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C'était une question de savoir si, pour pouvoir se qualifier de gens de travail, les ouvriers devaient être payés au jour, ou s'ils étaient également gens de travail lorsqu'ils étaient payés au mois ou à l'année. Cette question a été tranchée dans le dernier sens par la loi française de 1838.

La loi a ratifié ici une interprétation adoptée par quelques monuments de jurisprudence. (V. Rapport de M. Renonard à la chambre des députés, 29 mars 1837, no 43 de la note de Dalloz, v Compétence civile des tribunaux de paix, sub no 90.)

Mais si la question a été tranchée en France, elle ne l'a pas été en Belgique. Elle reste donc entière, et c'est aux tribunaux qu'il appartient de la décider dans chaque cas particulier.

Cette courte appréciation de la loi française, quant au point qui nous occupe, nous montre que la doctrine et la jurisprudence françaises peuvent nous fournir d'utiles enseignements pour le sens à attribuer aux mots gens de travail. Mais ces autorités ne sauraient, au contraire, être consultées avec fruit, en ce qui concerne le mode de payement qui caractérise les gens de travail. Sur ce point, la loi française se sépare complétement de la loi de 1790 et de la loi belge.

Quant aux autorités françaises d'une date antérieure à la loi de 1838, elles se bornaient nécessairement à l'interprétation de la loi de 1790, et par conséquent n'ont rien perdu de leur valeur eu égard à la Belgique.

286. Sous l'empire de la loi de 1790 et de la loi belge de 1841, trois opinions se sont fait jour à propos du sens des mots gens de travail.

La première est soutenue par Zachariæ, et s'appuie sur l'autorité de la cour de cassation de France.

Cette opinion soutient que ce qui caractérise les gens de travail, c'est la manière dont leur salaire se calcule et se règle. Le prix du travail réglé à tant par jour caractérise l'espèce de personnes dont la loi a voulu parler. Il ne faut pas d'ailleurs que ces personnes désignées sous le terme global de gens de travail soient de simples ouvriers. On doit comprendre, dit Zachariæ, sous les termes ouvriers et gens de travail, les simples artisans, et tous ceux qui sont payés à la journée, quelle que soit d'ailleurs la nature de leurs services et de leurs travaux. » (Cours de droit civil. Edit. Meline, t. 3, p. 383.)

bien moins intellectuel que matériel. (C. cass. de France, 7 janvier 1824; Sir.-Dev., 1824, 1, p. 90.)

Il est permis de croire que si la cour eût eu à juger la question à l'égard d'un commis, par exemple, son opinion eût pu être différente.

La cour de Bruxelles a décidé dans le même sens que, par les mots gens de travail, repris à l'art. 10, no 5, tit. III de la loi des 16-24 août 1790, on doit entendre les journaliers ou gens qui travaillent pour un prix déterminé par chaque jour et dont l'engagement peut commencer et finir dans la même journée. Cet article n'est donc pas applicable à un louage d'ouvrage pour lequel un gage est fixé à l'année. Bruxelles, 6 février 1841 (Pas., 1841, 2, p. 354). Henrion de Pansey (ch. 30, p. 339) et Carré (Lois de la compétence, no 445) adoptent la même opinion. Une note du recueil de Cloes et Bonjean, t. 2, p. 1033, approuve l'arrêt de Bruxelles du 6 février 1841.

Malgré ces autorités si respectables, cette manière d'interpréter l'art. 7, no 5, de la loi de 1841 ne nous paraît en harmonie, ni avec le texte, ni avec l'intention présumable de la loi. Le texte de la loi de compétence accorde une juridiction exceptionnelle au juge de paix lorsqu'il s'agit du payement des salaires des gens de travail. » Le mot salaires n'offre pas un sens restrictif. Il n'indique pas que la rémunération du travail doive être calculée par jour. Le salaire n'est autre chose que « le payement ou la récompense pour travail ou pour service. » (Dict, de l'Acad.) Quant aux termes gens de travail, ils ne nous semblent, à vrai dire, s'appliquer rigoureusement qu'à ceux qui vivent de leur travail manuel, mais rien dans ces expressions n'indique la manière dont le travail manuel doit être payé. Si, dans la plupart des cas, ce travail est rémunéré par jour, ce n'est pourtant pas là une règle absolue et nécessaire. Le travail ne change pas de caractère, parce qu'on change le mode de payement qui s'y applique.

En employant les termes gens de travail, la loi a pris pour base de la compétence la qualité de certaines personnes. Ces personnes perdraient-elles cette qualité par suite d'une modification dans le mode d'après lequel elles seraient payées? Certes non. Il n'est donc pas possible de faire reposer tout le système de la loi sur une circonstance tout à fait indifférente et qui ne détruit en aucune manière la condition des personnes.

La généralité de ces derniers mots tendrait à Ce qui rend évidente la volonté de la loi à comprendre dans les termes gens de travail, cet égard, c'est le soin qu'elle a pris de ne se toutes les personnes qui seraient payées de leur servir que d'un terme fort général pour désitravail, même purement intellectuel, pourvu gner ceux qu'elle voulait comprendre dans l'arque ce payement fût déterminé à tant par jour.ticle 7 4°. La loi avait à sa disposition d'autres La cour de cassation de France, elle aussi, déclare, en général, que c'est le prix du travail réglé par jour qui caractérise les personnes désignées sous le nom de gens de travail. Mais elle n'applique sa théorie qu'à un chef d'atelier, c'est-à-dire à une personne dont le travail est

expressions que gens de travail, par exemple : journaliers ou gens de journée. Ces mots désignent clairement la catégorie d'ouvriers qui sont payés par jour. Mais la loi n'en a pas voulu.

L'art. 1326 du code civil, au contraire, se sert des termes gens de journée à propos des

engagements sous seing privé contractés par certaines catégories de personnes (1).

Les mots gens de travail n'ont rien de limitatif ni d'exclusif; et l'interprétation n'a pas le pouvoir d'ajouter ici à la volonté de la loi clairement exprimée.

Remarquons enfin que le code civil se sert des mots gens de travail de telle façon qu'il est impossible de leur attribuer le sens d'ouvriers payés par jour, le sens de journaliers. L'art. 1779 du code civil désigne le louage des gens de travail comme l'une des trois espèces principales du louage d'ouvrage et d'industrie. Dans les trois sections qui suivent, le législateur énumère successivement les conditions et les règles se rapportant aux trois espèces de louage d'ouvrage de l'art. 1779. La section première: du louage des domestiques et OUVRIERS se rapporte évidemment au no 1 de l'art. 1779, c'est-à-dire au louage des gens de travail. De cette combinaison du titre de la section première avec l'art. 1779, il résulte que tous les ouvriers sont compris dans les termes gens de travail.

En outre, voici ce que porte l'art. 1781 compris dans cette section: « Le maître est cru sur son affirmation, pour la quotité des gages;

Pour le payement du salaire de l'année échue;

Et pour les à-compte donnés pour l'année courante. »

|

force majeure, ils ont été empêchés de travail-
ler pendant tout ou partie de la journée.
(Cours du droit civil, t. II, p. 18.)

Zachariæ, on le voit, considère successivement les deux conditions d'après lesquelles sont régis les engagements des ouvriers.

Il s'occupe d'abord des ouvriers, sur les gages desquels une retenue proportionnelle peut avoir lieu, eu égard à la durée de la maladie, c'està-dire nécessairement, de ceux qui sont payés à l'année ou au mois; car dans tout autre cas la proportion entre le temps de la maladie et le taux des gages serait impossible. L'auteur parle ensuite des simples journaliers, qui n'ont droit au salaire de leur journée que lorsqu'ils l'ont consacrée tout entière au travail.

Comment concilier cette interprétation donnée par Zachariæ à l'art. 1781 du code civil, et celle toute différente que le même auteur produit à propos de l'art. 2271? Nous avouons n'en pas connaître le moyen; mais nous préférons de beaucoup nous arrêter à celle de l'article 1781.

La cour de Toulouse a décidé en ce sens que le briquetier payé par an était un homme de travail. (6 mars 1838; Dalloz, Compétence civile des tribunaux de paix, note 2, sub no 150.) Quant au briquetier payé à tant le mille, voy. nos nos 291 et suiv.

Nous venons de voir les raisons qui militent contre l'assimilation des gens de travail aux gens de journée.

286 bis. Mais, si les expressions de l'art. 7, n° 4, ne sont pas restrictives, faut-il cependant les interpréter d'une manière tout à fait générale ?

Sur ce point, deux opinions se sont fait jour. L'une comprend sous la dénomination de gens de travail, tous ceux qui tirent de leur travail des moyens de subsistance. L'autre borne l'étendue de ces expressions à ceux qui se livrent à un travail purement manuel.

Ce texte de l'art. 1781 nous semble surtout édicté en vue des ouvriers ou gens de travail qui ne seraient pas des journaliers. Quelle apparence y a-t-il en effet que de simples journaliers, souvent sans aucune ressource, toujours payés dans un temps très-rapproché, pourraient songer à réclamer un salaire après une année échue? Le § 2 de l'art. 1781 serait sans objet dans la pratique s'il ne se rapportait qu'à eux. Il se comprend, au contraire, parfaitement s'il entend désigner toutes les catégories de gens de travail, même ceux qui, étant enga- La première de ces opinions ne nous parait gés pour un certain temps déterminé, sont le pas pouvoir être suivie. Dire qu'il y a salaire de plus souvent payés au mois ou même à l'année. gens de travail chaque fois qu'une certaine somme Zachariæ lui-même admet que l'art. 1781 ne est due pour rémunération d'un travail quelse rapporte pas seulement aux ouvriers qui se conque, c'est forcer le sens des mots employés louent à la journée. Le domestique ou l'ou- | par la loi de 1790 et par celle de 1841. vrier, dit cet auteur, n'est pas passible de dommages-intérêts envers son maître, lorsqu'il est empêché par maladie de remplir le service pour lequel il s'est engagé, sauf au maître à retenir une partie des gages, eu égard à la durée de la maladie. Les ouvriers ou gens de travail qui se louent à la journée ne peu- | vent réclamer le salaire qui leur a été promis, ou n'ont droit qu'à une partie proportionnelle de ce salaire, lorsque, par un événement de

La valeur des expressions gens de travail, quelque vagues qu'elles paraissent, peut se fixer par le sens que l'ancien droit français attribuait à des termes analogues. Les anciennes coutumes parlent de manouvriers ou gens de bras. C'est dans un sens pareil que doivent être pris les termes gens de travail.

Dans le langage usuel, du reste, pas plus que dans celui de la loi, les mots salaire des gens de travail ne pourraient se rapporter à une

ture, il ait écrit de sa main un bon ou un approuvé, por-
tant en toutes lettres la somme ou la quantité de la chose
a Excepté dans le cas où l'acte émane de marchands,
artisans, laboureurs, vignerons, gens de journée et de

α

(1) Art. 1326 du code civil : « Le billet ou la promesse sous seing privé par lequel une seule partie s'engage envers l'autre à lui payer une somme d'argent ou une chose appréciable, doit être écrit en entier de la main de celui qui le souscrit, ou du moins il faut qu'outre la signa- I service, »

classe de personnes dans une position aisée ou relevée. Il ne viendra pas à l'idée de désigner par ces termes la rémunération de services que pourrait rendre un artiste, un littérateur ou un médecin, bien que cependant ils vivent de leur travail.

287. Nous ne croyons pas qu'un commis pourrait davantage rentrer dans la catégorie des gens de travail. Nous ne pouvons donc admettre l'opinion de la cour de Metz qui, dans son arrêt du 4 mai 1820, range parmi les gens de travail le principal commis d'un négociant (1). La cour de Metz est en opposition sur ce point avec Carré (Compétence, no 449) et Troplong (Prescript., n° 758) qui se refusent à classer parmi les gens de travail les clercs et les commis. Au numéro précédent, Troplong semble adopter une opinion toute différente en appliquant la qualification de gens de travail à quiconque fournit son travail à la journée, quand bien même ce travail serait plus relevé que celui des hommes de peine.

Mais un arrêt de la cour de Bruxelles du 5 mars 1825 (Pas., 1825, p. 335) a pu déclarer que la personne qui, moyennant une somme déterminée, payable par mois, outre le logement et la nourriture, se charge de préparer les couleurs dans une fabrique de papiers de tenture, doit être rangée dans la classe des ouvriers et domestiques, à l'égard desquels le maître est cru, sur son affirmation, pour la quotité des gages, les à-compte donnés, etc. C'était là une véritable ouvrier payé au mois.

La cour de Bruxelles, par un arrêt du 2 juillet 1856, restreint en ces termes l'art. 2271 qui concerne la prescription encourue par les ouvriers et gens de travail pour le payement de leurs journées, fournitures et salaires :

Attendu, dit la cour, que dans l'art. 2271 du code civil, le législateur a eu en vue les ou vriers proprement dits, dont le métier consiste en un travail matériel, et dont les journées, fournitures et salaires se payent d'habitude de suite ou dans un très-court terme; qu'on ne peut ranger dans cette catégorie le mécanicien-constructeur d'une machine à vapeur, ni ses travaux de construction ou de réparations qui exigent, comme dans l'espèce, de celui qui les a faits, du talent et des combinaisons appartenant à l'art de la mécanique; que l'article précité est donc sans application au présent litige. » (Pas., 1856, 2, p. 313.)

La condition sociale dans laquelle se trouvent le commis d'un négociant et le mécanicien-constructeur empêche qu'on ne puisse les ranger parmi les gens de travail. Le travail intellectuel vient se mêler dans l'exercice de ces professions au travail manuel et ce, dans une mesure si importante, que celui qui les exerce sort de la condition d'homme de peine.

La cour de Besançon a décidé dans ce dernier sens par un arrêt tout récent que l'employé

(1) Marcadé, Prescription sur l'art. 2271, no 3.

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Ce principe avait été appliqué déjà par la cour de Liége, en 1842, à propos de l'engagement d'un mécanicien comme directeur d'une | fabrication. 31 décembre 1842 (Pas., 1842, 2, p. 101.)

288. La question s'est présentée en France dans des termes presque analogues, à propos | d'un mécanicien conducteur de locomotives.

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Un pareil conducteur doit-il être, à l'occasion des difficultés relatives à ses engagements, et quelle que soit l'élévation de ses appointements, assimilé aux ouvriers dont parle l'art. 5 de la loi du 25 mai 1838? La cour de Paris a déclaré que rien n'y faisait obstacle. Paris, 6 janvier 1841 (Pas., 1841, 2, p. 439), et cet arrêt est approuvé par Dalloz (Nouv. répert., v° Compétence civile des tribunaux de paix, no 168).

Mais la cour de cassation de France a adopté en 1857 une opinion diamétralement opposée, et que nous croyons beaucoup plus conforme à l'esprit de la loi de 1838 comme à celui de la loi belge de 1841. - 13 mai 1857 (Sir.-Dev., 1857, 1, p. 669).

Voici comment la cour raisonne à cet égard : « Le mot ouvriers, dit-elle, ne saurait s'appliquer à un conducteur de locomotives qui ne se livre à aucun travail manuel, ne fait partie d'aucun atelier, mais exerce des fonctions séparées et individuelles ; directeur du convoi, il est chargé d'en régler la marche et d'en assurer l'heureuse arrivée; ces fonctions, par leur nature, leur importance, l'élévation du prix qui y est attaché d'ordinaire, les connaissances qu'elles exigent, surtout par les devoirs et la responsabilité qu'elles imposent, diffèrent essentiellement du service secondaire et sans cesse soumis à la surveillance et au contrôle des chefs, sous-chefs ou contre-maîtres, et du travail purement mécanique des simples ouvriers ou gens de travail. »

La cour de cassation conclut avec raison que le louage d'une telle industrie de la part d'une compaguie commerciale est un engagement de commerce, et que les contestations qui peuvent s'élever du chef de ce contrat appartiennent à la juridiction commerciale.

Il est presque inutile d'ajouter que l'arrêt de la cour de cassation de France énonce des principes parfaitement applicables en Belgique.

289. Mais si la réclamation d'une certaine somme pour gages, au lieu d'être faite par un mécanicien conducteur de locomotives était dirigée par un simple contre-maître contre son patron, il ne nous paraît pas douteux que cette réclamation devrait se produire devant le juge de paix.

Les gens de travail sont, stricto sensu, ceux qui se livrent à un travail principalement manuel. Mais ceux qui assistent à ce travail et le dirigent dans tous ses détails, ceux qui, lorsque l'occasion l'exige, se servent eux-mêmes des outils, ne cessent pas d'appartenir à la classe des ouvriers. C'est ce que la cour de Douai a décidé par son arrêt du 14 février 1843 qui applique l'art. 5 de la loi du 25 mai 1838 a un contre-maître, en admettant la compétence du juge de paix.

D'ailleurs en jetant les yeux sur la loi du 22 germinal an xı (12 avril 1803) sur les manufactures, fabriques et ateliers, on remarque que les contre-maîtres et conducteurs des autres ouvriers sont désignés par elle sous le terme général d'ouvriers. Au titre III, intitulé des obligations entre les ouvriers et ceux qui les em- | ploient, on lit, art. 15:

« L'engagement d'un ouvrier ne pourra excéder un an, à moins qu'il ne soit contre-maître, conducteur des autres ouvriers, ou qu'il n'ait un traitement et des conditions stipulées par un acte exprès. »

Cette loi de l'an xi nous montre que les contre-maîtres doivent être considérés comme des ouvriers.

La distinction entre le simple contre-maître, qui n'est qu'un ouvrier, et l'employé directeur d'une exploitation, qui, nous l'avons dit, ne fait pas partie des gens de travail, peut être parfois assez délicate.

290. On comprend que les deux positions puissent se rapprocher l'une de l'autre par des nuances en quelque sorte imperceptibles. L'appréciation de l'aptitude spéciale de l'employé, de l'engagement qui le lie, du traitement qui lui est alloué, de la responsabilité et de la part de direction qui lui incombeut, en un mot toutes ces circonstances de fait serviront à déterminer si la demande doit être attribuée au juge de paix ou à la juridiction ordinaire.

291. On a soulevé la question de savoir si l'ouvrier payé en proportion du travail qu'il fournit doit être oui ou non considéré comme homme de travail, dans le sens de la loi de 1841.

Cette question doit être résolue dans le sens de la négative. Quand l'ouvrier est payé au mois, à l'année ou bien encore lorsqu'il est engagé pour une campagne, moyennant un prix déterminé d'avance, il ne cesse pas d'être homme de travail. Ce sont ses services individuels et sa personne même qui sont engagés. Il est à la disposition du maître quant à son travail, et il peut être congédié par lui, à charge pour le patron de payer une indemnité si tel est l'usage, ou si la convention des parties l'y oblige. Lorsque, au contraire, l'ouvrier s'engage à fournir tel nombre d'objets pour une somme déterminée, il n'engage plus sa personne même moyennant un salaire convenu pour un certain temps. Le seul engagement qui lie l'ouvrier dans ce cas, c'est la promesse de fournir une certaine quantité d'objets confectionnés d'après des con

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ditions déterminées, ou, dans d'autres cas, la promesse d'accomplir une certaine quantité d'ouvrage. Ce n'est donc plus son travail personnel que l'ouvrier engage dans cette hypothèse; c'est, si l'on veut, le résultat de ce travail, c'est-à-dire la chose, l'objet dont la commande lui a été faite.

Dans un pareil cas, il ne sera en général pas défendu à l'ouvrier de se faire aider par d'autres ouvriers sous ses ordres et à sa solde. - Une certaine quantité de travail effectuée, voilà tout ce que le maître a le droit d'exiger. Peu importe la personne de l'ouvrier, lorsque, bien entendu, le travail est fourni par lui dans les conditions voulues, et avec l'aptitude nécessaire de la part de celui qui l'a accompli.

Quelle sera, d'après le code civil, la position légale d'un ouvrier qui entreprendra ainsi des travaux à la pièce ou à la mesure?

Nous la trouvons dans la section III du chapitre III, Du louage d'ouvrage et d'industrie. Cette section, intitulée: Des devis et des marchés, contient les articles suivants :

« Art. 1787. Lorsqu'on charge quelqu'un de faire un ouvrage, on peut convenir qu'il fournira seulement son travail ou son industrie, ou bien qu'il fournira aussi la matière.

« Art. 1789. Dans le cas où l'ouvrier fournit seulement son travail ou son industrie, si la chose vient à périr, l'ouvrier n'est tenu que de sa faute.

Art. 1799. Les maçons, charpentiers, serruriers, et autres ouvriers qui font directement des marchés à prix fait, sont astreints aux règles prescrites dans la présente section : ils sont en trepreneurs dans la partie qu'ils traitent. »

Ces divers articles nous montrent que la convention de fournir un certain travail met l'ouvrier dans la catégorie des entrepreneurs d'ouvrage, et non plus simplement dans celle des gens de travail, c'est-à-dire de ceux qui louent leur travail personnel, et sont régis par les articles 1780 et 1781 du code civil. (Sect. 4re du chap. III.)

292. Au point de vue que nous venons de signaler, il nous paraît qu'un terrassier, par exemple, qui se serait engagé à déblayer ou à remblayer tel ou tel terrain, moyennant un prix couvenu, serait un véritable entrepreneur. Ce qui nous paraît un des caractères certains de l'entreprise, c'est la faculté de gagner ou de perdre qui y est attachée, selon les circonstances qui peuvent se présenter. Or les terrassements constituent une entreprise essentiellement chanceuse de sa nature. Sans parler même du degré de force, d'adresse et d'énergie des ouvriers, les terrassements s'effectuent avec plus ou moins de facilité selon la nature du sol, les obstacles et les conditions climatériques qui se rencontrent. Toutes ces conditions auxquelles le travail des terrassements est nécessairement soumis en font une entreprise véritable pour celui qui s'en charge. Cela est vrai dans le cas où un prix global a été

convenu pour tel travail; et cela est vrai de même lorsqu'un prix a été convenu pour telle quantité de travail effectué, par exemple par mètre cube de terre enlevée.

293. Nous ne pouvons pas donc pas donner notre approbation à un jugement du tribunal de Verviers, qui déclare que la convention par laquelle un ouvrier briquetier s'engage à confectionner des briques pour le compte d'un tiers, moyennant un prix fixé à tant le mille, ne forme point le devis ou marché, mais bien le contrat de louage des gens de travail; et que, par suite, l'action en payement du salaire d'un tel ouvrier est de la compétence des juges de paix. Tribunal de Verviers, 16 mai 1855 (Cloes et Bonjean, t. 4, p. 363).

L'engagement par lequel un briquetier s'oblige à fournir un certain nombre de briques pour un prix convenu est une véritable entreprise. Cela est si vrai que, dans le plus grand nombre des cas, le briquetier a sous ses ordres d'autres ouvriers chargés chacun d'une partie de la fabrication des briques, et qui sont payés par campagne, à moins qu'ils ne partagent, à la fin de la campagne, les bénéfices de l'entreprise.

Le tribunal de Charleroi, admettant l'opinion que nous venons d'émettre, a décidé que le maitre briquetier ne doit pas être compris sous la dénomination de gens de travail, dont se sert l'art. 7, n° 4, de la loi du 25 mars 1841. bunal de Charleroi, 7 avril 1860 (Cloes et Bonjean, t. 9, p. 845).

Paris,

1838, mais comme un entrepreneur.
mars 1843 (Pas., 1843, 2, p. 332).
La cour de cassation de France confirme cette
doctrine par deux arrêts. Les contestations, dit-
elle, relatives à l'exécution d'un marché à forfait
conclu pour la confection d'un ouvrage, ne sont
pas, comme les demandes en payement d'un
salaire de gens de travail, de la compétence du
juge de paix.- Cour de cass., 28 novembre 1821
(Pas., à sa date).

Un second arrêt (de rejet) du 12 mars 1834 est rendu par la cour de cassation à l'occasion de l'applicabilité de l'art. 1781 du code civil.

Un ouvrier salarié à la pièce, dit la cour, peut, selon les circonstances, être considéré comme un entrepreneur d'ouvrage à forfait, et non comme un domestique ou ouvrier proprement dit, à l'égard duquel le maître est cru sur son affirmation, quant à la quotité et au payement des gages. (Jurisp., 1835, p. 63.)

La cour de Douai, par son arrêt du 3 avril 1841, se range à l'opinion de la cour suprême. Il s'agissait d'un ouvrier qui avait entrepris la confection d'un travail mécanique considérable moyennant un prix déterminé d'avance. (Dalloz, Rép., vo Acte de commerce, n° 162.)

Enfin la cour d'Orléans a décidé, le 25 février 1845, que l'engagement d'un marchand vis-à-vis d'un ouvrier, de faire faire par celui-ci une cerTri-taine espèce de travaux nécessaires à un commerce (des garnitures de sabots) et de prendre sans limite tout ce qu'il ferait en plus, ne constitue pas un engagement entre maître et ouvrier, mais un engagement entre commerçants. (Dalloz, Rec. pér., 1845, 2, 30.)

294. La cour de Liége applique le même principe. On ne peut, d'après elle, considérer comme simple journalier devant être rangé au nombre des gens de travail, le menuisier ayant d'autres ouvriers sous ses ordres. Par suite, ce n'est pas au juge de paix, mais au tribunal civil qu'appartient la counaissance d'une demande | relative à un compte présenté par ce menuisier.-Liége, 11 mai 1836 (Pas., 1836, 2, p. 104). La jurisprudence française n'a pas varié sur cette question.

La cour de Bordeaux décide que l'ouvrier qui travaille, non à la journée, mais au prix fait, moyennant un prix convenu pour chaque ouvrage, ne doit pas être considéré comme un homme de travail dans le sens de l'art. 10, § 5, tit. III, de la loi des 16-24 août 1790.-En conséquence, l'action en payement des salaires à lui dus, si la somme à laquelle ils s'élèvent excède 100 fr., doit être portée devant le tribunal civil et non devant le juge de paix. - Bordeaux, 24 novembre 1829 (Jurisp. du x1x° siècle, 1830, p. 101).

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295. Nous croyons devoir donner la même approbation à un autre arrêt d'Orléans du 14 mai 1844. La cour déclare que l'ouvrier, travaillant d'ordinaire à la tâche, qui sous-entreprend des portions de travaux, n'est pas compris sous l'expression d'ouvrier, dans le sens de l'art. 5 de la loi du 25 mai 1838, alors même que son salaire est fixé à tant par jour. Dès lors, les contestations relatives au payement de ce qui lui est dû pour prix de son travail ne sont pas de la compétence du juge de paix, mais de celle du tribunal de commerce. - Orléans, 14 mai 1844. (Dalloz, Rec. pér., 1845, 2, 30 et la note.)

Il est à remarquer que, devant la cour d'Orléans, il ne s'agissait aucunement d'un simple ouvrier, mais bien d'un véritable sous-entrepreneur travaillant avec chevaux et voitures, pour le compte de l'entrepreneur de la construction d'un chemin de fer. Dans ces conditions le salaire, même fixé par jour, laissait La cour de Paris, elle aussi, déclare que l'ou-subsister le fait de la sous-entreprise. Nous vrier à la tâche (tâcheron), spécialement l'ouvrier ballier qui s'engage dans un atelier pour toute la durée d'une campagne, et dont le salaire est proportionnel à la quantité de marchandise qu'il fabrique lui-même ou qu'il fait fabriquer par d'autres ouvriers à sa solde, ne doit pas être considéré comme un simple ouvrier dans le sens de l'art. 5 de la loi du 25 mai

n'avons pas besoin d'ajouter que s'il s'était agi d'un ouvrier travaillant seul et payé par jour, il n'y aurait pas eu de motif de l'exclure de la catégorie des gens de travail. (Supra, no 286.) Cela serait vrai, alors même que l'ouvrier aurait contracté l'engagement de terminer le travail.

296. Quelques doutes se sont élevés sur une question analogue. Les juges de paix sont-ils

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