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Le juge commencera par apprécier la contestation qui lui est déférée. Il considérera les difficultés plus ou moins grandes des questions qu'elle soulève. Est-ce une de ces causes où le bon droit est douteux; où l'on est souvent embarrassé pour discerner ce qu'exige la justice; où les faits semblent se contredire, les textes de lois se heurter; où la vérité semble échapper au juge qui la poursuit, alors, il s'abstiendra d'ordonner l'exécution provisoire de son juge

ment.

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connu fondé par le juge d'appel. Et s'il s'élève quelque doute sérieux dans l'esprit du premier juge; s'il peut craindre que sa conviction ne soit pas partagée par d'autres, il prendra, pour garantir les droits respectifs des parties, des mesures propres à donner tous ses effets à la décision, si elle est trouvée juste, sans nuire à celui qui parviendrait à en obtenir la réformation.

« Nous disons que le juge doit porter son attention sur les moyens pécuniaires des parties, quand il s'agit de l'exécution provisoire.

« Qu'on ne s'imagine pas néanmoins que, devant la justice, le pauvre soit moins bien traité que le riche. Ce serait une grande erreur. L'un et l'autre sont égaux aux yeux des magistrats. Mais le premier devoir de ceux-ci est de rendre à chacun le sien, et d'atteindre d'une manière efficace ce but suprême de leur mission. C'est donc pour accomplir les règles de la justice dans toute leur plénitude, c'est afin que le juge supérieur ne soit pas appelé à rendre une décision vaine dans ses effets, que le juge inférieur exige des garanties propres à ne pas rendre irréparable l'erreur dans laquelle il pourrait être tombé.

Mais s'il s'agit d'un fait sensiblement appréciable, d'un débiteur, par exemple, qui, par des moyens de fuite ou de retard, cherche à éluder le payement d'une créance légitime; si le juge craint qu'il ne puisse se ménager, à l'aide de l'appel, les moyens de soustraire son avoir au payement de sa dette, ou qu'il ne profite de l'intervalle de ce recours pour emporter de l'immeuble en litigetout ce qui pourra en être distrait à son profit, dans des circonstances semblables, le magistrat se trouvera heureux de faire usage du pouvoir que la loi lui accorde, afin que la bonne cause soit garantie dans l'exercice de ses droits. Il agira de même si, bien que le titre de celui qui triomphe ne soit pas revêtu du caractère de l'authenticité, il s'aperçoit que la méconnaissance de ce titre est le résultat de la mauvaise foi ou d'une ignorance affectée : il s'empressera de donner à son jugement l'effi-même, le jugement doit ou non être provisoirecacité de l'exécution provisoire.

Le juge ne se contentera pas même de porter son attention sur le fond de la cause : il envisagera aussi la position des plaideurs; car, en toute hypothèse et quelle que soit sa conviction personnelle, il ne peut pas toujours être sûr de la rectitude de son jugement. L'erreur est le partage de l'humanité, et les intentions les plus droites n'en préservent pas nécessairement le magistrat. Il saura donc prendre des précautions salutaires pour que l'erreur, s'il y tombe, ne produise pas des effets irréparables.

Il ne lui suffira pas de voir d'un côté un droit plus apparent que celui qui est réclamé d'autre part; il voudra que le provisoire ne puisse pas nuire à celui qui conteste le droit reconnu par le jugement. S'il craint que l'exécution provisoire n'offre un moyen de dépouiller le plaideur auquel le juge supérieur pourrait donner gain de cause, ou qu'après l'exécution consommée, il n'existe plus qu'une action vaine par l'insolvabilité de la partie qui aurait exécuté, il fera usage de la faculté que la loi lui accorde d'exiger des garanties pour l'exécution provisoire.

Sans doute, il n'exposera pas le pauvre à perdre la jouissance d'un juste droit, jouissance dont il pourrait être privé par la difficulté de trouver une caution. Si ce droit ne paraît pas susceptible d'être sérieusement contesté, le juge n'exigera pas du plaideur une garantie qui rendrait l'exécution provisoire impossible. Mais il n'exposera pas non plus la partie adverse à se voir dépouillée d'un droit qui pourrait être re

Mais ce n'est pas assez pour lui d'envisager le mérite du procès et la position des plaideurs : il doit encore examiner si, par sa nature

ment exécuté. A cet égard, il peut éprouver un certain embarras; il peut être incertain luimême de savoir si son jugement est en premier ou en dernier ressort. De nombreuses difficultés se sont présentées sur de semblables questions; et, malgré les règles tracées par la loi qui nous régit, il est à prévoir qu'il s'en présentera encore. Le jugement en dernier ressort forme un titre exécutoire, nonobstant l'appel qui en serait interjeté. Mais si le juge, bien qu'il se croie compétent en dernier ressort, craint de mal qualifier son jugement, il lui sera loisible, pour éviter une contestation toujours fàcheuse, et souvent sans utilité réelle, de s'abstenir d'une qualification embarrassante et d'ordonner l'exé cution provisoire de son jugement. Il ne peut en résulter de graves inconvénients, car si la valeur qui sépare le dernier ressort du premier, ne peut être que difficilement appréciée, c'est une preuve que la valeur de l'objet en contestation ne diffère guère du taux fixé par la loi pour que le premier juge exerce un pouvoir souverain, lors même qu'elle l'excède. Par l'exécution provisoire, le juge remplira le vœu de la loi quant aux jugements en dernier ressort, en évitant, sur l'appel, la question de savoir si son jugement est bien ou mal qualifié.

‹ Enfin, la juridiction supérieure des cours d'appel offrira les moyens d'éviter les inconvénients auxquels pourrait donner lieu l'abus qu'aurait fait le premier juge du pouvoir d'ordonner l'exécution provisoire de son jugement. Car lors même que le juge d'appel ne se croirait pas en droit d'accorder des défenses contre une

exécution provisoire dont les résultats pourraient être funestes, il lui sera toujours possible de tellement bâter la décision du fond de la cause, que l'exécution provisoire ne puisse être consommée auparavant.

«Ainsi, la faculté indéfinie accordée au premier juge d'ordonner l'exécution provisoire de son jugement présentera des avantages, et les inconvénients en seront légers.

Elle sera surtout avantageuse, si le juge use de cette faculté avec le discernement qu'on doit toujours attendre de lui. › (Revue des revues de droit, t. 5, p. 72 et suiv.)

806. Comme nous l'avons vu, l'art. 20, paragraphe 2, a eu pour but de permettre au tribunal de prononcer l'exécution provisoire dans tous les cas, tandis que sous l'empire de l'article 155, paragraphe 2 du code de procédure, cette exécution ne pouvait être ordonnée que dans quelques cas spécialement désignés.

Examinous maintenant quelques questions qui se rapportent à la portée de notre article 20.

L'art. 137 du code de procédure civile défend d'ordonner l'exécution provisoire pour les dépens, quand même ils seraient adjugés pour tenir lieu de dommages-intérêts. Cette disposition a-t-elle été abrogée par la loi du 25 mars 1841.

On pourrait le soutenir en argumentant de la généralité des termes dans tous les autres cas. Mais ces mots doivent s'entendre restrictivement.

Ils sont tout simplement le contre-pied des cas spéciaux que désignait l'article 135.

La loi de 1841 a, il est vrai, étendu le droit du tribunal de prononcer l'exécution provisoire dans des cas non spécialement désignés à l'article 155. Mais c'est à cet article seulement que le législateur a entendu déroger. L'article 20 n'a jamais voulu étendre l'exécution provisoire au delà des limites formelles que le code de procédure avait précédemment posées à cette exécution.

C'est ce que M. Liedts disait dans son rapport à la chambre des représentants. « La commission, pas plus que le gouvernement, n'a songé à porter quelque changement à l'art. 155 du code de procédure civile relatif aux jugements par défaut, ni à l'art. 137 du code de procédure relatif aux condamnations, aux dépens du procès.» (Voy. supra, no 799.)

Cette opinion a été professée dans une dissertation insérée dans la Belgique judiciaire (t. 1, p. 161), et dans une autre dissertation insérée au recueil de MM. Cloes et Bonjean (tome 8, p. 1043). Une ordonnance de référé de M. le président du tribunal de Louvain, en date du 25 octobre 1843 (Belg. jud., t. 1, p. 1768) tranche la question dans le même sens.

La cour de cassation de Belgique a formelle ment décidé que l'exécution provisoire ne pouvait être ordonnée pour les dépens, mais sans cependant prononcer la cassation parce qu'il

y avait défaut d'intérêt chez les demandeurs en cassation. Sur le quatrième moyen, dit la cour, puisé dans la violation des articles 137 et 457 du code de procédure, en ce que la saisiearrêt a été validée pour les dépens taxés au jugement du 7 août 1855, dont il y avait appel; « Considérant que l'appel du jugement du 7 août 1855 en avait suspendu l'exécution quant aux dépens taxés à 184 fr. 47 cent., et que par suite l'arrêt attaqué a indûment validé la saisie-arrêt pour cette somme; mais que les demandeurs sont néanmoins, à défaut d'intérêt, non recevables à se faire de cette illégalité un moyen de cassation... » 11 juin 1857 (Pas., 57, 1, 369).

807. Ce que nous venons de dire s'applique avec la même force à l'art. 155 du code de procédure civile, lequel se rapporte à l'exécution des jugements par défaut.

L'art. 20 a laissé subsister cette disposition. Dans son rapport à la chambre des représentants, M. Liedts prend soin de le dire pour l'art. 155 du code de procédure comme pour l'art. 157 du même code.

Un arrêt de la cour de Bruxelles du 26 décembre 1855 consacre cette doctrine en visant à la fois, dans un de ses motifs, l'art. 20 de la loi de 1841 et l'art. 155 du code de procédure civile (Pas., 56, 2, 304).

808. Il est généralement reconnu que l'article 20 a laissé subsister les art. 137 et 155 du code de procédure civile; mais il s'est élevé une controverse sur la question de savoir si la disposition de la loi de 1841 est applicable en certaines matières spéciales prévues par le code de procédure.

Une dissertation, insérée dans la Belgique judiciaire du 23 janvier 1845 et reproduite en note dans la Pasicrisie de 1845 (t. 1, p. 56) soutient que tel n'a pas été le but de l'art. 20.

Elle se base sur diverses considérations que nous devons résumer rapidement.

Il est incontestable, dit d'abord l'auteur de la dissertation, que, sous l'empire de l'art. 135 du code de procédure civile, l'exécution provisoire ne pouvait être prononcée en certaines matières spéciales, par exemple, en matière d'ordre et en matière d'expropriation forcée. Cela était vrai alors même qu'il y aurait eu dans l'espèce titre authentique, promesse reconnue ou condamnation précédente (art. 135, § 1er). La doctrine et la jurisprudence étaient unanimes sur ce point. La cour de Bruxelles siégeant en cassation s'est prononcée en ce sens par arrêt du 23 avril 1829 (Jurisprudence du xix* siècle, 1850, 3, 125) Thomine-Demazures ( Procéd., art. 730) et Bioche et Goujet (Dict., vo Saisie immobilière) admettent le même principe.

Comment l'art. 20 de la loi de 1841 a-t-il modifié la règle imposée par l'art. 135?

Dans son premier alinéa, l'art. 20 se borne à imposer l'application d'office de l'exécution provisoire dans certains cas spécialement mentionnés. Dans son second alinéa, la disposition parle des autres cas, c'est-à-dire de ceux où il n'existe

ni titre authentique, ni promesse reconnue, ni condamnation précédente. Dans ces autres cas, la prononciation de l'exécution, provisoire devient facultative pour le juge. Mais l'art. 20 ne s'applique pas aux matières spéciales qui restaient en dehors de l'art. 135.

Les seuls mots ajoutés dans l'article 20 sont ceux-ci : même d'office. Ces expressions ne suffisent pas pour qu'on puisse dorénavant appliquer l'art. 155 aux matières que précédemment il ne gouvernait pas. Cela est évident pour l'alinéa 1er de la disposition. On ne peut supposer que le législateur de 1841 qui s'abstenait d'étendre l'application du § 1er aurait fait autre chose pour le § 2 du même article.

Tels sont les arguments principaux à l'aide desquels on écarte l'application de l'article 20 dans les matières où l'art. 135 du code de procédure civile était lui-même inapplicable. Cette doctrine a été admise par un jugement du tribunal de Mons du 26 février 1845 (Pas., 48, 2, 67), rendu en matière d'ordre. «En ce qui concerne le chef tendant à l'exécution provisoire, dit le jugement, attendu que la doctrine et la jurisprudence ont longtemps été d'accord pour reconnaître que l'art. 135, c. pr.; n'a trait qu'aux matières ordinaires, et n'est nullement applicable aux matières spéciales pour lesquelles la loi a établi des règles de procédure particulière;

« Attendu qu'il résulte du texte de l'art. 20 de la loi du 25 mars 1841, de l'esprit dans lequel cette loi a été conçue et de la discussion qui a précédé son adoption, qu'elle n'a eu d'autre objet que d'élargir le cercle des cas d'exécution provisoire, en enjoignant aux juges de la prononcer d'office dans les cas où, d'après le 1er § dudit article 135, il était tenu de la prononcer s'il en était requis, et en lui conférant, pour tous les autres cas, la faculté d'ordonner cette exécution provisoire, faculté qui, par le § 2 du prédit article, était limitée à quelques cas spéciaux; que l'intention du législateur n'a donc pas été d'introduire l'exécution provisoire en toute matière sans exception aucune, et d'abroger ainsi les dispositions spéciales qui la prohibaient formellement dans certains cas: d'où il suit que les dispositions spéciales, et notamment celles de l'art. 767, c. pr., n'ont reçu aucune atteinte, et doivent, comme auparavant, recevoir leur application;

< Attendu que ledit art. 767 interdit virtuellement au juge d'accorder l'exécution provisoire des jugements statuant sur des contestations en matière d'ordre; que dès lors, et par suite de ce qui a été dit ci-dessus, il ne peut échoir de la prononcer dans l'espèce... ›

L'auteur de la dissertation cite dans le même sens un jugement du tribunal de Liége du 31 mai 1843 (Belg. judic., t. 1, p. 1794) refusant l'exécution provisoire dans une matière intéressant l'état civil des citoyens; mais ce jugement nous paraît au contraire opposé à la doctrine dont on le prétend le soutien. Il décide en effet,

« quant à l'exécution provisoire, que les matières qui concernent l'état civil des citoyens sont trop graves dans leurs conséquences pour que le tribunal use de la faculté que lui confère l'article 20 de la loi du 25 mars 1841. » Le tribunal croyait donc avoir le droit de prononcer l'exécution provisoire; mais dans l'hypothèse où il avait à se prononcer, la gravité de la matière l'engageait à ne pas user de ce droit.

L'opinion qui refuse d'appliquer l'art. 20 à certaines matières spéciales se base, nous paraît-il, sur une interprétation erronée de la loi de 1841.

S'il est vrai qu'avant cette loi la jurisprudence et la doctrine refusaient d'appliquer l'article 135 aux cas non spécialement prévus par la disposition, il n'est pas douteux que le but du législateur de 1841 a été précisément de modifier cet état de choses.

Non-seulement le paragraphe 1er de l'art. 20 a changé l'art. 135 en ce que l'exécution provisoire peut être prononcée d'office en certains cas, mais le paragraphe 2 du même article a étendu la faculté de prononcer cette mesure exceptionnelle à tous les cas et par conséquent dans les matières spéciales où auparavant elle était interdite. Ce but de la loi a été clairement exposé par M. Liedts dans son rapport.

Il résulte des termes de ce document que c'est afin de sortir de l'énumération incomplète de l'art. 135, § 2, que l'art. 20 a été écrit. Cette dernière disposition laisse une latitude entière au juge. A l'objection que le tribunal de première instance pourrait faire abus du droit qu'on lui conférait, M. Liedts répond par cette considération que l'exécution provisoire peut appartenir au tribunal aussi bien qu'au juge de paix. Or, il n'est pas douteux que ce dernier peut prononcer l'exécution provisoire en toute matière dans le cercle de ses attributious (article 17 du code de procédure civile). M. de Haussy s'en rapporte, comme M. Liedts, aux tribunaux de première instance du soin d'user avec circonspection du droit qui leur est conféré par le § 2 de l'article 20 (supra, no 800).

Si ce droit devait se limiter aux termes de l'art. 155, sauf la modification apportée au paragraphe 1er de la disposition, on pourrait demander pourquoi les rapporteurs de la loi avaient besoin de faire appel à la circonspection des juges. Ceux-ci n'auraient eu qu'à appliquer la loi ancienne.

Les termes des rapports à la chambre et au sénat nous interdisent donc de limiter la portée de l'art. 20 à celle de l'art. 135. C'est, au contraire, afin de sortir des cas spéciaux énumérés par cette dernière disposition, que l'article 20, § 2, a été édicté. Aucune restriction n'a été mise à la liberté du juge en cette matière, ni par le texte de la loi, ni par les documents qui l'expliquent.

Cette interprétation de l'art. 20, § 2, a été consacrée par un arrêt de la cour de Bruxelles du

9 août 1843 (Pas., 45, 1, 44) et par un arrêt de notre cour suprême du 7 décembre 1844 (Pas., 45, 1, 44) confirmant l'arrêt de la cour de Bruxelles.

Sur le 6 moyen, dit la cour de cassation, violation des articles 729 et 730, c. pr., fausse application et par suite violation de l'art. 20 de la loi du 25 mars 1841:

Attendu que l'art. 20 de la loi du 25 mars 1841, après avoir prescrit aux tribunaux d'ordouner, même d'office, l'exécution provisoire de leurs jugements, lorsqu'il y a titre authentique, promesse reconnue ou condamnation précédente, dont il n'y a pas d'appel, ajoute que « dans tous les autres cas, l'exécution provisoire « pourra être ordonnée avec ou sans caution; › Attendu que cette disposition prouve clairement qu'elle a pour but d'étendre la disposition de la deuxième partie de l'art. 135, c. pr., en donnant aux tribunaux un pouvoir discrétionnaire, dont ils pourront faire usage, d'après les circonstances particulières que présenteront les causes soumises à leurs décisions, sauf toutefois dans les cas où le code de procédure avait formellement interdit aux tribunaux d'ordonner l'exécution provisoire de leurs jugements;

Attendu que l'action qui fait l'objet du présent procès n'est pas une demande en distraction, dont la procédure est réglée par les art. 729 et 750, c. pr.; d'où il suit que, lors même que l'art. 20 de la loi du 25 mars précité ne serait pas applicable aux procédures de cette espèce, l'arrêt attaqué, en maintenant l'exécution provisoire prononcée en première instance, n'a pu violer lesdits articles ni violer ou faussement appliquer l'art. 20 de la loi du 25 mars ci-dessus citée;

Par ces motifs, rejette le pourvoi, etc. »> Cet arrêt avait été précédé de conclusions de M. l'avocat général Dewandre, rendues dans le même sens que la décision de la cour et rapportées dans la Pasicrisie (loc. cit.).

Comme nous le voyons par l'arrêt, la cour décide que, dans l'espèce, il ne s'agissait pas d'une demande en distraction; mais avant de décider ce point de fait, la cour prend soin d'établir le principe du droit qui gouverne la matière, c'est-à-dire l'omnipotence du juge, sauf dans les cas où le code de procédure interdit formellement aux tribunaux d'ordonner l'exécution provisoire de leurs jugements. Cette interdiction n'existait pas dans le cas dont il s'agissait.

La cour de Gand s'est prononcée dans le même sens.

Voici dans quels termes la question se présentait devant elle :

Après l'exécution provisoire prononcée en matière d'ordre par le premier juge, l'appelant, se basant sur l'art. 459 du code procédure civile, demandait à la cour des défenses contre l'exécution. Ces défenses ne sont accordées que si l'exécution provisoire a été ordonnée hors des

cas prévus par la loi (art. 459, code de procédure civile).

Pour faire accueillir sa demande, l'appelant soutenait donc que le tribunal de première instance n'avait pu, en matière d'ordre, user de la faculté que lui donne l'art. 20 de la loi de 1841. La cour repousse la prétention de l'appelant.

«Attendu, dit l'arrêt, que l'art. 459, c. pr. civ. dispose formellement que l'appelant ne pourra obtenir des défenses de la cour, que lorsque l'exécution provisoire aura été ordonnée hors des cas prévus par la loi;

Attendu qu'aux termes de l'art. 20 de la loi du 25 mars 1841, le premier juge est autorisé à ordonner, dans tous les cas, l'exécution provisoire de ses jugements avec ou sans caution; que cette disposition est générale et ne peut recevoir d'exceptions que celles résultant de textes formels de la loi, ou de la nature toute spéciale de l'objet du litige repoussant absolument l'application de la disposition invoquée;

Attendu que les art. 767, 771 et 774 code proc., qui ne font que régler la marche de la procédure en matière d'ordre, dans les cas ordinaires, ne contiennent aucune disposition qui fasse obstacle à l'application de la règle générale introduite par l'art. 20 de la loi nouvelle sur la compétence; que vainement on allègue qu'il pourra résulter quelquefois de l'exécution provisoire d'un jugement d'ordre un préjudice irréparable; qu'en effet ce danger est peu à craindre, le juge pouvant parer à cette éventualité en subordonnant l'exécution provisoire à la garantie d'une caution, mesure que le législateur a voulu abandonner à sa discrétion;

Par ces considérations, de l'avis conforme de M. l'avocat général Colinez, dit qu'il n'y a lieu d'accorder les défenses demandées, etc. › Gand, 16 juin 1848 (Pas., 48, 2, 191).

La cour de Bruxelles a décidé le même principe en déclarant, en matière d'ordre, que ni la loi du 25 mars 1841, ni l'art. 759 du code de procédure civile ne s'opposaient à ce que l'exécution provisoire fût ordonnée. 27 mai 1854 (Pas., 55, 2, 154).

Remarquons que la loi belge du 14 août 1854 qui traite de l'expropriation forcée et de l'ordre n'a modifié en rien le droit pour les tribunaux de prononcer l'exécution provisoire en ces matières. Cependant cette loi parle à plusieurs reprises de l'appel. Si elle avait voulu faire une exception au principe général de l'art. 20 de la loi de 1841, elle l'aurait dit expressément. Tout au contraire, l'article 12, § 2, de la loi du 15 août 1854 renvoie à notre art. 20 (voy. le numéro suivant).

808 bis. Quand il s'agit d'adjudication définitive sur expropriation forcée, il ne nous paraît pas douteux que c'est seulement après un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée que cette adjudication peut avoir lieu. Telle était la prescription formelle de l'art. 2215

du code civil. L'art. 20 de la loi de 1841 n'a | ont la certitude complète que leur décision ne évidemment rien voulu changer à ce principe peut être sujette à réformation. inséré au code civil comme une règle essentielle de la matière. D'ailleurs l'art. 12 de la loi belge du 15 août 1854 sur l'expropriation forcée reproduit l'art. 2215, à ce point de vue.

La poursuite, dit cette disposition, peut avoir lieu en vertu d'un jugement provisoire ou .définitif, exécutoire par provision nonobstant appel; mais il ne pourra être procédé au jugement sur la validité de la saisie qu'après une décision définitive en dernier ressort ou passée en force de chose jugée. »>

Le paragraphe 2 de l'art. 2215 du code civil interdisait la poursuite en vertu de jugements par défaut durant le délai de l'opposition.» L'art. 12, paragraphe 2, de la loi de 1854 a remplacé cette disposition par la suivante :

La poursuite ne peut s'exercer en vertu de jugements par défaut que conformément aux dispositions des articles 155 du code de procédure et 20 de la loi du 25 mars 1841. »

La poursuite peut donc aujourd'hui s'exercer en vertu d'un jugement par défaut et dans tous les cas, pourvu que, conformément à l'art. 20, le tribunal ait accordé l'exécution provisoire.

810. L'exécution provisoire peut-elle être prononcée par le tribunal en matière de divorce? Nous ne le pensons pas.

En premier lieu, toute la procédure du divorce est réglée au code civil et non pas au code de procédure. La faculté pour le tribunal d'accorder l'exécution provisoire dans tous les cas (art. 20, loi de 1841) ne se rapporte qu'à une loi de procédure. Ce n'est qu'une extension des pouvoirs qui appartenaient au juge d'après l'art. 155 du code de procédure civile. Or, on ne peut admettre qu'un article qui, dans l'esprit du législateur de 1841, a eu pour objet de modifier uue règle de la procédure, vienne bouleverser un titre entier du code civil. Cela est d'autant moins admissible que le législateur du code civil a tracé des règles rigoureuses relatives à la procédure en divorce, précisément parce que, d'après lui, elles faisaient corps avec la législation civile elle-même, et devaient empêcher la facilité trop grande de la séparation des époux. L'exécution provisoire accordée en matière de divorce aurait pour effet de, håter le moment de la liberté des époux. On peut donc dire qu'elle est contraire à l'esprit qui a présidé aux formalités nécessaires pour le divorce.

En second lieu, deux textes précis du code civil écartent toute idée d'exécution provisoire en matière de divorce.

809. En matière d'opposition au mariage, on a de même soutenu que la cour pouvait accorder des défenses à l'exécution, quand le tribunal avait ordonné l'exécution provisoire. Mais cette prétention a été repoussée par la cour de Gand par le motif que le premier juge L'article 264 porte: En vertu de tout jugen'avait fait qu'user de la faculté que lui accordement rendu en dernier ressort ou passé en force de le paragraphe de l'art. 20 de la loi de 1841, et que, aux termes de l'art. 460 du code de procédure civile, il ne peut être accordé de défeuses lorsque l'exécution provisoire a été ordonnée dans les cas prévus par la loi. La cour s'est prononcée en ce sens sur les conclusions conformes de M. l'avocat général Colinez. 18 janvier 1842 (Pas., 42, 2, 106).

Nous avons vu, dans notre numéro précédent, que le tribunal de Liége, tout en se croyant le droit de prononcer l'exécution provisoire dans une matière intéressant l'état civil, n'avait pas pensé utile d'user de cette faculté. (Jugement du 31 mai 1843, Belgique judiciaire, t. 1, p. 1794.)

Nous croyons, avec le tribunal de Liége, qu'il est toujours fort dangereux pour le premier juge de prononcer l'exécution provisoire en certaines matières où l'exécution rend l'appel pour ainsi dire illusoire, parce que cette exécutoin entraine des conséquences irréparables. Mais que faut-il en conclure?

Que le législateur a donné aux tribunaux de premièreinstance un pouvoir si grand, qu'il peut parfois paralyser le droit d'appel. La loi s'est fiée à l'intelligence des magistrats quant à l'exercice de ce pouvoir. C'est à ceux-ci qu'il appartient de se montrer dignes de la confiance pour ainsi dire illimitée du législateur. Dans les matières qui intéressent l'état civil, ils ne doivent prononcer l'exécution provisoire que s'ils

chose jugée qui autorisera le divorce, l'époux qui l'aura obtenu sera obligé de se présenter, dans le délai de deux mois, devant l'officier de l'état civil, l'autre partie dûment appelée, pour faire prononcer le divorce. » L'art. 294, relatif au divorce par consentement mutuel, ne donne aux parties le droit de se présenter devant l'officier de l'état civil qu'en vertu de l'arrêt qui admettra le divorce. Ces termes impliquent nécessairement l'exercice de l'appel avant toute exécution. Ils écartent donc toute idée d'exécution provisoire.

811. En matière de séparation de corps, la procédure est réglée par le code de procédure. L'art. 307 du code civil le déclare expressément. L'action sera intentée, instruite et jugée de la même manière que toute autre action civile. »

Dans les articles 875 à 881 du code de procédure, qui s'occupent spécialement de la séparation de corps, rien ne met obstacle à l'exécution provisoire. Il nous paraît donc impossible de l'interdire absolument, en présence de l'article 20 de la loi de 1841.

Après ce que nous avons dit du divorce, il peut paraître surprenant que le législateur ait permis l'exécution provisoire dans une matière qui a tant d'analogie avec le divorce. Mais il faut accuser de cette bizarrerie la généralité des termes de l'article 20. Là où la loi n'a pas établi d'exception, le juge ne peut suppléer à sa volonté.

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