Page images
PDF
EPUB

trainte par corps n'existe plus au-dessous | magistrat se trouve de juger le différend des

de 200 francs, il n'y a point de motifs pour s'opposer à cette proposition. Voilà le système: votre commission le repousse. Pour obvier à quelques cas exceptionnels, il tend à dénaturer complétement les deux institutions. Celle des justices de paix, en obligeant le juge à recourir à des connaissances pratiques et usuelles, et à suivre l'esprit et les opérations du négoce; et la juridiction commerciale, en la constituant tribunal des appels et des questions d'évocation qui doivent lui demeurer étrangers; en un mot, de deux justices spéciales et d'exception on fait deux tribunaux ordinaires. Dans l'application combien d'obstacles doivent se présenter! Respectons l'ordre des juridictions, et rejetons une innovation imprudente qui, à travers quelques avantages douteux, offre d'immenses inconvénients. >>

10. Nous venons de voir que le juge de paix est incompétent en matière commerciale. Mais cette incompétence est-elle de telle sorte qu'aucune volonté ne puisse la faire disparaître, ou bien est-elle d'une nature relative seulement, de manière à pouvoir plier devant le désir, soit exprimé, soit tacite des parties? Un doute sérieux subsiste sur ce point.

parties qui se présentent volontairement devant lui, bien qu'il ne soit le juge naturel des parties, ni à raison du domicile du défendeur, ni à raison de la situation de l'objet litigieux.

Les parties doivent d'ailleurs déclarer expressément pour quelle affaire elles entendent proroger la juridiction du juge. L'art. 7 mentionne clairement cette obligation. (Voir à cet égard Pailliet, Code de procédure, sur l'art. 7, note a. et les autorités qu'il cite; Cloes, Compétence civile, p. 46.) Le 29 mars 1855 le tribunal d'Arlon a décidé dans le même sens, « qu'une action personuelle excédant 200 francs n'est pas de la compétence du juge de paix, sans qu'on puissse argumenter d'une prorogation tacite de juridiction. (Cloes et Bonjean, Recueil, t. IV, p. 775.)

Quant à la question de savoir quelles sont les personnes qui peuvent prétendre au droit de demander la prorogation de l'art. 7 du code de procédure, cette question sort trop de notre cadre pour qu'il nous soit possible de la traiter. Disons seulement, que la prorogation ne pourrait être consentie par des personnes n'ayant pas la libre disposition de leurs droits, ou représentant d'autres personnes à certains titres : les tuteurs ou administrateurs par exemple. (V. Carré, Compétence civile, t. I, nos 260 et 261, avec la note de Chauveau, Thomine Desmazures, 1, p. 30. Curasson, Compétence des juges de paix, t. I, p. 46.)

12. La prorogation peut-elle exister de même à l'égard des tribunaux de première instance, lorsqu'il s'agit de donner compétence à un juge que le domicile du défendeur ou la situation de l'objet en litige rendrait naturellement incom

La question qui se présente ici pour les juges de paix vient à naître aussi pour les juges de première instance, avec cette différence toute-t. fois que la position de ces derniers est de beaucoup plus favorable, quant à l'extension de la compétence. Avant d'aborder l'examen de la difficulté, soit à l'égard des juges de paix, soit par rapport aux juges de première instance, il nous sera permis d'examiner rapidement les principes en matière de prorogation de juridic-pétent? tion (1). Cette prorogation consiste dans le consentement de la part des parties à être jugées par un juge ou un tribunal qui n'est pas leur juge naturel, soit à raison des personnes en cause, ou du lieu de leur domicile, soit à raison de la valeur du litige, ou du caractère particulier du débat. La prorogation de juridiction étant une renonciation véritable de la part des parties, pourra se faire expressément où tacitement, à moins que la loi n'en décide autre

ment.

11. Quels sont maintenant les effets de la prorogation de juridiction, soit devant les justices de paix, soit devant les tribunaux de première instance?

Quand le juge de paix est incompétent à raison de la qualité des parties, ou de leur domicile dans un arrondissement autre que le sien, aucune difficulté véritable ne peut surgir sur la prorogation de juridiction.

L'art. 7 du code de procédure civile ne laisse subsister aucun doute quant à la nécessité où le

(1) Il est bien entendu que nous ne parlons ici que de la prorogation de juridiction VOLONTAIRE, sans toucher en rien à la prorogation de juridiction LÉGALE, résultant de

Nous n'y voyons pas d'obstacle. La partie appelée à tort devant un tribunal qui n'est pas le sien peut demander son renvoi (art. 168, code de procédure). Mais elle est tenue de former cette demande de renvoi préalablement à toutes autres exceptions et défenses (art. 169 du même code). Dans le cas où sa demande n'est pas faite, ou bien est tardive, il n'y a plus qu'une seule espèce d'incompétence qui puisse être proposée, c'est l'incompétence à raison de la matière (art. 170 du même code). Ainsi, l'exception d'incompétence à raison de la personne assignée ou du lieu où se trouve l'objet en litige, ratione persona vel loci ne peut être proposée que in limine litis. Elle est d'un caractère tout différent de l'exception d'incompétence à raison de la matière, ratione materiæ. Cette dernière demande peut être présentée en tout état de cause, et même suppléée par le juge si les parties négligent de la faire valoir. Elle tient à l'ordre public.

Ces principes nous démontrent que les par

la reconvention, etc., etc. Voy., sur ce point, Dalloz, Rép., vo Compétence civile des tribunaux d'arrondissement, nos 235 et suiv.

ties peuvent, en ne proposant pas à temps l'ex-persone vel loci peut, nous venons de le voir, ception de renvoi, donner au tribunal d'arron- dépendre de la volonté des parties, soit qu'elles dissement la même extension de compétence se présentent devant un juge de paix, soit que l'art. 7 du code de procédure les autorise qu'elles demandent la décision de leurs contesà donner au juge de paix. Telle est l'opinion de tations à un tribunal d'arrondissement. Mais la Dalloz (Rép., vo Compétence civ. des tribunaux prorogation peut-elle avoir lieu dans le cas où d'arrondissement, no 213) et de Carré (Compé- les parties demanderaient à un juge de paix de tence, t. 1, no 249). Seulement, pour le cas où prononcer sur une contestation pour laquelle il les parties prorogent la juridiction du juge d'ar- aurait compétence quant à la nature du litige, rondissement, leur volonté ne doit pas être exmais serait au contraire incompétent quant à la primée. Elle peut résulter de leur silence. hauteur de la contestation? Supposons par 13. L'art. 7 du code de procédure impose en exemple qu'il s'agisse d'une réclamation ayant termes impératifs l'obligation de juger, au ma- le caractère d'action personnelle, et montant à la gistrat inférieur devant lequel les parties se somme de quatre cents francs. Comme la loi ne présentent Les parties pourront toujours se confère au juge de paix la faculté de décider présenter volontairement devant un juge de sur une action personnelle que jusqu'à la somme paix; auquel cas il jugera leur différend, soit de deux cents francs, il s'ensuit que pour une en dernier ressort, si les lois ou les parties l'y somme supérieure ce juge reste sans compéautorisent, soit à la charge d'appel... » De la tence. Pour décider si, dans un tel cas, il apcomparaison de ces termes impératifs avec les partient aux parties d'étendre la juridiction du textes des art. 168, 169 et 170 du code de pro-juge de paix, il est essentiel de se rendre compte cédure, on a voulu tirer cette conséquence que de la nature de la prorogation dont il s'agit. Si, le tribunal d'arrondissement pouvait à vrai dire dans l'hypothèse de prorogation ratione persona juger les contestations entre des parties qui ne vel loci, un magistrat étranger aux plaideurs demandaient pas le renvoi devant leur juge, peut recevoir d'eux la mission de les juger, c'est mais que ce droit de juger n'était pas une obli- par cette raison toute spéciale, que la compégation véritable pour le tribunal. Les magistrats tence territoriale est établie pour le seul avanpourraient donc en certains cas accepter le tage des parties. La loi n'a pas voulu qu'elles maudat de prononcer sur une contestation, en fussent obligées de débattre leurs intérêts loin d'autres cas, refuser ce mandat. Nous ne pen- du siège de leurs affaires, et elle a réalisé ce sons pas qu'il soit possible de tirer des termes but dans la mesure du possible. Si au magistrat de l'art. 7, qui se rapporte aux juges de paix, que la loi désigne, les parties en préfèrent un une conclusion sérieuse, quant à la faculté de autre, la loi elle-même n'a pas cru devoir mettre prononcer ou de ne pas prononcer laissée aux obstacle à leur désir. Elle leur a permis de rejuges d'arrondissement. Malgré l'opinion connoncer à ce qu'elle avait considéré comme un traire manifestée par la cour de cassation de avantage pour elles. Telle est la raison des artiFrance, le 11 mars 1807, nous croyons que la cles 7, 168, 169 et 170 du code de procéfaculté laissée aux parties de porter une contes- dure combinés. La compétence ratione materia tation devant un tribunal, implique la nécessité est, nous le savons déjà, d'une nature tout pour les magistrats qui le composent de décider autre que la compétence ratione personæ vel loci. la contestation qui leur est légalement soumise. S'il est indifférent à l'ordre public que le triComme le disait avec raison M. l'avocat général bunal de telle localité juge une contestation, au Delebecque dans un de ses remarquables réqui- lieu du tribunal de telle autre localité, il n'en sitoires: Lorsqu'un tribunal juge, c'est qu'il a est pas de même quant à la question de savoir l'obligation de juger, et il n'a jamais la faculté de quelle nature, de quel degré sera le juge qui de s'abstenir ou de ne pas s'abstenir de juger. prononcera. Ainsi l'incompétence du juge d'ap(Réquisitoire précédent l'arrêt de cassation du pel pour connaître d'un appel non recevable de17 novembre 1853, Pasier. 1854, 1, p. 138). Les feciu summæ est à raison de la matière (Liége, règles de l'organisation judiciaire nous parais- 13 février 1818; Pas. 1818, 2, 35 et la note). Il imsent en effet s'opposer à ce qu'un tribunal mette porte, en effet, à l'ordre public que l'appel ne soit sa fantaisie à la place de la loi, en s'abstenant accordé qu'au plaideur qui a en jeu des intérêts de prononcer lorsque les parties ont légalement d'une certaine importance. S'il en était autreprorogé sa juridiction. A cet égard nous adop-ment, les tribunaux supérieurs pourraient se tons l'opinion de Pigeau et de Thomine-Desmazures (1), qui nous semble en harmonie avec les principes supérieurs du droit, principes qui doivent, nous semble-t-il, être préférés à une interprétation trop rigoureuse de l'art. 7 du code de procédure.

D

14. La prorogation de compétence ratione

(1) Pigeau, Commentaire sur le code de procedure, t. ler, p. 17; Thomine-Desmazures, Traité, no 28. Contra: Boi

trouver surchargés. Ainsi encore un tribunal d'arrondissement ne peut prononcer sur l'appel interjeté de la décision d'un autre tribunal d'arrondissement. (Bruxelles, 28 juillet 1817, Pas. 1817, 2, 485.) La dignité de la justice est intéressée à ce qu'un juge ne puisse pas réformer la décision prise par un autre juge du même

tard, t. II, p. 390; Chauveau sur Carré, Question 1676; Dalloz, Répert., vo Degré de juridiction, no 494.

نات

LOI SUR LA COMPÉTENCE EN MATIERE CIVILE.

degré que lui. Malgré la longue hésitation que nous a fait éprouver l'autorité de nombreux auteurs et de plusieurs arrêts français (1), nous pensons que la prorogation de la juridiction du Juge de paix jusqu'à une somme supérieure à deux cents francs est une véritable prorogation ratione materiæ, et par conséquent ne peut être couverte, même par la volonté expresse des parties.

A cet égard il nous est impossible d'admettre la distinction que fait Heurion de Pansey:

« Les juges extraordinaires, dit-il, se partagent en deux classes; les uns sont délégués pour juger jusqu'à une certaine somme, usque ad cer- | tam summam; les autres n'ont dans leur attribution qu'un certain genre d'affaires, certum

genus causarum.

Les juges de commerce et nos conseils de préfecture appartiennent à cette dernière classe, et nos juges de paix à l'une et à l'autre. La disposition de la loi, qui leur attribue la connaissance des actions personuelles et mobilières jusqu'à la somme de 100 francs, les place dans la première; et le texte de la même loi, qui leur confère le droit de prononcer sur toutes les actions possessoires, les range dans la seconde.

«Que la juridiction, concentrée dans un geure d'affaires, ne puisse pas être prorogée, cela ne me paraît susceptible d'aucune difficulté: tous ceux qui ont écrit sur cette matière professent unanimement qu'il n'y a pas de prorogation de re ad rem; mais peut-elle avoir lieu de quantitate ad | quantitatem?

«On peut dire que cette grande maxime: A la loi seule appartient de conférer l'autorité publique, est tellement générale, qu'il est indillerent, pour son application, que le juge soit délégué pour juger usque ad certam summam, ou bien certum genus causarum.

Je réponds que la différence entre ces deux positions est très-grande.

«Lorsqu'un juge est circonscrit dans un certain genre d'affaires, toutes les autres lui sont absolument étrangères; les lui soumettre, ce ne serait pas étendre sa juridiction, ce serait bien réellement en créer une, et la lui conférer.

saire, comme dans le cas où il s'agit de proroger de re ad rem, de lui conférer une juridiction nouvelle; il suffit de développer un germe préexistant. Enfin il suffit d'étendre une juridiction légalement constituée; et il est tout simple que la loi se prête plus facilement à l'extension d'un pouvoir qui est son ouvrage, qu'à la création d'une autorité à laquelle elle serait absolument étrangère (2). »

Cette distinction est plus ingénieuse que fondée. Qu'importe en effet qu'il y ait une certaine différence entre la prorogation de re ad rem et celle de quantitate ad quantitatem, qu'importe que la seconde paraisse moins étendue que la première, et par conséquent soit plus facilement admissible, si on ne prouve pas que la loi ait fait à cet égard une distinction? Or, cette volonté de la loi, nous ne la rencontrons nulle part. En disant que « le juge de paix connaîtra de toutes les causes purement personnelles et mobilières, sans appel jusqu'à la valeur de cinquaute livres, et à charge d'appel jusqu'à la valeur de cent livres, » la loi des 16-24 août 1790 (3) écarte complétement de la compétence du magistrat inférieur les actions personnelles et mobilières au-dessus de cent livres.

Cela est si vrai que dans le titre suivant, la même loi déclare que « les juges de district connaîtront en première instance de toutes les affaires personnelles, réelles et mixtes en toutes matieres, excepté seulement celles qui ont éte déclarées ci-dessus être de la compétence des juges de paix; les affaires de commerce, dans les districts où il y aura des tribunaux de commerce établis, et le contentieux de la police municipale (4). » Les affaires personnelles sont done attribuées expressément aux juges de district lorsqu'elles n'ont pas été déclarées être de la compétence des juges de paix, c'est-à-dire lorsqu'elles dépassent 100 livres.

La loi du 25 mars 1841 n'a rien changé à cette règle de compétence. Elle s'est bornée à élever au double les chiffres de la juridiction du juge de paix.

Nous pensons donc que les lois régulatrices de la compétence ne permettent pas plus de donner au juge de paix la connaissance d'une affaire mobilière dépassant 200 francs, qu'elles n'autorisent le plaideur à porter une testation civile devant un tribunal de commerce.

con

Au contraire, lorsque le tribunal a droit de connaître usque ad certam summam, et que l'ou porte devant lui une demande à fin de payement d'une somme double ou quadruple, déjà Le langage de la loi est le même dans les investi du droit de juger jusqu'à concurrence du deux cas. Suivant pour les affaires commerquart ou de la moitié de la somme demandée, il ciales la même marche que pour celles portées a, par le titre de son office, le germe, le prin-devant les justices de paix, la loi de 1790 se cipe de l'autorité qui lui est nécessaire à l'ellet de statuer sur le tout. Pour le rendre habile à prononcer légalement, il n'est donc pas néces

(1) Voy. Pasicrisie française, table, vo Prorogation de juridiction, nos 7 et 8, et dans le même sens, un jugement du tribunal de Bruxelles du 20 décembre 1854 (Belgique jud., t. XIII, p. 1301).

borne, au titre consacré aux juges de commerce, à affirmer le droit de ces juges de connaître de toutes les affaires de commerce, tant de terre

(2) Henrion de Pansey, Compétence des juges de paix, chap. VII, p. 38. Bruxelles, 1822.

(3) Titre III, art. 9.

(4) Loi des 16-24 août 1790; titre IV, art. 4.

que de mer sans distinction (1). Elle ne leur dénie pas en termes exprès la faculté de décider les contestations non commerciales, pas plus, nous venons de le voir, qu'elle ne dénie au juge de paix la compétence pour les affaires mobilières de plus de 100 livres.

L'incompétence du juge consulaire résulte de l'art. 4 du titre IV que nous avons cité, et qui, pour déterminer la juridiction du juge d'arrondissement lui confère un droit général de décider les contestations, droit qui se restreint d'après les différentes exceptions énumérées dans l'article. Personne ne nie l'incompétence absolue du juge de commerce pour décider une contestation non commerciale; comment est-il donc logiquement possible de nier l'impossibilité pour le juge de paix de sortir de ses attributions, en décidant une contestation supérieure à 200 francs?

cette dérogation au droit commun ne se retrouve dans la législation moderne? Si nous avons emprunté à la loi romaine une bonne partie de notre loi civile, la procédure romaine ne jouit pas chez nous de la même autorité, et n'a jamais mérité le nom de raison écrite.

Il est facile de comprendre d'ailleurs pour quel motif nos lois n'ont pas voulu de la prorogation de la compétence du juge de paix de quantitate ad quantitatem. Une raison d'ordre public s'opposait à cette extension. Le juge de paix, magistrat inférieur, que le législateur de 1790 présumait à peine devoir être un jurisconsulte, ne pouvait dans la pensée de ce même législateur être appelé à décider sur des contestations de quelque importance. Aussi, nonseulement le juge de paix ne prononce pas sur les actions réelles ou mixtes qui sont réputées présenter plus de difficultés que les actions personnelles, mais encore il ne peut décider les actions personnelles de quelque importance.

Aujourd'hui, si nos magistrats inférieurs sont plus éclairés qu'en 1790, si quelques attributions nouvelles leur ont été confiées par la loi de 1841, nous ne pouvons en conclure que le caractère mème de l'institution des justices de paix ait été changé.

que

Si nous passons à l'examen de l'art. 7 du code de procédure, nous n'y trouvons pas davantage la confirmation du système d'Henrion de Pansey. Cet article ne confère au juge de paix le droit de juger en dehors de sa compétence ordinaire que dans une de ces deux hypothèses: lorsqu'il n'est pas le juge naturel des parties à raison du domicile du défendeur, ou lorsqu'il ne l'est pas par suite de la situation de l'objet litigieux. Telles sont les prorogations que la loi a autorisées. Elle n'est pas allée au delà. L'attention du lé- De nos jours, comme en 1790, il est essengislateur était fixée sur la prorogation de juri-tiel à la bonne administration de la justice, diction; elle l'était depuis longtemps, puisque le juge inférieur ne puisse prononcer sur une le code de procédure ne fait ici que reproduire contestation importante. Quand une forte porles principes du décret du 18 (14 et)-26 octo- tion de la fortune des citoyens est en jeu, la bre 1790 (2) en matière de procédure devant les loi commande des précautions spéciales, et tout juges de paix; et cependant, tout en admettant d'abord l'intervention d'officiers ministériels certaines prorogations de juridiction, la loi ne dont la présence est une garantie. Le respect parle pas de la prorogation de quantitate ad quan- que doit inspirer la justice, la présomption de titatem. Qu'en conclure, sinou qu'elle n'a pas vérité attachée à la chose jugée, telles sont les voulu de cette dernière dérogation aux prin- raisons qui militent en faveur du maintien des cipes de la compétence? juridictions, alors même que les parties voudraient y déroger. Comme l'a très bien exprimé M. Lepourcq dans une dissertation insérée dans la Belgique judiciaire: En voulant que le juge de paix statue, par jugement, sur une contestation incompétemment portée devant lui à raison de la matière, les parties demandent une dérogation au droit public. L'art. 7 ne leur coufère pas l'étrange privilége de l'obtenir, et c'est ici le cas de recourir au principe de l'art. 170, d'après lequel le tribunal ne doit pas juger lorsqu'il est incompétent à raison de la matière. Cet art. 170, il faut en faire la remarque, ne distingue pas entre l'incompétence qui existe à raisou de la quotité de la somme demandée, et celle qui existe à raison du genre de l'affaire : il s'applique à tous les cas d'incompétence matérielle (3). »

Nous le voyons, ce n'est pas dans les principes de la procédure moderne que l'opinion que nous combattons peut trouver de l'appui. L'erreur de nos adversaires est d'avoir cru pouvoir se contenter en pareille matière de quelques textes du droit romain. Henrion de Pansey cite deux textes, empruntés à la législation romaine. Le plus important est celui-ci, qui se trouve au Digeste, liv. V, tit. Ier, no 74, § 1er : Judex qui usque ad certam summum judicare jussus est, eliam de re majori judicare potest, si inter litigalores conveniat. Voet ajoute dans son commentaire : Quod si quantitatis intuitu judicis potestas limitata sit, ex prorogatione jurisdictionis facia inter litigantes, etiam de majori quantitate judicare potest. Qu'importe cependant, en droit français, une extension de compétence permise sous la législation romaine, lorsque aucune trace de

(1) Loi des 16-24 août 1790, titre XII, art. 2.

[ocr errors]

15. Revenons maintenant à la question que

(3) Dissertation d'Ant. Lepourcq, avocat à la cour

(2) Publié en Belgique par arrêté des représentants du d'appel de Liége (Belgique judiciaire, t. II, p. 1631). peuple français, du 2 frimaire an iv.

nous nous sommes posée plus haut. Les juges de paix peuvent-ils, du consentement des parties, se prononcer sur une contestation commerciale?

Pour qu'il soit possible d'adopter l'affirmative sur cette question, il faut de toute nécessité admettre d'abord qu'un tribunal civil peut proroger sa juridiction à un litige commercial. Ce qui ne serait pas permis au tribunal d'arrondissement ne saurait l'être au juge de paix. La plénitude de juridiction n'est certes pas plus complète chez ce dernier à l'égard des actions personnelles et mobilières au-dessous de 200 fr., qu'elle ne peut l'être pour le juge ordinaire pour les mêmes actions au-dessus de cette somme. Examinons donc une grave question qui jusqu'aujourd'hui a divisé la doctrine et la jurisprudence, celle de savoir si un tribunal civil ordinaire peut juger un litige attribué par la loi à un tribunal d'exception?

Tandis que les cours françaises se prononçent unanimement pour l'affirmative, les cours de Belgique réagissent contre cette tendance et se divisent sur la question. La cour de cassation de Belgique elle-même, après avoir en 1835 adopté l'opinion des cours de France, est revenue en 1853 sur sa jurisprudence primitive (1). Voici d'abord les diverses autorités qui se sont prononcées sur la question.

Pour l'opinion que le tribunal civil a la plénitude de juridiction, notons par ordre de date les décisions intervenues en France (2). Besançon, 1er août 1809; Trèves, 9 août 1809; Rennes, 2 décembre 1815; Colmar, 5 février 1826; Grenoble, 12 avril 1826; Caen, 23 juillet 1827; Colmar (2o arrêt), 6 août 1827; Bordeaux, 1er février 1831 (Journ. du Palais, 1841, | 2, 287); Bourges, 11 juin 1831; Bordeaux, 7 avril 1832 (2 arrêt) (Journ. du Palais, 1841, 2, 287); Poitiers, 12 juillet 1833; Douai, 10 juil let 1837; Nancy, 30 juillet 1837; Orléans, 14 mars 1840; Limoges, 12 décembre 1840 (Journ. du Palais, 1841, 2, 424); Bordeaux, 30 juin 1841 (3o arrêt) (Journ. du Palais. 1841, 2, 287). V. au surplus, table de la Pasicrisie française, vo Compétence.

Les derniers arrêts des cours d'appel de France sont ceux d'Orléans (2o arrêt), 25 juin 1850 (Pas., 51, p. 13); de Paris, 30 décembre 1853 (Pas., 54, p. 120); et de Bourges, 3 janvier 1859 (Pas., 59, p. 312).

La cour de cassation de France a décidé dans le même seus par ses arrêts du 10 juillet 1816, du 20 avril 1825, du 9 avril 1827, du 3 mars

(1) Arrêts du 20 janvier 1835 (Pas., 1835, 1, 272) et du 17 novembre 1853 (Pas., 1854, 1, 33; Belg. jud., t. XII, p. 352 et la note).

(2) Nous citons simplement le nom de la ville lorsqu'il s'agit d'une cour. Nous faisons précéder le nom du mot tribunal, quand la décision a été rendue par un tribunal.

[ocr errors]
[ocr errors][merged small]

1830, du 24 avril 1834, du 9 janvier 1838, du 18 mars 1839, et du 20 novembre 1848 (v. le dernier arrêt Pas., 49, 1, 129 et la note qui l'accompagne).

Les cours et tribunaux belges se sont prononcés dans le sens de la jurisprudence française à plusieurs reprises différentes.

Bruxelles, 28 novembre 1808 (3) (Pas., 1809, 2, 24; Décis. notables, t. 15, p. 211); id., 4 juillet 1810 (Décis. notables, t. 21, p. 230); id., 21 décembre 1812 (Décis. notables, t. 27, p. 210); id., 31 décembre 1816;. id., 16 juin 1820 (Pas., 1820, 2, 158 et la note); id., 8 juin 1822 (Jurisp. de Bruxelles, 1822, 2, 114); id., 14 novembre 1823 (Pas., 1823, 2, 533); id., 6 janvier 1830 (Jurisp. de Bruxelles, 1830, 1, 184); Gand, 6 juillet 1835 (Pas., 1833, 2, 195 et la note); Liége, 13 décembre 1845 (Pas., 1844, 2, 213); tribunal de Bruxelles, 14 novembre 1850 (Belg. jud., t. 8, p. 1581); Gand (2 arrêt), 29 décembre 1853 (Pas., 54, 2, 292); Bruxelles (9 arrêt), 13 août 1850 confirmant un jugement du tribunal de Bruxelles du 17 juillet 1850 (Pas., 1854, 2, 208 et la note, Belg. jud., t. 10, p. 1019); Gand (3e arrêt), 10 juillet 1857 (Belg. jud., t. 16, P. 1013); Bruxelles (10 arrêt), 1er février 1858 (Belg. jud., t. 16, p. 344 et la note); Bruxelles (11 arrêt), 12 août 1858 (Belg. jud., t. 17, p. 1285); tribunal de Verviers, 13 mars 1861 (Cl. et Bonj., t. 10, p. 192).

Citons encore en faveur de cette opinion un arrêt de la cour de la Haye du 4 juin 1817 (Pas., 1817, 2, 419), et un second arrêt de cette cour du 20 décembre 1826 (Jurisp. du xixe siècle, 1828, p. 206), et enfin un arrêt de la cour de cassation de Belgique du 20 janvier 1835 (Pas., 1835, 1, 272).

Un grand nombre d'auteurs adoptent la même manière de voir. Ainsi Merlin, Rép., vo Tribunal de commerce, no 5; Chauveau sur Carré, lois de la procédure civile (éd. Méline, 1846, t. 2, p. 148, sur l'art. 170); Pigeau, La Procédure civile,

-

t. 1, p. 117, Thomine-Desmazures, Commentaire, n° 202; Bioche et Goujet, Dictionnaire, V° Compétence des tribunaux de commerce, BerriatSaint-Prix, Code de procédure, art. 170; Favard de Langlade, Répertoire, vo Exception; Cloes, Commentaire sur la loi de 1841, p. 41, et enfin Dalloz, Nouv. Répertoire, vo Compétence civile, avec les autorités qu'il cite. Ce dernier reproduit la plupart des arguments qui ont été présentés sur la question.

Pour l'opinion contraire, refusant au tribunal civil ou bien au juge de paix la plénitude de

se trouvent au Journal du palais, et les arrêts belges dans la Pasicrisie, à leurs dates respectives.

(3) Comme le fait remarquer un article inséré dans la Belgique judiciaire (t. Ier, p. 1117) sur la jurisprudence en cette matière, c'est la cour de Bruxelles qui, par sa décision du 28 novembre 1808, semble avoir entraîné l'opinion de toutes les cours de France. L'article est

A défaut d'indication de provenance, les arrêts français signé A. O. (Aug. Orts).

« PreviousContinue »