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Les trois cours d'appel de Belgique se sont ralliées à la même opinion. Liége, 28 juillet 1823 (Pas., 23, 492); Id., cassation 6 avril 1824 (Pas., 24, 96); Bruxelles, 18 janvier 1843 (Pas., 43, 2, 46); Id., 19 juillet 1848 (Pas., 48, 2, 310); Gand, 6 avril 1849 (Pas., 49, 2, 136).

C'est là aussi la doctrine admise par la cour de cassation et par la plupart des cours d'appel de France (Dalloz, v° Dernier ressort, nos 189 à 196).

Il va de soi que les frais d'enregistrement causés par le protêt ne concourent pas plus que le protêt lui-même à augmenter la valeur du litige. Si le protêt est le premier acte de procédure, l'enregistrement qui le suit est aussi postérieur à la demande. Ces frais d'enregistrement sont de véritables accessoires, ce sont des frais de procédure et d'instruction, comme le dit l'arrêt de la cour de cassation de France du 5 mars 1807 (Dalloz, vo Degré de juridiction, n° 192); Carré énonce la même opinion (Lois de la compétence, article 392, no 535, tome 5, p. 25).

606. Mais les intérêts du montant de la lettre de change, lesquels courent depuis le protêt, peuvent-ils venir augmenter le chiffre de la demande?

Aucune difficulté n'existe pour la portion de ces intérêts qui court depuis la demande. Nous avons vu plus haut qu'ils sont des accessoires, mais remarquons que, dans l'hypothèse où nous nous plaçons maintenant, une portion des intérêts est due antérieurement à la demande. L'art. 184 du code de commerce porte que l'intérêt du principal de la lettre de change protestée faute de payement est dû à compter du jour du protét. Cette partie d'intérêts échue depuis le protêt jusqu'à la demande, doit-elle être ajoutée au capital de la demande pour dé

terminer le ressort?

Cette question divise encore les cours d'appel de France.

La cour de Rouen, 5 novembre 1827 (Dalloz, Répert., v Dernier ressort, no 191), celle de Toulouse, 24 janvier 1810, celle de Bourges, 26 mars 1813, et celle de Rennes, 22 avril 1839 (Dalloz, Répert., vo Dernier ressort, no 196), se prononcent pour l'affirmative. Dalloz accompagne la citation de l'arrêt de la cour de Rennes des réflexions suivantes : Il est à remarquer que, dans cette dernière affaire que nous venons de citer, les intérêts réclamés dataient de cinq années, époque du protêt; ils auraient pu être réclamés pour un temps encore plus long si la prescription avait été interrompue ou si le souscripteur renonçait à s'en prévaloir, de sorte que des intérêts pourraient s'accumuler pendant dix, vingt, trente années depuis le protêt, dépasser de beaucoup le capital, et être réclamés en même temps que ce dernier. Or, serait-il raisonnable de dire qu'ils ne sont point antérieurs à la demande, que le protêt a commencé l'instance, et qu'ils ne se ratta

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chent soit au capital, soit à l'instance, qu'au même titre que des accessoires ou les frais du procès? On a de la peine à le penser, et cette résistance que l'esprit éprouve en présence de considérations semblables, ne décèle-t-elle pas le vice du raisonnement sur lequel les arrêts qu'on a rappelés ci-dessus reposent, et l'erreur du point de départ qu'ils ont admis lorsqu'ils ont assimilé le protêt à un acte introductif du litige, et qu'ils y ont rattaché comme accessoires les droits d'enregistrement, les comptes de retour, et enfin les intérêts courus depuis?»

L'assimilation du protêt à un acte introductif d'instance est-elle une erreur comme semble le croire Dalloz?

Pour le prétendre, il faut oublier la position du porteur telle que le code de commerce l'établit clairement.

Le protêt faute de payement est un acte essentiel imposé par la loi au porteur de la lettre de change (art. 164 et 165 c. de comm.). A défaut de cet acte, le porteur est déchu de tous ses droits contre les endosseurs (art. 168, c. de comm.), c'est-à-dire qu'il perd les avantages les plus importants de sa position. Le protêt doit donc toujours précéder la citation en justice. Sinon la loi commerciale est violée, et comme conséquence, le porteur perd une partie de ses droits. Peut-on dire qu'une formalité aussi nécessaire en matière de lettre de change ne soit pas le premier acte de procédure du porteur de la lettre contre le tireur et les endosseurs?

Quant à la bizarrerie signalée par Dalloz, elle est plus apparente que réelle. Les actions relatives aux lettres de change ne se prescrivent à la vérité que par cinq ans, à compter du jour du protêt ou de la dernière poursuite juridique, (article 189, code de commerce). Il pourrait donc arriver que cinq années d'intérêts fussent ajoutées à l'import de la lettre de change, sans augmenter le capital de la demande au point de vue du ressort. Il pourrait même se faire que les intérêts de la lettre de change courussent pendant un temps plus long, sans que le principal de la demande fût changé. Mais ce sont là des cas extrêmement rares.

La loi commerciale a exigé qu'une citation fût adressée au porteur, aux endosseurs et au tireur, dans un délai de quinzaine après le protêt (art. 165 et suiv., 167 code de comm.). Il est à présumer que dans la plupart des cas et à défaut de payement par l'un des débiteurs, cette citation sera suivie de poursuites et de jugement. Les intérêts qui auront couru depuis le jour du protêt jusqu'à celui de la demande seront donc en général peu importants.

D'ailleurs ne peut-il pas arriver de même que, par suite de la longueur inusitée d'une instance, les intérêts échus depuis le début de cette instance soient très-importants. Est-ce là une raison pour soutenir que ces intérêts, provenant de la demande et échus depuis, doivent être ajoutés au capital demandé?

La majorité des cours de France a adopté l'opinion que nous venons d'exposer.

Turin, 1er août 1811 (S.-V., 12, 2, 263); Poitiers, 12 août 1819; Grenoble, 10 février 1825 | (Dalloz, Répert., vo Dern. Ressort, no 196); Agen, 20 févr. 1824; Rouen, 28 nov. 1826; Pau, 8 déc. 1827; Bordeaux, 15 déc. 1831 (Dalloz, Répert., v° Degrés de juridict., no 191); Bordeaux, 1er juin 1857 (Dalloz, Répert., yo Degrés de juridict., no 562); Caen, 5 nov. 1840 (Dalloz, Répert., v Degrés de juridict., n° 194).

La cour de cassation de France a décidé formellement le même principe par arrêt du 5 mars 1807 (Dalloz, Répert., vo Degrés de juridiclion, no 192).

Quant aux cours belges, plusieurs arrêts ont déclaré qu'en matière de lettres de change, les intérêts ne viennent pas s'ajouter au principal du billet; mais ces décisions ne parlent pas spécialement des intérêts échus depuis le protêt jusqu'à la demande en justice. Bruxelles, 19 juill. 1848 (Pas., 48, 2, 310); Gand, 6 avril 1849 (Pas., 49, 2, 136).

Toutefois il n'y a aucune raison de supposer que ces intérêts doivent subir un autre sort que ceux échus depuis la demande. Comme nous l'avons vu, la jurisprudence belge admet aujourd'hui unanimement que le protèt est le premier acte de la procédure en matière de lettres de change. Il s'ensuit nécessairement que les intérêts qui courent depuis ce protêt doivent être assimilés à ceux dérivant de la demande. Par conséquent, ils n'entrent pas en ligne de compte pour la fixation du ressort. Tel est aussi l'avis de Carré (Lois de la comp., art. 392, no 555, t. 5, p. 25).

607. Les frais d'enregistrement qui ont précédé la demande en justice peuvent-ils s'ajouter au principal de la demande pour déterminer le ressort, ou bien doivent-ils être réputés simples accessoires?

Cette question est vivement controversée.

Les arrêts français les plus récents refusent de comprendre les frais d'enregistrement dans le chiffre de la demande. L'enregistrement du titre, dit-on, étant le préliminaire indispensable de l'action, les frais de cet enregistrement ne peuvent être considérés que comme un accessoire de cette action. Ce principe a été admis par la cour de Dijon, 5 janvier 1830 (Dalloz, Répert., vo Degrés de juridict., n° 181); il est à remarquer que le demandeur lui-même avait conclu à ce que l'enregistrement de l'acte fit partie des dépens, circonstance qui parait avoir exercé une grande influence sur l'opinion de la

cour.

La cour de cassation de France a admis le même principe par un arrêt du 5 mai 1840: Attendu, dit la cour, que, sous l'empire de la loi du 24 août 1790, toute demande qui n'excède pas la valeur de 1,000 fr. doit être jugée en dernier ressort;

«Attendu, en fait, que la demande formée par la demanderesse contre Blucher ne s'élevait

qu'à

en principal qu'à la somme de 993 fr.; la vérité cette demande avait en outre pour objet le coût de cinq sommations, celui de l'acte de nomination des experts et le montant de l'enregistrement du titre;

Mais attendu, quant aux sommations et à l'acte de nomination des experts, que, bien qu'antérieurs à l'exploit introductif d'instance, ils s'y rattachaient nécessairement, puisqu'ils tendaient, de la part de la demanderesse, à faire déterminer le chiffre de sa demande; qu'à l'égard de l'enregistrement du titre, il était le préalable indispensable de l'action, et que, sous ce rapport, il a pu être considéré, ainsi que les actes dont il vient d'être parlé, comme un accessoire de ladite action, lequel ne pouvait influer sur la fixation du dernier ressort; Par ces motifs; Rejette. (Dalloz, Répert.,

v° Degrés de juridict., no 181.)

Mais est-il vrai que l'enregistrement du titre soit le préliminaire indispensable de toute action ayant pour objet de faire exécuter l'obligation que l'acte constate?

Il nous paraît que c'est là un principe trèscontestable.

L'art. 23 de la loi du 22 frimaire an vi déclare que, pour l'enregistrement de tous les actes non mentionnés spécialement à son article 22, il n'y a point de délai de rigueur. Il ajoute que cependant il ne pourra être fait aucun usage de ces actes, soit par acte public, soit en justice, soit devant toute autre autorité constituée, qu'ils n'aient été préalablement enregistrés.

Cette formalité est donc exigée quand on fait usage de l'acte en justice. Mais l'enregistrement n'est aucunement nécessaire quand le défendeur ne dénie pas l'engagement qui lui est opposé. L'action peut donc être couronnée de succès sans qu'il devienne nécessaire de faire enregistrer l'acte constatant l'obligation. S'il en est ainsi, l'enregistrement d'un acte opéré avant l'exploit introductif d'instance ne fait pas nécessairement partie de cette instance. Le coût de cet enregistrement peut donc être réclamé en même temps que la demande principale. Il se joindra à cette demande pour déterminer le ressort.

Il en est tout autrement, nous l'avons vu, dans le cas de protêt, parce que le protêt précède nécessairement la demande en payement de la lettre de change.

Cette doctrine s'appuie sur l'opinion de Poncet (Traité des jugements, t. 1or, no 253), de Carré (Lois de la comp., art. 284, no 320), et de Merlin (Répert., vo Dern. ressort, § XI.) Ces auteurs déclarent en général que tous les frais faits antérieurement à la demande doivent être ajoutés à cette demande pour déterminer le ressort.

La cour de Paris admet le même principe en matière de frais d'enregistrement d'un acte produit dans l'instance (7 novembre 1825, Dalloz. Répert., vo Dern. ressort, no 181).

Le seul arrêt belge qui ait décidé la question in terminis se prononce aussi en ce sens. Il est du 22 avril 1850 (Pas., 51, 2, 18). Il s'agissait de la réclamation d'un billet de 2,000 fr.

La cour de Bruxelles joint les frais d'enregistrement au principal du billet, et par conséquent déclare l'appel recevable, sur les conclusions conformes de M. l'avocat général Faider, mais sans motiver son arrêt en droit.

608. Les principes que nous avons émis en matière d'intérêts du capital trouvent-ils leur application quand il s'agit de dommages-intérêts?

Ces dommages-intérêtspeuvent être réclamés soit par le demandeur, soit par le défendeur. Il faut distinguer soigneusement ces deux hypothèses.

609. Occupons - nous d'abord des dommages-intérêts réclamés par le demandeur. Il faut ici faire usage de la distinction que nous avons établie en matière d'intérêts du capital. Les dommages-intérêts qui naissent par suite de la demande ne comptent pas pour la | compétence. Il en est autrement des dommagesintérêts qui ont une cause antérieure à la demande.

Et en effet, si les dommages-intérêts réclamés par le demandeur dérivent de la demaude elle-même, et n'ont pris naissance que dans le cours de l'action, ils ne peuvent compter pour établir le ressort.

principale; Considérant enfin, à l'égard de la demande de 1,200 fr. à titre de dommagesintérêts, que cette demande n'ayant été formée par Broyer qu'à défaut par Mardy de satisfaire à celle à fin de visite du pressoir, on ne peut envisager ces dommages-intérêts que comme intervenus par suite et à l'occasion de l'instance principale elle-même, ce qui ne constitue également qu'un simple accessoire à cette action; Rejette.» 7 avril 1807 (Dalloz, Répert., vo Degrés de juridict., no 169).

La cour d'Angers a déclaré, dans le même sens, qu'on ne pouvait compter dans la réclamation principale la demande en dommages-intérêts fondée sur ce que le demandeur avait éprouvé un préjudice par suite de la défense qui consistait en une dénégation d'écriture. 21 mars 1840 (Jurisprud. du XIXe siècle, 40, 2, 395).

La cour de Caen s'est aussi prononcée en ce sens le 14 novembre 1848 (Pas., 49, 2, 571). Il en est de même des cours d'Orléans, 10 juin 1851 (Pas., 51, 2, 185) et de Metz, 18 mai 1855 (Pas., 55, 2, 542).

La jurisprudence belge s'est rangée à la même opinion.

La cour de Liége a décidé qu'il n'échoit pas appel du jugement qui statue sur une demande réduite à une somme inférieure à 1,000 fr., bien que cette demande, jointe aux dommages-intérêts réclamés pendant l'instance, excède 1,000 fr. Liége, 13 février 1855 (Pas., 35, 2, 50). Les dommages-intérêts étaient basés sur des procédures frustratoires faites par le défendeur et par conséquent sur un fait dérivant de l'action même. La cour de Liége a encore admis ce

Une pareille réclamation de dommages-intérêts n'a pas véritablement d'existence au moment de l'intentement de l'action. Elle ne vient à naître que par suite de l'action elle-même et généralement du système de défense opposé à la demande. C'est donc là une véritable de-même principe par arrêts du 12 janvier 1842 mande accessoire.

C'est en ce sens que la cour de cassation de France s'est prononcée dans son arrêt du 7 avril 1807.

Le sieur Broyer avait introduit une action parce que le sieur Mardy s'était refusé à lui livrer un pressoir dans un délai fixé. La livraison ayant été ordonnée, Broyer demanda en justice la visite du pressoir livré, en concluant en outre à 1,200 fr. de dommages-intérêts résultant du refus de Mardy de procéder à cette visite. La cour de cassation rejeta le pourvoi fondé sur ce que le premier juge ne pouvait juger en dernier ressort.

Considérant, dit la cour, que l'objet principal de la contestation était uniquement la demande formée par Broyer à fin de visite du pressoir, et que la valeur intrinsèque de ce pressoir étant fixée par les parties elles-mêmes à une somme moindre de 1,000 fr., les juges ont pu, sans contrevenir à aucune loi, déclarer que l'objet du litige n'excédait pas cette même somme; Considérant que la pierre dont le prix était également réclamé par Broyer, ayant servi, de son aveu, au posage dudit pressoir, cette demande ne pouvait être considérée que comme un simple accessoire de la demande

(Pas., 42, 2, 122) et du 9 avril 1845 (Pas., 46, 2, 80) rapportés par leurs sommaires seulement.

On peut citer de la même cour un arrêt qui décide que les dommages-intérêts réclamés ne peuvent être regardés comme faisant partie de la demande principale, ni ètre pris en considération pour déterminer la compétence, lorsqu'ils sont purement éventuels et n'ont pas une cause antérieure à l'action. Liége, 19 janvier 1843 (Pas., 45, 2, 376).

Le même principe a été admis de nouveau, dans une espèce où il s'agissait de même de dommagesintérêts éventuels, par un arrêt de la même cour du 25 mars 1861 (Pas., 62, 2, 130).

La cour de Bruxelles décide, comme la cour de Liége, que les dommages-intérêts ne peuvent influer sur ce ressort quand ils n'ont pas une cause antérieure à l'action. 16 mars 1832 (Pas., 32, 2, 86). Cet arrêt, rendu sur les conclusions contraires de M. le substitut du procureur général de Bavay, est suivi d'une note qui repousse la distinction entre le principal et l'accessoire, en prétendant qu'elle est fondée bien plus sur la lettre que sur l'esprit de la loi de 1790. N'estil pas évident, dit l'annotateur, que le législateur a voulu que l'importance du litige soit la règle?..... Et qu'importe au créancier que quel

DES TRIBUNAUX DE PREMIÈRE INSTANCE. —

ques centaines de francs lui soient dues à titre de principal, plutôt qu'à titre d'accessoire, comme capital ou comme intérêts, même moratoires? La somme n'a-t-elle pas pour lui la même importance dans un cas que dans l'autre?

Déjà divers arrêts ont décidé que lorsqu'une demande qui excédait mille francs est réduite dans le cours de l'instance à une somme inférieure, le jugement est en dernier ressort; et c'est un acheminement vers cette opinion rationnelle, que l'importance du litige doit servir de règle. Ne serait-il pas conséquent d'admettre que toute somme demandée principalement ou reconventionnellement, à quelque titre que ce soit, à la seule exception des dépens et du cas de compensation non contestée, doit être prise en considération pour décider si le jugement est en premier ou en dernier ressort? Et si nous devons encore fléchir sous le joug de la lettre de la loi, faisons au moins des vœux pour un changement qui tarira tous ces procès auxquels a donné et donne tous les jours lieu la distinction de principal et d'accessoire, »

Si cette opinion devait être suivie, il est certain que les dommages-intérêts, même nés depuis la demande.devraient pouvoir contribuer à la fixation du ressort.

Mais hâtons-nous de dire qué la distinction entre le principal et l'accessoire ne nous paraît nullement arbitraire. Elle est basée sur la nature même des choses. Si le chiffre de la demande principale influe seul sur le ressort, ce n'est pas seulement parce que cette demande paraît plus importante que toute autre demande qualifiée d'accessoire, c'est parce que la demande principale est la seule qui ait une existence véritable, au moment de l'intentement de l'action. La demande accessoire peut venir s'y joindre par la suite, mais son existence est toujours hypothétique au début de l'instance. Comment dès lors serait-il possible de la déterminer et de donner à la réclamation accessoire une influence quelconque sur le ressort?

Mais, objecte-t-on, la jurisprudence admet que le ressort n'est fixé que par les dernières conclusions. Pourquoi donner à celles-ci une influence décisive quand il s'agit de la modification de la demande principale, et leur refuser cependant toute valeur quand elles ajoutent à cette demande primitive une réclamation accessoire?

La réponse est facile. Si le ressort n'est déterminé que par les dernières conclusions, c'est parce qu'il est admis que la demande primitive peut être modifiée jusqu'à la clôture des débats. Mais ce n'est jamais que la demande elle-même, demande déjà présentée au juge, qui peut être modifiée par les conclusions supérieures (supra, nos 558 et 561).

du litige peut ne pas être encore clairement déterminée pour celui qui commence les poursuites. On peut se trouver obligé d'intenter l'action d'une manière précipitée et n'avoir pu rassembler sur sa valeur des éléments complets d'appréciation. Cela arrive notamment quand on doit en toute hâte interrompre la prescription. Il sera permis dès lors, dans des conclusions postérieures, de rectifier une appréciation pre| mière qu'on a reconnue erronée.

Mais rien de semblable n'existe pour la demande qui naît de l'action elle-même et que nous appelons accessoire. Celle-ci n'existe pas au moment de l'intentement de l'action. La demande primitive ne la contient pas comment dès lors pourrait-on donner au demandeur le droit de changer le ressort en faisant naître plus tard une semblable demande? Ce ne serait plus là de sa part modifier la réclamation primitive, qu'on reconnaît mal justifiée en partie, ce serait créer une demande nouvelle, afin de modifier le ressort.

Ajoutons enfin que l'annotateur de la Pasicrisie est forcé lui-même de modifier la généralité de la règle qu'il pose, en ce qui concerne les dépens.

Mais quelle raison y a-t-il de refuser pour les dommages-intérêts ce qu'on accorde pour les dépens? Les uns et les autres sont également des accessoires.

Il faut conclure que chaque fois que la demande ne naitra que des faits du procès, il n'y aura pas lieu de s'en préoccuper au point de vue du ressort.

La cour de Bruxelles a, par arrêt du 29 décembre 1855 (Pas., 56.2.510), adopté l'opinion de son arrêt du 16 mars 1832 Il s'agissait de dommages-intérêts réclamés par le demandeur pour faits injurieux et outrageants qu'il soutenait avoir été posés par le défendeur.

L'imposante jurisprudence que nous avons citée se renforce encore d'un arrêt de notre cour suprême. La cour de cassation a décidé que les dommages-intérêts dérivant de faits du procès ne peuvent avoir d'influence sur la compétence. L'arrêt avait été précédé de conclusions conformes de M. le procureur général Leclercq, rapportées dans la Pasicrisie, arrêt du 21 mai 1839 (Pas., 39, 1, 98).

610. Prenons maintenant la seconde hypothèse, celle où les dommages-intérêts réclamés par le demandeur ont une cause antérieure à l'intentement de l'action.

Nous avons dit que dans ce cas les dommagesintérêts doivent être ajoutés au capital réclamé et que cet ensemble détermine le ressort.

Avant d'examiner cette question sous l'empire de la loi belge, voyons comment elle se présente sous celui de la loi française du 11 avril 1838.

Les raisons du droit de modifier le litige L'art. 2 de cette loi porte en effet Lorssont faciles à saisir. Il a paru équitable de laisser qu'une demande reconventionnelle ou en comau demandeur la faculté de revenir sur l'appré-pensation aura été formée dans les limites de la ciation erronée qu'il a pu faire de sa réclamation. Lors de l'intentement de l'action, la valeur

compétence des tribunaux civils de première instance en dernier ressort, il sera statué sur le

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diffère sur ce point, ni de l'art. 5, titre IV de la loi de 1790, ni de l'art. 1er de la loi du 11 avril 1838.

D'après ces différentes lois, c'est la valeur de l'action en principal qui fixe le ressort.

Les dommages-intérêts ayant une cause antérieure à la demande font-ils, oui ou non, partic du principal de la demande?

Pour la négative on invoque d'abord l'art. 3 de l'édit des présidiaux de 1777. Cet article

L'art. 1er de la loi française du 3 mars 1840 sur les tribunaux de commerce contient une disposition identique quant aux dommages-in-porte, dans sa deuxième partie : « A l'égard des térêts.

intérêts, arrérages, restitutions de fruits échus depuis la demande, dépens, dommages-intérêts, ils ne seront pas compris dans la somme qui détermine la compétence. >>

De ce texte il paraît résulter que les dommages-intérêts échus, soit avant la demande, soit depuis, ne peuvent en aucun cas concourir à former la compétence.

En second lieu on recherche le caractère des dommages-intérêts. Ces dommages-intérêts sont toujours des accessoires, dit-on, parce qu'ils se rapportent toujours par leur objet au principal de la réclamation. I importe peu qu'ils aient une origine antérieure ou postérieure à l'exploit introductif d'instance. L'action en principal, c'est la demande dégagée de tout ce qui s'y rattache.

Ce raisonnement a été consacré par une partie de la jurisprudence française, et spécialement par un arrêt de Turin, du 4 ventôse an x (Pas., à sa date), par un arrêt de Rennes, du 8 avril 1815 (Pas., à sa date), par un arrêt de cassation du

Par argument a contrario tiré de ces articles, on a dit que les demandes en dommages-intérets qui ne sont pas fondées sur la demande principale, c'est-à-dire qui ont une cause antérieure à cette demande, ne sont pas jugées en dernier ressort, c'est-à-dire ont par elles-mêmes une valeur propre au point de vue de l'appel. Dalloz applique notamment cette argumentation aux dommages-intérêts réclamés par le demandeur (Répert., vo Dern. ressort, nos 200 et 202). Nous ne pensons pas que le législateur français aiteu en vue la difficulté qui nous occupe. Les dispositions citées concernent seulement les dommages-intérêts qui sont demandés reconventionnellement par le défendeur. Cela est si vrai que les paragraphes qui concernent les demandes en dommages-intérêts font partie des dispositions où il s'agit uniquement de demandes reconventionnelles. La discussion à laquelle le paragraphe de la loi de 1838 a donné lieu dans les chambres françaises vient encore corroborer cette opinion. Il n'y est question que de demandes reconvention-21 décembre 1825, rejet (Jurisp. du XIXe siècle, nelles. Ces mots se trouvent inscrits dans le 26, 1, 379), et par un arrêt de Rouen du 19 noparagraphe qui parle des dommages-intérêts, vembre 1840 (Pas., 41, 2, 62). paragraphe proposé à la chambre des députés par M. Charlemagne (Moniteur, p. 392 et 397. Séances du 22 et du 23 février) et adopté à la chambre des députés. A la chambre des pairs on rédigea en ces termes la disposition dont s'agit Néanmoins il sera statué en dernier ressort sur les demandes formées par les défendeurs en dommages-intérêts, lorsqu'elles seront fondées exclusivement sur la demande principale elle-même.» (Séance du 28 mars, proposition de M. Mérilhoù.) Mais M. le garde des sceaux présenta cette observation fort juste que le défendeur seul pouvait former une demande en dommages-intérêts fondée sur la demande principale, et sur sa proposition les mots formées par les défendeurs furent supprimés comme superflus. (Séance du 4 avril 1838, Moniteur du 5, p. 798.) Du texte comme de la discussion de la loi française de 1838, il nous est donc permis de conclure, contrairement à l'opinion de Dalloz, que cette loi n'a rien changé aux règles du ressort en ce qui touche les demandes en dommages-intérêts formées par le demandeur.

La jurisprudence française postérieure à 1838 conserve donc toute sa force en Belgique, quant à la question qui nous occupe.

Revenons à la solution de la question sous l'empire de l'art. 14 de la loi de 1841, qui ne

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Mais la plupart des auteurs repoussent cetie manière de voir. Merlin (vo Dern, ressort, § 41, t. 3, p. 568) déclare en général que les dommages soufferts avant la demande forment de véritables capitaux; et doivent entrer dans le calcul de la somme qui règle le ressort. Carré (no 320, t. 3, p. 99), interprète de la même façon l'art. 3 de l'édit de 1777.

Que tel soit le sens de cet art. 5, ou qu'il faille comprendre la disposition comme excluant les dommages-intérêts de la règle, que les demandes même accessoires ayant une cause antérieure à la demande doivent coopérer à fixer le ressort, toujours est-il que le sens de la loi de 1790 ne nous paraît pas douteux.

Le principal, d'après cette dernière loi, c'est incontestablement la demande telle qu'elle existe au moment où elle est intentée, c'est-à-dire dans son entier, en y comprenant non-seulement ce qui formait l'objet primitif de la réclamation, le premier grief du demandeur, mais tous les chefs qui sont venus s'ajouter à cette réclamation primitive, et qui sont devenus ainsi parties intégrantes de la demande elle-même.

Des dommages-intérêts réclamés en même temps que le fond de la demande forment si bien un chef principal de l'action, que rien ne s'opposerait à ce qu'ils fussent réclamés seuls

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