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722. Quand le litige n'est pas évalué, l'appel reste ouvert dans tous les cas. Applicabilité de ce principe sons l'empire de la loi de 1790.

723. L'évaluation du litige ne peut en aucun cas être faite par le juge, à défaut d'évaluation par les parties.

724. Tout litige non évalué est sujet à appel. Application de ce principe sous l'empire de la loi de 1841. 723. Application du même principe aux demandes indéterminées qui sont produites devant le juge de paix. Incompétence de celui-ci.

759. Hypothèse où l'évaluation doit être faite par un
tuteur et où il s'agit d'un litige mobilier. Caractère
de cette évaluation sous la loi de 1841. Opinion de
MM. Raikem et Cloes.

740. L'évaluation du litige par le demandeur, avec faculté
de rachat par le défendeur, a-t-elle le caractère
d'une transaction?

741. L'évaluation a le caractère d'une aliénation. Peut-
elle être faite par le tuteur comme acte d'admi-
nistration? Analyse et portée de l'art. 452 du code
civil.

726. Quand le litige est déterminé en lui-même, l'éva- 742.
luation peut-elle en être faite conformément aux
art. 8, 15 et 18 de la loi ?

727. Le litige est indéterminé et doit être évalué lorsque
sa valeur n'est fixée que par une circonstance
étrangère à la cause.

728. L'évaluation par le défendeur peut-elle, en matière mobilière, exercer quelque influence sur le ressort?

729. L'évaluation évidemment produite par le demandeur afin de se réserver le droit d'appel exercet-elle de l'influence sur le ressort?

750. Un débat contradictoire peut-il naître sur la question de l'exagération du demandeur dans l'évaluation du litige?

745.

744.

745.

731. Au fond, le juge peut ne pas adjuger la valeur ré- 746.
clamée. Il a à cet égard le droit de s'entourer de
tous les modes de preuve autorisés par la loi civile.
732. Dans quels cas les offres du défendeur peuvent-elles
fixer la compétence du juge?

753. Évaluation nécessaire des demandes reconvention-
nelles.

734. Les articles de la loi de 1841 qui concernent l'évaluation et le rachat du litige s'appliquent-ils à la matière des référés?

Autorisation du conseil de famille nécessaire au
tuteur pour l'aliénation de certaines valeurs spé-
ciales. (Inscriptions de rente et actions de la ban-
que.)

Hypothèse où l'évaluation doit être faite par un
tuteur et où il s'agit d'un litige immobilier.
L'autorisation d'intenter l'action immobilière peut
être accordée au tuteur dans le cours de l'instance.
La fixation du chiffre de la valeur du litige peut
de même n'être faite que dans le cours de l'in-

stance.

L'évaluation pent-elle être faite par le mari seul :
10 pour les actions intentées au nom de la com-
munauté ; 20 pour celles ayant rapport aux
biens meubles ou immeubles de la femme.
L'évaluation peut-elle être faite par les administra-
teurs agissant au nom d'une personne civile. Ac-
tions intentées au nom d'une commune. (Loi com-
munale de 1836.)

747. Actions intentées au nom d'une province. (Loi pro ·
vinciale de 1836.)

748.

Sanction de la loi à l'obligation d'évaluer. Diffé-
rence entre cette sanction dans l'art. 8 et dans les
art. 13, 16 et 18.-La non-recevabilité de la demande
pourrait-elle être prononcée à défaut d'évaluation?

755. Les mêmes articles s'appliquent ils en matière 749. Comment doit s'exercer la radiation de la cause du commerciale?

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rôle et la condamnation aux dépens?

Le juge qui s'abstiendrait de prononcer sur une
demande qui lui serait soumise sans avoir été
évaluée, se conformerait-il à la loi ?

Lorsque le litige n'a pas été évalué en première in-
stance, mais que le juge a omis de prononcer la
radiation du rôle et la condamnation aux frais,
cette peine peut-elle être prononcée contre le de-
mandeur par le juge d'appel?

COMMENTAIRE.

707. Le projet primitif de 1835, tout en exigeant l'évaluation du litige devant les justices de paix, n'étendait pas le principe aux tribunaux de première instance (supra, no 381). Mais l'article 11 du projet de la commission spéciale de la chambre des représentants contenait à leur égard une disposition nouvelle, qui portait

Si la valeur de l'objet mobilier ou immobilier ne peut être déterminée de la manière indiquée à l'article précédent, le demandeur devra la déterminer par ses conclusions, sous peine de se voir refuser toute audience. »

D'importantes différences distinguent cet article de celui qui figure dans la loi. Mais l'idée de la détermination de la hauteur du litige forme toujours le fond de la pensée législative. Voici

en quels termes M. Liedts justifiait ce principe
nouveau :

« Jusqu'ici nous avons parlé des différentes
hypothèses où l'objet de la contestation, soit
mobilier, soit immobilier, peut être évalué
sans la coopération du demandeur. Mais que
faire lorsque la demande personnelle et mobi-
lière ne comprend ni une somme d'argent, ni
une denrée appréciable d'après les mercuriales,
ou que le revenu de l'immeuble ne peut être
déterminé soit en rente, soit par prix de bail,
soit au moyen de l'évaluation de la matrice du
rôle de la contribution foncière? Il est évident
que, dans ce cas, si la valeur de l'objet de l'action
ne peut être déterminée par la loi, elle peut
du moins l'être par le demandeur. En se pré-

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sentant en justice, il sait ce qu'il réclame et le prix qu'il attache à l'objet qu'il réclame. Vainement dirait-on que souvent l'action a pour objet une valeur inappréciable, telle qu'une servitude; cela est vrai en ce sens seulement qu'elle est inappréciable d'après les bases d'évaluation fixées par la loi de 1790 : mais il est inexact de dire que le demandeur ne peut pas apprécier lui-même la valeur qu'il attache à l'action qu'il intente; l'argent est le signe représentatif de toutes choses; la liberté, ce bien suprême de l'homme, n'est pas même exceptée de cette règle, et l'on voit chaque jour déterminer, par des personnes qui ont été incarcérées sans droit, le prix auquel elles estiment la liberté dont elles ont été illégalement privées par leurs adversaires.

Sans doute, les demandeurs peuvent se tromper dans cette évaluation, ils peuvent l'exagérer; mais enfin il y aura une évaluation, telle quelle, pouvant servir de base à fixer le premier ou le dernier ressort.

« Nous n'avons pas pu exiger que l'évaluation fût faite dans l'exploit introductif stance même, c'eût été indirectement établir la nullité d'exploit, et la rigueur de la loi ne doit pas aller jusque-là; il suffit que cette évaluation se fasse par les conclusions. »

(Rapport de M. Liedts, séance du 23 janvier 1839.)

utile. Il me semble que cette utilité n'a été démontrée qu'en ce qui concerne les actions mobilières, où le défendeur peut se libérer en payant le montant de l'évaluation. On ne peut pas laisser à l'arbitraire ou à l'arbitrage da demandeur le droit de fixer la compétence en premier ou en dernier ressort, quand le défendeur n'a pas la faculté de se libérer en payant le montant de l'évaluation. La position des parties doit être égale dans une procédure. Elle l'est quand le défendeur peut se libérer; elle ne l'est pas quand il ne peut pas se libérer. ・ (L. sur la Compétence, p. 95.)

M. Liedts, alors ministre de l'intérieur, ne s'opposa pas à la modification proposée, et l'article fut renvoyé à la commission.

708. Une autre objection avait été présentée par M. Raikem à l'égard de la rédaction primitive de notre disposition.

L'article portait que la peine encourue par le demandeur qui ne faisait pas l'évaluation était le refus de toute audience.

Quelles seront, disait M. Raikem, les cond'in-séquences de la disposition de l'art. 11 du projet, dans le cas où il s'agirait d'un objet mobilier et où le demandeur présenterait des conclusions ne contenant pas d'évaluation? La disposition porte que la peine pour le demandeur sera de se voir refuser toute audience. Mais le défendeur est prêt et veut avoir un jugement; dans ce cas, quelle sera la nature du jugement qui interviendra après les conclusions prises de part et d'autre? Si on refuse l'audience et que le jugement intervenant doive être considéré uniquement comme rendu par défaut, la position du défendeur peut être aggravée, puisque ce jugement est susceptible d'opposition, et qu'il ne pourra pas avoir justice aussi promptement qu'il le désire. Je prie M. le ministre de l'intérieur de me donner quelques explications. On sait que, quand les conclusions ont été présentées de part et d'autre, alors même qu'on ne plaide pas, le jugement qui intervient est contradictoire. »

L'introduction du principe de l'évaluation du litige à l'égard des tribunaux de première instance était demandée par M. Delwarde (Observations sur le projet de loi sur la Compétence, p. 48 et 49). Il n'existait d'ailleurs aucune raison de ne pas leur appliquer cette mesure, du moment qu'elle paraissait utile devant les justices de paix.

Lors de la discussion, l'art. 11 du projet de loi fut vivement critiqué par M. de Garcia et par M. Raikem.

Tout en admettant le principe de l'évaluation, ces deux orateurs s'attachèrent à démontrer que celle-ci ne pouvait être abandonnée au demandeur que dans le cas où le défendeur M. le ministre de l'intérieur reconnaissait avait, aux termes de l'art. 13 du projet de la en ces termes la justesse de l'observation : commission (17 de la loi), le droit de se libérer « J'avais songé à l'objection que vient de faire en acquittant le prix de l'évaluation, c'est-à-l'honorable M. Raikem; il peut arriver que le dire pourvu qu'il s'agit d'une demande ou d'un chef de demande purement personnelle et mobilière. »

all me semble, disait M. Raikem, qu'il n'est pas juste, dans le cas où il n'est pas permis au défendeur de s'acquitter en payant le montant de l'évaluation, de fixer la compétence en premier ou dernier ressort d'après l'évaluation qui sera faite par le demandeur. Comme on l'a fait observer, il peut arriver qu'une partie ait un plus grand intérêt que l'autre dans une contestation; en matière de servitude, par exemple, le demandeur peut ne pas y attacher autant de prix que le défendeur.

Comme il s'agit ici d'une innovation, il est bon de la restreindre aux cas où elle peut être

défendeur ait hâte d'en finir avec le demandeur. Cependant si le demandeur avait négligé, ou s'était abstenu par une raison quelconque de déterminer la valeur de l'objet de sa demande, le procès resterait indécis jusqu'à ce qu'il plaise au demandeur d'indiquer la valeur, bien que le défendeur puisse désirer de voir statuer promptement. On pourrait obvier à cet inconvénient, en ajoutant les mots : Si le défendeur ie demande après ceux-ci sous peine de se voir refuser toute audience. »

709. La commission, dans la séance du 7 mai suivant, proposa pour l'art. 13 la rédaction qui a passé textuellement dans l'art. 15 de la loi. (Rapport de M. de Behr. L. sur la Compétence, p. 107 et suiv.) On donnait ainsi raison

DES TRIBUNAUX DE PREMIÈRE INSTANCE.

aux objections que nous avons analysées dans lès deux numéros précédents.

En ce qui concerne l'évaluation des immeubles, la commission rédigea une disposition nouvelle qui a servi de base à l'art. 18. Nous renvoyons à l'explication de cet article quant à l'évaluation des immeubles.

L'article 15 proposé par la commission fut adopté par la chambre des représentants sans observations nouvelles. Il forme l'art. 15 de la loi. 710. La commission du sénat admit, quant au principe, la disposition votée par la chambre des représentants, mais en imposant au demandeur l'obligation d'évaluer sa demande par l'exploit introductif d'instance. (Rapport de M. de Haussy au sénat, séance du 12 décembre 1840. L. sur la Compétence, p. 156.)

Cet amendement, déjà proposé par la commission du sénat à propos de l'art 8 de la loi, fut repoussé par l'assemblée pour l'un comme pour l'autre cas. (V. supra, no 386.)

Dans la discussion à laquelle l'article donna lieu, M. de Haussy fit très-justement remarquer que le rejet de l'amendement lors de l'art. 8 rendait inévitable celui relatif aux dispositions qui coucernaient les tribunaux de première instance (L. sur la Compétence, p. 209).

La disposition votée par la chambre des représentants ne fut donc pas modifiée par le sénat. Le texte même de la loi porte que l'évaluation sera faite par les conclusions. Aucun doute ne subsiste donc sur ce point.

711. Trois principes résultent à toute évidence des rapports et des discussions qui ont précédé l'adoption de l'art. 15:

1° L'évaluation par le demandeur seul ne concerne que les objets mobiliers. L'évaluation des immeubles est réglée par l'art. 18.

2o La peine qui frappe le demandeur qui n'a pas évalué le litige est la radiation du rôle et la condamnation aux dépens.

5° L'évaluation ne doit pas nécessairement être faite dans l'exploit introductif d'instance. Il suffit qu'elle existe dans les conclusions.

712. Nous n'avons pas à insister sur l'utilité de l'évaluation du litige. Nous avons exposé les mobiles du législateur en analysant l'évaluation devant le juge de paix (supra, no 381).

Mais il importe de déterminer à quelles contestations s'étend le principe, tant en matière mobilière (art. 8 et 15) qu'en matière immobilière (art. 18).

Faut-il appliquer l'obligation de l'évaluation à tous les litiges sans distinction, ou bien faut-il excepter de l'évaluation ceux d'entre eux qui, par leur nature, ne peuvent être déterminés eu une somme d'argent?

Dans son rapport sur la loi de 1841, M. Liedts semble donner raison à la première manière de voir. L'argent, dit-il, est le signe représentatif de toute chose; la liberté, ce bien suprême de l'homme, n'est pas même exceptée de cette règle.

Lors de la discussion publique, M. Liedts

s'étendit encore sur la généralité de la disposition.

« Si vous voulez allez au fond des choses, disait-il, je vous demande s'il existe pour un citoyen un objet quelconque dont il ne puisse pas apprécier la valeur alors qu'il réclame cet objet en justice; s'il existe une demande quelconque, même immobilière, dont il ne puisse indiquer la valeur. Evidemment non; les objets, quels qu'ils soient, ont une valeur pour ceux qui les réclament. Ou ne peut avoir qu'une seule crainte, c'est que dans certains cas le demandeur porte cette valeur au delà de la valeur réelle. Mais alors, vous restez dans la situation actuelle, vous avez deux degrés de juridiction. Les inconvénients auxquels on est exposé existent aujourd'hui, non pas dans quelques cas, mais dans tous les cas, aux termes de la loi de 1790. » (L. sur la Compétence, p. 94.)

Ajoutons que le texte de la loi est général et exige la détermination de la valeur du litige par le demandeur lorsque la valeur de l'objet est indéterminée (art. 15). Ces termes semblent ne comporter aucune exception.

Nous ne pouvons nous dissimuler l'importance de l'opinion du rapporteur de la loi, alors surtout que cette opinion s'est produite d'une manière aussi catégorique.

Mais nous pensons que M. Liedts, dans le but de démontrer l'excellence du principe dont il désirait l'introduction dans la loi, s'est involontairement laissé aller à en exagérer l'étendue.

Quoi qu'en dise le rapporteur de la loi, il est certains litiges dont personne ne peut équitablement fixer la valeur. Le chiffre produit comme représentant le prix que le demandeur attache à son action devient alors complétement arbitraire. Si le législateur a cru utile d'imposer l'évaluation, on peut dire qu'il ne peut avoir voulu imposer une fixation de valeur qui ne pourrait avoir sa base dans aucun élément sérieux d'appréciation. Il en est ainsi, par exemple, de toute action qui met en contestation la qualité de citoyen ou l'état civil d'une persoune.

En tous cas, admettons pour un moment que le demandeur puisse toujours fixer la valeur de l'action à un point de vue tout personnel, et en prenant égard seulement à sa réclamation actuelle. Aux termes de la loi de 1841, cette fixation ne peut être contestée par le défendeur. D'après l'art. 15, c'est le demandeur seul qui détermine la valeur de l'objet mobilier. Mais, s'il en est ainsi, le législateur a consacré un principe extrêmement dangereux. Il a laissé à l'arbitraire du demandeur la question de savoir si l'appel sera ouvert, dans des procès où la fortune entière et l'honneur même du défendeur peuvent se trouver engagés.

Si le demandeur évalue le litige à moins de 2,000 fr., mais prétend, par exemple, que le défendeur a la qualité d'héritier ou d'associé de telle personne, la déclaration du tribunal peut avoir des conséquences pécuniaires énormes, et cependant l'appel ne serait pas permis.

Il en serait de même si le demandeur contestait dans le cas où l'action est indéterminée par sa au défendeur la qualité de fils légitime. L'appel | nature. « De ce qu'une valeur n'est pas actueldemeurerait interdit, alors que pour une simple somme d'argent supérieure à 2,000 fr., le dé fendeur eût joui du double degré de juridiction. Ces conséquences nécessaires et pourtant iniques du système qui permet l'évaluation de tous les litiges sans exception nous démontrent que le système lui-même ne peut être entré dans les vues du législateur.

Quand l'action a par elle-même une valeur illimitée, l'appel doit toujours rester ouvert quelle que soit l'évaluation du litige faite par le demandeur. L'évaluation est alors complétement superflue et inefficace.

Cette opinion peut encore invoquer en sa faveur un principe formellement admis par le législateur.

La détermination de la valeur du litige par le demandeur a pour corollaire, nous le savons, le droit pour le défendeur de se libérer en payant la somme fixée dans les conclusions (art. 8 et art. 17) (supra, nos 387 et 707). Comme le disait M. Raikem dans la discussion, on ne peut laisser à l'arbitraire ou à l'arbitrage du demandeur le droit de fixer la compétence en premier ou en dernier ressort, quand le défendeur n'a pas la faculté de se libérer en payant le montant de l'évaluation. La position des parties doit être égale dans une procédure. Elle l'est quand le défendeur peut se libérer, et elle ne l'est pas quand il ne peut pas se libérer. Cette argumentation, qui s'applique au cas d'évaluation de l'action immobilière, s'applique à plus forte raison à l'hypothèse où l'on veut imposer l'évaluation à une action indéterminée par nature.

De même que les demandes immobilières, les actions qui touchent à des questions d'état ne peuvent être éteintes par le rachat, qui a le caractère d'une véritable transaction. L'ordre public est directement intéressé à ce qu'il ne soit fait aucune transaction de ce genre. Le défendeur ne pourrait donc éteindre la demande en payant le chiffre de l'évaluation. Dès lors la position des parties ne serait plus égale. La faculté du rachat, pour le défendeur, ne viendrait plus servir de contre-poids à l'évaluation par le demandeur. On peut en conclure que le législateur n'a voulu accorder au demandeur la faculté d'évaluer le litige que dans le cas où le rachat est permis au défendeur. Dans les questions qui touchent à l'état ou à la qualité des personnes, le rachat est impossible. L'ordre public mettant évidemment obstacle à des transactions de ce genre, il faut dire que l'évaluation ne doit pas davantage être permise.

Le principe qui a présidé à la rédaction des art. 15 et 17, et le lien qui existe entre ces dispositions viennent donc confirmer l'opinion que nous avons émise.

M. Raikem, dans son discours de rentrée devant la cour de Liége (15 oct. 1841), tout en justifiant le principe de l'évaluation, admet cependant que ce principe souffre une exception

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lement déterminée, dit-il, il ne s'ensuit pas qu'elle ne puisse être fixée. Le principe de la loi qui établit le dernier ressort jusqu'à une certaine valeur réclame cette fixation. Que les contestations dont l'objet ne peut être déterminé ne soient pas assujetties à une évaluation quelconque, on le conçoit. Mais dès que l'objet peut être évalué, le premier ou le dernier ressort peut aussi être réglé comme si la valeur de la contestation avait été certaine dès le principe.

« La nécessité des évaluations est intimement liée à l'exécution des dispositions législatives qui règlent le dernier ressort. Il faut que, dans tous les cas où elle peut s'appliquer, cette disposition devienne une réalité. Mais il est évident, d'autre part, que cette nécessité d'évaluation ne doit pas être étendue au delà de son objet. Elle ne concerne naturellement que les choses qui peuvent être évaluées à prix d'argent; elle ne peut pas s'appliquer aux contestations qui ne sont pas susceptibles d'une telle évaluation. Comment, par exemple, serait-il possible de déterminer la valeur du litige dans les causes où l'état des hommes est mis en question; où il s'agit de savoir à quelle famille ils appartiennent, quel nom ils ont le droit de prendre dans la société? Lorsque des droits semblables sont directement en litige, la nature même des choses s'oppose à tout essai, comme à toute idée d'évaluation. C'est ce que prouvent surabondamment les effets attribués à l'évaluation par la loi actuelle. (Revue des revues de droit, t. 5, p. 71 et suiv.)

Presque au lendemain de la publication de la loi, M. Raikem qui, remarquons le, avait pris une grande part à la discussion, ne mettait donc pas en doute que certaines contestations dussent par leur nature échapper à toute évaluation.

Dalloz (Répert., v° Degrés de jurid., no 400) partage la même opinion sous l'empire de la loi française du 11 avril 1838. Cette dernière loi, n'impose pas, à vrai dire, l'évaluation du litige au demandeur. En cela, elle diffère essentiellement de la loi belge de 1841; mais en France l'évaluation volontaire du demandeur a cependant en général pour effet de déterminer le ressort; toutefois quand cette évaluation se rapporte à un objet indéterminée par sa nature, elle reste sans effet. Cette règle dérive du principe que certains litiges ne peuvent jamais être évalués et trouve son application en Belgique comme en France.

713. Examinons quelques-uns des cas où le litige échappe par sa nature à toute évaluation.

Au premier rang des demandes qui doivent rester indéterminées, nous devons citer les questions d'état civil ou politique des personnes.

De pareilles contestations, dit Dalloz (Répert., vo Degrés de jurid., no 400), touchent de trop près à l'économie sociale, au maintien des mœurs et de l'ordre public; elles ont pour objet des intérêts d'une nature trop élevée pour admettre une appréciation pécuniaire. Ainsi les

procès sur la qualité de Français ou d'étranger, sur la validité ou la nullité du mariage, sur les séparations de corps et de biens, sur la filiation légitime ou naturelle, et autres semblables, ont une valeur qui n'est pas susceptible de détermination, car les objets qu'il s'agirait d'estimer ne sont pas dans le commerce; ils sont dès lors essentiellement soumis à deux degrés de juridiction. C'est aussi ce qu'enseigne M. Carré (Lois de la Compétence, t. 2, p. 6). »

Le tribunal d'Anvers a décidé en ce sens qu'une demande en interdiction ne doit pas être évaluée et reste indéterminée par sa nature. 26 mars 1853 (Belg. jud., t. 11, p. 910 et la note). Une pareille demande donne donc toujours oùverture à appel.

La cour de Bruxelles a décidé dans le même sens que, si une question de qualité d'une valeur indéterminée a été l'objet du litige, elle rend l'appel recevable, quoique la demande soit inférieure au taux du dernier ressort. 15 juillet 1844 (Pas., 45, 2, 229). Dans cette espèce, les intervenants demandaient à être reconnus collateurs d'une bourse à l'université de Louvain, et le droit du demandeur à la bourse susdite se basait | nécessairement sur l'existence de la qualité de collateurs dans le chef des intervenants. Dès lors, bien que la deinande originaire eût pour objet une somme inférieure à 2,000 fr., celle en intervention venait compliquer cette demande d'une question de qualité, et le litige en entier devenait susceptible d'appel.

L'arrêt de la cour de Bruxelles, déféré à la censure de la cour de cassation, fut maintenu par celle-ci, sur les remarquables conclusions de M. le procureur-général Leclercq. 26 nov. 1846 (Pas., 47, 1, 274).

ou politique des personnes ou leurs qualités accidentelles (V. infra, no 716).

Dalloz (Rép., vo Degrés de juridict., no 251 et suiv.) partage la même opinion sous l'empire de la loi française.

La cour d'appel de Bruxelles et, après elle, la cour de cassation se sont prononcées expressément sur la question en déclarant d'une valeur indéterminée, et par suite hors de la compétence du juge de paix et sujette à appel, la demande en nomination d'arbitres formée par une société d'assurances mutuelles contre un de ses associés. Celle-ci, en refusant d'acquitter des annuités dont le chiffre ne montait pas à 200 fr., avait en même temps déclaré contester l'existence même de l'association et les obligations qui pouvaient en résulter. Cour de Bruxelles, 25 janvier 1854. Cassation, 14 décembre 1854 (Pas., 55, 1, p. 47 et suivantes).

--

Dans l'espèce, la somme réclamée par la société, c'est-à-dire 44 fr. 6 c., n'était donc pas l'unique objet de la contestation. La société demandait en outre que le défendeur fût condamné comme associé. Les obligations qui pouvaient résulter pour lui de cette position excédaient le taux de la compétence du juge de paix, et celui de la compétence du juge de première instance en dernier ressort. Et en effet, elles étaient indéterminées.

Par une conclusion complémentaire, la société avait évalué le litige à une somme supérieure à 2,000 fr.; mais la cour d'appel décide à bon droit qu'en l'absence même de cette conclusion le litige aurait dû être soumis à l'appel comme ayant une valeur indéterminée.

La cour de cassation commence par constater que le point de savoir quel était le juge compétent pour désigner les arbitres dépendait nécessairement de l'importance même du différend à juger, puisque cette importance seule pouvait servir à fixer la valeur déduite en litige. »

Nous avons déjà eu l'occasion de citer cet arrêt à propos de l'influence de la demande en intervention sur la valeur du litige (V. supra, no 639). | 714. Le litige qui porte sur certaines qualités accidentelles, telles que celles d'héritier ou Après avoir constaté ensuite qu'au point de d'associé, doit aussi donner lieu à deux degrés vue du fait, l'association de la société avait été de juridiction. Il faut remarquer qu'il n'en est contestée, la cour conclut comme suit : « Qu'en ainsi que quand le débat porte, à proprement définitive, le litige n'avait donc point pour objet parler, sur la qualité elle-même dont s'agit et sur seulement la somme de 44 fr. 65 c. d'abord les droits qui en sont la suite. La contestation réclamée par la société, mais encore le fait incidente d'une pareille qualité n'a aucune in-même de l'existence ou de la non-existence de fluence sur la valeur du litige (V. supra, no 625 à 632).

Nous avons établi le principe pour ce qui touche la qualité d'héritier, en traitant des actions mixtes universelles (V. supra, nos 693 et suivants).

Quand il s'agit d'une contestation sur la qualité d'associé, l'évaluation du litige est de même tout à fait inutile. L'appel est de droit pour un semblable litige, pourvu, bien entendu, que la qualité d'associé soit l'objet principal de la contestation.

L'arrêt de la cour de Bruxelles du 20 juillet 1855 s'est prononcée en ce sens dans ses motifs. Il décide que la règle de l'évaluation ne s'applique pas aux actions qui intéressent l'état civil

l'association, par suite de la dénégation opposée par le demandeur actuel préalablement à son assignation;

«Que cet objet était évidemment d'une valeur indéterminée; que dès lors, aux termes des art. 8 et 15 de la loi du 25 mars 1841, il appartenait à la société, demanderesse devant le tribunal de Malines, d'en donner l'évaluation, ainsi que cela a eu lieu, en effet, à l'audience du 22 décembre 1852, et que cette évaluation ayant été portée au taux de 2,200 fr., la compétence du tribunal de première instance était désormais établie à l'exclusion de celle du juge de paix... >

Il ne faut pas se méprendre au langage de la cour de cassation. En décidant qu'il appartenait

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