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céder la place à des raisons d'un ordre plus élevé tirées principalement du caractère presque paternel dont la loi de l'Assemblée constituante a revêtu la magistrature inférieure.

s'exprimait M. Leclercq, ministre de la justice, à propos des juges de paix :

« Aujourd'hui ces juges ne sont pas oisifs, et si vous adoptiez la proposition d'élever de 50 et de 100 francs le chiffre des affaires sur lesquelles ils peuvent prononcer, vous iriez jusqu'à tripler le nombre de ces affaires, et ils ne pourraient plus y suffire. D'un autre côté, vous réduiriez tellement le nombre des affaires soumises aux tribunaux de première instance, que, dans certaines localités, ces tribunaux chômeraient à peu près (3).

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Investir tout d'un coup les juges de paix d'un pouvoir triple de celui qu'ils avaient possédé jusque-là, c'était se lancer dans une expérience qui pouvait ne pas être sans danger. « Voulez vous, disait M. Metz, laisser au juge de paix l'influence salutaire que suppose son institution, ne le faites pas trop juger; conciliateur, toujours; juge, rarement. Aujourd'hui il y a rapport entre le but de son institution et l'ac- A l'amendement de M. de Garcia, on pouvait tion qui lui est donnée dans l'administration de enfin opposer avec raison la crainte de voir rela justice; je crains de rompre cet équilibre. En naître autour des juridictions inférieures, une confiant à sa décision des intérêts plus graves, race d'agents d'affaires et d'avocats ignorants, plus variés, vous livrez le juge à l'animosité et race fomentant les procès, vivant de misérables à l'animadversion d'un plus grand nombre de chicanes, et qui sous l'ancien régime était deveparties succombantes; vous l'exposez au soup-nue une véritable lepre pour nos campagnes (4). çon d'imbécillité, de partialité; car chacun se donne raison, et veut souvent d'autant plus le croire et le dire, qu'il a moins raison en effet.

La confiance dont le public entoure le juge de paix ne se meut que dans une sphère peu étendue, en rapport avec les connaissances qu'il doit avoir, avec l'impartialité qu'on lui suppose, avec le peu d'importance des affaires qu'il juge seul. Agrandissez le cercle, et la confiance disparaît en grande partie; les connaissances ne sulliront plus, l'impartialité ne résistera pas à de plus grands intérêts, on sentira qu'il y a danger à juger seul: ôtez la confiance, et il n'est plus de juge de paix (1). » En admettant même que les titulaires des justices de paix eussent pu inspirer assez de confiance au législateur de 1841 pour qu'il lui fût permis d'étendre au triple leur droit de juger, n'aurait-il pas été imprudent de remettre un tel pouvoir entre les mains de suppléants, lesquels dans les campagues sont rarement capables de décider des contestations de quelque importance (2)?

Des raisons tirées du domaine des faits venaient d'ailleurs se joindre au grand intérêt social dont nous venons de parler. Voici comment

(1) Discours de M. Me1z. Séance du 5 mai (Loi sur la compétence, etc., p. 62 et 65) Voy. aussi le second discours de M. Metz dans la même séance (ibid., p. 71).

(2) Voy. le discours de M. Liedts, ministre de l'intérieur (Loi sur la compétence, etc., p. 68). Voy. aussi le rapport de M. de Haussy, au nom de la commission du Senat. Séance du 12 décembre 1841 (ibid., p. 140).

(3) Discours de M. Leclercq. Séance du 5 mai (Loi sur la compétence, etc., p. 66).

(4) Voy. le discours de M. Leclercq. Séance du 5 mai Loi sur la compétence, etc., p. 66); rapport de M. de Haussy au sénat (ibid., p. 140).

(5) Loi sur la compétence, etc, p. 60 et 72.

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Un motif qui, à coup sûr, ne resta pas sans influence sur le rejet de l'amendement présenté par M. de Garcia à la séance du 5 mai 1841 (5), fut la double opinion de la cour de cassation et de la législature française. La cour de cassation s'était prononcée à l'unanimité contre toute extension de compétence au delà du double (6). La loi française du 25 mai 1838 s'était rangée à la même opinion, malgré la proposition contraire qui lui avait été soumise par le gouvernement en 1855 (7).

Ne perdons pas de vue, d'ailleurs, que si en général le personnel des justices de paix s'est considérablement amélioré depuis un demisiècle, la loi de 1790 accordait par contre aux justiciables une garantie qu'ils ont perdue depuis; nous voulons parler de la présence de deux assesseurs jugeant conjointement avec le magistrat (8).

Privé de ce concours, le juge de paix demeure trop vivement exposé à l'erreur ou à la passion dont l'homme isolé devient si facilement la proie, pour qu'il soit prudent de lui abandonner des décisions dont peut dépendre une fraction assez importante de la fortune des citoyens (9).

qu'à 150 francs, et à charge d'appel jusqu'à 300 francs, a été défendue par le projet primitif de la loi dû à M. Ernst (Loi sur la compétence, etc., pag. 13 et suiv.), par MM. de Garcia, Raikem et Vandenbossche aux séances de la chambre des représentants des 4 et 5 mai 1841 (ibid., p. 54, 60, 63 et suiv., 71 et 72). Cette opinion n'a pas trouvé de défenseurs au sénat. La compétence fixée aux chiffres de 100 et de 200 francs a été appuyée à la chambre par MM. Leclercq, ministre de la justice (ibid., pag. 55, 60 et 65), Liedts, ministre de l'intérieur │(ibid., p. 67), Metz (ibid., p. 61 et 69). Au sénat, cette compétence a été défendue par le rapport de M. de Haussy (ibid., p. 157 et suiv.), par M. le ministre de la justice

(6) Discours de M. Lielts, ministre de l'intérieur (Loi ; (ibid, p. 179), MM. de Haussy (pag. 177) et le comte Visur la compétence, etc., p_68).

(7) Discours de M. Raikem (Loi sur la compétence, etc., p. 67).

L'extension de la compétence des juges de paix jus

lain XIII (pag. 187). Elle a été adoptée à la séance du 18 février 1841 (p. 188).

(8) Loi des 16-24 août 1790, art. 1 et 9.

(9) En 1848 un projet de loi élevant la compétence du

6. Le projet de loi présenté aux chambres belges, tout en modifiant les chiffres de la compétence, tant à l'égard des juges de paix qu'à celui des juges des tribunaux de première iustance,

juge de paix aux chiffres de 150 et de 300 fr., fut présenté à la chambre des représentants. Ce projet de loi modifiait en outre d'une manière radicale la compétence du juge de paix, en lui attribuant une juridiction commerciale. Bien qu'il n'ait pas été converti en loi, il conserve cependant une valeur doctrinale. Nous le transcrivons donc en entier, précédé de l'exposé des motifs.

Exposé des môtifs.

Les limites de la compétence des juges de paix en matière civile ont été étendues par la loi du 25 mars 1841. Cette loi, en portant le taux du dernier ressort à 100 fr. et celui du premier ressort à 200 fr., a produit les résultats les plus heureux, non-seulement en ce qu'elle a rapproché les justiciables de leur juge dans des contestations de minime importance, et qu'elle a rendu par suite dans ces affaires l'administration de la justice plus prompte et moins dispendieuse, mais encore en ce qu'elle a diminué le nombre des causes déférées aux tribunaux de première instance et réduit l'arriéré qui s'y était accumulé, sans toutefois surcharger les justices de paix. Ces résultats sont constatés par les documents statistiques qui ont été publiés par mon département.

L'expérience a donc prouvé que l'on peut, sans crainte, faire aujourd'hui un nouveau pas dans cette voie, et porter le taux du dernier ressort à 150 fr. et celui du premier ressort à 300 francs.

Les juges de paix suffiront facilement au léger surcroît de travail que la disposition nouvelle leur apportera, tandis que les tribunaux de première instance y trouveront un allégement notable.

laissait subsister le système de la loi de 1790 dans les principes qui jusque-là avaient régi le droit d'appel. D'après M. de Garcia, c'était là une anomalie qui devait disparaître de la législation. II

core d'étendre outre mesure les limites de la compétence des juges de paix. Cette appréhension s'est manifestée non-seulement pour ce qui concerne les attributions nouvelles projetées, consistant dans la connaissance des actions en matière de commerce, mais encore pour ce qui regarde le taux du premier et du dernier ressort. On a voulu procéder avec réserve et attendre les leçons de l'expérience. Aujourd'hui l'expérience est faite ; on a pu reconnaître les effets salutaires de la loi de 1841; on peut donc persévérer dans la voie qui est tracée, et, sans se borner à élever le chiffre du premier et du dernier ressort au taux déterminé par le projet nouveau, déférer aux juges de paix la connaissance des contestations en matière commerciale.

D'autres raisons étaient puisées dans le danger qu'il y aurait de laisser à un magistrat, statuant seul, le droit de prononcer des jugements emportant la contrainte par corps et dans les inconvénients qui résulteraient de ce que l'appel serait déféré, soit au tribunal civil, soit an tribunal de commerce. Le danger de la contrainte par corps cesse avec le projet de loi; le § 2 de l'art. 4 déclare que les jugements rendus par les juges de paix, en matière de commerce, n'emporteront pas la contrainte par corps.

Il est, en effet, désirable de voir disparaître ce moyen de coercition pour des affaires de minime importance, et de prévenir les frais qui en sont la suite et augmentent outre mesure la dette primitive.

Il a paru préférable de porter l'appel des jugements prononcés en matière de commerce, devant la juridiction consulaire que devant le tribunal civil, où les formes de procéder sont plus longues et plus dispendieuses.

Les dispositions sur l'appel des jugements rendus par les conseils de prud'hommes fournissent, sous ce rapport, un précédent qu'il est utile de suivre.

Les dispositions projetées s'harmonisent mieux, d'ailleurs, avec d'autres dispositions de nos lois civiles. Le taux du dernier ressort, tel qu'il est proposé, s'identifie avec celui jusqu'à concurrence duquel la preuve testimoniale est admise par le code civil, et le chiffre du premier ressort n'est autre que celui à raison duquel le juge de paix peut ordonner l'exécution provisoire de ses ju-rement transitoires puisées dans les art. 24 et 55 de la gements, sans caution et nonobstant appel, aux termes du code de procédure civile.

Indépendamment de ce qu'une diminution des frais résultera, pour les justiciables, de la mesure proposée, il ne sera plus nécessaire de pourvoir à l'augmentation du personnel, réclamée dans certains siéges; et, d'autre part, il pourra être procédé, comme la proposition en sera faite, à une diminution du personnel existant dans quelques autres siéges.

L'art. 1er du projet se borne à augmenter le chiffre du premier et du dernier ressort, déterminé par l'art. 4er de la loi du 25 mars 1841.

Les art. 2 et 3 élèvent ce chiffre dans toutes les matières dont la connaissance est déférée aux juges de paix par les dispositions suivantes de cette loi.

L'art. 4 introduit un principe nouveau. Il défère aux juges de paix la connaissance des actions en matière de commerce, dans les limites de l'art. fer,

L'adoption de cette mesure fut vivement réclamée lors de la discussion de la loi du 25 mars 1841, mais elle ne fut pas prononcée par diverses raisons. On a craint en

Tel est le but du § 3 de l'art. 4 du projet.
Les art. 5 et 6 ne contiennent que des dispositions pu-

loi du 25 mars 1841. Ils trouvent leur justification dans la nécessité de pourvoir à l'expédition des affaires qui seraient pendantes au moment de la publication de la loi projetée.

PROJET DE LOI.

Léopold, roi des Belges,

A tous présents et à venir, salut.

Sur la proposition de notre ministre de la justice,
Nous avons arrêté et arrêtons:

Notre ministre de la justice présentera aux chambres, en notre nom, le projet de loi dont la teneur suit :

ART. 1er. Les juges de paix connaissent de toutes actions purement personnelles ou mobilières, sans appel, jusqu'à la valeur de 150 francs, et, à charge d'appel, jusqu'à la valeur de 300 francs.

ART. 2. Ils connaissent, dans les mêmes limites, des demandes prévues dans les art. 2, 3, 4, 5 et 6 de la loi du 25 mars 1841 (Bulletin officiel, no 100).

ART. 3. Ils connaissent sans appel, jusqu'à la valeur de 450 francs, et à charge d'appel, à quelque valeur que la

s'en expliquait en ces termes:

Selon moi, pour harmoniser les principes, il faudrait, de deux choses l'une, ou bien que le juge de paix connût, en premier ressort, de toutes les actions personnelles et mobilières qui dépassent sa compétence en dernier ressort, et ce, jusqu'à concurrence des sommes à raison desquelles les tribunaux de première instance sont appelés à juger en dernier ressort. Ou bien il faudrait que, la loi n'attribuât aux juges de paix le droit de statuer, sur les actions dont il vient d'être parlé, que jusqu'à concurrence du dernier ressort, c'est-à-dire, jusqu'à concurrence de 100 francs ou de 150 francs.

Tout autre système est évidemment contraire à l'esprit général de nos lois et irrationnel :

Contraire à l'esprit et à l'harmonie de nos lois, en ce que, d'après ce qui se passe devant les tribunaux de première instance et les cours d'appel, il faudrait que toutes les affaires qui dépassent la juridiction du juge de paix, jugeant en dernier ressort, fussent soumises à deux degrés de juridiction;

«Irrationnel, en ce qu'il est singulier, pour ne pas dire absurde, qu'une action personnelle et mobilière qui n'aura pour objet qu'une valeur de 100 à 200 francs, ou de 150 à 300 francs, suivant que vous adopterez le projet de la commission ou du gouvernement, sera soumise à deux degrés de juridiction, tandis qu'une action de même nature qui aura pour objet des valeurs bien plus importantes, des valeurs de deux ou trois cents francs à deux ou trois mille francs, ne sera soumise qu'à un seul degré de juridiction (1).

D

Quoi qu'il en soit des avantages que pouvait

demande puisse monter, des actions prévues dans l'artiele 7 de la même loi.

ART. 4. Ils connaissent des affaires commerciales dans les limites fixées par l'art. 1er de la présente loi.

présenter une réorganisation complète des juridictions, il n'est pas douteux qu'en 1841, l'opinion ne réclamait pas de tels changements à la législation existante. Le but que l'on se proposait n'allait pas au delà de modifications de chiffres. M. de Garcia le sentait si bien luimême qu'il ne présenta aucun amendement comme suite à ses observations (2).

7. L'art. 1er de la loi porte: « Les juges de paix connaissent de toutes actions personnelles ou mobilières. Le mot actions n'a pas ici une signification différente du mot causes qui figurait dans l'art. 9 de la loi du 24 août 1790, et qui avait été conservé, tant dans le projet de loi de 1835, que dans le projet de la section centrale (3). » Si la loi de 1790 emploie le mot causes dans le sens d'actions, on en trouve la raison toute simple dans la qualité du rédacteur de la loi de la Constituante. Thouret avait été avocat au parlement de Rouen et comme tel, avait accordé la préférence au mot cause. La coutume de Normandie se sert en effet de ce mot comme synonyme d'action (4). Dans la loi belge, la substitution de la seconde expression à la première n'a donc d'autre importance que celle d'un changement de rédaction (5).

8. La loi des 16-24 août 1790, dans son art. 9, attribuait au juge de paix la connaissance de toutes les causes personnelles ET mobilières. Pour que le juge de paix fût compétent, fallait-il que l'action qui lui était soumise fût à la fois personnelle et mobilière, ou bien cette double condition n'était-elle pas nécessaire? La question pouvait paraître douteuse (6).

Pour éviter que le doute ne se reproduisît sous l'empire de la loi nouvelle, M. de Garcia présenta un amendement par lequel les mots : ac

Ce projet fut présenté à la chambre des représentants dans la séance du 2 décembre 1848. Il n'a été l'objet d'aucun rapport ni d'aucune discussion.

(1) Discours de M. de Garcia dans la discussion généLeurs jugements en cette matière n'emportent pas la rale de la loi. Séance du 4 mai 1840 (Loi sur la compécontrainte par corps.

L'appel qui n'est point recevable après le délai de quinzaine à partir de la signification, est porté devant le tribunal de commerce de l'arrondissement par un exploit portant citation à jour fixe et élection de domicile dans le lieu où siége le tribunal.

Dispositions transitoires.

ART. 5. Toutes les affaires, régulièrement introduites avant la mise en vigueur de la présente loi, seront continuées devant le juge qui en sera saisi.

Pourra néanmoins le demandeur renoncer à son action, et en intenter une nouvelle à charge de supporter les frais de renonciation.

ART. 6. Dans toutes les instances dans lesquelles il n'est intervenu aucun jugement interlocutoire ni définitif, le droit d'interjeter appel sera réglé d'après les dispositions de la présente loi.

Donné à Laeken, le 2 décembre 1848.
Par le roi :
LÉOPOLD.

Le ministre de la justice,

lence, p. 55 et 56).

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(3) Voy. ces deux projets, art. fer (Loi sur la compétence, p. 19 et 46).

(4) Merlin, Répertoire, vo Juge de paix, § 4; Cloes, Loi sur la compétence, p. 21; Delebecque, Commentaire législatif, p. 6.

(5) Amendement proposé par M. Metz et adopté sans discussion (Loi sur la compétence, etc., p. 73).

(6) Elle était décidée dans le sens de la nécessité de la double condition de personnelle et de mobilière par un arrêt de la cour de cassation de France du 24 août 1826 (Dalloz, Nouveau Rép., vo Compétence civile des tribunaux de paix, en note, sous le no 17); et, en sens contraire, par Dalloz lui-même au même mot, no 17; par Favard de Langlade, vo Justice de paix, § 2, et par Carré Lois de la compétence, t. III, p. 446.

DE HAUSSY.

tions personnelles ET mobilières, qui avaient été conservés dans le projet de loi du gouvernement (1), étaient remplacés par ceux-ci actions personnelles ou mobilières. Cet amendement fut adopté sans discussion dans la séance du 5 mai 1840 (2). La loi française du 25 mai 1838 avait du reste déjà donné l'exemple d'un changement pareil à la législation de 1790. Il est donc hors de toute contestation qu'une action mobilière sans être personnelle, comme celle prévue par l'art. 2280 du code civil, est de la compétence du juge de paix. Ainsi le propriétaire originaire d'une chose perdue ou volée doit actionner le possesseur actuel de cette chose devant le juge de paix lorsque, bien entendu, la valeur de l'objet est inférieure à 200 francs (3). 9. Toutes les actions personnelles ou mobilières tombent-elles sous l'application de l'article 1er de la loi de 1841?

Une première exception très-importante à une règle aussi générale concerne toute la catégorie des actions qui ont un caractère commercial. Le juge de paix reste sans compétence à l'égard des contestations commerciales, même quand le débat porte sur une somme inférieure à 200 fr. La compétence des juges de paix en matière commerciale fut l'objet de vifs débats dans nos chambres législatives. Le rapport de M. Liedts faisait déjà présager l'importance de la question. « On a soulevé au sein de la commission, disait-il, la question de savoir s'il faut accorder au juge de paix le droit de juger les affaires commerciales dans les mêmes limites que les affaires civiles. Le projet de loi organique de 1827, dont la révolution est venue arrêter la mise en vigueur, contenait une disposition semblable. Cependant, après quelques débats, nous avons été arrêtés, surtout par la crainte d'accorder à un seul juge le pouvoir exorbitant de prononcer la contrainte par corps qu'entraîne toute condamnation en matière de commerce. D'ailleurs, cette crainte fût-elle exagérée, où serait porté l'appel de leurs jugements? Devant le tribunal civil d'arrondissement? mais il y aurait anomalie, là où il existe un tribunal de commerce, de voir le tribunal civil juger en appel des matières commerciales. Serait-ce devant le tribunal de commerce du chef-lieu de la province? mais il serait plus exorbitant encore de voir ériger un tribunal d'exception en tribunal d'appel (4). »

Ces raisons triomphèrent devant la chambre des représentants. Cependant la commission du sénat se rallia à l'opinion contraire (5). Voici les motifs qu'elle présentait par l'organe de M. de Haussy son rapporteur :

(1) Projet de loi présenté le 15 octob. 1835, par M. Ernst. (2) Loi sur la compétence, p. 73.

(3) Delebecque, no 9; Cloes, no 4; Dalloz, Nouv. Rép., vo Compétence civile des tribunaux de paix, no 17. Voyez plus loin, notre no 19.

(4) Rapport présenté à la chambre des représen

Si une justice prompte et rapprochée des justiciables est nécessaire, c'est surtout dans les affaires commerciales, où l'équité doit principalement servir de guide, et où l'activité de la justice contribue à contenir le débiteur de mauvaise foi; d'ailleurs la plupart de ces affaires sont ordinairement beaucoup plus faciles à juger qu'une foule d'autres que les lois ont placées sous la juridiction des juges de paix.

La question qui nous occupe a été examinée dans le sein de la commission de la chambre des représentants, et l'honorable M. Liedts, aujourd'hui ministre de l'intérieur, qui en était le rapporteur, dit qu'après de longs débats on a été arrêté surtout par la crainte d'accorder à un seul juge le pouvoir exorbitant de prononcer la contrainte par corps, qu'entraîne toute condamnation en matière de commerce.

« Votre commission a pensé, messieurs, que cette crainte n'était pas très-fondée, et que dans tous les cas elle serait exagérée et ne serait pas un motif suffisant pour faire repousser une disposition dont l'utilité n'est pas même contesté sous aucun autre rapport. En effet, les juges de paix peuvent dans plusieurs circonstances prononcer la contrainte par corps. Comme juges de police, ils peuvent condamner à l'emprisonnement dans les cas et pour le temps déterminés par la loi; ils peuvent en cette qualité prononcer la contrainte par corps, pour les restitutions, indemnités et frais, aux termes de l'art. 469 du code pénal; comme juges du possessoire, ils peuvent la prononcer en matière de réintégrande suivant la disposition de l'art. 2060, no 2, du code civil; enfin ils peuvent, en cette dernière qualité, la prononcer encore pour dommagesintérêts au-dessus de la somme de 300 francs, d'après la généralité des termes de l'art. 126 du code de procédure civile. »

Restait l'objection tirée de la difficulté de savoir, à quel juge l'appel des décisions du juge de paix pourrait être déféré en matière commerciale. Le rapport au sénat y répondait en

ces termes :

Cet appel ne pourra être porté sans doute devant les tribunaux de commerce qui sont des tribunaux d'exception, mais il peut être porté sans aucun inconvénient devant le tribunal civil d'arrondissement (6), qui, dans un grand nombre de chefs-lieux, remplit d'ailleurs les fonctions de tribunal de commerce, et il n'y aura pas plus d'anomalie à faire juger par ces tribunaux les appels des jugements des justices de paix en matière commerciale, qu'il n'y en a à faire juger par les cours d'appel les appels des jugements

tants dans la séance du 23 janvier 1859.

(5) L'extension de la juridiction du juge de paix aux causes commerciales avait déjà été préconisée par M. Delwarde dans ses Observations sur le projet de loi sur la compétence en matière civile, 1838, § 2, p. 1 à 4.

(6) Voy. le projet de 1848, art. 4, note 9, sub no 5.

des tribunaux de commerce (1). » Comme suite à ses observations, la commission du sénat substituait à l'art. 1er, adopté par la chambre, une disposition qui accordait au juge de paix le pouvoir de décider, sans appel jusqu'à 100 fr. et à charge d'appel jusqu'à 200 fr., tant en matière civile qu'en matière commerciale. L'appel devait être porté devant le tribuual civil d'arrondissement. M. Leclercq, ministre de la justice, combattit énergiquement les additions apportées à l'art. 1o par la commission du sénat. | La crainte de conférer au juge de paix la faculté de prononcer la contrainte par corps fut l'argument principal de M. Leclercq. Voici comment il réfutait les raisons invoquées pour l'extension de la compétence des juges de paix (2) :

Votre commission dit que les juges de paix pronoucent la contrainte par corps en matière de réintégrande, et pour des dommages-intérêts; mais d'après les dispositions du code civil sur la contrainte par corps, les juges de paix ne peuvent la prononcer que quand les dommages-intérêts dépassent la somme de 300 fr. Or, pour ce cas, il y a toujours lieu à appel.

commerce que pour une somme supérieure à 1,000 francs.

L'avantage de la célérité se trouvait donc en grande partie détruit par la trop grande facilité d'appeler abandonnée au plaideur. Malgré le rapport de sa commission, le sénat se refusa à admettre l'innovation proposée à l'article 1. Après une discussion très-complète, il rejeta l'amendement (3).

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M. Dumon-Dumortier cependant fit renaître la discussion en présentant une nouvelle modification à l'art. Aer.

En matière commerciale, les juges de paix u'auraient pu prononcer la contrainte par corps que lorsque leur décision aurait été sujette à appel. La commission du sénat ayant approuvé l'amendement de M. Dumon-Dumortier, la discussion reprit son cours dans les séances du 24 et du 25 février. Mais la proposition de M. Dumon-Dumortier, reprise par M. D'Hoop, fut définitivement rejetée dans cette dernière séance (4).

L'argument tiré de la crainte d'abandonner l'exercice de la contrainte par corps à un seul juge a évidemment perdu aujourd'hui toute sa force. La loi du 21 mars 1859 déclare dans son article 2, que la contrainte par corps n'a lieu en matière de commerce que pour dettes d'une somme principale de 200 francs et au-dessus. Mais les autres raisons invoquées en 1841 restent toujours debout et nous semblent suffi

sans aucun doute inutile et dangereuse, si sa nécessité n'est pas évidemment démontrée.

Il n'y a qu'un seul cas où il peut ne pas y avoir appel: c'est celui prévu par la loi du 15 août 1791; mais ce cas est très-rare, et le pouvoir qui appartient alors aux juges de paix ne leur a été conféré que parce que c'était absolument nécessaire. Je vieus de dire que ce cas est extrêmement rare; et en effet cela ne peut arriver que lorsqu'il s'agit d'une contesta-santes pour mettre obstacle à une inuovation, tion en matière de commerce maritime dans les lieux où il ne se trouve pas de tribunal de commerce. Or, il est très-rare qu'il s'élève des contestations en matière de commerce maritime, si ce n'est dans les lieux assez importants pour le commerce, et où il y a par conséquent presque toujours un tribunal de commerce. C'était daus un cas tout à fait exceptionnel, et ce n'est que l'absolue nécessité qui a fait adopter cette mesure, parce que les contestations en matiere de commerce maritime demandent à être vidées a l'instant même. On a donc là subi une véritable nécessité, qui en définitive n'offre, à cause de sa raretė, pas de grands dangers.

Les chambres françaises, d'ailleurs, pas plus que les chambres belges, n'ont voulu conférer au juge de paix une juridiction commerciale. En France cependant, lorsque la question s'est présentée, en 1838, la loi du 17 avril 1832 ne laissait subsister la contrainte par corps que pour les dettes de 200 francs et au-dessus. La différence entre cette législation et la législation belge de 1841 en matière de contrainte par corps n'a pas paru sullire pour justifier l'extension qu'on voulait donner à la juridiction des juges de paix. Dans son rapport à la chambre des députés (séance du 6 avril 1838) M. Amilhau disait en résumaut des appréhensions fort légitimes:

Faut-il étendre le bienfait de cette juridic

Un autre inconvénient sérieux était la double existence dans la même localité d'un tribunal de commerce, et d'un tribunal de première instance jugéant tous deux les mêmes question aux causes commerciales qui seraient dans tions l'un en premier, l'autre en second degré, tribunaux dont la jurisprudence pouvait ne pas etre uniforme La célérité enfin, l'avantage le plus précieux de la juridiction du juge de paix, existait déjà devant la juridiction consulaire. L'appel, d'autre part, allait se présenter pour des réclamations de 100 à 200 francs, tandis que, jusqu'alors il n'avait été permis en matière de

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les limites de sa compétence? Cette pensée s'est présentée un moment à la chambre des pairs, et n'a pas été accueillie; elle a été reproduite dans des pétitions nombreuses; il importe de l'examiner. On veut mettre un frein à la cupidité ou à l'exigence des hommes qui exploitent les petites fortunes en modifiant le titre. Ils ont choix de la juridiction, et depuis que la con

(2) Séance du sénat du 18 février 1841.

(3) Séance du 18 février 1841 (Loi sur la competence, p. 168 et suiv.).

(4) Loi sur la compétence, etc., p. 240.

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