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Attendu que le premier juge, en se bornant à statuer sur la demande principale qui était régulièrement introduite, a par le fait rayé la demande reconventionnelle et s'est, de cette manière, conformé aux intentions de la loi ; que la seule demande sur laquelle il devait par suite statuer, et sur laquelle il a statué, comportant une somme inférieure au taux du premier ressort, l'appel est non recevable;

Par ces motifs, ouï M. l'avocat général Faider, en son avis conforme, rejetant le moyen tiré de l'incompétence du premier juge, déclare l'appel non recevable. »

Il nous paraît cependant que si un jugement s'abstenait de prononcer sur un des chefs de la demande par la raison qu'il n'aurait pas été évalué, rien ne ferait obstacle à ce que la partie demandât le rétablissement au rôle de la portion de demande sur laquelle le juge ne se serait pas prononcé.

Si l'on admettait le principe contraire, le défaut d'évaluation aurait pour le demandeur l'effet d'une fin de non-recevoir. Le demandeur se trouverait alors écarté complétement; et nous savons que le législateur n'a pas voulu user d'une pareille rigueur (supra, no 748).

751. Lorsque l'évaluation du litige n'a pas été faite en première instance, et que le juge a négligé de rayer la cause du rôle comme il y est obligé, nous avons vu que l'appel de la cause est recevable, la demande étant restée indéterminée (supra, no 749).

Mais il se présente une autre question: La décision du premier juge ne doit-elle pas être réformée? La loi imposant au tribunal l'obligation de rayer la cause du rôle et de condamner le demandeur aux dépens à défaut d'évaluation, le tribunal qui se soustrait à cette obligation ne transgresse-t-il pas la loi, et par conséquent sa décision peut-elle subsister?

M. Cloes se prononce en faveur de la réformation, en s'appuyant sur les raisons suivantes: En principe, dit ce jurisconsulte, l'appel a été institué pour faire réformer les erreurs dont se trouve entachée une sentence émanée d'un juge inférieur; le juge supérieur est toujours compétent pour décider ce que les premiers juges ont omis de faire.

Le premier juge ne pouvait accueillir une demande non évaluée, il pouvait, même d'office, rayer la cause du rôle et condamuer le demandeur aux dépens; ainsi le juge d'appel ne pourrait s'empêcher d'accueillir cette conclusion.

Cela ne peut souffrir de difficulté, surtout si l'intimé était défendeur en première instance; l'obligation d'évaluer la demande incombe en effet principalement au demandeur; c'est contre lui que la loi prononce la peine de la radiation du rôle et la condamnation aux dépens.

Il en serait de même si le défendeur était appelant, car, ainsi que nous l'avons vu, la loi ne prononce aucune pénalité contre lui à défaut d'évaluation, si ce n'est celle de voir régler la compétence par l'évaluation du demandeur;

mais quand celui-ci n'évalue pas, il peut postuler la pénalité comminée par la loi contre le demandeur.

Ce grief acquerrait une bien plus grande importance en matière mobilière, puisque, faute d'évaluation par le demandeur, le défendeur aurait été privé, par le fait de ce dernier, de la faculté de se libérer en payant le montant de l'évaluation aux termes de l'art. 17.

« Si c'est le demandeur qui se trouve appelant, on sent qu'il ne peut se faire un grief d'une omission qui lui est imputable; mais nous croyons que le juge, d'office ou sur les conclusions de l'intimé, devrait lui appliquer la pénalité de la loi. On objectera peut-être que la réforme du jugement n'aboutira qu'à faire des frais aux parties en pure perte en les renvoyant devant les premiers juges; que d'ailleurs le juge d'appel pourra évoquer et juger le foud, ainsi que l'y autorise l'art. 473 du code de procédure civile, auquel la loi actuelle n'apporte aucune dérogation.

La première objection paraît fondée; mais doit-on s'arrêter devant une considération de cette espèce, lorsqu'il s'agit d'une décision portée dans un but d'intérêt général? Lorsque cette décision est le seul moyen de la faire respecter et de lui donner une sanction?

Pour faire disparaître la seconde objection, nous dirons que l'art. 473 du code de procédure civile n'est que facultatif, et que le juge fera bien de ne pas user de cette prérogative; qu'il ne peut l'exercer que quand la matière est en état de recevoir une décision définitive; qu'elle ne le serait pas dans l'espèce, à défaut par les parties d'avoir fait en première instance l'évaluation de l'objet en litige; qu'il s'agit d'ailleurs ici d'une question tenant à la compétence et que le juge ne doit jamais évoquer lorsqu'il réforme un jugement de ce chef, parce qu'il priverait les parties de deux degrés de juridiction. » (Compétence, nos 251 et 252.)

La cour de Bruxelles a d'abord adopté cette opinion par deux arrêts du 3 août 1850 (Pas., 50, 2, 258) et du 26 janvier 1853 (Pas., 55, 2, 117).

Ces deux décisions se fondent sur ce que la radiation du rôle étant une mesure d'ordre public, la décision du premier juge qui a négligé de l'appliquer doit être réformée. Le premier de ces arrêts met le jugement dont est appel au néant et déclare la cause rayée du rôle à

partir de la date du jugement de première instance. Le second, réformant un jugement du tribunal de Bruxelles déclare la cause rayée du rôle de première instance; condamne lintimé aux dépens d'appel et de première instance à partir des dernières conclusions prises devant le premier juge; et vu l'art. 472 du code de procédure civile, renvoie la cause en état de radiation devant le tribunal de Malines, pour, après que l'intimé aura fait ce que la loi lui prescrit, être statué ce qu'en justice il appartiendra.» Telle est en effet la conséquence du caractère

DES TRIBUNAUX DE PREMIÈRE INSTANCE.

d'ordre public que l'on attribue à la radiation du rôle. Si cette radiation n'a pas été ordonnée par le premier juge, elle doit l'être en appel. La cause doit être rétablie daus l'état où elle se trouvait, quand la radiation aurait dû être ordonnée, et la cause doit être renvoyée devant un tribunal désigné par la cour, à moins cependant que la cause ne soit disposée à recevoir une solution définitive et que l'évocation ne puisse avoir lieu (art. 473 du code de procédure civile).

Ces conséquences du principe sont à la vérité fort dures pour le demandeur mais elles sont inévitables si on attribue à la radiation du rôle un caractère d'ordre public.

Aussi la loi de 1841 ne nous paraît pas avoir voulu exposer à des conséquences aussi graves le plaideur qui ne fait pas l'évaluation.

La radiation du rôle et la condamnation aux dépens constituent une peine. A ce titre, la loi ne peut être étendue par analogie. Or, il n'est pas douteux que la peine inscrite par le législateur dans les art. 15, 16 et 18 de la loi de 1841 ne s'applique, d'après ces dispositions et d'après l'intitulé du titre où elle figure, qu'aux tribunaux de première instance et nullement aux cours d'appel. Le législateur n'a pas songé au cas où le litige serait porté en appel sans que l'évaluation ait été faite. La disposition pénale qu'il a inscrite dans la loi ne peut être étendue à une hypothèse non prévue. Elle le peut d'autant moins que la peine serait beaucoup plus rigoureuse en appel que dans le cas dont la loi fait mention.

L'évaluation du litige n'est donc pas une règle d'ordre public devant laquelle doivent plier toutes les considérations. C'est tout simplement une obligation ayant une sanction pénale déterminée, mais qui, dans le cas où cette sanction n'existe plus, peut rester non exécutée.

Avouons donc, avec M. Cloes, que si le tribunal de première instance néglige d'appliquer la loi, celle-ci setrouve sans moyen pénal de se faire | respecter. Toutefois il ne nous est pas permis d'oublier qu'indépendamment de toute sanction pénale, où ne peut présumer de la part des juges une négligence qui aurait pour conséquence l'inobservation formelle de la loi.

En second lieu, une règle de procédure laissée sans sanction n'est pas une innovation qui doive nous surprendre outre mesure. Le code de procédure civile a été si loin de prononcer la nullité de tous les actes faits irrégulièrement, qu'il prend soin de déclarer qu'aucun exploit ou acte de procédure ne pourra être déclaré nul si la nullité n'en est pas formellement prononcée par la loi (art. 1030). Ce principe supérieur domine toute la matière des nullités. Il n'est donc pas étonnant que la loi de 1841 n'ait pas jugé utile de faire de l'évaluation du litige une de ces règles implacables, dont l'inobservation entraîne l'inefficacité de tout ce qui a suivi.

Nous n'insisterons pas davantage sur des considérations de ce genre. Les arrêts que nous

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citons motivent notre opinion d'une manière fort complète.

Ainsi la cour de Bruxelles, revenant sur son opinion antérieure, s'est prononcée en ce sens par plusieurs arrêts successifs. Elle déclare qu'il n'y a pas lieu en appel d'annuler le jugement et de renvoyer la cause en état de radiation, soit devant le premier juge, soit devant un autre tribunal à désigner par la cour. Bruxelles, 9 août 1853 (Pas., 1854, 2, 222, Belg. jud., t. 12, p. 250).

Cet arrêt se fonde sur des considérations fort sérieuses tirées des discussions de la loide 1841: « Sur la demande en renvoi de la cause en état de radiation :

Attendu qu'aux termes de l'art. 15 de la loi du 25 mars 1841, le demandeur qui néglige de faire l'évaluation des objets réclamés dans les conclusions qu'il prend devant le tribunal de première instance n'encourt aucune autre peine que celle de voir rayer la cause du rôle et d'être condamné aux dépens;

Attendu que cette peine, qui n'entraîne la nullité d'aucun acte de la procédure, se borne par conséquent à faire payer au demandeur négligent les frais engendrés par le jugement de biffure;

Attendu que, s'il était permis en appel d'annuler de ce chef le jugement de première instance et de renvoyer la cause en état de radiation pour être replaidée, soit devant le premier juge, soit devant un autre tribunal à désigner par la cour, la peine, qui est fort légère telle qu'elle est déterminée par la loi, serait convertie en une autre peine infiniment plus grave, puisqu'elle entraînerait une perte considérable et de temps et de frais;

«Attendu, d'autre part, que la radiation ou biffure d'une cause, n'étant en général qu'une mesure d'ordre en matière de procédure, semble aussi par sa nature ne devoir être prononcée que par le tribunal lui même où la cause se trouve introduite et pendante;

Attendu que l'extrême sévérité qu'il y aurait dans l'annulation du jugement et le renvoi de la cause devant un tribunal de première instance serait d'ailleurs contraire à l'esprit de la loi tel qu'il paraît résulter de la discussion dans les chambres législatives;

Attendu que M. Liedts, dans son rapport fait à la chambre des représentants dans sa séance du 23 janvier 1859, dit que la commission chargée de l'examen du projet de loi avait agité la question de savoir s'il ne fallait pas exiger que l'évaluation fût faite dans l'exploit introductif d'instance, mais qu'elle avait pensé que la rigueur de la loi ne devait pas aller jusquelà, et qu'il suffirait que cette évaluation fût faite par les conclusions; que ce même esprit de modération se retrouve également dans la discussion qui eut ensuite lieu au sénat, où M. le ministre de la justice, répondant au rapporteur de la commission, qui voulait l'évaluation dans l'exploit introductif d'instance, fit valoir entre

autres motifs qu'il faudrait alors refaire l'exploit, ce qui, dit-il, occasionnerait beaucoup de frais pour les parties (séance du 18 février 1841);

Attendu que, s'il peut arriver ainsi des cas où la loi restera sans sanction et où une affaire viendra en degré d'appel, quoique d'un intérêt minime, ces cas seront nécessairement fort rares, puisqu'ils ne pourront se présenter que lorsque à la négligence des parties viendra encore se joindre celle des tribunaux, ce qui ne doit pas se présumer...

Dit pour droit qu'il n'y a pas lieu au renvoi de la cause en état de radiation. »

La doctrine de cet arrêt a été adoptée par la même cour dans ses décisions du 17 juillet | 1855 (Pas., 57, 2, 215), du 16 juillet 1856 (Pas., 57, 2, 14, Belg. jud., t. 15, p. 473), du 4 mars 1857 (Pas., 57, 2, 158, Belg. jud., t. 16, p. 817) et du 23 mars 1857 (Pas., 57, 2, 157, Belg. jud., t. 16, p. 818). Cette dernière décision s'appuie sur des considérations qui nous paraissent irréfutables, tirées tant de la nature de la peine édictée par la loi de 1841 que du caractère et du but de cette loi elle-même. « Attendu, porte à cet égard l'arrêt, que d'après le texte et l'économie de la loi du 25 mars 1841, la peine de biffure avec dépens, pour défaut d'évaluation, appartient, comme mesure d'ordre et par sa nature même, à la juridiction exclusive des tribunaux, où la cause est introduite et où les débats doivent avoir lieu; que, s'il en était autrement, il faudrait admettre que la cour

d'appel, en renvoyant en état de biffure, afin d'arriver à faire déclarer par les parties, s'il y a lieu, par le premier juge, de décider en premier ou en dernier ressort, a nécessairement le droit d'annuler le jugement a quo et tous les actes de procédure qui l'ont suivi;

Attendu qu'aucune disposition de loi n'autorise les cours d'appel à prononcer une peine aussi rigoureuse pour la simple omission de la formalité de l'évaluation de la demande et qu'il serait même injuste qu'il pût en être ainsi, par la raison qu'on ferait supporter aux parties les conséquences dispendieuses de l'oubli ou de la négligence des tribunaux de première instance à faire exécuter une formalité que la loi confie spécialement à leur vigilance et à leur surveillance; Attendu, d'autre part, que le renvoi en état de biffure, avec annulation de la procédure par les cours d'appel, serait encore diamétralement opposé au but du législateur qui a voulu, dans l'intérêt des plaideurs, diminuer le nombre et les frais des procès en diminuant les appels et en faisant accorder aux justiciables une justice plus prompte et plus économique, ainsi que l'attestent le rapport de M. Liedts et la discussion de la loi. ›

La doctrine de la cour de Bruxelles paraît donc aujourd'hui définitivement fixée sur la question. Cette doctrine a été adoptée par les deux autres cours d'appel. Gand, 24 mars 1845 (Belg. jud., t. 3, p. 808); Liége, 7 février 1856 (Pas., 56, 2, 230, Belg. jud., t. 14, p. 536). ARTICLE 16.

La cause sera également rayée du rôle, avec dépens, si la demande a pour objet des dommages-intérêts, soit principaux, soit accessoires, qui n'auraient pas été évalués et spécialement motivés dans les conclusions.

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752. Le but de l'art. 16 est facile à saisir. | nier ressort en accolant à toute demande, L'évaluation du litige étant imposée au demandeur afin de mettre obstacle à l'appel pour des causes insignifiantes, il fallait éviter que, par un moyen indirect, le demandeur se conservât la faculté d'appeler dans tous les cas.

C'est ce qui se présentait sous l'empire de la loi de 1790. M. Liedts signalait ce mal dans son rapport: «Le plaideur de mauvaise foi, dit-il, toujours plus adroit que le législateur, réussissait jusqu'ici à éluder presque constamment le der

quelle qu'elle fût, celle, devenue banale, de tous dommages et intérêts déjà soufferts et à souffrir et à libeller sur état. Un abus aussi grave a fixé l'attention de votre commission. S'il est impossible d'évaluer d'avance et de motiver les dommagesintérêts qui peuvent naître pendant l'instance, il n'en est pas de même de ceux qui sont nés au moment de la demande. La valeur en est toujours connue avant que le procès soit intenté, puisque l'action tend en partie à en obtenir la

réparation. Ce n'est donc pas trop exiger de celui qui prétend les avoir soufferts que de lui imposer l'obligation d'en fixer le montant et de les motiver spécialement. »

753. La seule peine imposée au demandeur qui aurait négligé d'observer l'art. 16 était, dans le projet de la commission, le refus de toute audience. Cette peine est aujourd'hui la radiation du rôle et la condamnation aux dépens. Nous savons comment la pénalité a été changée, et quel est le sens qu'il faut y attacher. Nous pouvons renvoyer à cet égard aux développements que nous avons donnés à l'article 15 (supra, nos 748 et suiv.).

754. Le projet de la commission du sénat imposait en général au demandeur l'obligation d'évaluer les dommages-intérêts dans l'exploit introductif d'instance. Voici le texte de la disposition qui correspondait à notre article 16: Le demandeur sera également déclaré non recevable et condamné aux dépens, si la demande a pour objet des dommages-intérêts, soil principaux, soit accesoires, qui n'auraient pas été évalués et spécialement motivés, soit dans l'exploit introductif, s'ils sont réclamés par instance principale, soit dans les conclusions qui seront prises à ce sujet, s'ils sont réclamés accessoirement dans le cours d'une instance pendante entre parties.

«En effet, disait M. de Haussy dans son rapport, il n'y a aucun motif de s'écarter de la règle générale, lorsque la demande des dommagesintérêts forme elle-même l'objet de la demande principale; mais lorsque la demande est formée dans le cours de l'instance et accessoirement à une autre demande déjà pendante, il faut bien admettre alors que l'évaluation puisse être faite par les premières conclusions qui seront prises pour réclamer ces dommages-intérêts. (Rapport au sénat, séance du 12 décembre 1840. L. sur la compétence, p. 156.)

La distinction établie par cet article a disparu devant l'adoption de la règle que l'évaluation du litige ne doit être faite que pendant l'instance et non plus au début du procès (V. supra, nos 386 et 710). Il n'y avait aucune raison de conserver à l'égard des dommages-intérêts une rigueur qui avait disparu pour les demandes ordinaires portées devant les justices de paix et pour celles soumises aux tribunaux de première instance. Aujourd'hui les dommages-intérêts ne doivent donc être spécialement motivés et évalués que dans le cours de l'instance, quelles que soient d'ailleurs les raisons qui les justifient. Le texte de l'article 16 le dit expressément : C'est dans les conclusions seulement que les dommages-intérêts doivent être évalués et motivés spécialement.

qu'elles déclarent comment a pu naître le préjudice qui leur a été porté.

Il est bien entendu que cette déclaration ne doit être une justification, ni de la réalité, ni de l'étendue du préjudice souffert; mais simplement une indication assez précise pour que le juge soit mis à même d'examiner si la demande de dommages-intérêts est sérieuse.

Le texte de l'art. 16 ne laisse aucun doute sur la double obligation imposée à celui qui réclame des dommages-intérêts.

La cour de Gand a appliqué le principe de la necessité des motifs spéciaux dans les réclamations de dommages-intérêts en repoussant comme non recevable une demande en dommages-intérêts qui n'était pas spécialement motivée. La cour ajoute d'ailleurs que les appelants n'avaient pas justifié devant elle d'un préjudice éprouvé par le fait des intimés, ce qui écartait au fond la demande de dommages-intérêts. Gand, 9 janvier 1857 (Pas., 58, 2, 61).

Sans entrer dans l'examen de la décision au fond, nous pensons que la cour eût dû se borner à rayer la cause du rôle ou à ne pas statuer sur la demande en dommages-intérêts. En déclarant la demande non recevable, c'est-à-dire en l'écartant définitivement, la cour excédait, nous paraît-il, son pouvoir (V. supra, no 750).

756. Quand les motifs produits à l'appui de la demande principale justifient du même coup les dommages-intérêts ou les condamnations accessoires réclamés dans l'instance, y a-t-il lieu d'exiger des motifs spéciaux pour étayer ces dommages-intérêts?

Une pareille obligation imposée aux parties n'aurait aucun motif sérieux. Elle ne serait qu'une superfétation inutile. A quoi, en effet, peut servir la justification spéciale d'une demande de dommages-intérêts, si la demande principale et les motifs qui sont donnés à l'appui de cette demande font pleinement cette justification? La loi dans son art. 16 a voulu des motifs à l'appui de la demande de dommagesintérêts, mais peu importe que les raisons produites pour les justifier soient énoncées une seule fois dans les conclusions, ou soient répétées à chaque chef de la demande.

La thèse contraire a été soutenue par M. l'avocat Jottrand dans un mémoire présenté à la cour de Bruxelles, en cause de Delièvre contre Rogier.

Voici comment M. Jottrand justifie son opinion: «Dans son exploit introductif d'instance M. le ministre des affaires étrangères demandait 10,000 fr. de dommages-intérêts, chef principal de conclusion, et l'affiche et publication dans des journaux, du jugement à intervenir, chef accessoire.

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755. La loi, dans son art. 16, ne se contente donc pas d'exiger l'évaluation des dommages- L'évaluation du chef principal résulte claiintérêts. Elle va plus loin et veut que les dom-rement de l'énonciation même d'une somme de mages-intérêts soient justifiés par des raisons 10,000 fr.; mais les motifs spéciaux exigés par spéciales. Il ne suffit pas aux parties de préten- la loi pour les différents chefs de conclusions, dre qu'elles ont souffert un dommage, et de dé- se trouvent-ils dans cette simple et unique alclarer à quel chiffre elles l'estiment. Il faut légation du demandeur: que l'imputation si

gnalée par lui au juge était odieuse et men-
songère, qu'elle portait une atteinte grave à
sa considération et à celle de sa famille? »
Ce motif est-il spécial à la demande de
10,000 fr. ou spécial à la demande d'affiche et
de publication? Remarquons que la loi ne per-
met pas de donner à la conclusion un motif gé-
néral qui s'appliquerait également à divers chefs
de cette conclusion; il faut un motif spécial
pour chaque chef. Cette courte observation
nous permet de ne pas insister davantage. La
cour jugera si lorsqu'il s'agit, comme dans l'es-
pèce, de deux chefs de conclusions, il a été sa-
tisfait à ce qu'exige l'art. 16 de la loi du 25 mars
1841, par l'invocation d'un seul motif donné
sans dire à quel chef de conclusion il s'appli-
que, et sans dire même (ce qui peut-être aurait
suffi) que l'on entend appliquer ce motif spécia-
lement à chacun des chefs de conclusions. Pour
nous, il nous semble que la prescription de l'ar-
ticle 16 en question n'a pas été observée. » (Mé-
moire, 1862, p. 31.)

que l'exagération évidente de la demande ne lie pas le juge quant à la compétence.

Il ne suffirait donc pas à l'une des parties de réclamer des dommages-intérêts fort élevés fondés sur un motif tout à fait futile. Ainsi comprise, la règle édictée par l'art. 16 serait inefficace puisqu'il serait permis de frauder la loi en réclamant des dommages-intérêts sous un prétexte quelconque et en les évaluant toujours à un chiffre supérieur au taux du dernier ressort. Il faut appliquer à ce cas la règle que nous avons développée plus haut (no 729).

758. Le principe énoncé par l'art. 16 s'applique au défendeur qui réclame des dommages-intérêts tout aussi bien qu'au demandeur.

Au point de vue de la valeur de la demande et du ressort, nous savons qu'il est certains dommages-intérêts qui ne changent rien à la demande quand ils ont une cause qui lui est postérieure (supra, nos 608 et suiv.). Mais ces dommages-intérêts accessoires n'échappent pas à l'évaluation. Le texte de l'art. 16 prend soin de le dire expressément.

759. Nous ne voyons aucune difficulté à étendre la règle de l'art. 16 aux dommages-intéAt-rêts réclamés devant les justices de paix ou les tribunaux de commerce.

Dans la même affaire, le tribunal de Bruxelles, par jugement en date du 15 février 1862 (Pas., 62, 2, p. 245), avait décidé que la demande accessoire était suffisamment motivée: tendu, quant au défaut de motifs, dit le tribunal, que la demande originaire énonce les faits sur lesquels elle se fonde, et que ces faits permettent d'apprécier la nature et l'étendue du dommage éprouvé; que la demande est donc suffisamment motivée.» La cour adopte sur ce point les motifs du premier juge. 2 juin 1862 (Pas., loc. cit.). Devant la cour de cassation, le moyen produit dans le mémoire fut développé (2o moyen), mais la cour décide que l'arrêt, appréciant les énonciations de l'exploit introductif de l'instance, déclare en termes généraux que la demande en dommages-intérêts est motivée; qu'il y a donc sur ce point décision en fait. » (Cour de cass., 24 janvier 1863 (Pas., 64, 1, p. 110 et suiv.). La cour de cassation n'a donc pas eu à trancher la question.

Nous avons vu (supra, no 719) que l'évaluation de la partie de la demande consistant en insertions n'est pas exigée par la loi et reste indéterminée par sa nature.

757. Il y a lieu d'appliquer à l'art. 16 la règle

Comme le remarque M. Cloes, pour les demandes devant les justices de paix, une réclamation de dommages-intérêts est une demande personnelle et mobilière qui doit être évaluée aux termes de l'art. 8.

De plus toute demande doit être justifiée. La citation doit énoncer l'objet et les moyens de la demande (art. 1er du code de proc. civ.).

La règle de l'art.16 n'est qu'une application d'un principe général et l'on ne peut supposer que le législateur aurait voulu imposer pour les dommages-intérêts une règle aux tribunaux de première instance et une autre règle aux justices de paix.

Mais la peine imposée au demandeur devant la justice de paix serait tout simplement le refus de toute audience conformément à l'art. 8.

Devant les tribunaux de commerce nous avons vu que l'art. 15 est applicable (supra, no 735). Nous croyons pour les mêmes raisons que l'application de l'article 16 ne pourrait être refusée devant les mêmes tribunaux.

ARTICLE 17.

Le défendeur pourra se libérer en acquittant le prix de cette évaluation, pourvu qu'il s'agisse d'une demande ou d'un chef de demande purement personnelle et mobilière, sans préjudice aux intérêts et aux dépens, s'il y a lieu.

SOMMAIRE.

760. Généralité du principe du rachat du litige en ce qui | 764. L'offre libératoire doit comprendre les intérêts et concerne les demandes personnelles ou mobi

lières.

761. Utilité de ce principe.

les dépens.

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762. L'art. 17 s'applique aux demandes personnelles ou 765 bis. En est-il de même après que le défendeur a démobilières.

763. Hypothèse où une partie de la demande seulement

est rachetable.

claré vouloir racheter le litige pour la somme indiquée dans l'évaluation?

766. Si le demandeur, après avoir fait l'évaluation, dé

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