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DES TAIBUNAUX DE PREMIÉRE INSTANCE. -

personnelles, et elles témoiguèrent quelques inquiétudes à l'égard des 75 fr. de revenu, qui représentaient une valeur immobilière de plus de 1,500 fr.

Le gouvernement, par le projet qui vous est soumis, a fait droit à ces observations. Il a adopté la fixation de 1,500 fr. reconnue juste par tout le monde, et réduit à 60 fr. la quotité de revenu qui devra servir de règle pour les actions immobilières. »

Remarquons que la loi française établit entre la valeur mobilière et le revenu de l'immeuble une proportion qui se rapproche beaucoup de celle fixée par la loi belge, sans cependant être la même. Ce rapport suppose que les immeubles donnent en France un revenu de quatre pour cent.

de la compétence des juges de paix. Vous avez dit en effet, que lorsqu'il s'agirait de colons partiaires le juge de paix déterminerait la compétence en prenant pour base du revenu de la propriété le principal de la contribution foncière de l'année courante multiplié par cinq.»

On peut, sans inconvénient, pour fixer la compétence du juge de paix, relativement à un prix de bail ou à un colonage partiaire, prendre pour base de l'évaluation la cote de la contribution foncière, parce qu'il ne s'agit là que d'une somme d'argent à accorder ou à refuser, parce que l'objet du procès est le revenu et non l'immeuble qui le produit, parce que ce revenu s'évalue isolément et séparément des nombreuses considérations qui entourent la propriété; mais il n'en doit pas être ainsi lorsque c'est la propriété elle-même qui est mise en jeu. La contribution foncière, fixée sans la participation du proprié

Nous avons vu qu'en Belgique le rapport fixé par la loi de 1841 entre la valeur mobilière et le revenu des immeubles suppose que les propriétaire, varie d'année en année; elle s'établit sur tés immobilières donnent un revenu de trois et trois quarts pour cent (supra, no 545).

550. Un autre point sur lequel la loi française du 11 avril 1858 s'éloigne considérablement de la loi belge, c'est celui qui concerne l'évaluation de la propriété immobilière.

A défaut de fixation du revenu par le prix de rente ou le prix de bail, la loi belge admet la fixation par la matrice du rôle de la contribution foncière, pourvu que le revenu y soit spécialement déclaré.

Ia loi française ne contient rien de pareil. Voici sur quelles raisons s'appuyait le rapport de M. Persil pour écarter de la loi ce mode d'évaluation :

des bases diverses sans qu'il soit possible de se rendre compte de la différence; elle n'est qu'un signe trompeur, inhabile à rendre, soit la valeur réelle, soit la valeur relative, soit cette valeur d'affection qui, suivant les circonstances, peut s'élever considérablement en la prenant pour base de l'évaluation de la propriété, on s'exposerait à de graves méprises, à des injustices évidentes. Supposez qu'il s'agisse d'un jardin attenant à une maison, d'une pièce de terre enclavée au milieu de vastes propriétés, de l'avenue d'un domaine. La contribution foncière de ce jardin, de cette pièce enclavée, de cette avenue, pourrait-elle jamais être sérieusement le sigue de leur valeur véritable? C'est devant ces considérations que votre commission a reculé et qu'elle a été d'avis de ne rien changer à l'état de la législation sur les actions immobilières indéterminées. Sa conviction n'a pas pu céder devant cet autre expédient qui consisterait à obliger le demandeur à évaluer lui-même l'objet immobilier du procès. » Sur ce dernier point nous examinerons les raisons de M. Persil en traitant de l'art. 18.

par la contribution foncière fut présenté à la chambre des députés par M. Gillon et défendu avec talent par MM. Parès, Billault, Barrot, Vivien et Martin. Il fut combattu par MM. Parant, Lavielle, Thil, Gaillard, Bréchart et Persil et rejeté par la chambre (Monit. du 22 février 1838).

Une lacune a été signalée à l'occasion des actious immobilières. Pour déterminer les cas où les tribunaux de première instance devront les juger en dernier ressort, le projet exige que le revenu soit fixé en rente ou par prix de bail. La détermination en rente est peu fréquente; et l'habitude de donner à bail n'est pas générale. Le projet ne s'explique pas à l'égard des immeubles litigieux qui ne produisent pas de revenus susceptibles d'évaluation; il se tait sur les im- Un amendement ayant pour objet de permetmeubles cultivés par les propriétaires eux-tre la détermination de la demande immobilière mêmes, ou abandonnés à des colons partiaires. Il résultera de son silence, que le bienfait de la loi actuelle ne profitera qu'à une faible partie de la population; que les inconvénients attachés aux demandes indéterminées se perpétueront; on continuera à porter devant les cours royales des appels du plus mince intérêt, et les lenteurs La principale objection du rapport de M. Persil fatigueront les justiciables, et les frais absor- contre l'évaluation qui a pour base la conberout et dépasserout fréquemment la véritable tribution foncière est venue à disparaître en valeur du procès. A ces inconvénients, qu'il Belgique. Nous n'avons pas à craindre que cern'est pas possible de nier, l'on a opposé deux taine portion d'une propriété immobilière soit seexpédients examinés avec la plus sérieuse atten- parée de l'ensemble de cette propriété et évaluée tion par votre commission. On a dit qu'à défaut aiusi beaucoup au-dessous de sa valeur véritable. d'autres moyens, il serait possible d'arriver à Pour que la fixation du litige puisse avoir lieu, l'évaluation des revenus, en prenant pour base la loi belge exige que le revenu de l'immeuble la contribution foncière. C'est ainsi que vous en litige soit spécialement déclaré, ce qui suppose avez procédé une première fois, et que vous en général une propriété immobilière ayant procéderez sans doute encore, pour la fixation, une existence propre et séparée.

551. Le paragraphe 2 de l'art. 1er de la loi française déclare expressément que les actions dont il s'agit dans la disposition seront instruites et jugées comme matières sommaires. C'est là un principe nouveau dont la justification était présentée en ces termes par le rapporteur de la loi à la chambre des députés (M. Persil):

« Ce paragraphe a pour objet de classer les actions sous le rapport de l'instruction et du jugement. Déterminé par les motifs qui font la base du projet, la célérité et l'économie en tant qu'elles sont compatibles avec une exacte justice, il dispose que ces actions seront instruites et jugées comme matières sommaires. C'est une véritable innovation, un changement profond à la classification des actions sommaires, établie par l'art. 404 du code de procédure civile. Une telle innovation ne pouvait pas passer inaperçue, des réclamations se sont élevées, des pétitions ont été adressées à la chambre par les avoués de plusieurs siéges. L'examen que nous en avons fait n'a pas été défavorable au projet, auquel on reproche de rendre la justice trop rapide, incomplète, en empêchant la communication des titres, la dénégation des écritures, les inscriptions de faux, etc. Ces reproches ne nous ont pas paru fondés. Copie des titres sera toujours donnée en tête de la demande la communication aura lieu à l'audience quand la nécessité s'en fera sentir, et les dénégations d'écritures, les vérifications, les inscriptions de faux, constituant des procédures à part, seront toujours suivies dans la forme ordinaire, nonobstant la classification de l'action principale. Les enquêtes à l'audience pourront prendre un peu plus de temps: on le regagnera par la célérité des discussions orales qui, présentées immédiatement, seront plus laconiques. L'innovation ne portera réellement que sur la suppression des écritures dont l'inutilité, dans les causes peu importantes, est reconnue par les hommes pratiques. Ce n'est pas aux juges qu'elles servent; elles augmentent les frais et font perdre beaucoup de temps, sans profit pour l'instruction du procès. »

Cette partie de l'art. 1er fut combattue par un amendement de M. Billault. Tout en étendant le principe de l'art. 404 du code de procédure aux actions mobilières de 1,500 francs. L'amendement se refusait dans tous les cas à admettre les actions immobilières comme sommaires.

Cet amendement fut combattu par MM. Michel et Teste et rejeté dans la séance du 22 février (Moniteur du 23).

(1) Art. 404 du code de procédure :"

En Belgique, la loi de 1841 n'a apporté aucune modification à l'art. 404 du code de procédure civile. Ni les demandes mobilières formées sans titre lorsqu'elles dépassent 1,000 fr., ni les demandes immobilières quelconques ne doivent donc être jugées sommairement (1). La loi française est sur ce point toute différente de la nôtre. Ainsi en Belgique, les demandes excédant 1,000 francs, bien que susceptibles d'être jugées en dernier ressort, ne sont pas cependant réputées matières sommaires. Tel est aussi l'avis de M. Raikem dans son discours note 1, (Revue des revues de droit, t. V, p. 71 et suiv.).

552. On a soulevé la question de savoir si les actions d'une valeur de 2,000 fr. sont jugées en dernier ressort par les tribunaux de première instance, ou si l'appel est ouvert sur ces actions.

La question peut se présenter sous l'empire de la loi de 1841 comme elle se présentait sous celui de la législation antérieure pour les actions de 1,000 fr.

L'art. 14 porte que le juge de première instance prononce jusqu'à la valeur de 2,000 fr. en principal. Le mot jusque semblerait indiquer que l'action d'une valeur de 2,000 fr. est exclue de la compétence en dernier ressort. Carré (Compétence, quest. 212, tom. IV) et Dalloz (Anc. Répert., vo Degré de juridiction, no 5), estiment que tel est le sens de la loi de 1790.

On peut, disent ces auteurs, opposer l'art. 5, titre IV de la loi de 1790, article qui concerne les tribunaux de première instance à l'art. 4, titre XII de la même loi où il est question des tribunaux de commerce. Cette dernière disposition porte que les juges de commerce prononceront en dernier ressort sur toutes les demandes dont l'objet n'excédera pas la valeur de 1,000 livres. » Le code de commerce (art. 639) répète pour les juges consulaires les expressions de la loi de 1790.

L'expression employée dans ces articles est à coup sûr plus précise que celle dont se sert l'art. 5, titre IV de la loi de 1790, laquelle est reproduite par la loi de 1841. Mais il n'est guère permis de supposer que le législateur de 1790 aurait voulu attribuer au juge consulaire la connaissance en dernier ressort d'une action de 1,000 livres, en refusant cette connaissance au juge de district. Aucune raison n'existerait a cette préférence. Concluons donc que le juge de première instance peut connaître en dernier ressort de l'action ayant une valeur de 2,000 fr.

Telle est l'opinion de Boncenne (Théorie de la procédure, Introduction, p. 92)et celle de M. Cloes

« Les demandes formées sans titre, lorsqu'elles n'excè

« Seront réputés matières sommaires, et instruits dent pas mille francs; comme tels :

a Les appels des juges de paix ;

a Les demandes pures personnelles, à quelque somme qu'elles puissent monter, quand il y a titre, pourvu qu'il ne soit pas contesté ;

« Les demandes provisoires ou qui requièrent célérité;

« Les demandes en payement de loyers et fermages et arrérages de rentes. »

(Commentaire, no 267). C'est d'ailleurs ce qu'ont mière instance ne peut être prorogée aux cas décidé deux arrêts de la cour de Bruxelles du dont nous parlons (V. supra, no 15 sur l'art. 1er). 8 octobre 1849 (Pas., 1850, 2, p. 358), et du | En faveur de l'incompétence absolue du tribu15 juin 1850 (Id.). Un arrêt de la même cournal de première instance pour décider une conavait décidé le même principe pour une action de 1,000 fr., sous l'empire de la loi de 1790. Bruxelles, 3 mai 1837 (Pas., 1837, 2, p. 101 et la note).

Nous avons vu de même que le juge de paix a compétence en dernier ressort pour l'action de 100 fr., en premier ressort pour celle de 200 fr. (supra, no 54). L'expression jusqu'à la valeur de doit être traduite dans les deux cas par celleci: jusques et y compris la valeur de...

De même, lorsque la loi de 1841 déclare le juge d'arrondissement compétent en dernier ressort pour les actions réelles immobilières jusqu'à 75 francs de revenu, il faut comprendre ces expressions de la même façon que lorsqu'il s'agit des actions personnelles ou mobilières. Le juge d'arrondissement prononce donc en dernier ressort sur l'action réelle immobilière d'une valeur de 75 francs.

C'est aussi en ce sens que les mots jusqu'à doivent être compris sous la loi française de 1858. (V. Dalloz, vo Degré de juridiction, nos 64 et 75.) L'art. 21 de notre loi de 1841 déclare comme l'art. 14 que les juges de commerce auront compétence jusqu'à 2,000 fr. (V. infra, no 829.)

553. Avant d'aborder l'explication de l'article 14, il nous faut déterminer sa portée générale, en comparant la juridiction du tribunal d'arrondissement à celle du juge de paix et à celle du tribunal de commerce.

Quant aux actions personnelles ou mobilières, le juge de paix a compétence en général jusques et y compris la somme de 200 fr. (art. 1er, L. de 1841). Il a en outre en certains cas une juridiction exceptionnelle réglée par divers articles de la loi de 1841 (art. 2 à 9).

Pour les mêmes actions personnelles ou mobilières, le juge de première instance a donc compétence en premier ressort depuis et non compris la somme de 200 francs jusqu'à l'infini. En dernier ressort il juge les actions personnelles ou mobilières depuis et non compris la somme de 200 francs, jusques et y compris la somme de 2,000 fr. (art. 14, L. de 1841). I juge en outre les appels des justices de paix.

Le tribunal de commerce enfin a compétence en dernier ressort jusques et y compris 2,000 fr. pour toutes les actions qui lui sont attribuées par la loi, c'est-à-dire pour toutes celles dont la nature est commerciale (V. infra, art. 21).

Il y a controverse sur la question de savoir si le juge de première instance peut décider les actions qui lui sont soumises par les parties, alors que ces actions devraient, d'après la loi, être portées, soit devant le juge de paix, soit devant le tribunal de commerce. Nous avons examiné plus haut la valeur des arguments produits des deux parts et nous avons cru pouvoir conclure que la juridiction du tribunal de pre

testation commerciale, nous devons ajouter aux autorités que nous avons citées, un réquisitoire remarquable de M. le procureur du roi Van Berchem devant le tribunal de Charleroi (Belg. jud., 1865, p. 484).

Quant aux actions immobilières, le juge de paix n'a compétence en ce qui les concerne que lorsqu'elles sont possessoires. Nous savons comment il faut entendre cette compétence (V. supra nos observations sur l'art. 9). A l'égard des actions possessoires, le juge de première instance n'a donc aucun droit de juger.

Au contraire, c'est le juge de première instance qui seul connaît de toutes les autres actions immobilières. La compétence à l'égard de ces actions s'exerce sans appel, jusques et y compris 75 fr. de revenu. En premier ressort, elle s'exerce à l'infini.

C'est encore le juge de première instance qui décide des actions mixtes à l'exclusion du juge de paix. Nous avons déjà posé ce principe en nous occupant de la juridiction de ce magistrat (supra, no 20, sur l'art. 1er). Nous aurons à établir plus loin comment la valeur de l'action mixte se détermine sous la loi de 1841, et si l'appel est toujours ouvert en ce qui la concerne.

554. L'art. 14 s'occupe d'abord des actions personnelles ou mobilières. Il nous paraît inutile de revenir sur le sens qui appartient à ces termes. Nous l'avons déterminé déjà en nous occupant des justices de paix (V. supra, no 21, sur l'art. 1er).

Faisons maintenant une remarque générale.

Sauf les modifications de chiffres que nous venons d'indiquer, et la règle nouvelle pour la fixation du revenu immobilier, la loi du 25 mars 1841 ne change rien au sens de la législation de 1790. La loi française du 11 avril 1838 n'apporte pas non plus de changement essentiel aux règles générales sur la juridiction du tribunal d'arrondissement. Les solutions de la doctrine et de la jurisprudence belge et française, antérieures à 1841 conservent donc toute leur force sous l'empire de la loi qui nous régit.

En examinant les divers principes qui con- . cernent la fixation du ressort, nous croyons faire chose utile, bien que la loi de 1841 ne les ait pas modifiés.

D'une part, sans l'observation de ces principes généraux, il est impossible de ne pas tomber dans les erreurs les plus dangereuses quant à la compétence. D'autre part, aucun livre belge n'ayant jusqu'ici discuté ces principes, il en résulte que la doctrine française a fort peu tenu compte de notre jurisprudence par rapport à l'objet dont nous nous occupons.

Une remarque très-importante à faire ici, c'est que les principes du ressort qui concernent

les tribunaux de première instance sont en général applicables aux justices de paix et aux tribunaux de commerce.

555. Il est incontestable qu'en général la valeur d'une réclamation est déterminée par les conclusions du demandeur, au moment de l'intentement de l'action.

Lors donc que les conclusions du demandeur contiendront une réclamation de 2,000 francs au plus, le juge d'arrondissement prononcera en dernier ressort.

Remarquous immédiatement que cette somme doit être calculée sans y comprendre les accessoires de la demande. La loi de 1841 parle d'une réclamation de 2,000 francs en principal. Nous verrons plus loin ce qu'il faut entendre par les accessoires d'une demande.

Quant aux actions reconventionnelles, elles forment l'objet d'une disposition spéciale, l'art. 22. Nous en parlerons en traitant de cet article. 556. Pour que le droit d'appel soit refusé, est-il toujours nécessaire que la demande soit faite en monnaie française?

Nous ne le pensons pas.

La fixation dans la loi du chiffre de 2,000 fr., base supérieure de la réclamation non sujette à appel, n'a d'autre but que de mettre obstacle aux appels intempestifs à raison de la modicité du litige.

Cette règle fondamentale s'applique à toute demande d'une somme d'argent.

Si la réclamation est faite en monnaie étrangère, il y a lieu de réduire en monnaie indigène la somme réclamée. L'appel ne sera ouvert que dans l'hypothèse où cette réduction donnerait une somme supérieure à 2,000 francs.

Supposons en effet que l'on rejette ce principe, on devrait alors autoriser le demandeur à évaluer sa réclamation au taux qui lui conviendra. L'art. 15 de la loi de 1841 lui impose l'obligation d'évaluer sa réclamation, et rien ne vient limiter son droit d'évaluation Alors même que la réclamation serait déterminée par sa nature même, et consisterait en une réclamation d'argeut étranger dont le chiffre est fixé par le tarif comparatif des monnaies, le demandeur pourrait donc fixer ce chiffre arbitrairement, soit au-dessus, soit au-dessous de 2,000 francs. I pourrait ainsi se réserver l'appel, ou en priver son adversaire au gré de sa fantaisie.

Nous croyons que ce serait là étendre la faculté de l'art. 15 au delà de la nécessité qui l'a fait consacrer. Par cette disposition, on a imposé au demandeur l'obligation d'évaluer le litie au cas où l'action n'est pas déterminée. Cette évaluation était sans doute préférable à l'absence complète de détermination de la valeur du litige, laquelle laissait l'appel ouvert dans toutes les hypothèses. Mais l'évaluation ne présente plus que des dangers lorsque la somme réclamée est fixée par elle-même, et doit simplement être traduite en monnaie belge.

La théorie que nous venons d'exposer a reçu son application dans un arrêt de la cour de

Trèves qui décide que dans le cas de stipulation d'une somme en monnaie étrangère, le demaudeur n'a pu traduire sa réclamation en monnaie frnçaise au-dessous de sa valeur réelle, afin de faire descendre la contestation dans les limites du dernier ressort.

« Attendu, dit la cour, que ce serait ouvertement favoriser la chicane et la mauvaise foi, si l'on voulait admettre le système de l'intimé, puisqu'il dépendrait uniquement du demandeur de se ménager l'appel ou de s'y soustraire, selon que son intérêt ou sa passion le commanderait, et il n'y aurait, par conséquent, plus de chance égale à courir entre lui et le défendeur, vu que, dans tous les cas où le demandeur aurait à craindre la decision du juge de première instance, il demanderait plus qu'il ne lui serait vraiment dû, pour excéder sa compétence en dernier ressort; et, quand il aurait à redouter la décision du juge d'appel, il demanderait moins, et ferait plutôt le sacrifice d'une partie de sa prétention que de s'exposer à la perdre entièrement, tandis que le défendeur n'aurait aucun moyen pour arriver au même but, et serait toujours la victime de la mauvaise foi ou du caprice du demandeur, ce qui serait une violation manifeste de l'axiome de droit: Neminem posse conditionem suam facere meliorem in alterius injuriam, et de la L. 41, ff. De reg. jur. Non debet actori licere quod reo non permittitur; · Admet l'appel. »

Dalloz cependant critique cet arrêt en ces termes :

Nous ne croyons pas que cette jurisprudence soit admise, car, outre qu'il est loisible à tout individu, dans notre organisation actuelle, de faire à un autre une mauvaise chicane, il lui est permis de laisser à sa demande un caractère indéterminé, puisque aucune disposition ne l'oblige à donner une évaluation à l'objet qu'il réclame. Ne peut-il pas arriver, d'ailleurs qu'en raison du prix d'affection, ou de circonstance particulière, cet objet ait pour lui une grande valeur? En cas pareil, on ne peut qu'interpeller le demandeur pour qu'il ait à fixer le chiffre de sa demande. Et s'il persiste à vouloir le laisser dans l'indétermination, il n'est pas permis aux juges de l'en faire sortir : ceux-ci ne peuvent qu'apprécier l'effet de cette résistance dans l'adjudication des dommages-intérêts s'il en est réclamé par le défendeur. » (Vo Degré de juridiction, no 89.)

En Belgique, la faculté de laisser la demande indéterminée a disparu devant l'art. 15 de la loi. Mais ce n'est pas de l'art. 15 qu'il faudrait se prévaloir contre la doctrine de Dalloz. Il n'y aurait pas lieu d'exiger du demandeur l'évaluation de sa réclamation. L'évaluation ne doit et ne peut avoir lieu que dans le cas où la demande est indéterminée par elle-même. C'est ce qui n'est pas vrai au cas actuel.

La doctrine de la cour de Trêves peut cependant être critiquée, non pas quant à la décision en elle-même mais quant aux motifs de l'arrêt.

DES TRIBUNAUX DE PREMIÈRE INSTANCE.

Ces motifs ne mentionnent pas que c'est à raison de la détermination de la demande en ellemême que le demandeur ne peut l'évaluer. Il en résulte que la doctrine de l'arrêt peut paraître trop absolue. Elle semble dénier au demandeur, dans toutes les hypothèses possibles, la faculté de déterminer sa réclamation. Ce droit cependant lui appartenait sous l'empire de la loi de 1790. Aujourd'hui il est devenu une obligation édictée par l'art. 15 de la loi de 1841.

Un arrêt de la cour de Bruxelles du 25 avril 1808 (Pas., à sa date) s'est prononcé dans le même sens que la cour de Trèves. Un arrêt de Liége du 6 avril 1827 (Pas., 1827, 2, 125) a décide aussi que, pour statuer sur la recevabilité de l'appel quand la demande consiste en une somme en monnaie étrangère, il faut considérer la valeur de cette monnaie à l'époque de la demande judiciaire.

Il est d'ailleurs bien entendu, que si la somme était réclamée par le demandeur en certaine monnaie spéciale, et si cette monnaie avait, outre sa valeur véritable, une valeur particulière d'ancienneté ou de rareté, il ne serait pas possible de fixer la demande d'après la valeur comparative de la somme réclamée avec la monnaie belge. Le demandeur devrait alors être admis à établir le montant véritable de sa réclamation, et l'art. 15 deviendrait applicable.

557. La réclamation d'une certaine quantité de denrées dont la valeur peut être déterminée par les mercuriales, doit-elle être évaluée spécialement, aux termes de l'art. 15 de la loi de 1841?

Nous ne le pensons pas.

L'art. 14 donne aux tribunaux de première instance le droit de statuer en dernier ressort sur les actions personnelles ou mobilières, jusqu'à la valeur de 2,000 francs en principal. L'article 15 ne parle que du cas où la valeur de l'objet mobilier est indéterminée; il ordonne au demandeur de la déterminer dans cette hypo thèse. De ces deux dispositions, il résulte qu'il n'est pas précisément nécessaire que la valeur de la demande soit déterminée en argent. Du moment que cette valeur est déterminée, cela suffit, et il n'y a plus aucune raison d'appliquer l'art. 15. Ce qui nous confirme dans cette opinion, c'est le texte de l'art. 4 de la loi dont nous nous occupons. D'après cette disposition, combinée avec les art. 2 et 3, il est indifférent pour la compétence du juge de paix que la valeur des loyers, fermages, intérêts et rentes consiste en argent, ou bien en denrées et prestations appréciables d'après les mercuriales (V. supra, sur l'art. 4, nos 91 et suiv.).

L'art. 8 de la loi déclare du reste que la valeur du litige ne doit être évaluée par le demandeur que dans l'hypothèse où jl ne s'agit ni d'une somme d'argent, ni d'un objet appréciable d'après les mercuriales (V. supra, sur l'art. 8, n's 381 et suiv.).

Nous ne voyons aucune raison pour refuser d'étendre aux tribunaux de première instance

la règle établie pour les justices de paix par un texte spécial. L'assimilation à une somme d'argent des denrées évaluables par les mercuriales est en effet dans la nature des choses, et le législateur de 1841, en la consignant dans les art. 4 et 8 de la loi, n'a voulu que constater l'existence d'un fait qui lui paraissait évident. C'est en ce sens que s'exprime le rapport de M Liedts à la chambre des représentants en s'occupant de l'art. 8 (V. infra, no 381). Dans le même document, à propos de l'article 11 (devenu l'art. 15), M. Liedts s'exprime en ces termes :

« Jusqu'ici nous vous avons parlé des différentes hypothèses où l'objet soit mobilier, soit immobilier, peut être évalué sans la coopération du demandeur. Mais que faire lorsque la demande personnelle ou mobilière ne comprend ni une somme d'argent, ni une denrée appréciable d'après les mercuriales?..... Il est évident que dans ces cas, si la valeur de l'objet de l'action ne peut être déterminée par la loi, elle peut du moins l'être par le demandeur. (Rapport du 22 janvier 1839, Loi sur la compétence, p. 38.) Ces paroles nous paraissent ne laisser aucun doute sur la solution de la question que nous nous sommes posée. D'après le rapporteur de la commission spéciale, l'évaluation est toujours inutile quand l'action porte sur une réclamation de denrées appréciable d'après les mercuriales. Le principe de l'art. 8 doit s'étendre à l'art. 15.

L'assimilation des denrées dont nous parlons avec des sommes d'argent est d'ailleurs si bien dans la nature des choses que le code civil, aux contrats ou obligations, permet de compenser les prestations en grains ou denrées, non contestées et dont le prix est réglé par les mercuriales, avec des sommes liquides et exigibles (art. 1291, § 2).

L'art. 129 du code de procédure admet de même les mercuriales comme fixant en argent la valeur des fruits, dans le cas où une restitution de fruits est ordonnée et où elle ne peut plus avoir lieu en nature parce qu'elle ne concerne pas la dernière année.

Sous l'empire de la loi de 1790, il a été décidé à plusieurs reprises que les mercuriales établissaient le ressort devant les tribunaux d'arrondissement comme devant les tribunaux de paix (Dalloz, Répert., v° Degré de juridiction, nos 90 et suiv.; et vo Comp. civ. des tribunaux de paix, no 40 et s.). La cour de Liége a admis ce principe par arrêt du 9 juin 1831 (Pas., 31, 2, 154 et la note); et la cour de Bruxelles, par arrêt du 30 janvier 1847 (Pas., 48, 2, 6).

557 bis. Une réclamation ayant pour objet des rentes sur l'Etat ou des fonds publics pourrait-elle être évaluée par le demandeur, ou bien est-elle réputée fixée par elle-même?

En faveur du droit d'évaluation laissé au demandeur, on peut dire, en s'appuyant sur le texte de la loi, que celle-ci exige l'évaluation chaque fois que le réclamation n'est pas déterminée en argent ou tout au moins d'après les

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