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d'État laisse le plus grand doute sur la question de savoir quelle est la raison précise qui a déterminé le rejet de l'art. 67 qui se trouvait au projet. Mais il est certain cependant que cette disposition n'a été remplacée par aucune dispo sition contraire, et qu'aucune proposition n'a été faite en ce seus au sein du conseil d'Etat. En l'absence d'un article exprimant clairement que la qualité d'héritier une fois reconnue par un jugement passé en force de chose jugée ne pourra plus être discutée en justice, force nous est de nous en tenir aux principes généraux qui règlent la chose jugée. L'art. 1351 doit donc nous servir de guide. Nous adoptons à cet égard l'opinion de Berlier qui croyait que l'art. 67 pouvait être retranché comme inutile, en présence de l'art. 1551. Mais, cette disposition déclare que, pour qu'il soit possible d'invoquer la chose jugée, il faut que le débat s'agite entre les mêmes parties et sur le même objet.

Si nous appliquons ce principe au cas où la qualité d'héritier est reconnue par un jugement, nous devons forcément en conclure que ce jugement n'aura de force probante qu'entre celui qui l'aura obtenu et celui qui aura été déclaré héritier dans un cas particulier. Ce jugement n'aura pas le pouvoir d'imposer la qualité d'héritier d'une manière indélébile et définitive.

Marcadé a si bien compris la force irrésistible de cet argument, qu'il cherche à prouver que l'art. 800 ne constitue pas une véritable exception à l'art. 1351. S'autorisant de quelques paroles du conseiller d'État Muraire, il attribue aux mots jugement passé en force de chose jugée un sens très-restrictif, et soutient qu'il faut les comprendre comme signifiant un consentement tacite du successible à être reconnu héritier, une acceptation de cette qualité. Mais c'est là forcer le sens des mots qui terminent l'art. 800. Si le conseiller d'Etat Muraire a voulu voir dans le jugement passé en force de chose jugée une sorte d'acceptation par le successible de la qualité d'héritier, c'est là une opinion qui avait pour but de combattre le principe de l'art. 67 et qui est restée complètement isolée au conseil d'État. Pour tous les autres orateurs qui ont pris part au débat sur l'art. 67 projeté, la question posée à l'occasion de cette disposition ne faisait pas l'objet d'un doute.

Ainsi Maleville et des autres conseillers d'État qui combattaient le principe de l'art. 67, cherchaient à établir que la qualité d'héritier reconnue par jugement était un fait positif qui ne pouvait à la fois exister et ne pas exister. C'était, comme le disait Bigot-Préameneu, une qualité universelle. Il ne s'agissait donc pas de savoir si cette qualité d'héritier était acceptée ou non par le successible. Elle lui était imposée par le jugement qui le condamnait comme héritier. Les mots jugement passé en force de chose jugée signifient tout simplement : jugement définitif.

La distinction imaginée par Marcadé ne s'appuie donc que sur quelques mots de la discussion, et se trouve combattue par tous ceux qui y

ont pris part. Elle ne peut donc être admise. Mais, objecte-t-on, l'art. 800 forme exception au principe de l'autorité de la chose jugée.

Pour le prouver, on fixe en ces termes le sens de cette disposition: L'art. 800 accorde à l'héritier le droit d'accepter bénéficiairement, tant qu'il n'a pas fait acte d'héritier et qu'aucun jugement passé en force de chose jugée ne l'a déclaré héritier pur et simple. Lorsque au contraire l'une de ces deux hypothèses vient à se réaliser, le successible ne peut plus accepter bénéficiairement. Il devient dès lors héritier pur et simple. A partir de ce moment, la qualité d'héritier existe dans son chef d'une manière absolue, et par suite à l'égard de ceux-là mêmes qui n'ont pas figuré comme parties au procès dans lequel le successible a été déclaré héritier.

Par cette interprétation, le principe de la chose jugée serait complétement ébranlé. La qualité d'héritier, une fois reconnue, deviendrait indélébile dans le chef de celui à qui elle aurait été attribuée, fût-ce d'une manière tout à fait incidente.

Cette interprétation de l'art. 800 dépasse de beaucoup l'intention du législateur.

Et d'abord, il est impossible de présumer que le projet du titre Des successions présenté tout entier par Treilhard ait pu contenir deux dispositions complétement contradictoires. C'est cependant ce qui résulterait nécessairement de l'interprétation donnée à l'art. 800 par Merlin, par Marcadé et par les autres auteurs que nous avons cités.

Nous avons vu, en effet, que l'art. 67 du projet du titre Des successions déclarait d'une manière formelle qu'un jugement condamnant un successible comme héritier pur et simple n'imposait cette qualité à l'héritier qu'à l'égard du créancier qui avait obtenu le jugement.

Or, l'art. 88 du projet, disposition dont le principe a passé dans l'art. 800 du code, aurait consacré une règle diamétralement contraire à celle de la disposition de l'art. 67 qui le précédait presque immédiatement. Cet art. 88 aurait déclaré que le jugement passé en force de chose jugée et condamnant un successible comme héritier pur et simple rendait celui-ci incapable d'accepter sous bénéfice d'inventaire, et par suite lui imposait la position d'héritier pur et simple vis-à-vis de tiers qui n'auraient pas été parties au procès.

Cette contradiction ne se comprendrait pas, nous le répétons, et elle serait surtout inexplicable quand on considère l'autorité du jurisconsulte qui présentait les deux articles du projet, et la proximité des dispositions elles-mêmes.

Tel est le premier motif qui nous interdit de voir dans l'art. 800 une dérogation à l'art. 1351 réglant l'autorité de la chose jugée.

628. Mais nous trouvous dans le texte même de cet article 800 et dans la place qu'il occupe dans le code civil la preuve évidente que la disposition n'a voulu en rien ébranler le principe général de l'art. 1351.

Quel est, en effet, le sens véritable de l'article 800?

Remarquons d'abord que l'art. 800 se trouve compris dans la section 3 du chap. 5, laquelle traite uniquement du bénéfice d'inventaire. Entre l'acceptation pure et simple d'une succession et la renonciation à la qualité d'héritier, le code civil, à l'exemple de la législation romaine, a autorisé une manière d'agir intermédiaire. Moyennant certaines obligations déterminées par la loi, le successible peut obtenir les avantages d'une position particulièrement avantageuse, celle d'acceptant sous bénéfice d'inventaire. (Exposé des motifs de Treilhard, orateur du gouvernement au corps législatif, séance du 19 germinal an x1 (19 avril 1803) Locré, t. 5, p. 97.)

Quelles sont maintenant les obligations imposées au successible pour pouvoir jouir de ce bénéfice?

Le successible est tenu de faire inventaire des biens délaissés, dans un délai de trois mois à compter du jour de l'ouverture de la succession. Il a de plus un délai de quarante jours, à compter du jour de l'expiration des trois mois ou à compter de celui de la clôture de l'inventaire, pour délibérer sur la position qu'il compte prendre (art. 794, 795 du code civil).

Supposons une poursuite dirigée contre une personne en qualité d'héritier. Si l'action lui est intentée pendant le délai de trois mois et quarante jours, aucune condamnation ne peut étre obtenue contre lui (art. 797 c. c.).

Et, en effet, pendant ce délai, l'héritier a pleinement le droit d'user du bénéfice d'inventaire. Nul ne peut, à l'aide d'une coudamnation obtenue contre lui, diminuer les avantages de sa position.

Mais quand l'héritier a laissé passer trois mois et quarante jours sans faire au greffe la déclaration d'acceptation bénéficiaire prescrite par l'art. 793, sa position change complétement. D'une part, il n'a pas rempli en temps utile les obligations que lui imposait la loi pour jouir d'un avantage qu'elle lui concédait moyennant certaines conditions. D'autre part, la loi civile doit tenir compte de l'intérêt des créanciers, intérêt opposé à celui de l'héritier, et qui exige impérieusement que la position de celui-ci soit fixée. Après les trois mois et quarante jours, les créanciers pourront donc poursuivre l'héritier de leur débiteur décédé, et obtenir contre lui une condamnation. Ce principe s'induit nécessairement a contrario du texte de l'art. 797 du code civil.

Cependant la loi accorde à l'héritier un dernier moyen d'éviter une condamnation. Se trouvant poursuivi, l'héritier peut demander au juge une prolongation de délai afin de faire inventaire (art. 798 c. c.). Cette prolongation ne sera accordée, dit Treilhard, que si des circonstances particulières en démontrent la nécessité. (Exposé des motifs, Locré, t. 5, p. 98.)

Ainsi, après l'expiration du délai de trois mois et quarante jours, le successible poursuivi n'a d'autre moyen d'éviter une condamnation comme héritier pur et simple que de demander au juge une prorogation du délai pour faire inventaire. Mais ce n'est pas pour le juge une obligation d'accorder cette faveur.

Vient alors l'art. 800, dont nous avons à nous occuper spécialement, et qui forme pour ainsi dire la sanction des divers articles qui le précèdent.

Cette disposition commence par déclarer que, même après les délais énoncés par la loi et après la prolongation accordée par le juge, ie successible conserve la faculté de faire encore inventaire et de se porter héritier bénéficiaire, mais il faut qu'il ne soit pas dans l'une des conditions énoncées dans l'article, c'est-àdire: 1° qu'il n'ait pas fait acte d'héritier; 2o qu'il n'existe pas contre lui de jugement passé en force de chose jugée qui le condamne comme héritier pur et simple.

Pourquoi la loi impose-t-elle à l'héritier cette dernière condition? En d'autres termes, pourquoi le successible contre lequel il existe un jugement définitif qui le condamne comme héritier ne peut-il plus user du bénéfice d'inven

taire?

Pour comprendre cette disposition, il faut nous reporter aux articles qui précèdent l'article 800, en envisageant les divers cas qui se présentent lorsqu'un successible est poursuivi après l'expiration du délai de trois mois et quarante jours.

Nous savons qu'après ce délai le successible poursuivi n'a d'autre moyen d'obtenir encore le bénéfice d'inventaire que de demander au juge la prolongation du délai légal. Supposons d'abord qu'il demande cette prolongation et l'obtienne. L'inventaire a lieu et le successible échappe à la condamnation. L'hypothèse de l'art. 800 in fine ne se réalise pas. Nous n'avons donc pas à nous occuper de ce premier cas.

Mais supposons que l'héritier ne demande au juge aucune prolongation de délai. Il renonce par cela même au seul moyen d'obtenir une prolongation pour faire inventaire. C'est dire qu'il répudie la position d'héritier bénéficiaire pour laquelle l'inventaire est une condition sine qua non (art. 794). La condamnation qui intervient alors contre le successible en qualité d'héritier pur et simple est en quelque sorte le résultat de sa volonté : il n'a rien fait pour s'y soustraire. On comprend dès lors facilement pourquoi l'art. 800 déclare que cette condamnation met désormais obstacle à la faculté de faire inventaire et de se porter héritier bénéficiaire. Cette condamnation est la suite de-la position acceptée par le successible.

Envisageons enfin la troisième hypothèse qui peut se présenter. Supposons que le successible poursuivi demande au juge la prolongation du délai pour faire inventaire, mais que le juge la lui refuse. Le créancier obtient encore une con

damnation contre le successible comme héritier pur et simple.

Ici ce n'est plus par suite de sa propre volonté que le successible est condamné comme héritier. Son désir opposé s'est au contraire manifesté; mais la décision du juge a fait obstacle à ce que le délai de trois mois et quarante jours fût prolongé et par suite a entravé l'acceptation bénéficiaire. Dans cette hypothèse, la condamnation du successible comme héritier pur et simple est le résultat de la volonté du juge. Mais on comprend cependant facilement le motif du code quand il déclare que cette condamnation fait désormais obstacle à l'acceptation bénéficiaire de la succession.

toute nécessité la qualité d'héritier, elle n'est autre chose qu'un mode forcé d'acceptation à l'égard de l'héritier condamné. Si tel était le sens de l'art. 800, le législateur aurait placé la disposition au milieu des divers modes d'acceptation expresse ou tacite, c'est-à-dire après l'art. 780.

Cette argumentation nous paraît d'autant plus solide que rien dans le texte de l'art. 800 ne vient confirmer l'interprétation de nos adversaires. C'est par voie d'induction qu'ils soutiennent que le successible condamné comme héritier pur et simple ne peut plus renoncer à la succession. Mais l'art. 800 ne dit rien de pareil. Il déclare simplement que la faculté de faire inventaire et de se porter héritier bénéficiaire est enlevée au successible dans le cas où il existe contre lui un jugement passé en force de chose jugée qui le condamne en qualité d'héritier pur et simple.

Nous avons dit qu'après le délai de trois mois et quarante jours, l'acceptation bénéficiaire n'était plus un droit aux yeux de la loi civile. Dès lors, les intérêts du créancier priment ceux du successible. Le juge qui refuse à celui-ci la faculté de faire inventaire, donne définitivement Nous avons dit plus haut les raisons de cette la préférence au créancier. La condamnation du règle imposée par la loi, et nous ne voyons ausuccessible comme héritier pur et simple est cun motif pour étendre l'art. 800 à un cas dont donc la peine que la loi attache au retard mis il ne fait pas mention. Le successible condamné par le successible à la confection de l'inventaire, comme héritier pur et simple pourra donc touretard que le juge a déclaré inexcusable en re-jours renoncer à la succession. Aux termes de fusant de prolonger le délai. Condamné comme héritier pur et simple, le successible ne pourra plus désormais faire inventaire; il portera la peine de sa négligence à remplir les conditions que la loi imposait à celui qui voulait jouir du bénéfice d'inventaire.

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Le sens que nous donnons à l'art. 800 nous paraît de plus le seul qui soit en harmonie avec la place qu'occupe la disposition dans le code civil, comme avec le texte même de cette disposition.

L'art. 800 fait en effet partie de la sect. 3 du chap. 5 des successions. Le titre de cette section indique qu'elle ne doit se rapporter qu'au bénéfice d'inventaire. Et d'ailleurs tous les articles qui la composent ont pour objet de fixer les conditions et les effets de ce mode d'acceptation.

Dire avec Merlin et Marcadé: L'art. 800 exige que le successible, une fois condamné comme héritier pur et simple, ne puisse plus avoir d'autre position que celle d'héritier, c'est supposer que le législateur a introduit, au milieu de dispositions concernant le bénéfice d'inventaire, un principe qui aurait dû trouver sa place dans la sect. Are du chap. 5. Cette section concerne spécialement l'acceptation des successions.

Et en effet si la condamnation d'un successible comme héritier pur et simple impose de

l'art. 789, la faculté de renoncer ne se prescrit que par trente ans.

A la vérité, l'acceptation d'une succession met obstacle à la renonciation postérieure à la même succession; mais les actes d'acceptation sont spécialement indiqués dans la sect. 1re du chap. 5 des successions (art. 778 à 780), et rien ne nous autorise à joindre la condamnation du successible comme héritier aux autres cas prévus par la loi, et à créer ainsi une acceptation forcée dont elle ne parle pas.

En résumé, nous croyons l'avoir démontré, l'art. 800 du code civil n'a aucunement pour objet de déclarer que le successible une fois condamné même incidemment comme héritier sera désormais réputé héritier sans pouvoir répudier ce titre. Čet art. 800 ne forme donc pas exception aux principes de l'art. 1351 sur la chose jugée.

L'article se borne à dire que l'acceptation bénéficiaire sera interdite au successible condamué comme héritier pur et simple, et c'est là une règle toute spéciale qui ne peut être étendue.

629. Plaçons-nous maintenant au point de vue de la compétence, et déduisons les conséquences naturelles des principes que nous venons de poser.

La condamnation d'un successible comme héritier pur et simple n'a pas pour effet de lui imposer cette qualité d'héritier d'une manière définitive. On en a conclu que cette condamnation ne pouvait avoir aucun effet quant au ressort. Il n'y aura donc appel, a-t-on dit, que dans le cas où le chiffre de la somme demandée par un créancier contre un successible sera supérieur à 2,000 fr. Dans le cas contraire, la qualité d'héritier dans le chef du successible n'ayant

rien de définitif, et n'imposant aucune obligation pour l'avenir, il n'existe aucune raison d'accorder l'appel. La règle générale que la qualité d'une des parties n'influe pas sur le ressort reçoit une application particulière quand il s'agit de la qualité d'héritier.

Telle est l'opinion de Dalloz (Répert., vo Degrés de juridiction, no 251, de Carré (Compét., nos 323 et suiv.) et de Benech (p. 97 et suiv.). Elle est confirmée par de nombreux arrêts de la cour de cassation et de diverses cours d'appel de France. Cass., 18 nivôse an xII (S.-V., 4, 2, 64). Id., rejet 24 mars 1812 (S.-V.; 12, 1, 325). Agen, 21 août 1812 (Pas., à sa date). Grenoble, 28 août 1812 (Dalloz, Répert., n° 253). Grenoble, 14 décembre 1815 (Pas., à sa date), Limoges, 23 janvier 1821 (Dalloz, Répert., no 253). Bourges, 16 mai 1823 (Pas., à sa date). Bourges, 27 octobre 1825 (Jurisp. du x1x siècle, 26, 2, 257). Poitiers, 28 juillet 1826 (Jurisp. du XIXe siècle, 27, 2, 40). Limoges, 16 juin 1838 (Pas., à sa date et la note). Montpellier, 14 novembre 1835 (Jurisp. du XIXe siècle, 37, 2, 17). Toulouse, 1er avril 1844 (Pas., 45, 2, 199). Bordeaux, 22 novembre 1844 (Pas., 45, 2, 462). Toulouse, 11 mars 1852 (Pas., 53, 2, 56). Montpellier, 13 juillet 1853 (S.-V., 53, 2, 476).

La cour de Liége s'est à diverses rèprises prononcée dans le même sens. Un premier arrêt de Liége du 3 juillet 1811 (Pas., à sa date) admet cette règle, qui est confirmée de nouveau par les arrêts de la même cour du 26 avril 1816 (Pas., 16, 118) et du 13 janvier 1830 (Pas., 30, 9). Cette doctrine s'appuie encore sur l'opinion de tous les auteurs qui déclarent que l'art. 800 du code civil n'a pas pour but de déroger à la règle de l'art. 1351 sur la chose jugée. C'est en ce sens que se prononcent en effet Zachariæ (Dr. civil, § 612, note 24 et § 769, note 49), Delvincourt (t. 3, p. 289, édit. belge), Durantou (t. 7, n° 25), Delaporte (Pandectes françaises (t. 3, p. 155), Chabot (Successions, art. 800), Larombière (Obligations, no 150, t. 3, p. 272, édit. belge) et Arntz (Cours de droit civil, t. 2, p. 171, no 411).

Tout en admettant avec ces derniers auteurs que l'art. 800 ne déroge aucunement à l'art. 1551, nous ne pouvons conclure de ce principe que la condamnation du successible comme héritier pur et simple n'a pas de conséquences futures pour cet héritier, et que par conséquent cette condamnation n'entraîne pas l'appel.

L'analyse de l'art. 800 à laquelle nous nous sommes livré nous a démontré que, si cette disposition n'a pas pour objet d'imposer la qualité d'héritier pur et simple, elle a cependant un effet très-important pour l'avenir: Le successible condamné comme héritier pur et simple ne peut plus désormais accepter sous bénéfice d'inventaire. | En ce seus on doit dire que cette condamnation a un effet qui dépasse toujours la valeur de l'action actuellement intentée. L'interdiction d'accepter sous bénéfice d'inventaire a une valeur indeterminée pour l'héritier qu'elle con

cerne. Il ne peut pas, à la vérité, se trouver chargé des dettes de la succession au delà de l'actif parce qu'il conserve toujours la faculté de renoncer à cette succession (art. 789); mais s'il y renonce, il est privé de l'avantage de recueillir la part d'actif qui se trouverait dépasser le passif. La condamnation du successible comme héritier pur et simple a donc cette conséquence indéterminée qu'elle le prive de l'avantage du bénéfice d'inventaire.

Nous devons en conclure que l'appel sera toujours recevable d'une semblable condamnation, alors même que la somme réclamée par le créancier du défunt serait inférieure au taux d'appel.

Plusieurs arrêts français ont déclaré que la condamnation d'une personne en qualité d'héritier ades effets indéterminés, et que par conséquent il y a toujours lieu à appel d'un jugement qui déclare qu'une personne est héritière, alors même que le chiffre de la demande serait inférieur au taux d'appel. Ainsi deux arrêts de Riom, du 18 avril 1825 (Jurisp. du XIXe siècle, 26, 2, 75) et du 17 novembre 1841 (Pas., 42, 2, 215) et un arrêt de Bourges, du 23 novembre 1818 (Dalloz, Répert., v° Degrés de jurid., n° 257).

La jurisprudence belge semble pencher vers cette opinion. La cour de Bruxelles a décidé à diverses reprises que l'appel d'un jugement qui condamne un successible en qualité d'héritier est recevable, encore que la somme demandée ne s'élève pas à 1,000 fr.- Bruxelles, 9 décembre 1815 (P'as., 15, 544 et la note). Id., 7 novembre 1825 (Pas., 23, 530). — Id., 5 mai 1828 (Pas., 28, 157, et la note).

Mais pour décider que la qualité d'héritier, même attribuée à une personne d'une manière incidente doit donner lieu à appel, presque tous ces arrêts se basent sur le caractère indivisible de la qualité d'héritier, c'est-à-dire sur ce que le successible une fois condamné comme héritier pur et simple ne peut plus répudier cette qualité. C'est là un principe erroné, nous l'avons dit; par conséquent, bien que ces arrêts nous paraissent à l'abri de tout reproche quant à leur dispositif, nous pensons qu'il eu est tout autrement au point de vue des motifs sur lesquels ils se basent.

Un dernier arrêt de la cour de Bruxelles, en date du 25 mars 1861, déclare qu'il y a lieu à appel d'une demande même inférieure à 2,000 fr., lorsque le défendeur prétend ne pouvoir être actionné comme héritier pur et simple.

Cet arrêt donne à l'appui de son opinion des motifs que nous croyons en effet décisifs. Sur le moyen de non-recevabilité de l'appel, dit la cour:

«Attendu que les appelants ont été assignés devant le tribunal de commerce de Louvain pour s'y voir condamner, en qualité de seuls et uniques héritiers de leur sœur Elisabeth Hensmans, à payer une somme de 1,616 fr. 52 c. pour vente et livraison de marchandises à cette dernière;

«Attendu que si cette demande, qui comportait la vérification d'une créance commerciale

DES JUSTICES DE PAIX.

et d'une qualité d'héritiers, n'avait pas pour l'intimé un intérêt supérieur à la somme réclamée, il n'en était pas de même à l'égard des appelants qui avaient un intérêt illimité à ne pas se laisser condamner comme héritiers purs et simples;

Attendu, en effet, qu'en admettant qu'une condamnation semblable dans le chef des appelants ne puisse être invoquée par des tiers et que la question de savoir si les appelants sont ou ne sont pas les héritiers purs et simples de leur sœur Elisabeth, doive être spécialement décidée à raison de chaque demande, conformément aux dispositions de l'art 1351 du code civil, il reste incontestable que l'héritier condamné, en qualité d'héritier pur et simple, par jugement passé en force de chose jugée, perd la faculté de faire encore inventaire et de se porter héritier bénéficiaire après l'expiration des délais accordés par l'art. 795 et ceux donnés par le juge conformément à l'art. 798 du code civil;

Attendu qu'une semblable condamnation, si elle pouvait intervenir à charge des appelants au profit de l'intimé, pouvant être invoquée, aux termes de l'art. 800 du code civil par tous les créanciers d'Elisabeth Hensmans, dans l'or dre d'empêcher les appelants de se porter ses héritiers bénéficiaires, porterait aux appelants un préjudice dont il serait impossible de limiter le chiffre;

Qu'il suit de ce qui précède que la procédure en vérification de la qualité attribuée aux appelants et dont le tribunal civil de Louvain a été saisi, est sujette à deux degrés de juridiction.» (Pas., 61, 2, 220.)

La cour de Bruxelles, nous le voyons dans les motifs de ce dernier arrêt, cesse de se baser sur ce que la qualité d'héritier pur et simple est définitive dans le chef du successible, condamné même incidemment comme héritier. La cour admet, au contraire, du moins hypothétiquement, que la question de savoir si les appelants sont ou ne sont pas héritiers purs et simples de leur sœur Elisabeth devra être décidée spécialement à l'égard de chaque demande conformément à l'art. 1351 du code civil. »

Le motif sur lequel la cour de Bruxelles base sa décision, c'est l'obstacle qu'une condamnation d'un successible comme héritier pur et simple vient mettre à l'acceptation bénéficiaire. C'est là, en effet, nous croyons l'avoir démontré, la seule raison péremptoire qui donne à la condamnation en qualité d'héritier un caractère indéterminé, et qui par conséquent rend toujours recevable l'appel d'un pareil jugement.

630. 11 ne nous paraît pas douteux que sous ce rapport le légataire universel doit être assimilé à l'héritier. Le légataire universel qui se trouve saisi de l'hérédité en l'absence d'héritier à réserve représente activement et passivement la personne du défunt. Sous ce dernier rapport, il est tenu des dettes et charges de la succession exactement comme l'héritier. On doit appliquer au légataire universel les différentes dispositions

qui concernent l'acceptation, la renonciation et le bénéfice d'inventaire (Zachariæ, § 723, t. 3, p. 198, édit. belge; Merlin, Répert., vo Légataire, § 7, art. 1er, n° 17; Toullier, t. 5, no 495; Duranton, t. 7, n° 14 et 733).

Nous pouvons conclure de là que l'art. 800 est applicable au légataire universel qui a été condamné en cette qualité, exactement comme à l'héritier qui a été condamné comme héritier. Ainsi, le légataire universel contre lequel il existerait un jugement passé en force de chose jugée serait, de même que l'héritier, mis dans l'impossibilité de faire désormais inventaire. Cette conséquence du jugement obtenu contre le légataire est dès lors une valeur indéterminée. On en doit conclure que le jugement dont s'agit est toujours sujet à appel.

631. Nous venons de voir que la circonstance que la qualité d'héritier ou celle de légataire universel est contestée même incidemment dans le chef du défendeur suffit pour donner lieu à appel.

Mais en est-il de même quand c'est le demandeur qui réclame une somme inférieure au taux d'appel, en se prévalant de sa qualité d'héritier ou de légataire universel, laquelle est déniée par le défendeur?

Pour la négative on peut dire :

Le jugement rendu en faveur d'une personne comme héritière ne peut pas lui profiter pour l'avenir. La qualité d'héritier peut encore être contestée par les tiers qui n'auraient pas été parties au procès.

D'autre part, la raison qui autorise l'appel dans l'hypothèse où la qualité est contestée dans le chef du défendeur n'existe pas quand cette qualité est alléguée par le demandeur. En effet, le jugement qui adjuge au demandeur ses conclusions en sa qualité d'héritier n'est pas rendu contre lui, mais en sa faveur. Ainsi l'art. 800 n'est pas applicable. Le jugement ne ferait pas obstacle à ce que le demandeur en faveur de qui ce jugement serait rendu pût encore dans l'avenir accepter sous bénéfice d'inventaire.

Mais on répond avec raison:

Il est vrai que la qualité d'héritier peut encore être contestée dans le chef du demandeur par les tiers auxquels il voudrait opposer cette qualité reconnue incidemment par un jugement; mais on ne peut cependant méconnaître l'importance de la demande tendante à obtenir un payement en qualité d'héritier. Ainsi l'article 800 du code civil déclare que le successible qui a fait acte d'héritier ne pourra plus se porter héritier bénéficiaire. L'art. 778 déclare qu'il y a acceptation expresse d'une succession quand on prend le titre ou la qualité d'héritier dans un acte authentique ou privé. Un pareil acte met donc obstacle à toute renonciation ultérieure et celui qui a pris la qualité d'héritier est réputé acceptant. La demande fondée par une personne en qualité d'heritière est incontestablement un acte impliquant acceptation.

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