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et nous ne reviendrons pas sur ce point. Augier | nage n'a donc pas pour but l'obtention d'une (Le juge de paix, t. 11, p. 275, n° 9) et Millet parcelle de terrain déterminée. Voilà ce qui la (Bornage, p. 181) sc refusent de même à admettre rend essentiellement différente de l'action en une distinction qui ne repose en définitive sur revendication. Il peut arriver, il est vrai, rien. qu'une réclamation de terrain vienne se joindre à une demande en bornage, mais ce n'est pas là l'objet nécessaire de l'action.

Le règlement de limites n'appartiendra d'ailleurs au juge de paix que quand aucune parcelle de terre ne sera formellement contestée par l'une ou l'autre des parties. Tel est le sens de l'art. 9.

Mais d'autres auteurs se renferment dans les véritables termes de la question, en s'attachant | à soutenir que dans une action en bornage la propriété est contestée du moment que les parties ne sont pas d'accord sur la place que doivent occuper les bornes. Tel est l'avis de Bélime. N'est-ce pas, dit le savant professeur de la faculté de Dijon, une question de propriété qui s'élève, lorsque les deux propriétaires disputent sur la place des bornes que l'un veut placer ici et l'autre là? Tout l'espace intermédiaire n'est-il pas litigieux? Chaque partie ne le revendiquet-elle pas?» D'après le même auteur, le but de la loi de 1838, en attribuant au juge de paix la décision des actions en bornage, aurait été tout simplement de vaincre la résistance passive des habitants des campagnes à consentir au place-être placées. C'est pour ce cas que l'intervention ment de bornes alors même qu'il n'y a aucun désaccord entre eux sur l'endroit où elles doivent être plantées. (Bélime, Actions possessoires, n° 214.)

(

Foucher adopte la même opinion (Commentaire sur la loi de 1858, art. 6, no 279). S'en rap. portant à la distinction entre le bornage et la délimitation (supra, no 442), il déclare que l'action en délimitation porte sur la propriété ellemême. Elle n'a lieu, dit-il, que pour faire cesser les contestations sur les véritables limites. Son résultat est donc d'attribuer la propriété des parties contestées d'héritages à l'une ou à l'autre partie; or, ce sont là des questions que la loi n'a jamais voulu soumettre à la juridiction des juges de paix qui, en cas de bornage, n'ont principe d'action qu'autant que la propriété n'est pas contestée. »

Duranton (Cours de droit français, t 5, p. 225) se prononce dans le même sens. Dès que, dit-il, sur une action en bornage, les parties ne sont pas d'accord sur le lieu où les bornes doivent être plantées, parce que l'une prétend être propriétaire au delà du point jusqu'auquel l'autre prétend l'être, le juge de paix est incompé

tent. »

En exposant notre opinion sur la question, nous avons déjà réfuté d'avance ce que ces raisonnements semblent présenter de sérieux. Nous devons cependant ajouter quelques mots. Dire, avec Bélime, que la propriété est contestée dans une action en bornage par cela seul que les parties ne sont pas d'accord sur le lieu où les bornes doivent être placées, c'est confondre, nous paraît-il, la revendication avec le bornage. Cependant l'une action differe essentiellement de l'autre. Pour la réussite de la revendication, la propriété du terrain réclamé doit être établie dans le chef du demandeur. Pour le bornage, au contraire, le demandeur n'a à établir que l'absence de bornes et réclame la fixation des limites véritables de sa propriéte. L'action en bor

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Quant à la portée que Bélime attribue à la loi, c'est-à-dire la faculté de vaincre la résistance de propriétaires ruraux qui se refuseraient au bornage, uous pensons que tel est en effet le but de la loi; mais nous persistons à croire que ces résistances se produiront surtout quand la limite séparative des terres sera incertaine, et quand par conséquent les propriétaires ne seront pas d'accord sur la ligne où les bornes devraient

du juge de paix sera surtout utile. Lui enlever le pouvoir de décider en cette hypothèse, c'est ôter, quoi qu'en dise Bélime, toute portée sérieuse à la loi française de 1838 et à la loi belge de 1841.

Nous avons prouvé d'ailleurs par les discussions de ces lois que l'intention de leurs auteurs était de diminuer les frais pour des contestations de minime importance. L'action en bornage acquiert-elle une valeur plus grande parce qu'on discute sur l'endroit précis où les bornes doivent être posées, parce qu'on recherche la véritable limite des héritages, alors que de part et d'autre on est d'accord pour reconnaître qu'on n'a pas droit à un surcroît de propriété? Certes non. Pourquoi dès lors refuser compétence au juge de paix dans ce cas?

Cette opinion est défendue, par plusieurs auteurs. Ainsi Cloes (Compétence, no 145); Millet (Bornage, p. 430); Carou (Compétence, no 500); Curasson (no 8 à 13, t. 2, p. 350 et s.); Benech (Compétence des juges de paix, p. 274); Demolombe (Code civil, art. 646); Jay (Traité du bornage, n 25 et s.) et une dissertation de Martou (Belg. jud., t. 19, p. 1185.

Curasson (t. 2, p. 550 et s.) remarque avec beaucoup de raison que le consentement au bornage est loin de terminer tout débat entre les parties, et que l'intervention d'un juge de paix est fort nécessaire, même en dehors de toute contestation sur la propriété.

« Les titres qu'il s'agit d'appliquer, dit cet auteur, seront anciens et souvent obscurs, soit pour les contenances, soit pour les limites. Ces titres peuvent être nombreux, il s'agira d'en faire le choix; une partie soutiendra que c'est à l'un plutôt qu'à l'autre qu'il faut s'attacher; l'adversaire élèvera, sur ce point, des prétentions absolument opposées: mais ce ne sont là que des difficultés inhérentes à l'action en bornage, et qui ne peuvent entraver la compétence du juge investi de la connaissance de ces actions.

voisins sur les limites de leurs héritages contigus. Ce jugement n'est pas motivé en droit. (Recueil de Cloes et Bonjean, t. 6, p. 945.)

Comme le disait M. Barthe, ces discussions ne se jugent bien que par la vue des lieux; c'est en leur présence que le titres s'interprètent sans équivoque, que les subterfuges La cour de cassation de Belgique, par un échappent à la mauvaise foi, que les doutes arrêt récent, confirmant un jugement du tris'éclaircissent. » Tel est le motif qui a déter-bunal d'Ypres, donne raison à l'opinion conminé le législateur à confier la décision de ces sortes d'affaires à un juge plus à portée des lieux contentieux et pouvant, dans tous les cas, mieux s'y transporter qu'un tribunal plus nombreux. »

La jurisprudence a varié sur la question des pouvoirs qui appartiennent au juge de paix.

Un arrêt de Gand du 14 janvier 1850 (Pas., 50, 2, 57) déclare que l'action en délimitation est dévolue à la juridiction des tribunaux civils, et que ceux-ci ont seuls le droit de connaitre de toutes les contestations de propriété y relatives et des conséquences qui forment le but de l'action. Ce n'est que l'action en bornage proprement dite qui est déférée à la connaissance des juges de paix. Attendu, dit la cour, que l'article 646, code civil, renferme le principe de deux actions bien distinctes, à savoir l'action eu bornage proprement dite, qui a pour but de constater matériellement les confins de deux propriétés dont les limites ne sont pas contestées, et l'action en bornage ou plutôt en délimitation, qui n'est autre que l'action finium regundorum du droit romain, et qui a pour but la constatation matérielle des confins entre deux propriétés dont les limites sont contestées;

Attendu qu'avant la promulgation de la loi du 25 mars 1841 ces actions étaient indistinctement de la compétence des tribunaux ordinaires, et qu'il n'a été dérogé à la juridiction plénière de ces tribunaux que par la disposition du § 2 de l'art. 9 de cette loi;

Attendu que cette disposition n'attribue à la juridiction exceptionnelle du juge de paix l'action en bornage que lorsque la propriété n'est pas contestée; qu'il s'ensuit que, cette exception ne pouvant recevoir aucune interprétation extensive, l'action en bornage ou limitation est dans tous les cas dévolue à la juridiction du tribunal civil, qui a seul droit de connaître de toutes les contestations de propriété y relatives et des conséquences qui forment le but de l'action;

Attendu que les termes clairs et précis de cette disposition, et l'esprit dans lequel elle a été conçue, ne laissent aucun doute à cet égard; que cette intention du législateur résulte évi demment du rapport fait à la chambre des représentants par le député Liedts dans la séance du 23 janvier 1839...

a

traire. La cour décide que, dans une action en bornage, le juge de paix est compétent pour assigner à chacun des deux propriétaires voisins, conformément à un acte de partage antérieur, la part qui lui revient. Il peut, sans empiéter sur le pétitoire, ordonner un arpentage en vue de vérifier la contenance totale du fond à aborner et de déterminer la ligne séparative : il n'est pas tenu de s'arrêter devant l'allégation vague et sans preuve que le bornage porterait atteinte aux droits de propriété invoqués par l'un des prétendants. 10 mai 1861. (Pas., 1861, 1, 416)

La cour décide donc que la contestation de la propriété n'existe pas par cela seul que le défendeur invoque cette contestation. De plus, elle apprécie en ces termes l'étendue de la compétence du juge de paix en matière de bornage :

Attendu que le défendeur Grégoire Pascal et les deux frères Goddyn sont propriétaires pro diviso d'une ancienne pâture sise à Boesinghe, en vertu d'un acte de partage avenu en 1803 entre leurs auteurs respectifs;

Attendu que cette pâture a été successivement occupée par l'auteur des demandeurs et par l'un de ces derniers, par suite d'un bail consenti pour sa portion par Grégoire Pascal; et que ce dernier, à l'expiration dudit bail, a demandé qu'il fût procédé au bornage des deux parties de la pâture, et au rétablissement des limites fixées par l'acte de partage prérappelé;

Attendu que, dans l'absence de tous vestiges de la délimitation opérée par l'acte de partage de 1803, autres que la contenance assignée par cet acte aux deux parties de la pâture, le juge n'avait d'autre moyen pour reconnaître la possession respective des parties et pour parvenir au bornage que d'ordonner, ainsi qu'il l'a fait par le jugement du 2 décembre 1859, l'arpentage général de la pâture.» (Pas., 1861, 1, p. 425; Belg. jud., t. 19, p. 419 et 1217.)

Cet arret a été rendu sur les conclusions conformes de M. le premier avocat général Faider. Celui-ci déclare, comme la cour, que le droit d'ordonner l'arpentage des propriétés afin de déterminer leur limite séparative appartenait aux juges de paix. A toute évidence, dit le savant magistrat, suivant le contrat Cet arrêt distingue entre le bornage et la dé-judiciaire tel que le définit et l'explique le juge limitation. Il en résulte que du moment où la du fond, le caractère de l'action, la reconnaislimite de séparation entre deux propriétés n'est sance des titres, l'absence de contestation sur pas connué par les parties, le juge de paix est les bases mêmes du partage, tout donnait au radicalement incompétent. procès la nature d'un simple bornage; il ne resUn jugement du tribunal d'Arlon du 16 juil-tait au juge que la nécessité de déterminer les let 1857 se prononce dans le même sens, et décide qu'il y a contestation sur la propriété quand il y a dissentiment entre propriétaires

parts de chacun, afin de fixer le point de séparation de ces parts; en l'absence d'anciens indices suffisants, l'arpentage était un moyen pra

tique qui n'impliquait rien autre chose que | sité à la censure de la cour, et cette contestation l'application motivée de l'acte de partage au ter- enlevait compétence au juge de paix. (Pas., 42, rain objet du débat. » 1, 99; et Dalloz, Répert., vo Compétence civile des La cour de cassation décide donc d'une ma-tribunaux de paix, no 266). nière certaine que le juge de paix peut déterminer la limite séparative de deux héritages. Son pouvoir ne s'arrête donc pas à planter des bornes sur la limite existante et reconnue par les parties.

La jurisprudence française s'est prononcée à plusieurs reprises dans le même sens.

Ainsi la cour de Besançon a décidé que quand les limites sont établies par les titres des parties, la délimitation appartient au juge de paix. 31 août 1844 (J. du Palais, 45, 2, 319 )

De même encore, quand il y a eu anciennement bornage à l'amiable, le juge de paix doit, sur l'action en bornage intentée par un des propriétaires voisins, procéder à la recherche des bornes anciennes, sans avoir égard à la demande en arpentage qui tendrait à la revendication d'une parcelle de terrain. Cette dernière question n'est pas préjudicielle. Cass. de France 11 août 1851 (S. -V., 52, 1, 645).

La compétence du juge de paix pour déterminer la limite séparative de deux propriétés Dous paraît incontestable sous l'empire de la loi de 1841 comme sous celui de la loi de 1838.

446. Examinons maintenant diverses hypothèses où, en matière de bornage, il y a véritablement contestation sur la propriété.

La contestation qui surgit entre deux voisins quant à la contenance qui doit être attribuée aux terrains à délimiter, est-elle une contestation sur la propriété?`

Les auteurs ne sont pas d'accord sur ce point.

Curasson (t. 2, p. 350 et s.) soutient que la question de savoir quelle contenance appartient à un terrain n'est pas autre chose qu'un accessoire du bornage. S'il en était autrement, dit cet auteur, à quoi aboutirait cette action, dans laquelle, comme on l'a vu, chacun des colitigants est demandeur relativement à la conteLa cour de cassation de France a aussi décidé nance qu'il prétend avoir, et défendeur quant à que le juge de paix est compétent pour statuer celle que, de son côté, le voisin croit devoir lui sur une action en complainte transformée en ac-être attribuée? Débattre sur le plus ou le moins tion en bornage, alors même que les parties ne sont pas d'accord sur les limites de leurs propriétés contiguës. Ce n'est pas là une contestation sur la propriété ou sur les titres qui l'établissent, cass. 19 juillet 1852 (S.-V., 52, 1, 641).

Le principe a été établi par la même cour dans un cas où le juge de paix chargé du bornage avait réparti entre les propriétés contigues un déficit constaté dans la contenance des propriétés. Il est à remarquer, et ceci est essentiel, que ni l'une ni l'autre des parties ne prétendait que le déficit devait porter sur une propriété plutôt que sur l'autre. Cass., 6 août 1860 (S.-V., 60, 1, 954).

Ce principe est nécessairement applicable an cas où, au lieu de déficit dans la contenance, il y a un excédant de terrain à partager. Du moment que les parties se bornent à réclamer la fixation de la limite séparative de leurs terrains contigus, le juge de paix ne cesse pas d'être compétent. C'est ce que décide un arrêt de la cour de cassation de France du 27 février 1860 (S.-V., 60, 1, 561).

Il ne faut pas considérer comme consacrant un principe contraire, un arrêt de la cour de cassation de France du 1er février 1842. Cet arrêt ne décide pas que le juge de paix est incompétent quand il y a contestation sur la ligne divisoire des héritages. L'arrêt déclare, ce qui est incontestable d'ailleurs, que dans le cas d'absence de titres, et quand les parties contestent sur l'étendue de leurs propriétés, il y a lieu d'admettre l'incompétence du juge de paix. Le jugement du tribunal de Grasse, soumis à la censure de la cour, ayant admis qu'il y avait contestation sur l'étendue de la propriété, c'était là un point de fait qui échappait de toute néces

de contenance, ce n'est donc point contester la propriété du fonds ni les titres qui l'établissent, c'est seulement fournir des moyens pour éclairer les experts et les juges chargés de déterminer la ligne de séparation où doivent être placées les bornes. Millet (1. 2, n° 12, p. 339) adopte cette opinion.

Benech (p. 274), au contraire, conseille aux juges de paix de renvoyer, dans ce cas, devant le tribunal d'arrondissement; il formule ainsi la difficulté:

J'ai reconnu votre qualité de propriétaire; le juge de paix a ordonné son transport sur les lieux pour faire procéder à l'arpentage et présider à la plantation des bornes; là je soutiens que votre titre ne vous donne droit qu'à une contenance de cinq arpents, tandis que vous prétendez à une contenance de dix; le juge de paix pourra-t-il statuer sur cet incident? Est-ce là, de ma part, contester votre propriété ou pourrait peut-être décider que le juge de paix a votre titre? Dans la rigueur des termes, on le droit de prononcer. Cependant il nous parait qu'il se conformera mieux à l'esprit de la loi nouvelle, en renvoyant les parties à se pourvoir à ce sujet. Il ne pourrait lui-même vider le différend qu'en se livrant à l'interprétation des clauses des actes; cette interprétation peut présenter des difficultés sérieuses et le législateur n'a pas entendu lui soumettre des questions de tains cas, offrir la plus haute importance par la ce genre, qui pourraient d'ailleurs, dans cerquotité de contenance contestée. »

tion nous paraît nécessaire.
Entre ces opinions divergentes une distinc-

où une certaine contenance est réclamée for-
Nous pensons, avec Benech, que dans le cas

comme juge d'appel de justice de paix, doit se déclarer incompétent, si les titres sur lesquels la | demande en bornage est foudée viennent à être contestés devant lui. Cass. 24 juillet 1860 (S.-V., 60, 1, 897).

Remarquons que pour écarter la compétence du juge de paix, cette contestation du titre doit renfermer une véritable contestation sur la pro

Ce point nous paraît certain en France, comme en Belgique (supra, no 443).

mellement par l'un des voisins dont le terrain
doit être borné, et que cette contenance est dé-
niée par l'autre voisin, il y a véritablement débat
sur la propriété. Dans cette hypothèse il ne
s'agit pas seulement, quoi qu'en dise Curasson,
de fournir aux experts et aux juges des moyens
de déterminer la ligne de séparation où les
bornes doivent être placées. Le but de la de-
mande est d'obtenir non pas seulement le bor-priété.
nage, mais la propriété exclusive d'une con-
tenance déterminée de terrain. Quand cette
prétention n'est pas admise par la partie ad-
verse, le débat sur la propriété vient à naître et
porte sur la différence entre la contenance ré-
clamée par l'une des parties et celle que lui
reconnaît l'autre partie. Il faut noter toutefois
que la contestation sur la propriété n'existera que
si le débat sur la contenance du terrain est sé-
rieux. Une simple dénégation de cette conte-
nance ne suffirait pas pour faire naître la con-
testation sur la propriété. C'est ce que nous
établirons plus loin.

Mais quand, au contraire, aucune des deux parties ne conclut formellement à ce qu'une contenance fixe lui soit attribuée, quand elles se bornent toutes deux à expliquer aux experts et au juge de paix le sens qu'elles prétendent attacher à leurs titres, il n'y a pas lieu d'enlever compétence au magistrat chargé par la loi de vider les contestations sur le bornage. Il s'agit alors tout simplement de fixer la ligue de séparation des héritages, opération pour laquelle le juge de paix est compétent (supra, no 444 et 445).

La jurisprudence nous paraît avoir consacré la distinction que nous venons d'établir.

La cour de cassation belge a décidé qu'il y avait débat sur la propriété quand les parties n'étaient | pas d'accord sur les titres qui devaient servir de base à la délimitation des terrains. Dans l'espèce, il s'agissait de savoir quelle était la portée du titre par lequel la ville de Gand se prétendait propriétaire d'un terrain exproprié par elle. Attendu, dit la cour, que dans l'espèce, il y avait contestation sur la propriété puisque le litige roulait sur la portée du titre de propriété de la ville défenderesse; que le demandeur soutenait que le terrain vendu devait être déterminé par un plan et par des arrêtés, tandis que, suivant la défenderesse, ce terrain était déterminé par la convention des parties et par l'alignement établi par la construction matérielle de la rue; d'où il suit que ce n'était pas le juge de paix, mais le tribunal de première instance, qui était compétent pour connaître de l'action en délimitation dont s'agit. Cass. 19 février 1846 (Pas., 47, 1, 172). Les parties n'étant pas d'accord sur les titres qui devaient servir au bornage, et ces titres indiquant des contenances différentes, une partie de terrain était à la fois réclamée par les deux parties. La propriété était donc nécessairement contestée.

La cour de cassation de France a décidé de même que le juge de première instance, saisi

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Conformément aux arrêts que nous venons de citer, le juge de paix de Moll a décidé que si les parties ne sont pas d'accord sur les titres qui doivent servir de base au bornage, la propriété est censée contestée. 2 mars 1852 (Recueil de Cloes et Bonjean, t. 3, p. 931 et la note).

Le tribunal de Liége a adopté le même principe par jugement du 9 juillet 1860. Il déclare qu'il y a contestation sur la propriété, dans une action en bornage à faire d'après les titres respectifs des parties, lorsque l'une des parties prétend qu'un chemin limitant la propriété de l'autre doit être compris dans l'arpentage, tandis que la seconde des parties soutient que, d'après son titre, ce chemin, limite de sa propriété, ne doit pas y être compris.

Comme la solution à donner à la question dans cette hypotèse peut paraître assez délicate, nous rapporterons les circonstances où le débat se présentait. Joly avait fait assigner Libotte en bornage de leurs propriétés respectives, devant le juge de paix du canton de Fexhe-Slins. Les parties étaient convenues que le bornage se ferait d'après leurs titres respectifs. Aujour fixé pour le mesurage et l'abornement, Joly prétendit que la moitié d'un chemin bornant la propriété de Libotte à l'est devait être comprise dans l'arpentage. Libotte, au contraire, soutint que, d'après son titre, ce chemin était désigné comme limite de sa propriété et ne pouvait en aucun cas être compris dans l'arpentage. Malgré une exception d'incompétence soulevée par Libotte, le juge de paix ordonna que la moitié du chemin ne serait pas comprise dans le mesurage et que la partie de terrain vendue à Libotte lui serait attribuée en entier.

Sur appel, le tribunal de Liége déclare le juge de paix incompétent pour statuer sur la difficulté soulevée. « Considérant, dit le tribunal, que la prétention formée par l'intimé Libotte d'obtenir en toute hypothèse une contenance de 32 ares 876 milliares indépendante de la moitié du chemin dit du Bois, n'est point entre parties une simple difficulté sur la ligne divisoire de leurs héritages, à régler d'après la comparaison et l'examen de leurs titres respectifs; qu'elle consiste, au contraire, dans une véritable question de propriété, dans une interprétation à faire d'abord du titre d'acquisition du sieur Libotte, à l'effet d'en déterminer l'étendue et la portée, etc...» (Recueil de Cloes et Bonjean, t. 10, p. 394, et les observations jointes ce juge ment.)

Dans l'hypothèse qui se présentait devant le tribunal de Liége, il y avait en effet une véritable contestation sur la portée du titre invoqué par l'une des parties. D'après ce titre, Libotte réclamait une contenance déterminée, qui était refusée par Joly. Il y avait donc en réalité débat sur l'étendue de la propriété. Bien que les parties fussent convenues d'abord de déterminer la limite de leurs propriétés par leurs titres respectifs, cette convention avait été rompue postérieurement par la contestation de propriété soulevée par l'une d'elles, et le juge de paix devait dès lors se déclarer incompétent.

Donner au juge de paix le pouvoir de déterminer le sens d'un titre du moment que l'une des parties veut s'en prévaloir pour obtenir une contenance fixe, c'est permettre à ce magistrat de trancher une question qui n'a rien de commun avec le bornage, c'est lui donner compétence pour attribuer à l'une des parties une portion de terrain que l'autre partie lui dénie. Le juge de paix nous parait en ce cas se prononcer sur une véritable question de propriété, et sortir ainsi des attributions que la loi de 1841 lui a confiées dans son art. 9.

Remarquons que le tribunal de Liége. tout en refusant à bon droit compétence au juge de paix dans l'hypothèse qui lui était soumise, prend soin cependant de reconnaître cette compétence pour déterminer la ligne divisoire des héritages d'après la comparaison et l'examen des titres respectifs des parties. C'est une application des principes que nous avons exposés aux no 444 et 445.

Quant à la revendication par un tiers d'une portion de l'un des terrains à borner, et quant à l'allégation par l'une des parties qu'une portion de l'un des héritages appartient à un tiers, nous indiquerons plus loin la valeur qu'elles peuvent avoir au point de vue de la compétence (infra, no 449 et 450).

447. Continuous l'examen des hypothèses où la propriété est contestée.

Il nous paraît certain que si, à une demande en bornage fondée sur les titres actuels, le défendeur répond en prétendant avoir prescrit au delà de ces titres, la propriété doit être considérée comme contestée. Il en est de même si c'est le demandeur qui prétend avoir modifié par prescription la propriété et par suite la ligne de séparation des héritages. L'invocation de la prescription par l'une des parties n'est pas autre chose qu'un moyen pour faire reconnaître dans son chef la propriété d'une parcelle de terrain qui, d'après les titres, devrait au contraire être attribuée à son voisin. Le juge de paix ne pourrait donc être compétent dans cette hypothèse Telle est l'opinion de Demolombe (Cours de droit civil, art. 646); celle de Galisset dans une dissertation insérée au Journal des justices de paix (1846, p. 289) et celle de Millet (Bornage, p. 420).

Le cour de cassation de France a décidé dans le même sens que le juge de paix est incompé

tent en matière de bornage quand le défendeur soutient avoir acquis par prescription le terrain formé par les bornes qui séparent actuellement sa propriété de celle du demandeur. Cass., 18 mai 1859 (S.-V., 60, 1, 49). La même incapacité existe pour le juge de paix quand le défendeur prétend avoir prescrit une partie déterminée d'un des terrains faisant l'objet de l'action en bornage. Cass. 8 août 1859 (S.-V., 60, 1, 49).

Cette jurisprudence nous paraît parfaitement justifiée.

448. Une question plus douteuse est celle de savoir s'il y a contestation sur la propriété et par suite incompétence du juge de paix quand l'une des parties prétend posséder au delà de son titre, et ne consent au bornage que dans les limites de cette possession.

Au premier abord, il semble que la prétention produite par l'une des parties de faire déterminer la ligne séparative entre les propriétés d'après sa possession actuelle implique la réclamation d'une étendue de terrain déterminée. On pourrait dire alors que les parties n'étant pas d'accord quant à l'étendue de terrain qui doit être attribuée à chacune d'elles, et étant de même en désaccord sur la base d'après laquelle le bornage doit s'opérer, il existe une contestation que le juge de paix ne peut être appelé à vider.

C'est en ce sens qu'il a été décidé par le tribunal de Tournai que la prétention du défendeur de faire respecter dans le bornage les bornes dont il prétend jouir depuis trois ans implique une question de propriété, et rend le juge de paix incompétent. Tribunal de Tournai, 3 juillet 1848 (Belg. jud., t. 6, p. 1344). C'est encore en ce sens que le juge de paix de Perwez a décidé que si, dans une action en bornage, le défendeur conteste les limites de la propriété du demandeur et l'étendue de sa possession, même annale, cette contestation rend le juge de paix incompétent. Justice de paix de Perwez, 12 avril 1860 (Recueil de Cloes et Bonjeau, t. 10, p. 55; Praticien belge, 1862, p. 334).

Curasson adopte la même opinion, et la justifie en ces termes : « Quand l'une des parties demande le bornage à vue de titre ou en vertu de la prescription de trente ans, et que l'autre, au contraire, ne veut délimiter que d'après la possession actuelle, le juge de paix sera-t-il compétent? Pour l'affirmative, on pourrait dire que le débat, en ce cas, ne porte que sur la délimitation, et non point sur la propriété de l'immeuble. Cependant la question ne peut être de la compétence du juge de paix, à ce qu'il nous semble; car il ne s'agit pas de déterminer la ligne délimitative, suivant le mode convenu entre les parties; ce mode est le véritable objet du litige, le fond du droit est en question; il faut juger s'il doit être réglé par les titres, ou la possession de trente ans, ou la jouissance actuelle. Le débat porte donc bien

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