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l'opposition fit de l'opposant un véritable demandeur, et lui donnât le droit de modifier la réclamation primitive.

Mais ce droit ne lui appartenait pas. L'opposition n'a d'autre effet que d'arrêter l'exécution du jugement et de provoquer par la suite une discussion contradictoire. Toutefois, c'est toujours le litige primitif qui est en jeu et sert à déterminer le ressort, à moins que le demandeur n'ait expressément modifié sa réclamation. Dans l'espèce, cette modification n'avait pas eu lieu. Il fallait donc s'en tenir aux chiffres des deux demandes primitives considérées séparément et, en conséquence, déclarer l'appel non recevable.

D'autre part, le fait que le juge s'était prononcé par un même jugement sur deux demandes séparées, ce fait ne pouvait avoir aucune influence sur la faculté de l'appel. (V. le numéro suivant.)

Le tribunal de cassation s'est prononcé contre la doctrine de la cour de Rouen, par arrêt du 25 pluviôse an x, mais sans donner d'autre motif de sa décision que la nécessité de considérer séparément chaque demande.

« Sur les troisième et quatrième moyens, dit la cour: Attendu que le jugement attaqué a statué sur l'opposition à trois jugements par défaut rendus sur trois demandes différentes, sans qu'il soit constaté qu'aucun desdits trois jugements pris séparément eût prononcé de condamnation principale excédant la somme de 1,000 fr.; Rejette.» (Dalloz, Répert., vo Degré de juridict., n° 114.)

mations excédant ensemble 2,000 francs. Ce jugement n'a pas le pouvoir de modifier le droit d'appel. (V. le numéro précédent et supra, n° 60.)

Trois arrêts de la cour de Bruxelles se sont prononcés en ce sens. Le premier est du 29 janvier 1829 (Pas., 29, 2, 331); le second, du 14 décembre 1853 (Pas., 54, 2, 65); le troisième, du 20 février 1862 (Pas., 62, 2, 227.)

Un arrêt de la cour de Liége du 27 janvier 1853 (Pas., 53, 2, 196) décide le même principe.

Comme le disait M. le procureur général Leclercq dans ses conclusions précédant l'arrêt de cassation du 11 décembre 1851 :

Si plusieurs actions sont intentées en même temps par un seul exploit, chacune doit être jugée en premier ou en dernier ressort, selon que sa valeur propre excède ou non 2,000 fr, quoique toutes ensemble elles aient une valeur supérieure à cette somme et qu'un seul jugement en décide. » (Pas., 1852, 1, p. 38.)

592. Mais il en serait tout autrement si la réclamation produite par divers demandeurs avait une cause commune.

Dans ce cas, il n'y a en réalité qu'une demande.

Ce principe a été admis par un arrêt de Liége du 4 janvier 1843, qui en fait application au cas d'une demande intentée à la fois par une femme commune en biens et par l'héritière de son mari (Pas., 44, 2, 341 et la note). Sous l'empire de la loi de 1841, ce principe a été consacré par un arrêt de cassation du 20 mars 1847 (Pas., 1847,

590. Nous avons déjà vu que c'est la hau-1, 494). Il décide que, quand la demande origiteur de la demande et non celle de la condamnation qui fait la valeur de l'action.

Au point de vue du ressort, il est donc indifférent que le juge de première instance prononce par un même jugement sur diverses réclamations qui sont chacune au-dessous du taux de l'appel.

Nous avons établi le même principe en traitant de la compétence du juge de paix (supra, no 58). Nous en signalerons diverses applications en traitant de l'effet de la jonction d'instances.

591. Y a-t-il lieu à appel quand plusieurs demandeurs réclament d'un seul défendeur une somme supérieure à 2,000 fr., mais qui, considérée séparément pour chaque demandeur, ne lui donnera pour sa part qu'une somme inférieure au taux du dernier ressort?

Deux cas peuvent se présenter.

La demande a-t-elle des causes différentes, ou bien dérive-t-elle d'une cause commune?

Dans le premier cas, on ne peut pas dire qu'il n'existe qu'une seule réclamation. Chaque demandeur, agissant par un motif différent, intente une action particulière dont l'importance fixe le ressort. La réunion dans un même exploit des chiffres particuliers de ces diverses demandes ne peut avoir d'influence sur la faculté d'appeler. Il en est de ce cas, comme de celui où un jugement prononce sur diverses récla

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naire avait pour objet une dette divisible, contractée primitivement par un seul débiteur envers un seul créancier, et que cette demande est intentée collectivement par les héritiers de l'un contre les héritiers de l'autre, la division qui s'opère pendant l'instance, respectivement entre les demandeurs et les défendeurs, n'opère pas la division de la demande. Le jugement à intervenir ne peut être en premier ressort à l'égard des uns, et en dernier ressort à l'égard des autres, suivant l'importance de leurs intérêts respectifs.

Cet arrêt casse un arrêt de la cour de Liége du 6 juin 1846, qui avait déclaré l'appel nou recevable defectu summæ.

La cour de Liége se fonde principalement sur ce qu'une action ayant pour objet une chose divisible, étant formée par plusieurs demandeurs contre plusieurs défendeurs, se divise, lorsqu'il n'existe pas de solidarité, en autant de demandes qu'il y a de parties demanderesses ou défenderesses; que cette division doit avoir lieu quand même l'action a une cause commune, puisqu'il est de règle que ce n'est pas la cause, mais le montant seul de la demande que l'ou doit considérer pour fixer la compétence. (Pas., 1846, 2, 345.)

Sur les conclusions conformes de M. le premier avocat général Dewandre, la cour de cas

sation casse par les motifs suivants (arrêt du 20 mars 1847):

Sur le premier moyen de cassation pris de la fausse application des art. 1217 et 1220 du code civil, et de la violation de l'art. 14 de la loi du 25 mars 1841 sur la compétence :

Considérant qu'il est constaté par l'arrêt attaqué que les demandeurs, veuve et enfants de Mathieu Dubois, en reprenant, devant le tribuual de commerce de Verviers, l'instance contre quatre des héritiers de la veuve Jadin, et contre les cinq héritiers de la veuve Quevrain, ont conclu à ce que les premiers fussent condamnés à leur payer 2/6, et les héritiers Quevrain 3/6 d'une somme de 10,750 fr. 98 c. due à feu Mathieu Dubois par l'auteur commun de tous les défendeurs;

Considérant que ces quotités excèdent, séparées aussi bien que réunies, le taux du dernier ressort, fixé à 2,000 fr. par la loi du 25 mars 1841;

Considérant qu'on ne peut avoir égard à ce que, suivant les art. 1217 et 1220 du code civil, l'obligation était divisible, et se divisait de plein droit entre les représentants du créancier et ceux du débiteur, pour inférer de là que l'action des demandeurs constituait autant d'actions qu'il y avait de parties défenderesses, et que la valeur de chacune de ces demandes, prise isolément, étant inférieure à 2,000 fr., l'appel du jugement qui avait statué sur le tout n'était pas recevable; que si ce calcul peut être admis quand il s'agit de demandes distinctes par leur objet, leur origine et la nature du titre, demandes que le créancier a réunies dans une même poursuite contre des obligés différents, ou que plusieurs créanciers ont formée simultanément contre le même débiteur, il en est autrement lorsque la demande a pour objet, comme dans l'espèce, une dette, même divisible, contractée originairement par un seul débiteur envers un seul créancier, et que cette demande est intentée collectivement par les héritiers de celui-ci contre les héritiers de l'autre; que, bien que le droit et l'obligation se divisent respectivement entre les demandeurs et les défendeurs, néanmoins le juge n'est alors appelé à connaître que d'une demande unique fondée sur une obligation commune à toutes les parties, et que c'est par la valeur de cette demande que le ressort doit être déterminé ;...

«Par ces motifs, casse et annule l'arrêt de la cour de Liége du 6 juin 1846. › (Pas., 1847, 1, 494.)

593. La question se représenta de nouveau devant la cour d'appel de Bruxelles, mais dans des termes différents.

Immerseel. Un incendie étant survenu, cette propriété subit un dommage de 3,760 fr. 72 c., dont chacune des deux sociétés paya la moitié. S'étant fait subroger aux droits du propriétaire, elles attaquèrent conjointement le locataire Cuylits-Latour, en se basant, au nom du propriétaire, sur l'art. 1733 du code civil. L'action ayant été écartée en partie par le tribunal d'Anvers, les deux sociétés interjetèrent appel. Le locataire opposa une fin de non-recevoir basée sur ce que chacune d'elles avait un inté| rêt inférieur à 2,000 fr.

|

Voici les motifs de l'arrêt de la cour de Bruxelles, qui déclare l'appel non recevable, (6 décembre 1848.)

Attendu, dit la cour, qu'il est établi au procès que les sociétés appelantes ont, par des polices séparées contenant des dates et des stipulations différentes, assuré la propriété du sieur Van Immerseel, à Anvers, pour une somme de 12,500 fr. chacune;

Attendu qu'à la suite d'un incendie qui a éclaté dans cette propriété, et dont l'importance a été évaluée, après expertise contradictoire, à 3,760 fr. 72 c., chacune desdites sociétés a remboursé au sieur Van Immerseel la moitié de cette somme, savoir, 1,880 fr. 36 c. : ce qui résulte des documents produits au procès, établissant en faveur desdites sociétés la subrogation qui forme la mesure de leur intérêt, et par conséquent la | base de leur action;

Attendu que cette action formée conjointement par les deux sociétés appelantes tendait à obtenir de l'intimé Cuylits, locataire des bâtiments assurés, la restitution de la somme de 3,760 fr. 72 c. qu'elles avaient payée pour ledit sinistre ;

Attendu que cette somme, en la supposant due par l'intimé, devait se diviser entre les deux sociétés qui n'avaient droit chacune qu'à en réclamer la moitié, aux termes de la subrogation invoquée; d'où il suit que l'intérêt des appelantes dans le litige n'était pour chacune que de 1,880 francs 36 centimes, somme inférieure au taux déterminé par la loi pour autoriser l'appel :

«Attendu, en outre, qu'il ne peut appartenir à deux créanciers ayant des intérêt distincts, en se réunissant contre le même débiteur, de changer l'ordre des juridictions et de rendre sujette à l'appel une cause qui ne le serait pas s'ils avaient agi isolément; qu'il suit de ce qui précède que le premier juge a statué en dernier essort, et que l'appel n'est pas recevable;

Par ces motifs, la cour déclare l'appel non recevable; condamne les parties appelantes à l'amende et aux dépens, etc. (Pas., 1850, 1, 174.)

Les sociétés d'assurances se pourvurent en cassation contre cet arrêt.

Il s'agissait non plus d'héritiers se substituant à leurs auteurs pendant l'instance, mais de tiers subrogés aux droits d'un créancier et intentant ensemble une action dont la valeur totale excé- M. l'avocat général Delebecque soutint la dait 2,000 fr. doctrine de l'arrêt de Bruxelles dans de remarDeux sociétés d'assurances, l'Escaut et Securi- quables conclusions insérées dans la Pasicrisie tas, avaient assuré la propriété d'un sieur Van | (1850, 1, p. 176). Mais la cour de cassation re

poussa la doctrine de l'arrêt de Bruxelles par un arrêt du 2 novembre 1849 (Pas., 1850, 1, p. 178) qui renvoya la cause devant la cour de Gand. Cette cour jugea dans le même sens que la cour de Bruxelles et décida en conséquence que l'appel n'était pas recevable (Pas., 1852, 1, p. 35).

Un nouveau pourvoi fut dirigé contre cet arrêt, et la cour de cassation jugea, chambres réunies, conformément à sa première doctrine, exprimée dans son arrêt du 2 novembre 1849.

Ce nouvel arrêt, du 11 décembre 1851, avait été précédé de conclusions conformes de M. le procureur général Leclercq. Elles résument parfaitement l'état de la question et nous dispensent de revenir sur les autorités de doctrine et de jurisprudence.

Voici d'ailleurs le dernier arrêt de cassation. Il a donné lieu à une interprétation législative de la loi de 1841. Cette interprétation a mis fin au conflit qui existait entre les cours d'appel et la cour suprême.

Cet arrêt a une grande importance, car il est le meilleur commentaire de la loi interprétative du 27 mars 1853, laquelle ne fait que consacrer définitivement le principe admis par la cour de cassation.

་ Attendu, dit la cour, qu'après une première cassation, le second arrêt est attaqué par le même moyen que le premier; que la cause doit donc être jugée par les chambres réunies, aux termes de l'art. 23 de la loi du 4 août 1832;

Sur le moyen de cassation, déduit de la fausse application de l'art. 14 de la loi du 25 mars 1841, ainsi que de la violation du même article et de la loi du 1er mai 1790, en ce que l'arrêt attaqué a déclaré l'appel des compagnies demanderesses non recevable, quoique l'action qu'elles ont intentée conjointement au défendeur eût eu pour objet une somme de plus de 2,000 fr. en principal;

« Attendu qu'il est constant en fait que les deux compagnies demanderesses ont assuré, par des polices séparées, pour une somme de 12,500 fr. chacune, la propriété du sieur Van Immerseel, dont le défendeur était locataire; qu'un incendie ayant éclaté dans cette propriété, et les dégâts ayant été évalués à 3,760 fr. 72 c., les deux compagnies ont payé cette somme, chacune pour moitié, à Auguste Van Immerseel; qu'enfin la maison incendiée appartenait, au moment du sinistre, audit Auguste Van Immerseel et à sa sœur, épouse Simon;

Attendu que les deux compagnies demanderesses, se prétendant subrogées, au même titre, dans les droits des propriétaires, et se fondant sur ce que, aux termes de l'art. 1735 du code civil, le locataire répond de l'incendie, ont assigné celui-ci devant le tribunal d'Anvers, par un seul et même exploit, à l'effet de s'entendre condamner à leur payer la somme de 3,760 fr. 72 c.;

Attendu que s'il est vrai que chaque com

pagnie n'était personnellement créancière que de la moitié de cette somme, la somme entière, qui formait une seule dette dans le chef du défendeur, faisait néanmoins l'objet de l'action; que celle-ci ne pouvait dès lors être jugée que sauf appel, aux termes de l'art. 14 de la loi du 25 mars 1841, qui porte que les tribunaux de première instance ne connaissent en dernier ressort des actions personnelles ou mobilières que jusqu'à la valeur de 2,000 fr. en principal;

Attendu que, si l'on doit admettre en principe que pour déterminer le ressort, on ne peut pas cumuler les demandes formées conjointement par plusieurs demandeurs lorsqu'elles sont distinctes et indépendantes l'une de l'autre, c'est parce que chacune forme alors un procès à part, et qu'il ne peut dépendre des demandeurs de modifier la compétence du juge en les réunissant dans un même exploit ;

Attendu qu'il n'en est pas de même lorsqu'il s'agit d'une dette unique, telle que celle de l'espèce, qui dérive du bail et de l'art. 1733 du code civil; que dans ce cas il n'y a réellement qu'une seule action, si les créanciers auxquels elle appartient en commun se réunissent pour la réclamer tout entière, comme il y en aurait plusieurs, si chacun d'eux réclamait séparément sa part; qu'en effet, dans la première hypothèse, toute la dette est mise en jugement, tandis que, dans la seconde, le juge n'est appelé à statuer, à l'égard du débiteur comme à l'égard du créancier, que sur la part afférente à celui-ci ;

Attendu que la circonstance que la maison incendiée appartenait à deux propriétaires, au moment du sinistre, et que leur créance à charge du locataire s'est divisée de plein droit entre eux, est sans importance au procès, puisque ceux-ci auraient pu, comme leurs cessionnaires, former une seule action contre le locataire, et que dans cas, l'objet ayant dépassé la valeur de 2,000 fr., le jugement du tribunal de première instance eût été également susceptible d'appel;

Attendu que l'arrêt attaqué en déclarant, dans l'espèce, l'appel non recevable, a mécounu la règle des deux degrés de juridiction;

«Par ces motifs, casse et annule, etc.;—renvoie la cause à la cour d'appel de Liége pour être statué, après interprétation de la loi par le pouvoir législatif, sur l'appel formé par les deux compagnies demanderesses. Cass. 11 décembre 1851 (Pas., 52, 1, 35).

A la suite de cet arrêt, un projet de loi ayant pour objet l'interprétation de l'art. 14 de la loi du 25 mars 1841, fut présenté aux chambres, le 18 janvier 1853. (V. Annales parlementaires, 1852-1853, p. 472, le texte de ce projet de loi.) Le 28 janvier 1853, le rapport fut présenté par M. Lelièvre (ibid., p. 518);

Le 1er février 1853, le projet fut voté et adopté (ibid., p. 559);

Enfin, le 27 mars de la même année, le projet fut converti en une loi dont voici le texte :

Loi interprétative de l'art. 14 de la loi du 25 mars | distincts, tenus séparément et divisément de 1841 sur la compétence civile. (Moniteur, payer leurs prix à la venderesse et les frais au 31 mars 1853.) notaire ;

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Les tribunaux de première instance ne peuvent connaître en dernier ressort d'une action personnelle, formée par un seul exploit pour le payement d'une dette unique dans le chef du défendeur et supérieure à la somme de 2,000 fr. en principal, quoique l'action soit intentée par deux individus subrogés aux droits des deux héritiers du créancier primitif, et que la part de chacun de ces héritiers ou cessionuaires soit inférieure à cette somme. »

Attendu que tel est si bien l'effet produit par la déclaration de command de Danhieux que, lors de l'adjudication définitive, les commands eux-mêmes sont intervenus au procèsverbal de vente pour payer leurs prix respectifs et ont reçu quittance directe de la venderesse dans le même procès-verbal ;

seule et même instance le payement des frais de Attendu que si l'intimé réclame dans une la vente, à charge des adjudicataires de deux tions ci-dessus énoncés qu'il ne s'agit point, dans masses de lots, il résulte des faits et considéral'espèce, d'une dette unique, mais de deux dettes distinctes dès leur origine, contractées par deux adjudicataires, à raison de la vente d'immeubles

différents;

Attendu que chacune des demandes formées Nous avons vu (supra, no 60) que le principe du chef de ces dettes est inférieure à 2,000 fr., consacré par cette loi doit être étendu aux jus-et que, partant, les premiers juges en ont connu tices de paix. en dernier ressort;

En France, la question est toujours vivement controversée. Rodière (t. 1, p. 193) soutient l'opinion qui a prévalu en Belgique, mais Dalloz donne la préférence à l'opinion contraire (Répert., vo Degré de juridiction, no 146).

La jurisprudence française est de même fort divisée sur la question (V. Dalloz, Répert., vo Dernier ressort, nos 147 à 161).

594. Dans l'hypothèse inverse de celle que nous venons d'envisager, c'est-à-dire quand la demande est formée contre plusieurs défendeurs, faut-il décider dans le même sens?

Supposons qu'un seul demandeur réclame de plusieurs défendeurs une somme supérieure à 2,000 fr., mais que la part incombant à chaque défendeur soit inférieure à cette somme, y aurat-il lieu à appel du jugement prononçant sur une pareille action?

Il faut distinguer.

Si la demande unique dirigée contre plusieurs défendeurs est basée sur des causes distinctes, il n'est pas possible de réunir en une seule action des demandes qui existent séparément contre chacun des débiteurs.

C'est ce que la cour de Bruxelles a décidé par arrêt du 26 janvier 1859 (Pas., 1859, 2, p. 154). Dans l'espèce, il s'agissait d'une réclamation d'honoraires dirigée par un notaire contre deux acheteurs de biens immobiliers. Ces acheteurs avaient été représentés, lors de la vente, par un tiers qui avait fait ensuite la déclaration de command.

Ils prétendaient que ce tiers était seul acheteur, et qu'ainsi, par suite des clauses de la vente, ils devaient un chiffre inférieur d'honoraires au notaire qui avait instrumenté. Mais la cour repoussa avec raison cette prétention. Attendu, dit la cour, qu'il faut reconnaître que l'adjudication s'est faite en autant de masses qu'il y a eu de commands déclarés, et qu'en conséquence il y a, en réalité, trois acquéreurs

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Par ces motifs, M. l'avocat général Corbisier entendu et de son avis, déclare l'appel nou recevable. »

595. Mais quand un demandeur unique réclame une seule dette à plusieurs défendeurs et que cette dette dépasse 2,000 fr., faut-il, pour régler le ressort, considérer uniquement la portion de cette dette dont chaque défendeur est tenu?

L'affirmative a été soutenue, notamment par Carré (Lois de la compétence, no 294) et par M. l'avocat général Delebecque dans ses conclusions précédant l'arrêt de cassation du 2 novembre 1849 (Pas., 1850, p. 176, 177 et 178, et les notes insérées dans ce recueil).

La cour de Liége a décidé dans le même sens que lorsqu'on réclame contre plusieurs héritiers une somme supérieure à 1,000 fr., mais que la part incombant à chacun d'eux est inférieure à cette somme, le jugement qui intervient est en dernier ressort. Liége, 7 novembre 1838 (Pas., 38, 2, 231).

Le principe a été consacré de nouveau par la même cour dans une espèce où la demande était formée par plusieurs demandeurs contre plusieurs défendeurs; 11 avril 1840 (Pas., 40, 2, 104). Toutefois l'arrêt ne mentionne pas s'il s'agit d'une demande ayant une cause commune.

Mais la cour de Liége adopte certainement le principe dans toute sa rigueur par un arrêt du 5 juin 1846 (Pas., 46, 2, 325), qui déclare l'ap pel non recevable defectu summæ, si l'action dirigée par plusieurs demandeurs contre plusieurs défendeurs a pour objet une chose divisible dont le taux divisé respectivement est inférieur à 2,000 fr., alors même que cette action appartiendrait à une communauté encore indivise et procéderait d'une cause commune.

Cet arrêt fut déféré à la censure de la cour de cassation, et sur les conclusions de M. le premier avocat général Dewandre, la cour cassa l'arrêt de Liége.

Nous avons donné plus haut les motifs de cet arrêt de cassation. Il déclare, en résumé, que la demande n'était divisible, au point de vue du ressort, ni entre les demandeurs, ni entre les défendeurs. Lorsque la demande a pour objet une dette contractée originairement par un seul créancier, il importe peu qu'elle soit intentée par les héritiers du débiteur primitif contre ceux du créancier. Le juge n'est appelé à connaitre que d'une scule demande née d'une obligation commune, et c'est cette demande en entier qui fixe le ressort. V. l'arrêt de cassation du 20 mars 184 (Pas., 47, 1, 494) supra, no 592. Au point de vue qui nous occupe, c'est-à-dire en ce qui touche la pluralité des défeudeurs, cet arrêt proclame que la demande ne se divise pas entre eux, mais que le chiffre global de cette demande sert à déterminer le ressort. Toutefois la condition essentielle pour que cette situation se produise, c'est que la demaude ait une ori gine commune vis-à-vis de tous les défendeurs. La demande doit être considérée dans son entier vis-à-vis des défendeurs ; mais il n'est pas nécessaire cependant que ceux ci soient les hé- | ritiers du débiteur primitif. Toutes personnes subrogées aux droits de ce débiteur le remplaceraient de la même façon que ses héritiers, au point de vue de la dette dont le créancier réclame le payement.

Remarquons aussi que le principe de la nondivisibilité de la demande, quel que soit le nombre des défendeurs, se base sur un raisonuement analogue à celui qui établit la non-divisibilité de la demande, alors qu'elle est produite par plusieurs demandeurs. Il faut donc appliquer au cas dont nous nous occupous ici les arrêts de la cour de cassation qui ont résolu la question au point de vue de la pluralité des demandeurs et la loi interprétative du 27 mars 1853 que nous avons cités à notre avant-dernier numéro.

Nous avons vu que les mêmes principes doivent être appliqués aux justices de paix (supra, no 61).

Il faut interpréter de même l'art. 21 de la loi de 1841, qui règle la compétence des tribunaux de commerce. Le texte de cet article est idendique à celui de l'art. 14, pour ce qui touche aux actions mobilières.

596. L'art. 14 porte que les tribunaux de première instance connaissent en dernier ressort des actions personnelles et mobilières jusqu'à la valeur de 2,000 fr. en principal.

Cette expression qui se trouvait dans la loi de 1790 avait été supprimée dans le projet de loi belge. Elle fut rétablie dans le cours de la discussion, sur les observations de M. le ministre de la justice (L. sur la compétence, p. 93).

Le sens attribué aux mots : deux mille francs en principal sous l'empire de la loi de 1790 n'a donc pas été modifié par la loi de 1841.

Comment faut-il interpréter ces expressions, ou en d'autres termes que faut-il entendre par accessoires d'une réclamation?

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L'édit des présidiaux de 1777 contient à cet égard une disposition qui jette un jour précieux sur la matière.

ART. 3. Les juges présidiaux auront la connaissance en dernier ressort des demandes de sommes fixes et liquides qui n'excèdent pas la somme de 2,000 liv., tant pour le principal que pour les intérêts et arrérages échus avant la demande.

a A l'égard des intérêts, arrérages, restitutions de fruits échus depuis la demande, dépens, dommages-intérêts, ils ne seront pas compris dans la somme qui détermine la compétence.

Les intérêts des arrérages échus avant la demande devaient donc être pris en considération pour déterminer la hauteur de cette demande. Ceux, au contraire, échus depuis la demande ne pouvaient servir à établir la hauteur de la réclamation.

Bien que la disposition de l'édit de 1777 n'ait trouvé place ni daus la loi de 1790, ni dans celle de 1841, il faut continuer à comprendre ces dernières lois dans le sens indiqué par l'édit qui leur a servi de modèle.

597. Concluons donc que chaque fois qu'il se produira une demande née depuis l'intentement de l'action et dépendant de cette action, cette demande sera réputée accessoire et par conséquent n'aura aucune influence quant au ressort. Ce principe est consacré par l'autorité de Carré (Lois de la compétence, art. 284, no 320, t. 3, p. 98 et suiv.), de Merlin (Répert., vo Dern. ressort, § 11, Rivendication, § 10; Quest. de droit, v° Dern. ressort, § 10), et de Poncet (t. 1, n°293.)

paraît aujourd'hui incontestable V. aussi supra, nos 72, 735 et 74.

598. La jurisprudence a fait de fréquentes applications de la règle que nous venons d'établir. Considérons successivement les divers cas qui peuvent se présenter.

En premier lieu, les intérêts provenant des sommes réclamées, et échus seulement depuis l'intentement de l'action, peuvent-ils contribuer à la détermination du ressort?

Nous croyons que, au point de vue du ressort, la somme demandée pour intérêts ne peut pas être jointe à celle qui forme la demande elle-même. Les intérêts viennent ici s'ajouter au principal, par suite de l'existence de la demande. Ils ne forment pas une demande sé parée, ayant une base ou un caractère propre. Ce principe a été consacré par diverses décisions belges, tant antérieures que postérieures à la loi de 1841.

Nous trouvons d'abord en ce sens un arrêt de Liége du 28 juillet 1825 (Pas., 23, 492).

Un second arrêt de Liége du 28 juillet 182; (Pas., 24, 193), décide que le jugement qui, sur une demande en payement d'une somme de 1,000 francs et des intérêts légaux, adjuge cette demande dans les mêmes termes, n'est pas censé adjuger, les intérêts à compter d'une demande de la somme principale formée dans une autre instance, et sur laquelle le demandeur avait été

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