'art. 7 nous semble l'établir à l'évidence. Cette disposition, après avoir donné compétence au juge de paix quant aux indemnités prétendues par le fermier ou locataire, pour nou-jouissance, lorsque le droit d'indemnité ne sera pas contesté, lui donne aussi le pouvoir de décider sur les dégradations allé- Carou tient un langage analogue. D'après lui, guées par le propriétaire. Mais elle ne répète lorsque le locataire se prétend autorisé par le pas la condition que le droit à l'indemnité ne bail à poser certains actes que le propriétaire sera pas contesté. Cette condition ne se rapporte qualifie de dommageables, il n'y a pas de dégradonc évidemment qu'au cas d'indemnité récla-dations réelles, car celles-ci supposent non mée pour non-jouissance.

Telle est l'opinion de Carré (Lois de compélence, t. 4, no 248, p. 138), de Curasson (t. 1, no 15, p. 426) et de Cloes (Loi sur la compétence, n° 76, p. 101).

Il y a dans le même seus un jugement du tribunal de Liége du 17 mars 1810 transcrit par Cloes à son no 76, et deux autres jugements du même tribunal, l'un du 27 mars 1847 (Belg. jud., 1. 5, p. 1197), l'autre du 14 mai 1860 (Cloes et Bonjean, t. 10, p. 469).

|

l'exercice, mais l'abus d'un droit, ou bien un délit ou quasi-délit. Ce cas n'a pas été prévu. Il n'y a point de différence à faire entre ce cas et celui où il s'agit d'indemnité réclamée par le fermier pour non-jouissance. Les mêmes motifs qui font refuser au juge de paix le droit d'interpréter le titre pour savoir si le fermier peut réclamer une indemnité pour non-jouissance, doivent lui faire refuser le même droit quand il s'agit de savoir si le fermier a pu faire ce qui a causé les dégradations dont se plaint le propriéCe dernier jugement donne la raison qui,|taire. (V. Carou, no 269 et suiv. et 326, et d'après lui, a déterminé le législateur à attribuer Dalloz, Rép. v° Compétence civile des tribunaux de au juge de paix la connaissance des dégrada- paix, no 236.) tions alléguées par le propriétaire, alors même que le principe en serait dénié par le locataire.

Attendu, dit-il, que les termes de cette disposition (art. 7, no 3), qui n'est que la reproduction littérale de l'art. 10, § 4, section 3 de la loi du 24 août 1790, et de l'art. 3 du code de procédure civile, sont généraux et absolus et s'appliquent à toute espèce de dégradations, y eût-il ou non contestation sur leur existence;

Que la raison qui a porté le législateur à placer dans les attributions du juge de paix les demandes formées par le propriétaire contre le fermier ou locataire, du chef de dégradations

Nous avouons que l'invocation par le défendeur d'une clause de son bail force le juge de paix à l'interprétation de l'acte. Il est vrai, d'autre part, que lorsqu'il s'agit de réclamation pour non-jouissance, cette interprétation d'un acte est interdite au juge de paix, qui, sinon, jugerait alors même que le droit d'indemnité serait contesté.

Mais que faut-il conclure de là? Que la loi a étendu les pouvoirs du juge de paix lorsqu'il s'agit de dégradations alléguées, au delà de ce qu'ils sont lorsqu'il s'agit de demandes d'indemnité pour non-jouissance.

La loi avait d'ailleurs un motif spécial pour en agir ainsi. Elle avait placé dans les attribu'tions du juge de paix toutes les demandes de réparations locatives, alors même que le locataire allègue en être dispensé par son bail. Tel est le sens incontestable de l'art. 7, n° 2, de la loi de 1841 (supra, n° 219). Comment dès lors aurait-elle pu enlever au juge de paix la connaissance des réclamations pour dégradations, dans le cas où le titre aurait été contesté? Les demandes en indemnité pour dégradations viennent si fréquemment se joindre à celles en réparations locatives, que presque toujours la compétence générale des juges de paix pour ces dernières serait alors devenue complétement illusoire. Nous savons en effet que dans le cas où divers chefs sont réclamés ensemble et ont pour base le même titre, c'est le juge de première instance qui est compétent pour le tout, si l'un des chefs réclamés appartient à sa juridiction (supra, no 236).

Telle est la raison probable de l'attribution au juge de paix des dégradations alléguées par le propriétaire, alors même que le droit est contesté par le locataire.

260. Si cependant le défendeur prétendait que les dégradations alléguées n'existent pas, et demandait par action reconventionnelle une certaine somme pour améliorations par lui faites à la chose louée, cette demande du défendeur serait-elle toujours de la compétence du juge de paix? Nous ne le pensons pas.

Il ne s'agirait plus ici seulement d'une réponse à la demande pour dégradation, c'està-dire d'une exception qui appartient au juge de l'action. Il y aurait de la part du locataire une véritable demande reconventionnelle, et ce serait le cas d'appliquer l'art. 22, § 2, de la loi de 1841 qui se rapporte à ce genre de demandes.

On peut comparer le cas dont nous nous occupons avec celui où une demande est faite pour améliorations, par un locataire à qui l'on réclame des réparations locatives. Les principes sont les mêmes dans les deux hypothèses. (V. supra, no 221.)

261. Nous venons de voir que le juge de paix est toujours compétent, quelle que soit l'exception proposée pour repousser la demande pour dégradations.

Quoi qu'il en soit des motifs du législateur, la Mais quel est le caractère même de cette acdoctrine d'Augier et de Carou ne peut être ad- tion? quand peut-on dire qu'il y a dégradation: mise, par la raison de texte que nous avons dé- | dans le sens de la loi? veloppée plus haut (n° 257). Aucun texte ne venant enlever au juge de paix une portion de sa juridiction dans le cas de contestation sur le droit à obtenir une indemnité pour dégradations, il y a lieu d'appliquer la règle générale que le juge de l'action est juge de l'exception.

C'est donc la seule réclamation d'une indemnité pour dégradations qui fixe la compétence du juge. La position prise par le défendeur importe peu.

259. Appliquons ce principe général à un autre cas. Supposons que le défendeur oppose à une réclamation pour dégradations une exception tirée de ce que les dégradations prétendues par le propriétaire sont de véritables améliorations. Le juge de paix sera-t-il compétent? Evidemment oui. La réponse donnée par le défendeur à la réclamation du demandeur n'a pas pour effet de changer le caractère de la demande. Elle n'est pas autre chose en réalité que la contestation de l'existence de dégradations. Cette contestation appartient au juge de paix. Le juge de paix serait de même compétent si le propriétaire réclamait le rétablissement de changements opérés dans les lieux loués. Cette action est une véritable demande pour dégradations. Un changement dont se plaint le propriétaire en soutenant qu'il lui a été désavantageux est une véritable dégradation, peu importe que le défendeur prétende que le changement est un avantage. C'est là une simple exception qui ne change rien à la juridiction.

« Considérées par rapport aux constructions, dit Brossard, les dégradations sont tout ce qui, pouvant être qualifié de rupture ou de lésion quelconque, en diminue l'utilité, la solidité, la valeur ou l'agrément, quel que soit d'ailleurs le genre de réparations qu'elles nécessitent, je dis : quel que soit le genre de réparations; car le texte qui confère au juge de paix la connaissance des dégradations alléguées par le propriétaire, ne venant qu'après le texte qui lui confère la connaissance des réparations locatives, ne peut recevoir de celui-ci aucune modification.

Considérées par rapport aux fonds de terre, les dégradations sont tout ce qui tend à les appauvrir, soit en les surchargeant, soit en les privant des engrais convenables.» (Brossard, Juridiction civile des juges de paix, nos 391 à 395, p. 174 et 175.)

D'après cette définition, nous voyons combien le terme dégradations doit être pris dans un sens général. Quant à la question de savoir s'il s'applique aux objets mobiliers, v. infra, no 269.

262. Il a été décidé à plusieurs reprises que la mauvaise culture constituait une véritable dégradation à un fonds de terre.

Le juge de paix, dit le tribunal de Liége, est compétent pour connaître des dégradations qui auraient été faites à une propriété rurale, soit par une mauvaise culture, soit par l'enlèvement d'objets placés à perpétuelle demeure à la ferme, soit même par le détournement des fourrages qui devaient être laissés à la ferme par le fermier C'est en ce sens que le tribunal de Bruxelles sortant comme destinés, d'après les clauses du s'est prononcé le 20 janvier 1855 en se décla contrat, à la nourriture du bétail. Tribunal de rant incompétent. (Belg. jud., t. 13, p. 206; Liége, 14 mai 1860. (Cloes et Bonjean, t. 10, Journal de procédure, de Maertens, 1855, p. 149.) | p. 255, Praticien belge, 1861, p. 211, et Belg.

judic., 1861, p. 811, ainsi que la note dans C'était là un acte de mauvaise culture, tence dernier recueil. Le recueil de Cloes et Bon- dant à l'appauvrissement et par suite à la déjean reproduit une seconde fois le même juge-préciation du fonds de terre. ment en en modifiant le sommaire, et en y joignant une note, t. 10, p. 469.)

Le tribunal de Bruxelles se prononce dans le même sens par un jugement du 9 juin 1860: « Attendu, dit-il, que le demandeur, en sa qualité d'acquéreur de certaines terres occupées par le défendeur à titre de locataire, réclame des dommages-intérêts à celui-ci, et que l'action est fondée sur ce qu'il a appauvri ces terres par une mauvaise culture, et qu'en les ensemençant mal à propos, il en a diminué le rapport;

Attendu qu'aux termes de l'art. 7, n° 3, de la loi du 25 mars 1841, les juges de paix connaissent des indemnités prétendues par le fermier ou locataire pour non-jouissance, lorsque le droit d'indemnité n'est pas contesté, et des dégradations alléguées par le propriétaire;

Attendu que les faits qui servent de base à l'action constitueraient, s'ils étaient établis, de véritables dégradations aux immeubles loués; Attendu que le législateur ne distingue pas entre les diverses espèces de dégradations, et qu'il n'exige d'autres conditions pour que le juge de paix en connaisse, si ce n'est qu'elles soient alléguées par le propriétaire;

Attendu de plus que la cause n'a pas pour objet l'interprétation des clauses du bail;

263. L'enlèvement par le fermier de tous objets attachés à la ferme pour son exploitation constitue aussi une dégradation à cette ferme. A l'égard de la nature de ces objets, nous pouvons renvoyer aux divers articles du code civil qui traitent des immeubles par destination (articles 522 et suiv.).

264. C'est en ce sens qu'il a été décidé par le tribunal de Liége que la vente d'engrais par le fermier sortant constitue une dégradation dans le sens de la loi de 1841, mais pour autant qu'il soit prouvé que des engrais existaient au moment de l'entrée du fermier. Tribunal de Liége, 27 mars 1847 (Belg. Jud., t. 5, p. 1197).

Le même tribunal a vu une dégradation dans le détournement, par le fermier sortant, de fourrages destinés, d'après les clauses du bail, à la nourriture du bétail. (14 mai 1860, Cloes et Bonjean, t. 10, p. 469.)

Dans l'espèce prévue par le premier de ces deux jugements, le fermier sortant, en vendant ses engrais, faisait subir une véritable dégradation à l'immeuble. Aux termes de l'art. 1778 du code civil, le fermier sortant doit laisser les pailles et engrais de l'année, s'il les a reçus lors de son entrée en jouissance. »"Les pailles et engrais font partie de l'immeuble loué, lorsqu'ils

Attendu qu'il ressort clairement des termes de l'art. 7 précité, que la demande est de la com-existaient lors de l'entrée en jouissance du fermier. pétence du juge de paix;

« Attendu que cet article n'est que la reproduction de l'art. 10, n° 4, du titre III de la loi des 16-24 août 1790, et de l'art. 3, no 4, du code de procédure civile, sous l'empire desquels la mauvaise culture était considérée, à bon droit, comme une dégradation dont le juge de paix était appelé à connaître quand le propriétaire en demandait la réparation;

Attendu que ce qui démontre encore qu'il faut interpréter l'art. 7 de cette manière, c'est que, dans son rapport à la chambre des représentants sur la loi du 25 mars 1841, M. Liedts, après avoir fait remarquer que l'art. 7, nos 4 à 6, reproduit textuellement la loi de 1790, ajoute: Toutes les difficultés qu'avait fait naître cette disposition ayant été successivement levées par les arrêts rendus depuis un demi-siècle, il eût été dangereux, au moins inutile, de toucher au texte;

Áttendu qu'il résulte de ce qui précède que le déclinatoire soulevé doit être accueilli. » Tribunal de Bruxelles, 9 juin 1860 (Belg. Jud., 1. 18, p. 1199; Cloes et Bonjean, t. 9, p. 591; Praticien belge, 1860, p. 285.) Telle est aussi l'opinion de Curasson (t. 1, p. 481).

Sous l'empire de la loi de 1790, la cour de cassation de France avait décidé dans le même sens, que des ensemencements de terre sans fumier constituent une dégradation (29 mars 1820, Dalloz, Répert., vo Compét. civile des tribunaux de paix, sub no 239).

Si celui-ci ne peut restituer l'immeuble dans l'état où il l'a reçu, il a commis une dégradation dont le propriéaire doit lui demander compte devant le juge de paix.

Si les pailles et engrais n'existaient pas lors de l'entrée en jouissance du fermier, le propriétaire aurait le droit de retenir ceux provenant de l'exploitation, suivant estimation (art. 1778 du code civil, in fine). Mais dans ce cas, en supposant que le fermier ait vendu ses pailles ou engrais, nonobstant la demande du propriétaire de les retenir, celui-ci ne pourrait pas exercer une action en dégradation contre son fermier. L'immeuble donné à bail ne comprenait pas de pailles ni d'engrais. Le fermier n'a donc rien détourné qui fit partie de l'immeuble. Il a tout simplement contrevenu à une obligation que lui imposait la loi. Il peut, de ce chef, être condamné à des dommages-intérêts envers son propriétaire.

265. Le second jugement du tribunal de Liége (14 mai 1860) voit une dégradation dans le détournement des fourrages par un motif tout particulier résultant de certaine clause du bail. «Attendu, dit le jugement, qu'il y a dégradation lorsque le locataire enlève de la ferme le foin destiné à la nourriture du bétail et réputé immeuble par destination, à titre de la clause 8 du bail passé devant Me Varlet, notaire à Soumagne, le 8 juillet 1854, d'après laquelle tout le produit de la ferme doit être consommé par le hétail garnissant la ferme, et èire converði en engrais,

sans pouvoir le vendre ni divertir... (Cloes et Bonjean, t. 10, p. 472.)

Nous remarquerons, avec Dalloz, que dans l'espèce jugée par l'arrêt de la cour de cassation du 29 mars 1820, les demandeurs se plaignaient de ce que leurs fermiers avaient coupé des baliveaux laissés sur les taillis et avaient ébranché un cerisier. Dalloz déclare que, bien que l'arrêt ne mentionne pas spécialement ces déde paix a compétence, il n'est pas douteux qu'il a voulu les comprendre sous le terme général de dégradations (Dalloz, Répert., loc. cit., no 240). Nous ne pouvons nous associer à cette manière de voir, et nous pensons que, dans l'arrêt du 27 mars 1820, la cour de cassation ne s'est pas prononcée sur la question. Dans l'espèce, le tribunal de Poitiers avait déclaré qu'aucun des chefs soumis au juge de paix n'était de sa compétence. La cour déclare que certains chefs

Les foins devant être consommés par les bestiaux de la ferme et devant ainsi servir à la production de nouveaux engrais, nous pensons que le tribunal de Liége a bien fait de considérer leur détournement comme une dégradation à l'immeuble. La destination spéciale des fourra-gradations parmi celles pour lesquelles le juge ges les attachait à l'exploitation de la ferme, et ne permettait pas qu'on les considérât comme des récoltes ordinaires. Il y aurait encore dégradation à l'immeuble par détournement de foins si, d'après le bail, les fourrages étaient destinés à nourrir les bestiaux appartenant au propriétaire et au fermier conjointement. Dans cette hypothèse, prévue par Carou (nos 257 et suiv.), les fourrages doivent servir, au moins pour partie, à la nourriture du bétail appartenant au propriétaire et incorporé à la ferme. Les four-sont bien évidemment des dégradations, et qu'en rages servent alors véritablement à l'exploitation de la ferme et font partie de l'immeuble. Leur enlèvement est une dégradation véritable. Mais il en serait autrement si les foins n'avaient aucune destination spéciale qui les incorporat à l'immeuble. Dans cette hypothèse, le juge de paix ne pourrait voir dans l'enlèvement de ces foins une dégradation à la chose louée. Il en est ainsi, par exemple, si le bail se contente d'interdire au locataire de vendre ses foins, ou le force à les céder au propriétaire. Un jugement du tribunal de Liége du 30 juillet 1856 (Cloes et Bonjean, t. 5, p. 798) s'est prononcé en ce sens. Dans l'espèce dont il s'occupe, la question était de savoir si le fait de la vente existait, et par suite, s'il y avait contravention au bail. Une telle contravention pouvait donner lieu à des dommages-intérêts, mais non à une action pour dégradations. Le juge de paix n'était donc compétent pour décider dans un pareil cas, que si les dommages-intérêts restaient inférieurs à 200 francs.

Ce que nous venons de dire à propos de la vente de foins et du caractère qu'il faut y attacher nous interdit d'admettre comme principe absolu la doctrine d'un arrêt de la cour de cassation de France du 29 mars 1820. (Dalloz, loc. cit. sub | no 239.) Cet arrêt, sans donner d'ailleurs aucun motif de son opinion, déclare que les divertissements de foins et pailles, constituent des dégradations dont le juge de paix doit connaître. Quand il s'agit des pailles, nous avons vu qu'elles sont mises sur la même ligne que le fumier (art. 1788 du code civil) et font partie de l'exploitation de la ferme lorsqu'elles existaient lors de l'entrée en jouissance. Mais rien de pareil n'est stipulé pour les foins qui sont de simples récoltes, à moins que certaines clauses spéciales ne les attachent au fonds comme immeubles par destination.

266. Il est d'ailleurs indifférent pour la compétence du juge de paix que les dégradations alléguées par le propriétaire aient été faites à une terre labourable ou à toute autre espèce de fonds.

|

conséquence le tribunal a contrevenu à la loi en déclarant qu'aucun chef de la demande n'appartenait au juge de paix. Quant au surplus de la demande, la cour ne se prononce pas sur la question, peut être parce que l'évidence de la compétence du juge de paix, quant à ce surplus, ne lui paraissait pas complète, et que d'ailleurs, au point de vue où la cour se plaçait, la solution de la question ne lui était pas imposée.

Il est certain toutefois qu'un arrêt postérieur de cette cour a donné expressément compétence au juge de paix pour des dégradations alléguées par le propriétaire « pour des émondes et coupes de bois indûment faites par lé locataire. » (C. cass. 21 juillet 1830; Dalloz, Répert., v° Comp. civ. des tribunaux de paix, sub no 240.)

La doctrine de ce dernier arrêt doit être généralisée. Elle nous paraît s'appliquer à tous actes de détérioration commis par le locataire aux bois, prairies, vignobles, ou terrains de quelque nature qu'ils soient.

267. Nous savons que tout fait du locataire qui cause du dommage au propriétaire n'est pas nécessairement une dégradation. Nous avons vu déjà deux applications de ce principe (supra, noo 264 in fine et 265).

Le tribunal de Liége a fourni une confirmation de cette règle, en décidant que le fait d'avoir partagé une pièce de terre en divers genres de culture ne constitue pas une dégradation dans le seus de la loi de 1841. (Tribunal de Liége, 21 février 1852; Cloes et Bonjean, t. 5, p. 45.)

Dans l'espèce dont il s'agissait, le propriétaire pouvait, à vrai dire, prétendre que le locataire avait apporté aux lieux loués un changement qui rendait l'enlèvement des récoltes plus difficile, et qui par conséquent lui causait un préjudice. Mais cette allégation, qui d'ailleurs n'a pas été produite, n'aurait aucunement établi que l'immeuble lui-même avait subi une dégradation. Le juge de paix n'aurait donc pu être compétent pour statuer sur de pareils dommages intérêts que jusqu'à concurrence de 200 francs.

« PreviousContinue »